Entretien Philippe Saurel « Il faut batîr Montpellier destination culture »

f03629b1e8e3325cb399ad9aff8ca8cd_XL

Dans le milieu de la culture, il faut laisser de l’autonomie liée à l’identité du fonctionnement

Entretien
Montpellier terre de toutes les cultures, c’est le défi que lance le maire et président de la Métropole Philippe Saurel qui s’en explique ici.

Montpellier et sa Métropole bénéficient d’une croissance démographique soutenue, d’une densité universitaire et d’une mobilité internationale importante sur un territoire qui rencontre des difficultés socio-économiques. Sur quoi repose votre vision de la politique culturelle ?
Il faut bâtir  le hashtag #MontpellierDestination Culture. Pour y parvenir nous avons les ingrédients que vous avez cités, la croissance de la ville, sa jeunesse, le caractère universitaire « d’une ville monde ». C’est-à-dire une ville dans laquelle se reflètent tous les visages de la planète.

Parmi les faits nouveaux vous affirmez la volonté de développer les arts plastiques…
Nous mettons l’accent sur l’art contemporain. Un maillon de la chaîne qui était un peu défaillant et que nous allons traiter de manière originale. Nicolas Bourriaud  en assure la direction artistique à la tête d’un EPPC qui comprendra la Panacée, à laquelle viendra s’ajouter le MoKo un nouveau Centre d’Art. Ces deux lieux seront liés à l’école des Beaux Arts. Ce triptyque doit maintenant s’ adosser à une fondation pour faire venir les collections et éventuellement financer des projets. Nous sommes en cours de réflexion pour trouver la personne idoine qui présidera l’EPPC, comme Aurélie Filippetti préside le Cinemed et donne son éclat au festival du cinéma Méditerranéen. La notion d’enseignement avec  les Beaux Arts pourrait s’étendre à l’Ecole nationale d’architecture,  et la Faculté des lettres et sciences humaines. Nous travaillons actuellement à la rédaction d’un protocole d’accord sur la culture entre La Métropole et Montpellier 3.

Votre champ opérationnel s’est élargi avec le transfert de compétences du Département …
En effet, par le truchement du  transfert de compétences, nous avons reçu en legs le Domaine D’O,  le Printemps des Comédiens,  Folie d’O et Arabesques. Trois grands festivals qui viennent compléter le dispositif prestigieux dont nous disposions déjà.

Qu’en est-il pour le festival jeune public Saperlipopette ?
Je pense que Saperlipopette devrait rester sous l’égide départementale. Si ce n’était pas le cas on le conservera.  C’est un très bon festival.

Les 25 agents transférés doivent-ils s’attendre à un changement de culture ?
Le transfert s’est opéré à partir de la signature début janvier 2017. A ce jour, on ne voit toujours pas le logo de la Métropole sur le Théâtre Jean-Claude Carrière. Nous nous sommes donnés un an pour faire le transfert et discuter avec tous les acteurs. En 2017 c’est le Département qui reste maître d’ouvrage sur la programmation et le financement du Théâtre d’O.

Quelles perspectives à moyen terme?
D’après la délibération jointe à la signature du contrat, tant que nous gardons le festival, le Département s’engage à le financer. Il n’y a donc aucun problème sur la pérennité des festivals.

Quelle est votre vision de la construction de la coopération concernant les structures et les hommes ?
Parlons des hommes. Je leur laisse une totale liberté. Jean-Paul Montanari, Valérie Chevalier,  Nicolas Bourriaud, font ce qu’ils veulent.

Il peut apparaître des contradictions entre une vision internationale et une programmation culturelle qui répond aux attentes.  Cela s’est illustré avec Rodrigo Garcia.
Je n’ai eu aucun problème avec Rodrigo Garcia. Sa programmation artistique est magnifique. Elle ne concerne pas tous les publics mais je l’ai défendue. Nicolas Bourriaud peut répondre à la  contradiction que vous soulevez. Le projet qu’il conduit dispose des deux dimensions. Il a collé au ventre, la soif de montrer que Paris  est contournable et que l’on peut développer une programmation internationale à Montpellier. Il faut que l’art décape !

