Ceux qui alimentent la rumeur d’une Église divisée ont un objectif politique précis : récupérer les catholiques les plus conservateurs, déçus par François, pour les rallier à la droite souverainiste.
La Repubblica
Rome
Le C9 – le “conseil de la couronne” du pape François – a demandé un remaniement après
cinq années d’existence. Et il est raisonnable que le souverain pontife accède à cette demande. Mais il aura suffi d’une rumeur annonçant trois remplacements à venir pour amener certains à écrire que le pape est sur la défensive, que le cardinal Viganò avait raison [dans ses accusations selon lesquelles le pape aurait protégé des prélats dans des affaires d’abus sexuels], etc. Une opération sournoise et sophistiquée qui veut faire croire que l’Église est divisée.
Cette opération – qui intervient à l’approche des élections américaines de mi-mandat [en novembre] et avant que la très catholique jouvencelle Le Pen n’entre en scène pour devenir le porte-étendard du souverainisme – vise à faire du catholicisme ultratraditionaliste l’âme d’un souverainisme d’extrême droite, tout en ren dant aphone la papauté.
Pour mieux comprendre ce dessein politique, il faut revenir en 2013. Quand, non sans peine, Bergoglio – le pape François – a décidé de fixer les devoirs du “groupe de cardinaux” que le conclave lui avait demandé de constituer pour marquer les débuts de la collégialité. Il écrivait alors que le C9 avait pour devoir de “l’aider dans le gouvernement de l’Église universelle”. Et il ajoutait que le C9 devait également l’épauler dans la révision de la Constitution qui régit le fonctionnement de la curie romaine : révision dont les effets dépendent de la réforme de l’Église, et non l’inverse.
Dans son “groupe”, François a placé des personnages qui lui étaient hostiles au sein du conclave (comme le conservateur George Pell), des personnages indispensables pour s’y retrouver dans l’écheveau de la curie, des amis du Conseil épiscopal latino-américain, des présidents de conférence épiscopale de poids, auxquels il adjoint son secrétaire d’État. Ceux-ci ont discuté, au gré de 36 réunions, du canevas ecclésiologique tissé par Mgr Marcello Semeraro [secrétaire du conseil des cardinaux] pour la réforme de la curie : mais tous n’ont pas toujours été très “aidants” dans le gouvernement de l’Église.
Pell, auteur de plus d’imbroglios financiers qu’il ne se vante d’en avoir démêlé, a été renvoyé en Australie pour être jugé dans des affaires de pédophilie (voir chronologie). Quelques-uns ont dépassé la limite d’âge pour les tâches qui leur sont confiées (comme beaucoup au sein de la curie). D’autres pourraient être des cibles – coupables ou innocentes – d’opérations comme celle de Carlo Maria Viganò, manipulé par ceux qui veulent donner l’image d’une Église divisée.
Qu’après un quinquennat le C9 ait des ennuis et/ou se renouvelle n’a rien d’étonnant. Mais le bruit que fait cette affaire porte la signature du “parti des soudeurs” : ceux qui entendent souder l’extrême droite politique et l’extrême droite catholique, clivant ainsi l’Église. Il y a les “soudeurs” hauts en couleur, comme Steve Bannon [le sulfureux ex-conseiller de Donald Trump], qui cherche en Europe ce qu’il ne trouve plus aux États-Unis. Les prudents, comme les sénateurs italiens Bernini et Quagliariello, qui ont invité au Sénat le cardinal Burke, non pour fêter un personnage réactionnaire, mais pour défier le souverain pontife. Et enfin les inattendus, comme Mgr Gänswein, qui a participé à la présentation d’un livre plutôt anecdotique de Rod Dreher (un ancien catholique intégriste hostile à Bergoglio) et a déclaré que la pédophilie était le “11 Septembre de l’Église”.
Les “soudeurs” sont pressés : seul le pape peut les arrêter (comme le fit Pie XI avec l’Action française), et seule une Église riche de ses divergences mais non divisée pour autant peut empêcher que Viktor Orbán [le très droitier Premier ministre hongrois] ne détourne le Parti populaire européen pour transposer en Europe l’œcuménisme de la haine grâce auquel Trump a pu faire un hold-up dans le Parti républicain. Mais ce serait une erreur funeste que de sous-estimer la trempe de François.
Alberto Melloni*
Source La Républica 11/09/2018
*Alberto Melloni enseigne l’histoire du christianisme à l’université de Modène.
