Une junkie de l’amour se perd dans le Nord

Poétesse, architecte, musicienne, performeuse, Nathalie Yot signe un premier roman qui nous entraîne sur la trajectoire déterminée d’une femme en quête d’amour. Un livre ovni en forme de road movie, entre force et abandon.

nat_yot_7_socialmedia_lokko.fr_-728x1024Prisonnière d’un itinéraire intime, elle part vers le Nord pour s’affranchir. Le mouvement comme une fuite et la fuite comme issue fatale vers un espace libre, le personnage principal de Nat Yot est une femme qui a tous les âges. La narratrice imprime au roman la violence et la passion de la détermination féminine comme une force qui structure le parcours.

Dans un premier temps, elle distance l’homme chien sur ses traces, celui « qui flaire l’odeur de sa chair », mais bien vite s’inscrit sur la feuille de route une quête éperdue d’amour. Le récit se construit de rencontres sans lendemain dont l’intensité efface graduellement toutes les frontières. La fugitive trompe la solitude, croise Pierre avec qui elle parle sans dire, baise sans aimer, recharge sa batterie pour poursuivre sa route.

En regardant le ciel, elle traverse la Belgique à pied pour atterrir chez Mme Flaish. Une femme invisible, fantôme bienveillant de la narratrice, qui lui ouvre la porte silencieuse de la compréhension.

Un apprentissage du rapport à l’autre à travers la détérioration : « Les femmes se mettent dans des états hors limites ». Près du Pays-Bas, dans l’univers sonore apaisant de cette maison, la souffrance se tait, un instant. Mais la nuit retombe d’autant plus vite qu’il n’y a plus d’amour en réserve. Ça sonne creux dans la carcasse inflammable de cette jeune femme transformée en réacteur. Les notions d’espaces mental et spatial sont au cœur du livre.

Comment demeurer sans renoncer à la quête ? C’est cet espace d’une liberté potentielle que Le Nord du monde construit. « Je sais que tout le monde a peur. Je ne parle pas de la mort. Plutôt de la vie. Effrayante de possibilités. »

Dans une langue délestée, incisive, crue, qui percute le tragique et le larmoyant, l’auteure nous entraîne jusqu’au grand nord dans des contrées primitives. La dérive de son personnage engendre des relations sauvages, sans attache ni contrainte, mais aussi une netteté relationnelle aussi peu durable qu’intense, voire des épisodes déviants, comme lorsque la narratrice enfonce sa main dans les naseaux d’un cheval pour lui curer les narines.

Avec Le Nord du Monde, Nathalie Yot porte un regard aigu sur le monde, singulier en ce qu’il est à la fois décapant et profondément sensible.

Vous soupçonnez que Nathalie Yot pourrait bien être en train de vous égarer… Mais comme vous n’avez rien à attendre sur place et rien à perdre, vous allez vous propulser vers le Nord. Suivre obstinément l’aiguille de la boussole et avancer infiniment dans cette direction où le jour dure toujours et où d’étranges cadeaux peuvent tomber du ciel !

Jm Dinh

Source Lokko 09/12/2018

Frédéric Jacques Temple : « Voyager c’est découvrir et surtout se découvrir autre part »

« Divagabondages » c’est un choix avec des bornes qui marquent le chemin et le temps ed Actes Sud. Photo dr

« Divagabondages » c’est un choix avec des bornes qui marquent le chemin et le temps ed Actes Sud. Photo dr

A l’occasion de la publication de « Divagabondages » une invitation au voyage et aux rencontres artistiques orchestrées par le poète Frédéric Jacques Temple, entre 1945 et 2017, l’homme du Midi nous ouvre sa porte pour partager la mystérieuse clarté de sa mémoire.

Revenons sur votre rencontre avec Edmond Charlot qui a été votre premier éditeur. Vous êtes resté en contact après lui après la guerre ?

Charlot a eu une carrière de délégué culturel en Méditerranée après avoir essayé de devenir éditeur parisien. A Paris, il a été complètement boycotté par les éditeurs qui avaient survécu à l’occupation. En 1980, quand Charlot a pris sa retraite, il est venu s’établir à Pézenas. A cette époque, je l’avais complètement perdu de vue. Un jour que j’étais invité à dire des poèmes à Pézenas, il était là. Cela a été merveilleux pour moi de le retrouver. J’avais énormément de souvenirs avec lui à Alger, et en quelque sorte cela me rajeunissait. On est devenu très ami après, et ce jusqu’à sa mort.

A Pézénas, Les éditions Domens se font passeurs de cet héritage autour de Charlot et de l’école d’Alger. Comment percevez-vous les auteurs de ce mouvement qui éclos dans le contexte tendu du système colonial ?