Prenez-vous en compte la singularité des domaines artistiques ? Le théâtre par exemple en tant qu’art politique…
Le théâtre est à la fois le plus incisif et le plus fragile des secteurs artistiques. Dans les sociétés totalitaires, les régimes politiques durs ont toujours combattu en priorité, le théâtre et le livre. En même temps le théâtre est un vase d’expansion des fresques carnavalesques en passant par le théâtre de rue de Molière. Pendant la guerre en Allemagne et ailleurs, les pièces qui ont commencé à être données sur le ton de la dérision ont rapidement été interdites. C’est un domaine artistique très subtil.

Dans la problématique financière liée aux deux orchestres nationaux métropolitains Montpellier licencie et Toulouse embauche ce qui semble annoncer la fin du lyrique à Montpellier ?
Non, aujourd’hui un expert a été nommé par l’Etat pour rendre un rapport dans les deux mois, sur la situation réelle des finances de l’OONM. En fonction de ce rapport, avec le Drac j’inviterai les actionnaires pour évoquer la situation.

Porter cette réflexion sur la seule dimension financière résume la situation…
C’est le problème principal parce que des dépense non prévues ont fait jour à la fin de l’année. La Métropole est le premier financeur avec 13 M d’euros. Il nous revient de  trouver une issue à cette situation.

Comment miser sur la culture au niveau international et abandonner l’Orchestre ?
Je ne vise pas à l’abandon de l’Orchestre tout au contraire. Mais pour garder l’Orchestre, il faut peut-être revoir un certain nombre de ses fonctionnements internes à l’aune du rapport qui sera rendu. Il faut d’abord sauver l’OONM et après le booster.

Au chapitre de la nouvelle donne de la décentralisation entre Marseille et Toulouse  comment envisagez vous les relations inter-métropolitaines coopération ou concurrence ?
J’entretiens d’excellentes relations avec Toulouse notre capitale régionale. Cela n’empêche pas que le maire de Toulouse joue pour sa ville et le maire de Montpellier également, mais on est capables de se parler et de travailler ensemble. Avec Jean-Claude Gaudin nous avons évoqué le fait de tisser des liens entre les opéras de Marseille et Montpellier. Nous pourrions aussi faire des échanges de musiciens avec l’Opéra de Palerme.

En matière de coopération décentralisée souhaitez-vous raffermir la notion d’identité méditerranéenne ?
De civilisation méditerranéenne, cette idée il est important de la faire ressurgir parce qu’elle génère une forme d’apaisement. Il suffit que l’on visite à Palerme le Palais des Normands pour constater que le plafond de cette chapelle palatine est décoré avec des sourates du Coran.

Privilégiez-vous la gestion particulière des différents lieux ou une gestion commune ?
Dans le milieu de la culture, il faut laisser de l’autonomie liée à l’identité du fonctionnement. En revanche, au niveau des services de la Métropole et de la Ville nous allons créer une direction mutualisée de la culture. Et les organigrammes feront état de fonctions mutualisées ou pas.

Envisagez-vous l’apport de financements privés ?
J’y suis favorable sous toutes ses formes à une seule condition. Que la gouvernance de  la logistique liée à l’exercice de la compétence reste à la Métropole

Quelle place prend la culture dans votre vie quotidienne ?
La culture est omniprésente. Je ne peut pas séparer la culture de la décision politique.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 23/02/2017

Voir aussi ;   Rubrique Politique culturelle, rubrique Théâtre, rubrique Festival, rubrique Cinéma, rubrique Artrubrique Photo, rubrique Danse, rubrique Exposition, rubrique Livres, Littératures, rubrique Musique, rubrique Rencontre, rubrique Education,

Un an d’arts sur les chapeaux de roues et parfois sur les jantes

Culture Languedoc


2016 fut une année de rebondissements dans le domaine des politiques culturelles impactées par la réforme territoriale. Cette rétrospective se concentre sur l’énergie artistique qui demeure et doit plus que jamais être défendue.

