Entretien Costa-Gavras : « Z a été comme une étincelle, les gens se sont éveillés »

« Ce qui m’intéresse essentiellement,  ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »

« Ce qui m’intéresse essentiellement, ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »

A Montpellier Le cinéaste et président de la Cinémathèque française Costa-Gavras était l’invité de la Librairie Sauramps pour la parution de son coffret DVD « Intégrale vol.1 (1965-1983) »  chez Arte éditions.

Vous êtes né à Athènes en février 1933. Très jeune vous optez pour l’exil, dans quelle perspective arrivez-vous en France ?

Je suis arrivé en France en 1955, pour étudier. Je voulais écrire.  Je me suis inscrit en licence de Lettres.  A l’époque,  c’était le seul pays où l’on pouvait entreprendre des études sans avoir d’argent, ce qui était mon cas. Sinon on était plutôt tenté par la belle vie en Amérique, telle qu’elle apparaissait à nos yeux.

A Paris, je fréquentais la Cinémathèque où j’ai découvert des cinéastes  comme Jacques Becker, Erich von Stroheim, Renoir … qui m’ont permis de saisir que l’on pouvait travailler de nouvelles formes d’écriture avec des images. Par la suite j’ai voulu entrer à l’Idhec. Le concours  d’entrée était très difficile. Il y avait un projet d’expo sur le théâtre grec ancien, on s’est adressé moi. Bien que n’étant pas formé – personne n’enseigne le théâtre antique en Grèce, ni la démocratie – je me suis lancé.

Lorsque vous quittez la Grèce  en 1955, période où le pays voit le retour de la monarchie,  le faites-vous aussi pour des raisons politiques ?

Oui, je fuyais la monarchie soutenue par les colonisateurs américains. Mon père était un démocrate anti -royaliste. Il avait fait la guerre en Asie mineure et il avait vu mourir autour de lui tous ses amis pour rien. Ce conflit soutenu par les royalistes, qui rêvaient de reconstruire l’empire byzantin, l’avait marqué profondément.

Après, durant la guerre civile tous ceux qui n’étaient pas conservateurs étaient considérés comme des communistes et ils ne disposaient pas des mêmes droits, leurs enfants n’avaient pas accès aux études.

Vous trouvez donc les moyens d’apprendre le cinéma notamment au côté de René Clément. Dans quelles circonstances réalisez-vous , « Compartiment tueur » votre premier film, sorti en 1965 ?

A l’origine,  j’avais dans l’idée de faire une adaptation, un peu comme un exercice, parce qu’on ne travaillait pas sur les adaptations à l’Idhec. Il s’est trouvé qu’une secrétaire avait lu le livre de Sébastien Japrisot. Elle en a parlé au directeur des studios. Nous en avons  discuté avec lui et il a fini par me dire : faisons un film.

Yves Montand s’est déclaré partant et Simone Signoret m’a dit :  je te fais la vieille actrice. Tout cela était inattendu, après c’est devenu un film d’amis où se sont greffés Trintignant, Piccoli, Charles Denner, Bernadette Lafont… Daniel Gelin est venu faire de la figuration, simplement parce qu’il voulait être de l’aventure.

Le film rencontre un vif succès en France  comme aux Etats-Unis. La critique salue vos talents de réalisateur et lance votre carrière. Comment s’est enclenché «  Un homme de trop « , votre second long métrage ?

Après ce premier succès un  producteur américain m’a demandé de lui proposer un projet je lui ai dit que je voulais adapter La condition humaine. J’ai commencé la préparation avec les acteurs, Piccoli Kremer, Claude Brasseur… et puis le producteur n’a pas donné suite, prétextant que le sujet était trop complexe. Il y avait trop de Chinois dans cette histoire pour les Américains.