A Alger, il y avait les écrivains algériens de langue française comme Robert Randau, Jean Pomier qui s’appelaient les Algérianistes. C’étaient des gens ancrés dans l’Algérie comme les Pieds noirs l’avaient été mais avec un fond colonialiste qui était important. Et puis, il y a eu une petite révolution littéraire avec Gabriel Odisio, et des gens comme Robles et d’autres qui ont dit non, nous ne sommes pas Algérianistes, nous sommes écrivains méditerranéens. Déjà cela marquait une grande différence, ensuite est arrivé Charlot qui est devenu non seulement un éditeur algérois mais un éditeur du monde entier. Il a réédité des gens comme Huxley, Lawrence, Moravia, et des écrivains français Vercors, Bernanos, Giono… Ce mouvement se différenciait en disant nous sommes bien sûr Algériens de naissance, mais nous sommes des écrivains du monde et surtout méditerranéens.


Fréderic-Jacques Temple : « Pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible »


Ecrivain méditerranéen, cela fait sens pour vous ?

Oui, oui… comme je le dis toujours, je suis un écrivain occitan de langue française. Pour moi, ça veut dire que c’est une ouverture de parler une langue, ce n’est pas quelque chose qui vous rétrécit dans un pays, tout au contraire cela vous donne la possibilité de s’ouvrir au grand monde.

Qu’est-ce que voyager ?

Cela n’a rien à voir avec le tourisme. Voyager, c’est d’abord découvrir quelque chose, et surtout se découvrir autre part. J’ai écrit un petit poème là-dessus. Il s’appelle je suis un arbre voyageur. « Mes racines sont des amarres… Je m’en vais pour découvrir le monde mais je reviens toujours à mon point d’attache. »

Dans votre roman « Un cimetière indien », le retour du voyageur chez lui ne se passe pas très bien… Votre dernier livre, « Divagabondages » pourrait être considéré comme une invitation au voyage…

Ce sont des articles parus dans différentes revues, journaux, que j’ai eu l’idée de réunir. Ce n’est pas exhaustif, j’ai fait un choix avec ce que je peux appeler des bornes pour marquer le chemin et le temps. Parmi ces bornes il y a des gens célèbres et d’autres qui ne le sont pas et qui devraient l’être. Il y aussi des amis très proches, d’autres plus lointains.

Si l’on ne s’éloigne pas trop des racines on pense à Max Rouquette avec qui vous partagez l’amour du midi. Comment situez-vous votre engagement en faveur de l’occitanisme ?

C’est assez compliqué. Je pense que nous avons été colonisés. Cela, je peux le reprocher aux hommes politiques de l’époque ancienne qui ont vendu le territoire à la Couronne de France. En réalité, j’étais un grand supporter des Plantagenêt. Ils étaient rois d’Angleterre et ils parlaient occitan. Et si Richard Cœur de Lion qui était troubadour, avait remporté la victoire sur Philippe Auguste, la moitié de la France parlerait l’occitan et le français. Et les Anglais parleraient le français… Peut-être n’aurions nous pas ces problèmes que nous rencontrons maintenant avec les Bretons, les Occitans, les Catalans… On est minoritaire, comme disait Montesquieu, « je suis homme nécessairement et je ne suis Français que par hasard. »

L’ exil du leader catalan Puigdemont pourrait faire échos à la Retirada…

La Catalogne finalement aurait pu être Française et le Roussillon catalan aurait pu être Espagnol. Ce qu’il y a de drôle c’est que les écrivains catalans français, publient en catalogne espagnole et pas en France, ou très peu. Les choses auraient pu se passer plus simplement. Au Pays basque ça a été très dur. Il semble qu’une solution ait été apportée. Je ne sais pas si les Catalans sont énervés davantage mais en tous cas ils ont raison de défendre leur langue. Cela correspond à une culture et à une civilisation. Détruire une langue, c’est détruire une civilisation. Le grand défaut de la France est d’être jacobine.

Comment définissez vous l’amitié ?

Comment définissons-nous l’amour ? Je ne sais pas. L’intérêt que l’on éprouve pour une œuvre, peut se transformer en amitié si l’on connaît l’auteur. L’amitié que j’ai éprouvé pour Cendrars est différente de celle que j’ai éprouvée pour Miller ou pour Durrell. Miller était très fraternel . Je ne dirais pas que c’était un ami très proche. Durrell était très amusant, très intelligent, très séduisant, je ne dirais pas que c’était un ami très proche. Cendrars, Jean Carrière, Jean Joubert ont été des amis très proches.