La chorégraphie restitue la dimension comique de l’oeuvre. Photo Marc Ginot

La boite à joujoux. Photo Marc Ginot

Janvier. Fondé sur les écritures contemporaines le festival Marseillais Actoral fait escale à Montpellier à l’invitation de Rodrigo García. Dirigé par Hubert Colas, le festival propose des rencontres inédites et surprenantes entre des auteurs, on retient notamment la performance du jeune chorégraphe croate, Matija Ferlin, celle de Anne-James Chaton à la Panacée et la rayonnante présence de Lydie Salvayre. A l’Opéra Comédie, l’ONM et Montpellier Danse s’associent autour de l’univers onirique de Debussy. Le chorégraphe Hamid El Kalmouse livre une version inédite de La boite à Joujoux.  Invité par la librairie Sauramps, l’auteur américain des Appalaches Ron Rash évoque son oeuvre de roc à Montpellier.

agnes-jaoui-j-ai-tres-envie-que-la-musique-fasse-partie-integrante-de-mes-films,M227098Février. Le Sonambule innove à Gignac avec un BD concert initié par le groupe rock Skeleton Band.  Au théâtre La Vignette à Montpellier la compagnie Moébus, s’attaque à la figure du bouc émissaire avec Pharmakos. Dans La brebis galeuse de Celestini donnée à Béziers et mis en scène par Dag Jeanneret à sortieOuest, Nicola superbement interprété par Christian Mazzuchini rêve de supermarchés merveilleux, de films intergalactiques, de chansons à la guimauve et de femmes dociles. La réalisatrice actrice et chanteuse, Agnès Jaoui interprète son dernier album Nostalgias au Théâtre de Sète.

3e volet de La France vue d’ici pour la 8e édition du festival sétois . Photo Patrice Terraz

3e volet de La France vue d’ici pour la 8e édition du festival sétois . Photo Patrice Terraz

Mars. La documentaliste néerlandaise Heddy Honigmann, le polonais Jerzy Skolimowski, l’algérien Farid Bentoumi, l’écrivain et réalisateur français Pascal Bonitzer, comptent parmi les invités du Festival de cinéma Itinérances d’Alès qui place le cirque et la musique au coeur de sa 34e édition. Quatre photographes chiliens tirent le portrait de Sète dans le cadre de la 8e édition du festival ImageSingulières. L’équipe célèbre les 30 ans de l’Agence VU à travers un coup de projecteurs sur sept grands photographes espagnols. L’Espagnol Alberto Garcia-Alix et le Suédois Anders Petersen confrontent leur regard. Au Corum, la mise en scène de l’Opéra Bouffe Geneviève de Brabant par Carlos Wagner reconduit sans mignardise l’immédiateté sensible d’Offenbach vers de nouvelles potentialités.

Marlène Monteiros Freitas

Marlène Monteiros Freitas « Jaguar »

Avril. Invité par Montpellier Danse, la chorégraphe Marlène Monteiros Freitas pose  ses valises pour une semaine à Montpellier. Ses figures du grotesque et son esprit subversif et sensible transpercent les murs. Elle  présente Jaguar, à La Vignette et Paradis au CDN hTh. Le plasticien brésilien Mauricio Oliveira fait étape à l’hôpital de Lodève où ses travaux sont exposés. Invitée par la librairie  L’Échappée belle, Patti Smith débarque à Sète pour une lecture de son dernier opus M Train qui dessine la carte de son existence. A Pézenas, la 17e édition du festival de chanson le Printival met à l’honneur la chanson francophone dans toute sa diversité.

L' Orchestre arabo-andalou de Fès

L’ Orchestre arabo-andalou de Fès

Mai. Le 11e festival Arabesques met en lumière la richesse des cultures arabes. Il débute avec la présence exceptionnelle de l’Orchestre arabo-andalou de Fès à l’Opéra Comédie. L’hypnotisante outiste syrienne Waed Bouhassoun, offre un superbe récital. Au Théâtre Jean-Claude-Carrière, elle chante des poèmes d’Adonis, Mansur al-Hajjal, d’al-Mulawwah, et d’Ibn Arabi sur ses propres compositions. Le thème des Vanités revu et corrigé par huit artistes contemporains donne lieu à une expo au musée d’Arts et d’archéologie aux Matelles. La Comédie du Livre de Montpellier convoque les meilleures plumes de l’Italie pour une édition ardente. A Sérignan, le Mrac pousse les murs avec la complicité de l’artiste contemporain, Bruno Peinado.