A ce moment j’ai appris que Chabrol voulait faire un film sur la Résistance. C’est ainsi qu’on a basculé avec l’équipe sur Un homme de trop. Qui n’a pas bien marché. Chabrol ne voulait pas prendre position, il voulait aborder la Résistance sous l’angle de l’action. Les spectateurs attendaient sans doute autre chose sur ce sujet.

Avec Z, sorti en 1969, vous revenez vers vos origines à un moment clé, un an et demi après le coup d’Etat des colonels, aviez-vous conscience de la portée politique que ce film portait en germe ?

J’ai eu le livre de Vassilis Vassilikos dans les mains avant le coup d’Etat. Le film relate l’assassinat  du député Lambrakis à Athènes en 1963. Nous l’avons écrit avec Jorge Semprun. C’était un peu comme un cri lancé sur un mur pour dire « à bas les colonels » Nous avons tourné à Alger, les acteurs ont accepté d’y participer sans condition. Je me souviens de  Trintignant me disant, je le fais sans être payé.

Le succès  a été immédiat. Le film est resté quarante semaines à Paris. Les gens applaudissaient à la fin. Nous étions sous le coup de la stupéfaction. Z a été une étincelle, les gens se sont éveillés. Il se sont  exprimés  comme l’a fait Melina Mercouri, mais les moments que j’ai vécus le plus intensément, sont liés à l’effet mobilisateur qu’a eu le film sur la population grecque qui avait vécu le coup d’Etat un peu passivement au début.

Quel rapport entretenez-vous avec l’engagement en tant que cinéaste ?


Ce qui m’intéresse essentiellement ce sont les gens qui résistent au pouvoir, d’où ma volonté d’adapter La condition humaine. Pour moi le cinéma est avant tout un spectacle, pas un préau où on fait des discours politiques ou académiques. Mais je n’ai jamais considéré le spectacle comme un amusement. Le cinéma doit parler de la société.

Dans l’Aveu en 1970, vous dénoncez les excès du stalinisme notamment en Tchécoslovaque. Ce film reflète-t-il aussi une désillusion d’une partie des artistes français de gauche ?

Notre génération était très attirée par les propositions soviétiques que nous ne considérions pas comme des ennemis mais comme des alliés. Nous discutions beaucoup avec Montand, Resnais, Chris Marker, Semprun… des vicissitudes de l’histoire mondiale.

A cette époque, on sentait le besoin d’un changement profond. Les communistes italiens nous paraissaient avoir fait un pas important. On sentait que cela pouvait se développer en France. Mais au sein du PCF d’alors aucune critique n’était possible. Certains acteurs avaient refusé de faire le film.

En 1973, avec Etat de siège, vous prenez pour cible la politique des Etats-Unis sur l’Amérique Latine ?


Au Guatemala, j’ai découvert l’existence de spécialistes de la déstabilisation politique. J’ai suivi cette piste  qui m’a conduit  à faire un film sur l’Uruguay dont la réflexion porte sur la violence révolutionnaire.

Après Claire de femme, vous revenez sur la thématique avec Missing ?

Claire de Femme est une adaptation d’un livre de Romain Gary qui interroge sur notre capacité à profaner le malheur avec l’amour.  Pour Missing c’est venu d’une proposition américaine. Comme j’avais rencontré Allende plusieurs fois ça m’intéressait  à la condition de faire la post production en France. Le film a marché.

Quand un film ne marche pas, ça m’est arrivé, c’est qu’on a loupé quelque chose…

Recueillli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 17/12/2016

Voir aussi  : Rubrique Rencontre, Jorge Semprun :La crise implique de réinventer la démocratie, rubrique, Cinéma, rubrique Histoire, rubrique Europe, Grèce, rubrique Amérique Latine,

Chili : les étudiants se soulèvent contre les restes de l’ère Pinochet

Le Chili est en proie à un mouvement de contestation estudiantin sans précédent depuis le retour à la démocratie, en 1990. Mardi 9 août, plusieurs dizaines de milliers de manifestants (150 000 selon les organisateurs, 70 000 selon la police) ont battu le pavé de six villes du pays, dont Santiago, sa capitale, pour réclamer une réforme en profondeur du système éducatif et universitaire du pays.