Cendrars ce fut une rencontre majeure…

J’ai commencé à lire Cendrars tout de suite après la guerre, je ne le connaissais pas alors. En 1948, alors que je participais au lancement d’une petite revue après l’expérience de la Licorne, j’avais écrit à quelques écrivains que j’admirais parmi lesquels Camus, Cendrars, Giono et d’autres. La première réponse est venue de Cendrars dans les 48 heures et il m’a envoyé la version tapée à la machine des « Ravissements de l’amour », un chapitre des « Lotissements du ciel », le livre qui allait sortir.

Je l’ai publié dans la revue avec quelques contes de Giono. Camus m’a répondu qu’il n’avait rien à ce moment-là. A la suite de cet échange, le 3 juillet 1949, je me suis rendu dans les sommets de Villefranche pour voir Cendrars. Il faisait une chaleur épouvantable. Je suis arrivée la chemise trempée, j’ai sonné. Cendrars est apparu à la fenêtre. Il est descendu pour venir à ma rencontre m’a fait entrer et m’a dit : vous ne pouvez pas rester comme ça, vous allez attraper froid, je vais vous donner une de mes chemises. Il est revenu avec une chemise blanche. J’ai enlevé la mienne. J’ai mis la sienne. Et à ce moment, il m’a regardé d’une drôle de façon, et je me suis rendu compte que dans le bras droit de cette chemise il y avait mon bras. Ce bras qui lui manquait, qu’il avait perdu à la Première guerre. Peut-être que la guerre a été un lien entre nous… Peut-être aussi parce qu’il avait perdu son fils Rémi pendant la seconde guerre.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 28/04/2018

Voir aussi : Rubrique  Rencontre, Fréderic-Jacques Temple : «Pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible»,

Fréderic-Jacques Temple : « Pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible »

« Je me suis toujours intéressé aux oiseaux, j’ai fait collection de coquillages, tout cela me permettait d’avoir une vision différente... »

« Je me suis toujours intéressé aux oiseaux, j’ai fait collection de coquillages, tout cela me permettait d’avoir une vision différente… » Photo dr

Fréderic-Jacques Temple est né en août 1921 à Montpellier, il vit aujourd’hui dans un petit village du Gard. A l’occasion de la publication de «Divagabondages», une invitation au voyage et aux rencontres artistiques orchestrées par le poète entre 1945 et 2017, l’homme du Midi nous ouvre sa porte pour partager la mystérieuse clarté de sa mémoire, et celle de la jeunesse d’esprit qu’il conserve à 97 ans.

 

A la lecture de cette échappée passionnante transcrite dans «Divagabondages», on se demande avec quels yeux vous regardez votre jeunesse et avec quel regard vous observez le monde aujourd’hui ?

Des épreuves que j’ai affrontées autrefois, j’ai le souvenir du pensionnat qui constitue une partie de ma jeunesse, et surtout de la guerre. Mais comme je suis très individualiste, et que je vis dans le présent, pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible en même temps. Merveilleux, parce qu’on peut s’abstraire des politiques, par exemple, pour se replonger dans la nature, dans le monde animal, végétal. J’ai fait beaucoup d’herbiers quand j’étais enfant. Je me suis toujours intéressé aux oiseaux. J’ai fait collection de coquillages. Tout cela me permettait d’avoir du monde une vision différente de ce que l’on peut lire dans les journaux, regarder à la télévision ou écouter à la radio. Donc le monde, eh bien, j’espère qu’il me survivra.

A la source de votre pays intérieur, il y a l’enfance à Montpellier que vous évoquez dans votre roman «L’Enclos». Qu’elles ont été vos premières lectures ?

Quand j’étais pensionnaire, le jeudi et le samedi on ouvrait une armoire où se trouvaient beaucoup de livres. C’est ainsi que j’ai commencé à lire d’abord les grands mythes, L’Iliyade et L’Odyssée, La guerre des Gaules, Cyropédie de Xénophon, et puis Jack London, Fenimore Cooper, qui fut pour moi très important. En même temps, je lisais Atala de Chateaubriand, Jules Verne, beaucoup de romanciers et pas de poète… Si, j’aimais beaucoup Villon, et Charles d’Orléans, qui étaient les seuls poètes que je connaissais hormis ceux que l’on étudiait à l’école, Lamartine, Vigny que j’ai moins aimés après. Ce sont les London Cooper, Verne, Conrad, qui m’ont donné le goût d’écrire, mais d’écrire de la poésie.