1376689_506_obj9181828-1_667x333Juin. Le Musée Fabre de Montpellier est à l’initiative d’une rétrospective internationale consacrée à l’une des figures majeures du pré-impressionnisme. L’exposition Frédéric Bazille,  la jeunesse de l’impressionnisme, est organisée avec le musée d’Orsay à Paris et la National Gallery of Art de Washington. Elle présente les travaux de ses contemporains (Delacroix, Courbet, Corot, Manet, Monet, Renoir, Sisley…). François Guérif est l’invité d’honneur du Firn à Frontignan à l’occasion des 30 ans de la collection Rivages/Noir. Autour du thème Mort de rire, cette 19e édition reçoit la participation exceptionnelle de quatre auteurs américains venant pour la première fois en France : Christa Faust, Daniel Friedman J. David Osborne et P.G. Sturges.

« Le Sacre du Printemps », une chorégraphie de Pina Bausch, interprétée par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch dans les Arènes de Nîmes.

« Le Sacre du Printemps », une chorégraphie de Pina Bausch, interprétée par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch dans les Arènes de Nîmes.

Aux Arènes de Nîmes, la chorégraphe Pina Bausch s’offre un triomphe posthume avec la reprise de Café Müller et  du  Sacre du printemps accompagnés par un orchestre de 100 musiciens. The Encounter, première française de l’auteur britannique Simon Mc Burney embarque le public du Printemps des Comédiens au fin fond de la forêt amazonienne pour y vivre une expérience onirique qui frappe à la porte du réel. Proposé par hTh, Nowhere, la performance en solo du  chef Marino Formenti, ouvre un espace musical urbain de sept jours où le temps s’abolit.

Albert Ibokwe Khoza dans une chorégraphe performance de Robyn Orlin

Albert Ibokwe Khoza dans une chorégraphe performance de Robyn Orlin

Juillet. Avec Du désir d’horizons présentée au Festival Montpellier Danse, Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés. La rencontre inévitable entre le performer Albert Ibokwe Khoza et la chorégraphe sud africaine Robyn Orlin nous transporte dans la radicalité de l’histoire. La 26e édition du Festival de Thau qui mixe cultures musicales de la planète et conscience écologique affirme sa singularité. La programmation  s’affiche avec une forte présence africaine doublée d’une thématique sur les femmes engagées à l’image des Amazones d’Afrique. Cent poètes traversent les rives tels des prophètes de la paix, pour investir la ville de Sète à l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée. Le Festival de Radio France défie la peur sur le thème Voyage en Orient, à l’instar de la soirée d’ouverture Mille et quelques nuits réunissant Lambert Wilson, Karine Deshayes, Michael Schønwandt et l’Orchestre national de Montpellier autour des secrets de Shéhérazade.

Ballake Sissoko & Vincent Ségal

Ballake Sissoko & Vincent Ségal

Août. Fiest’A Sète poursuit le défrichage des musiques du  monde associant fraîcheur et pertinence musicale inédites comme la rencontre entre le Libanais Bachar Mar-Khalife et la sublime Natacha Atlas où celle entre Ballake Sissoko & Vincent Ségal.

Patrick Boucheron aux Chapiteaux du livre

Patrick Boucheron aux Chapiteaux du livre

Septembre. A sortieOuest, la rentrée culturelle se fête en lecture avec Les Chapiteaux du Livre. Les auteurs invités à Béziers s’emparent de l’histoire contemporaine pour la mettre en débat, s’y retrouvent notamment Patrick Boucheron, Chloé Delaume, Jean-Hugues Oppel.

Au Cinemed Jo sol Antigone D'or 2016

Au Cinemed Jo sol Antigone D’or 2016

Octobre. Avec une vingtaine de films projetés, le Cinemed consacre cette année une large place à l’émergence cinématographique tunisienne. Présidé par Laetitia Casta, le jury  de  la 38ème  édition du Cinemed attribue le prix de l’Antigone d’or à Vivre et autres fictions  de Jo Sol.

8-hear5

Hearing de Koohestani au Théâtre La Vignette

Novembre. Le pôle culturel de l’université Paul-Valéry et le Théâtre La Vignette reçoivent le dramaturge iranien Amir Reza Koohestani pour deux jours. Le Rockstore fête ses 30 ans. A cette occasion la salle de concert mythique de Montpellier concocte une programmation béton et éclectique sur un mois complet.