Les dirigeants de l’UE ont salué de concert l’accord sur les questions migratoires, entériné le 29 juin à Bruxelles. Sans régler la crise qui déchire l’Europe, les compromis trouvés pour la forme épousent sur le fond l’agenda des extrêmes droites européennes. Les autres dossiers, notamment celui du budget de la zone euro cher à Emmanuel Macron, ont quant à eux été relégués au second plan.
Bruxelles (Belgique), envoyée spéciale.– En apparence, chacun y a trouvé son compte. Et c’est précisément ce qu’Emmanuel Macron souhaitait : sauver les apparences. Vendredi 29 juin, au petit matin, le président de la République est sorti satisfait des neuf heures de négociation qui ont permis aux dirigeants européens de trouver un accord sur les questions migratoires. « Nombre de commentateurs prédisaient l’absence d’accord et la rupture. Nous avons montré hier qu’un accord était possible », s’est-il félicité, évoquant une « vraie satisfaction » et même une « victoire ».
« L’Italie n’est plus seule, l’Europe sera plus solidaire », s’est également réjoui le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, qui avait menacé la veille de bloquer les conclusions du Conseil européen si des « actes concrets » n’y étaient pas entérinés. « L’Italie n’a plus besoin de mots ni de déclarations », avait-il expliqué à son arrivée dans la capitale belge. Ce sont pourtant bien des mots et non des actes concrets qui ont été approuvés par les 28 le lendemain. Des mots qui ont permis à chacun de rentrer dans son pays en donnant le sentiment du devoir accompli, mais qui ne règlent rien sur le fond de la crise qui déchire l’Union européenne (UE) à moins d’un an de ses élections.
Cette crise, que l’Élysée qualifie de « crispation politique », n’a rien à voir avec la crise migratoire de 2015. « Le nombre de franchissements illégaux des frontières de l’UE détectés a été réduit de 95 % par rapport au pic qu’il avait atteint en octobre 2015 », indique d’ailleurs le Conseil dans ses conclusions. C’est donc un problème qui n’en est pas vraiment un qui a absorbé les dirigeants européens pendant toute une nuit, les contraignant à trouver des solutions qui, en toute logique, n’en sont pas non plus.
En refusant d’accueillir l’Aquarius dans l’un de ses ports il y a quinze jours, l’extrême droite italienne du ministre de l’intérieur Matteo Salvini a en réalité réussi à imposer son agenda au reste de l’Europe. «Finalement, l’Europe a été obligée d’accepter la discussion sur une proposition italienne », s’est enorgueilli le chef de file de la Ligue, avant d’annoncer que les ports de son pays seraient fermés « tout l’été » aux ONG qui secourent des migrants en Méditerranée.
Tous les autres dossiers, à commencer par celui du budget de la zone euro qu’Emmanuel Macron espérait porter, ont ainsi été relégués au second plan. Le président de la République a eu beau introduire sa conférence de presse finale en expliquant que les deux jours de travail à Bruxelles avaient aussi permis d’avancer « sur de nombreux sujets, que la France a portés sur l’agenda européen », notamment en matière de défense et de commerce, rien n’y a fait. Le bilan de ce Conseil est limpide : la France, qui se voulait leader sur la scène européenne, a perdu la main.
Ce devait être le grand rendez-vous du chef de l’État. Celui durant lequel il devait convaincre les autres dirigeants de l’UE de se rallier à son projet de refondation européenne, présenté à la Sorbonne en septembre 2017. Or la crise politique des quinze derniers jours l’a non seulement contraint à revoir ses ambitions à la baisse, mais elle a également révélé son isolement.
Pendant des mois, l’exécutif français s’était résigné au statu quo, en attendant la réélection d’Angela Merkel, puis la formation complexe de sa coalition. Dans le même temps, il justifiait son agenda intérieur, expliquant que les réformes économiques et sociales lancées depuis le début du quinquennat permettraient de peser sur les négociations européennes le moment venu. Ce moment est encore repoussé à la fin de l’année 2018.
Sur la question qui a occupé l’essentiel des discussions, Emmanuel Macron a toutefois tenté d’apparaître comme l’homme de la situation, le pivot central d’une Europe qui n’en finit plus de se replier, le maillon incontournable d’une chaîne de plus en plus fragile. Alimentant les réseaux sociaux de photos et de vidéos le montrant en pleine conversation avec les uns et les autres, il s’est, selon les mots de l’un de ses conseillers, « énormément engagé » pour obtenir un compromis sur les questions migratoires.