Et peut-être aussi le goût du voyage…

Bien entendu. Lorsque je suis allé aux Etats-Unis pour la première fois, je me suis dit : tu vas voir vraiment maintenant, si tes lectures ne t’ont pas trompé. Et ce n’est pas la Général Motors que je suis allé visité, c’est la grande prairie, sur les traces des épopées du général Custer, des indiens des plaines, des trappeurs… Avec l’idée d’y retrouver mes livres sur place.

Quelle place occupe l’influence du dehors, celle des années 20, la sortie de la Grande guerre que l’on s’efforce d’oublier en se divertissant, la France américanophile qui s’ouvre ?

C’était une époque assez merveilleuse. On sortait à peine du cinéma muet, Le Kid de Chaplin est sorti l’année de ma naissance. On traversait l’Atlantique en avion. Mermoz, Saint-Exupéry… C’était extraordinaire. C’est par ailleurs une époque où la guerre de 14-18 a été mythifiée, la grande hécatombe, la dernière guerre moyenâgeuse… A l’issue de la Seconde guerre mondiale on s’est aperçu que la Grande guerre gardait son importance. On a écrit beaucoup de livres, on a fait des films, des peintures. On peut constater que la deuxième guerre mondiale n’a pas donnée lieu à ce genre de chose.

Pourquoi ? Parce que ce n’était plus la guerre mais un génocide. L’horreur, les camps de concentration, les incinérations… C’était tout à fait autre chose. C’était vraiment comme la fin du monde. Je crois que la Première guerre mondiale restera maintenant dans les mémoires, même de ceux qui ne l’ont pas vécue. Ce qui est mon cas. Mais mon père m’en parlait, ainsi que mon oncle. J’ai été nourri des souvenirs de ceux qui l’avaient faite.

Et vous avez forgé vos propres souvenirs avec le corps expéditionnaire français lors de la campagne d’Italie…

Pour moi, c’est une des grandes affaires de ma vie. Je n’ai pas écrit pendant cette période. Entre 43 et 46, je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à la guerre. A la fin, après ma démobilisation j’ai pensé à m’exprimer pour qu’il existe un souvenir et pour me soulager un petit peu des souffrances de la guerre.

Quel regard aviez-vous sur les positionnements très différents qu’ont pu prendre des auteurs comme Eluard, Aragon, Char, Jaccottet et d’autres, plus timides, comme Sartre, Claudel ou Cocteau ?

Tout cela, je l’ai appris après. Si j’étais resté en métropole, comme on disait autrefois, cela aurait sans doute été différent. Les gens qui ont fait la résistance à l’intérieur de l’Hexagone avaient un autre point de vue. Ils étaient très politisés. Tandis que les soldats ne sont pas politisés. Ils pensent simplement que le lendemain, ils ne seront plus là.

Avant de vivre cette sombre expérience, à Alger vous faites la rencontre d’Edmond Charlot, personnage clé de la littérature française, et important pour vous. Dans quel cadre se produit cette rencontre ?

Quand je suis arrivé à Alger sur les recommandations de Michel Seuphor, un grand critique de l’art abstrait qui était l’ami de Mondrian, j’étais allé voir Max-Paul Fouchet qui dirigeait la revue Fontaine, pour lui montrer quelques poèmes que j’avais commencé à écrire. Fouchet m’a dit : «Allez voir Charlot, c’est un ami de Camus». Ce que j’ai fait. C’était un type très sympathique. A cette époque, j’ai rencontré à la librairie Les Vraies richesses, des gens comme Robiès, Claude de Fréminville…Tous les écrivains en puissance que Charlot a mis en selle en quelque sorte. On a sympathisé et quand je suis parti à la guerre, je lui ai laissé quelques poèmes. Lorsque j’ai été démobilisé en 1946, j’ai reçu un recueil de ces poèmes qu’il avait édité. C’était mon premier éditeur.

à suivre

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise

Voir aussi : Rubrique Littérature, rubrique Rencontre,

De la fenêtre juste après la neige

L’écrivaine turque Oya Baydar fait résonner le conflit qui déchire la Turquie dans son nouveau roman, « Dialogue sous les remparts ».

OYA-BAYDAR

9782752911414-8fc22L’intellectuelle turque Oya Baydar, militante marxiste dans sa jeunesse, sociologue puis journaliste, revient sur ses combats politiques et littéraires. Son roman Dialogue sous les remparts fait entendre le tête à tête de deux figures que l’on pense irréconciliables, celle d’une femme kurde et d’une autre, turque. Ces deux femmes, font entendre leurs voix qui s’opposent, mais cherchent à se comprendre, dans Diyarbakir en ruine.