Dave Clarke I love Tecno

Dave Clarke I love Techno

Décembre. Laurent Garnier,   Dave Clarke, Ben Klock, Marcel Dettman… Les plus grands noms de la techno se retrouvent au Parc Expo de Montpellier pour I Love Techno Europe. Le cinéaste Costa-Gavras évoque la première partie de sa carrière à Montpellier à la Médiathèque Fellini.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 30 /12/2016

Voir aussi ; Culture Hérault 2015 Rétrospective #2  Rubrique Théâtre, rubrique Festival, rubrique Cinéma, rubrique Artrubrique Photo, rubrique Danse, rubrique Exposition, rubrique Livres, Littératures, rubrique Musique, rubrique Politique culturelle,

Entretien Costa-Gavras : « Z a été comme une étincelle, les gens se sont éveillés »

« Ce qui m’intéresse essentiellement,  ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »

« Ce qui m’intéresse essentiellement, ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »

A Montpellier Le cinéaste et président de la Cinémathèque française Costa-Gavras était l’invité de la Librairie Sauramps pour la parution de son coffret DVD « Intégrale vol.1 (1965-1983) »  chez Arte éditions.

Vous êtes né à Athènes en février 1933. Très jeune vous optez pour l’exil, dans quelle perspective arrivez-vous en France ?

Je suis arrivé en France en 1955, pour étudier. Je voulais écrire.  Je me suis inscrit en licence de Lettres.  A l’époque,  c’était le seul pays où l’on pouvait entreprendre des études sans avoir d’argent, ce qui était mon cas. Sinon on était plutôt tenté par la belle vie en Amérique, telle qu’elle apparaissait à nos yeux.

A Paris, je fréquentais la Cinémathèque où j’ai découvert des cinéastes  comme Jacques Becker, Erich von Stroheim, Renoir … qui m’ont permis de saisir que l’on pouvait travailler de nouvelles formes d’écriture avec des images. Par la suite j’ai voulu entrer à l’Idhec. Le concours  d’entrée était très difficile. Il y avait un projet d’expo sur le théâtre grec ancien, on s’est adressé moi. Bien que n’étant pas formé – personne n’enseigne le théâtre antique en Grèce, ni la démocratie – je me suis lancé.

Lorsque vous quittez la Grèce  en 1955, période où le pays voit le retour de la monarchie,  le faites-vous aussi pour des raisons politiques ?

Oui, je fuyais la monarchie soutenue par les colonisateurs américains. Mon père était un démocrate anti -royaliste. Il avait fait la guerre en Asie mineure et il avait vu mourir autour de lui tous ses amis pour rien. Ce conflit soutenu par les royalistes, qui rêvaient de reconstruire l’empire byzantin, l’avait marqué profondément.

Après, durant la guerre civile tous ceux qui n’étaient pas conservateurs étaient considérés comme des communistes et ils ne disposaient pas des mêmes droits, leurs enfants n’avaient pas accès aux études.

Vous trouvez donc les moyens d’apprendre le cinéma notamment au côté de René Clément. Dans quelles circonstances réalisez-vous , « Compartiment tueur » votre premier film, sorti en 1965 ?

A l’origine,  j’avais dans l’idée de faire une adaptation, un peu comme un exercice, parce qu’on ne travaillait pas sur les adaptations à l’Idhec. Il s’est trouvé qu’une secrétaire avait lu le livre de Sébastien Japrisot. Elle en a parlé au directeur des studios. Nous en avons  discuté avec lui et il a fini par me dire : faisons un film.

Yves Montand s’est déclaré partant et Simone Signoret m’a dit :  je te fais la vieille actrice. Tout cela était inattendu, après c’est devenu un film d’amis où se sont greffés Trintignant, Piccoli, Charles Denner, Bernadette Lafont… Daniel Gelin est venu faire de la figuration, simplement parce qu’il voulait être de l’aventure.

Le film rencontre un vif succès en France  comme aux Etats-Unis. La critique salue vos talents de réalisateur et lance votre carrière. Comment s’est enclenché «  Un homme de trop « , votre second long métrage ?

Après ce premier succès un  producteur américain m’a demandé de lui proposer un projet je lui ai dit que je voulais adapter La condition humaine. J’ai commencé la préparation avec les acteurs, Piccoli Kremer, Claude Brasseur… et puis le producteur n’a pas donné suite, prétextant que le sujet était trop complexe. Il y avait trop de Chinois dans cette histoire pour les Américains.

A ce moment j’ai appris que Chabrol voulait faire un film sur la Résistance. C’est ainsi qu’on a basculé avec l’équipe sur Un homme de trop. Qui n’a pas bien marché. Chabrol ne voulait pas prendre position, il voulait aborder la Résistance sous l’angle de l’action. Les spectateurs attendaient sans doute autre chose sur ce sujet.