Démarré en juin dernier, ce mouvement a été lancé par le corps enseignant et la jeunesse étudiante, représentée par exemple par Camila Vallejo, militante des jeunesses communistes chilienne et présidente de la Fédération des étudiants de l’université du Chili. Soutenus par près de 80 % de la population, selon un sondage, ils interpellent le gouvernement conservateur de Sebastian Pinera, le milliardaire élu en 2010, pour en finir avec le système éducatif hérité de l’époque Pinochet.

Un système libéralisé par Pinochet

« ¡ Y va a caer, y va a caer, la educación de Pinochet ! » (« Et elle va tomber, et elle va tomber, l’éducation de Pinochet ! ») scandaient les manifestants durant la marche organisée à Santiago. Le système éducatif chilien fonctionne essentiellement sur le modèle de l’université privée. Les facultés publiques, sous-dotées, n’ont pas bonne réputation.

Petit rappel historique : après le coup d’Etat et la chute du président Allende le 11 septembre 1973, le nouveau pouvoir réduit les dépenses publiques. Dans le domaine de l’éducation, le gouvernement décide, entre autres, une réduction drastique de ses programmes d’aides, dont les bourses pour les étudiants modestes. En 1980, la réforme de l’université permet de libéraliser le système. Désormais, chaque formation a son propre prix, et les diplômes, en fonction de l’établissement, donnent accès à des emplois plus ou moins bien rémunérés.

Endettement sur quinze ans

Aujourd’hui, les manifestants reprochent à l’Etat de ne consacrer que 4,4 % de son PIB à l’éducation, bien en deçà des 7 % recommandés par l’Unesco. Le Chili jouit pourtant d’une croissance solide : 9,8 % au premier trimestre 2011, un chiffre inédit depuis seize ans.

« L’université coûte l’équivalent de 400 à 600 euros mensuels, qu’elle soit publique ou privée. Je paie 600 euros par mois pour la scolarité de mon fils à l’université Adolfo Ibanez. Imaginez lorsque vous avez trois ou quatre enfants à charge pour un salaire moyen de 900 euros. C’est impossible de joindre les deux bouts », observe un fonctionnaire et diplomate chilien résidant à Santiago. C’est pourquoi les étudiants et leurs parents s’endettent en contractant des emprunts, parfois sur quinze ans, afin de s’inscrire dans le supérieur.

Si la mobilisation de mardi a marqué un record de participation à travers tout le pays, les revendications estudiantines ne sont pas nouvelles. En 2006, la présidente socialiste, Michelle Bachelet, à peine élue, faisait face à un mouvement de contestation des étudiants contre le prix des transports et des tarifs scolaires, comme l’a raconté Rodrigo Torres, étudiant au Chili à l’époque, sur le blog Carnet du Chili. Sur le fond, rien n’a réellement changé.

« Cacerolazo »

La manifestation de mardi s’est achevée par des heurts entre policiers et manifestants, qui ont employé, pour la première fois depuis les années 1980, les bruits de casserolles, appelés « cacerolazo ». Le chef de l’Etat, dont la côte de popularité n’est qu’à 26 %, selon un récent sondage, a réuni, ce mercredi, son équipe gouvernementale. Il pourrait par exemple décider d’assouplir les exigences pour l’obtention des prêts étudiants et étendre l’accès aux bourses universitaires.

Mais la contestation semble s’étendre à d’autres problématiques que la seule question éducative. « Plus qu’un mouvement étudiant, c’est un ras-le-bol face à un système dont la grande majorité se sent exclue, car si l’éducation est un désastre, le systeme de santé en est un aussi », note ainsi Helen Herting, une lectrice du Monde.fr résidant au Chili.

Mathias Destal (Le Monde)

 

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