« Nous avons un accord et c’est en soi une bonne nouvelle », soufflait un diplomate français à l’issue de la réunion. Comme si le document en tant que tel avait plus d’importance que son contenu. Le président de la République lui-même n’a pas caché la faiblesse du compromis obtenu. « Cet accord est un accord pour construire, il ne règle en rien à lui seul la crise que nous vivons et qui a des composantes largement politiques, mais il permet de répondre, de continuer à répondre en actes à la crise que nous vivons », a-t-il reconnu, avant d’en minimiser plus encore la portée : « Je ne suis pas en train de dire aujourd’hui que la France a gagné, c’est l’Union européenne qui a gagné un peu ou qui a évité de perdre. »
Convaincu que « le choix de la coopération, d’un travail européen » l’a emporté sur celui « de politiques nationales et de replis nationalistes », le chef de l’État a estimé que l’UE n’avait « pas cédé à la fascination du pire ». Les conclusions floues du Conseil révèlent pourtant son incapacité à faire valoir la stratégie européenne qu’il défend depuis la campagne de 2017, face aux réalités politiques qui traversent l’Italie, la Hongrie, l’Autriche, mais aussi l’Allemagne, où Angela Merkel est mise sous pression par son ministre de l’intérieur Horst Seehofer, leader de la CSU bavaroise.
Car si un accord a été trouvé sur la forme, il épouse sur le fond l’agenda des extrêmes droites européennes. L’une des mesures phares adoptées vendredi par les 28, à savoir la mise en place de « centres contrôlés » pour les migrants secourus dans les eaux de l’UE, en est la démonstration parfaite. Copie des « hotspots » existants, ces nouvelles structures sont censées être créées « sur une base volontaire », mais aucun dirigeant européen ne s’est aujourd’hui clairement engagé à en accueillir. De même, les pays d’Europe de l’Est du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), hostiles à l’accueil de migrants sur leur territoire, ont obtenu l’abandon du projet de quotas obligatoires pour la répartition des réfugiés au sein des États membres.
S’il continue de plaider en faveur d’« une Europe à la hauteur de son histoire et de ses valeurs », Emmanuel Macron ne fait rien d’autre que de suivre le mouvement. Sur la scène européenne d’abord, en cédant à l’agenda populiste ; mais aussi en France, où il fait voter la loi asile et immigration, refuse d’accueillir l’Aquarius, exclut l’idée de mettre en place des « centres contrôlés » et s’en prend vertement aux « donneurs de leçons » qui s’aventurent à lui rappeler son « humanisme » de campagne. « Une “solution européenne” qui s’aligne sur les positions les plus rétrogrades de l’Italie de Matteo Salvini, de la Hongrie. Comment s’en féliciter M. Emmanuel Macron ? interroge Médecins du monde sur Twitter. Vers la fin d’une certaine idée de l’Union européenne basée sur la solidarité. »
L’exécutif français n’a cure de ce type de critiques. Les futures échéances électorales en ligne de mire, l’Élysée rappelle qu’à la présidentielle de 2017, « presque 50 % des gens ont voté pour des candidats anti-européens ». Et qu’il ne faut, dès lors, faire preuve d’aucune « naïveté », y compris au niveau national. La situation est telle, souligne un diplomate français, qu’elle justifierait davantage encore qu’il y a un an « l’agenda ambitieux de réformes européennes proposées par le président de la République ». Et désormais méprisé par la majorité des autres dirigeants.
À l’occasion du premier anniversaire de la mort d’Helmut Kohl, le Premier ministre hongrois Victor Orbán a délivré le 16 juin dernier un discours crucial. Avec Shahin Vallée, nous croyons qu’il marquera le débat de la prochaine année électorale européenne. Orbán revendique pour son mouvement une place centrale dans la conception du néo-nationalisme européen, et sa position doit être comprise.
Nous souhaitons donc traduire en exclusivité ce texte important qui inaugure la bataille politique et culturelle des élections européennes de 2019. Il nous confronte aux difficultés d’une campagne encore à dessiner et à penser. De ces quelques fragments d’un discours qui théorise le tournant néo-nationaliste en Europe, on peut tirer plusieurs conclusions : le « nationaliste » Victor Orban reconnaît la position géopolitique de la Hongrie comme « petit pays », mais la place au cœur du destin politique de l’Europe centrale. Alors qu’il pourrait être tenté de quitter le PPE pour « fonder un parti européen anti-immigration », il prend à cœur le fait de le « renouveler », en infléchissant sa politique et le sens du projet européen.
C’est que le Président hongrois a compris la leçon de la configuration géopolitique contemporaine : un bloc capable d’aller de Juppé à Le Pen gagnera dans la séquence électorale qui nous attend. Entre le catholicisme zombie théorisé par Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, le dirigeant hongrois voit l’alliance des forces populistes comme une faute : « Les modèles hongrois et autrichiens montrent la voie à suivre : répondre au populisme sans voter à gauche. Contrairement aux politiques libérales, les politiques chrétiennes sont à même de protéger l’Europe, nos nations et nos familles. ». Critiquer n’est plus suffisant : contre Orban, il faudra proposer un contraste.