Avec Z, sorti en 1969, vous revenez vers vos origines à un moment clé, un an et demi après le coup d’Etat des colonels, aviez-vous conscience de la portée politique que ce film portait en germe ?

J’ai eu le livre de Vassilis Vassilikos dans les mains avant le coup d’Etat. Le film relate l’assassinat  du député Lambrakis à Athènes en 1963. Nous l’avons écrit avec Jorge Semprun. C’était un peu comme un cri lancé sur un mur pour dire « à bas les colonels » Nous avons tourné à Alger, les acteurs ont accepté d’y participer sans condition. Je me souviens de  Trintignant me disant, je le fais sans être payé.

Le succès  a été immédiat. Le film est resté quarante semaines à Paris. Les gens applaudissaient à la fin. Nous étions sous le coup de la stupéfaction. Z a été une étincelle, les gens se sont éveillés. Il se sont  exprimés  comme l’a fait Melina Mercouri, mais les moments que j’ai vécus le plus intensément, sont liés à l’effet mobilisateur qu’a eu le film sur la population grecque qui avait vécu le coup d’Etat un peu passivement au début.

Quel rapport entretenez-vous avec l’engagement en tant que cinéaste ?


Ce qui m’intéresse essentiellement ce sont les gens qui résistent au pouvoir, d’où ma volonté d’adapter La condition humaine. Pour moi le cinéma est avant tout un spectacle, pas un préau où on fait des discours politiques ou académiques. Mais je n’ai jamais considéré le spectacle comme un amusement. Le cinéma doit parler de la société.

Dans l’Aveu en 1970, vous dénoncez les excès du stalinisme notamment en Tchécoslovaque. Ce film reflète-t-il aussi une désillusion d’une partie des artistes français de gauche ?

Notre génération était très attirée par les propositions soviétiques que nous ne considérions pas comme des ennemis mais comme des alliés. Nous discutions beaucoup avec Montand, Resnais, Chris Marker, Semprun… des vicissitudes de l’histoire mondiale.

A cette époque, on sentait le besoin d’un changement profond. Les communistes italiens nous paraissaient avoir fait un pas important. On sentait que cela pouvait se développer en France. Mais au sein du PCF d’alors aucune critique n’était possible. Certains acteurs avaient refusé de faire le film.

En 1973, avec Etat de siège, vous prenez pour cible la politique des Etats-Unis sur l’Amérique Latine ?


Au Guatemala, j’ai découvert l’existence de spécialistes de la déstabilisation politique. J’ai suivi cette piste  qui m’a conduit  à faire un film sur l’Uruguay dont la réflexion porte sur la violence révolutionnaire.

Après Claire de femme, vous revenez sur la thématique avec Missing ?

Claire de Femme est une adaptation d’un livre de Romain Gary qui interroge sur notre capacité à profaner le malheur avec l’amour.  Pour Missing c’est venu d’une proposition américaine. Comme j’avais rencontré Allende plusieurs fois ça m’intéressait  à la condition de faire la post production en France. Le film a marché.

Quand un film ne marche pas, ça m’est arrivé, c’est qu’on a loupé quelque chose…

Recueillli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 17/12/2016

Voir aussi  : Rubrique Rencontre, Jorge Semprun :La crise implique de réinventer la démocratie, rubrique, Cinéma, rubrique Histoire, rubrique Europe, Grèce, rubrique Amérique Latine,

Cinemed. Jo Sol : Idée d’un corps révolutionnaire et universel

Jo Sol évoque son film en compétition  "Vivre et autres fictions".   Photo dr

Jo Sol évoque son film en compétition « Vivre et autres fictions ». Photo dr

Vivre et autres fictions, le dernier film du réalisateur espagnol Jo Sol, interpelle le regard  que nous portons sur la vie.  Il a été sélectionné  dans la compétition long métrage et concourt pour l’Antigone d’Or 2016  

Sur les neufs films en compétition, Vivre et autres fictions, affublé du sous-titre « Celui qui a envie de vivre finit toujours par avoir des problèmes avec la vie » – parce qu’il affronte la complexité -, figure assurément parmi les plus petits budgets. Il n’a bénéficié d’aucun soutien institutionnel, d’aucune coproduction venue des télévisions. C’est un peu comme si personne ne souhaitait que ce film voit le jour. Pourtant il existe. C’est un très bon film, engagé et émouvant, repéré et sélectionné par le Cinemed.