Diyarbakir, la  capitale du Kurdistan turc, aujourd’hui, sur les remparts de la forteresse antique de Sur la neige tombe. Lente, douce et tranquille, le temps d’un examen de conscience. Oya Baydar glisse son regard entre les flocons.Un livre témoignage sur la réalité et l’aveuglement, loin du bruit et de la fureur de la guerre, en surgit. Une réflexion posée furtivement sur le blanc manteau, avant que de nouvelles traces de violence, qui en appelleront d’autres, viennent le souiller.

Contre le fracas d’un présent qui se poursuit aujourd’hui avec l’offensive turque en cours dans l’enclave kurde syrienne d’Afrin. Et il y a peu, dans les zones kurdes du sud-est de l’Anatolie où des centaines de Kurdes perdirent la vie. Après la rupture du dialogue en 2015, les villes furent détruites. Sur occupé par l’homme depuis presque dix mille ans est désormais un champ de ruine.

Dialoguant avec une mystérieuse interlocutrice, Oya Baydar, figure majeure de la littérature turque, revient sur une vie de luttes dont la tragédie kurde contemporaine est l’ultime chapitre. Le choix de ces dialogues démontre, malgré les profondes rancoeurs, que deux individus s’opposant ne sont pas en situation de guerre.

« Il y a une faute avec laquelle nous n’avons pas réglé nos comptes, une dette dont nous ne nous sommes pas acquittés. Cette faute n’est celle de personnes en particulier, ce n’est pas nous qui l’avons commise, ce ne sont pas les peuples, les réels auteurs du délit en ont rejeté le fardeau sur nos épaules

Entre Lévinas « L’état de guerre suspend la morale » et Diderot pour qui la guerre est « une maladie convulsive et violente du corps politique » avec ce roman, Oya Baydar, puise sa force littéraire dans un puits d’absolu, « c’était une façon de m’affronter moi-même. »

JMDH


Dialogues sous les remparts, 15 euros, Editions Phébus

Source : La Marseillaise 06/02/2018

Voir aussi : Rubrique Turquie, “La crise politique turque représente une grande menace pour les artistes”, Asli Erdogan : “Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakirköy…”,

Roman. Elsa Osorio Double fond

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Qui est Juana ? Une militante révolutionnaire qui a trahi ? Une mère qui échange sa vie contre celle de son enfant ? Ou la prisonnière d’un cauchemar qui tente de survivre ?

Marie Le Boullec, médecin urgentiste sans histoire, est retrouvée noyée dans l’Atlantique, . La jeune journaliste Muriel Le Bris, vive et têtue, ne croit pas à la thèse du suicide et se lance dans une enquête. Elle découvre en même temps les heures sombres de l’Argentine à la fin des années 70.

Elle trouve aussi des mails dans lesquels une mère écrit à son fils pour lui raconter pourquoi il a dû grandir sans elle. Jeune militante révolutionnaire prise dans les rets de la dictature, elle échange sa liberté contre la vie de son enfant. Elle finit par collaborer avec le pouvoir puis au Centre pilote de Paris. Traître aux yeux de tous, avec la survie pour seul objectif, elle va disparaître.

editions-metailie.com-elsa-osorio-sophie-bassouls-2-300x460Elsa Osorio  s’implique une nouvelle fois dans la reconnaissance de l’épuration des opposants argentins. Le personnage de Juana se construit au fil des pages haletantes du roman. On remonte ainsi le parcours d’une femme qui respire en étant morte deux fois.  Sa première disparition est survenue lorsqu’un tortionnaire lui laissé la vie sauve.

L’auteur évoque à voix basse, comme si la mer que nous longeons pouvait nous entendre, cette énergie d’outretombe , avec grâce, sans rien outrer.  Fort naturellement, elle parvient à produire chez le lecteur un sentiment d’empathie. Qu’arrive -t-il quand tout disparaît , que les péripéties s’enchaînent, qu’il faut jouer avec les identités clandestines,  que personne ne peut comprendre ce qui vous est arrivé, que pèse alors les ambitions politiques ?

Dans un intense suspense psychologique, l’auteur de Luz ou le temps sauvage  nous donne rendez-vous avec l’humanité en fuite. Entre Saint-Nazaire, Paris, Marseille et Buenos Airs le voyage traverse une sombre histoire, où  l’on entend le mot amour. Comme c’est imprudent d’affirmer quelque chose dont on ne sait rien, nous rappelle Elsa Osorio à propos d’une femme disparue durant la dictature.

JMDH


Double fond éd Matailié en librairie le 18 janvier 21 euros

Source : La Marseillaise 19/01/2018

Voir aussi : Rubrique  LivresLittératuresLittérature latino-américaine,  Amérique Latine , Argentine,