La volonté « de représenter ce qui n’existe pas dans l’imaginaire collectif » explique en grande partie cette situation. Le film livre par exemple un très beau plan sur l’orgasme d’un tétraplégique, bien loin des clichés porno et ultra classiques du cinéma.

A la frontière entre le  documentaire et la fiction, le film s’appuie sur la relation entre Pepe un sexagénaire condamné après avoir emprunté des taxis pour gagner sa vie qui tente de se réinsérer à la sortie d’un séjour en hôpital psychiatrique, et Antonio, un activiste espagnol connu qui milite pour le droit à la sexualité des personnes en situation de handicap.  Une rencontre   riche où se confronte les générations face à un monde « normal » qui n’a aucun sens.

« Le film évoque une nécessité qui n’a rien d’étrange et que tout le monde devrait comprendre », indique le réalisateur barcelonais  Jo Sol,  qui appuie son propos sur la revendication d’Antonio d’un corps non subjectif proche du corps deleuzien où les organes sont désorganisés par les forces qui le traversent. En Espagne, le combat d’Antonio à l’égard de l’institution, porte ses fruits. L’Etat concède progressivement le financement de l’aide personnelle à domicile.

Mais ce que révèle surtout le film de Jo Sol, c’est la résistance de la population à accepter la différence. A partir d’un corps révolutionnaire, le réalisateur met le doigt sur les tabous couvés par la morale judéo-chrétienne. « L’Espagne traverse une crise culturelle sans précédent. Les institutions attendent qu’on leur propose des films convenus. C’est comme si je me retrouvais dans la situation d’un type qui aime une fille circulant nue dans la rue. »

Quand au rapport à la politique : « Les socialistes se rallient à la droite et Podémos a essayé de nettoyer le pouvoir pour intégrer l’institution mais tout le monde préfère les gens dans la rue, avec cette fragilité qui est le contraire de la faiblesse... »

JMDH

Prochaine projection au Cinemed vendredi 28 octobre à 10h.

Source : La Marseillaise 25/10/2016

Voir aussi : Rubrique Cinéma, CinemedCinemed 2016 miroir d’un monde qui mute, Elite Zexer : Sur le sable bédouin, rubrique Festival, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Politique Culturelle rubrique Espagne, rubrique Rencontre,

« La philosophie doit instaurer une rupture avec l’ordre établi »

Alain Guyard. photo JMDI

Alain Guyard. photo JMDI

Entretien
Après 20 ans passés à enseigner la philosophie à l’Espiguette dans les lycées,  Alain Guyard  porte sa parole  librement, hors des carcans académiques et sur les écrans.

Tel Diogène qui invectivait les gens au cœur de l’espace public, mais aussi en philosophe « forain », toujours sur les routes, il mène un combat pacifique mais pas inoffensif : faire circuler la culture philosophique dans des lieux inattendus, de manière non conventionnelle, et auprès de simples citoyens – paysans, infirmières, détenus, mais aussi des gens de tout bord et de tout milieu ! Le réalisateur Yohan Laffort l’accompagne au fil de ses pérégrinations philosophiques, revigorantes, décalées et parfois subversives mais accessibles à tous. La philosophie vagabonde amorce une réflexion sur les thèmes philosophiques chers à Alain Guyard, réflexion nourrie de ses interventions, et qui prend corps tout au long du film qui sort aujourd’hui.

Alain Guyard est philosophe forain. En plein champ, en prison ou au fond d’une grotte, il met la philosophie dans tous ses états et la ramène à sa dimension charnelle et subversive, au plus près des citoyens. Cette philosophie buissonnière nous aide à comprendre notre rapport au monde et à autrui pour tenter d’agir et d’assumer notre humaine condition. Et la pensée peut enfin vagabonder.

Quelle différence faites-vous entre enseigner et vagabonder ?
En vagabondant, je n’ai plus de copies à corriger, mais la rançon de la gloire, c’est qu’à chaque fois que je m’expose à un public, je me fais corriger. Pour des raisons techniques, on ne le voit pas dans le film, mais le public me prend régulièrement à partie, et je dois justifier les philosophes, ce qui n’est pas une sinécure…

Vous incarnez l’alliance du corps et de l’esprit tout en maintenant les ressorts du désir. Comment faites-vous alors, lorsque vous devez défendre l’idée d’un philosophe si elle n’est pas vôtre ?
Je reste dans le jeu. Je ne m’expulse pas du système, c’est une forme de théâtralisation. Je joue au philosophe que j’incarne. La règle c’est de tenir jusqu’au bout comme si l’idée était mienne. Mais le public n’est pas dupe. Il est conscient de mon rôle. Cela désacralise le rapport à la philosophie. Je suis un peu le bonimenteur, je laisse respirer.

Vous qui êtes plutôt un homme de scène, quel regard vous a renvoyé le film de Yohan Laffort ?  
C’est enrichissant d’avoir le point de vue de Yohan.  Cela flatte évidemment mon narcissisme de me voir comme ça sur grand écran (rire). Cette mise à  distance, tournée avec beaucoup de sensibilité et délicatesse  permet de souligner et de révéler des choses sur lesquelles je n’étais pas attentif dans l’action. Le film a agi comme un révélateur.  J’ai réalisé, par exemple, à quel point ma pratique philosophique était articulée à des territoires géographiques et sociaux. Comment elle se détourne d’une image de la philosophie souvent considérée comme une science hors sol, comme si le fait de parler, de philosopher, pouvait se passer d’espace. Ce qui n’est pas vrai.

Les territoires géographiques que vous arpentez sont plutôt ruraux. Y trouve-t-on une appétence plus développée qu’en milieu urbain pour vivre avec philosophie ?
Le milieu urbain regorge d’offres culturelles qui ne répondent pas à un vrai désir. Le public entre souvent dans la consommation de cette offre ce qui ne permet pas de travailler son désir. L’essentiel de mes interventions et de mes déplacements s’effectue en fonction de sollicitations. Je trouve important que cela résulte d’une volonté.

Dans les rencontres philosophiques où les cafés philo, on se retrouve fréquemment dans un entre soi entre personnes cultivées. Il s’agit de rajouter du capital symbolique au capital qui existe déjà. Dans ces cas, la philosophie creuse le fossé social.

Le film documentaire vous suit dans des territoires sociaux, marqués par la précarité ou proche de situations ultimes et souligne une forte qualité de réception dans ces milieux considérés comme éloignés des questions philosophiques…
Les personnes, en marge, pour le dire vite, sont proches de leur existence. Elles vivent avec des questions urgentes qui les taraudent. Évoquer la question du bien et du mal dans un café philo bobo parisien et le faire, en milieu carcéral, en s’adressant à un type qui va sortir dans quinze jours après avoir tiré quinze ans, n’a pas la même résonance.
J’ai choisi d’user de mon expérience philosophale dans un rapport radical à l’existence. Je partage la définition de la philosophie de Jankélévitch pour qui la philosophie, c’est l’insolence. Elle ne peut pas être consensuelle. Elle doit instaurer un rapport de rupture avec l’ordre établi qui peut se décliner sous la forme de la rupture sociale.

Dans le film on vous voit citer Nietzsche pour penser autrement notre rapport à la morale mais aussi Épicure, Lucrèce… Le recours au matérialisme gréco-latin ferait-il équilibre à la mortifère théologisation politique du monde contemporain ?
Y a-t-il encore du politique ? Hannah Arendt porte une contribution précieuse sur la nature du pouvoir en rappelant que tout n’est pas politique. Elle évoque « l’éclipse du politique » lors de certaines périodes de l’histoire. La politique de l’action sans fin, le discours de gestion qui se généralise signifient que nous vivons cette éclipse du politique. Un candidat potentiel comme Macron, ancien banquier, qui jaillit comme ça de rien, démontre qu’on ne pense plus la politique en terme de fin et donc qu’on ne pense plus la politique. La philosophie pré théologique passe par une parole commune qui touche à la question des fins. Elle est subversive. Les gens ne sont plus dupes, si on leur répond seulement en termes de moyens. Nietzsche disait que les révolutions avancent à pas de colombes.

Recueillli par Jean-Marie Dinh

«La philosophie vagabonde»   (1h38 min) de Yohan Laffort.

Source : La Marseillaise 05/10/2016

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Philosophie, rubrique Education, rubrique Rencontre,