IMPORTANT. Cette traduction sera l’objet d’un débat à l’Ecole Normale Supérieure le Mardi 26 juin à 19h30 au 29 rue d’Ulm, en salle Jean Jaurès. Vous pouvez vous inscrire à l’événement ici.
De nos jours, l’Europe est dans un état d’agitation fiévreuse. Beaucoup d’éléments évoluent en même temps : les signes alarmants d’une guerre économique avec les États-Unis ; un conflit armé entre l’Ukraine et la Russie ; une nouvelle configuration de la politique en Italie ; les négociations du Brexit. Autrement dit, ceux qui ont affaire, aujourd’hui, à la politique de l’Europe ont besoin de tempérance, de calme, de courage, et d’un bon sens de la temporalité. Concernant notre rendez-vous d’aujourd’hui, nous avons trop de sujets à traiter. Mais nous ne devons pas trop nous engager pour autant, parce que l’invitation à la cérémonie ne requiert pas des membres de l’assistance qu’ils développent longuement leurs positions. Nous avons seulement le temps de rendre hommage à Helmut Kohl, avant d’évoquer la position hongroise sur un certain nombre de problèmes importants de l’Europe.
En politique, la providence consiste à être la bonne personne au bon endroit et au bon moment. Il n’est pas exagéré de dire que Helmut Kohl était un cadeau de la providence fait à l’Allemagne et à l’Europe. Pour nous, en Europe centrale, Helmut Kohl est l’exemple de l’Européen chrétien. Il représentait l’Europe chrétienne à laquelle nous avons toujours appartenu, et, après quarante ans de communisme, sa volonté politique a ouvert la voie à notre réintégration à la communauté des peuples d’Europe. Le courage du chancelier Kohl a jeté les bases de la réunification de l’Allemagne et de l’Europe, c’est pourquoi nous nous souviendrons toujours de lui avec respect et gratitude. Qu’il repose en paix.
En ce qui concerne les relations de la Hongrie avec la politique européenne, nous devons, avant tout, préciser le rôle que peut jouer la Hongrie dans la politique européenne. La Hongrie est consciente de sa force, de son influence et de sa mission. C’est ce qu’on appelle se connaître soi-même. Bien se connaître est le point de départ de toute bonne action politique. En tant qu’État-membre de l’Union européenne, la Hongrie ne cherche pas à jouer un rôle politique européen. Pour nous, la Hongrie est la priorité. De plus, ni le pays ni moi-même n’a, ni n’aura, une telle ambition. Nous n’oublions pas la réalité : dix millions de citoyens, un PIB de 114 milliards d’euros, moins de vingt milles soldats.
Notre implication sur des questions importantes, qui nous ont menés à nous opposer à Bruxelles et à certains grands États-membres, a créé l’illusion que la Hongrie pouvait avoir une influence sur la politique européenne. Il faut résister à cette idée flatteuse et, avant tout autre chose, nous consacrer à la défense des intérêts nationaux de la Hongrie. Cela n’est pas remis en cause par le fait que, comme vous allez l’apprendre par un communiqué qui sera publié cet après-midi, j’ai eu une conversation téléphonique avec Donald Trump il y a quelques minutes, au cours de laquelle nous avons discuté de la différence entre « un beau mur » et « une belle clôture ».
Quoiqu’il en soit, le cœur de ma position est que les Hongrois sont un peuple qui a de l’honneur et de la dignité, mais qui reconnaît, de manière réaliste, sa situation. La zone pour laquelle nous avons de grandes ambitions est l’Europe centrale et le Groupe de Visegrad. L’ambition hongroise est de permettre à la Hongrie d’exister dans une région d’Europe centrale forte, composée de pays qui coopèrent étroitement et qui s’entre-aident. C’est ainsi que la Hongrie a de l’influence et de l’importance. La Hongrie reconnaît le rôle déterminant de la Pologne en Europe centrale, et cherche, par ses propres forces, à conduire les relations en Europe centrale vers davantage de coopération. Une autre ambition de la Hongrie est de promouvoir l’accession à l’Union européenne des pays des Balkans occidentaux – et notamment de la Serbie. Nous souhaitons convaincre les autres États-Membres que l’Union européenne en a besoin, et qu’elle peut bénéficier d’un nouvel élargissement. Helmut Kohl avait une vision précise de la signification de l’égalité parmi les États-membres de l’Union européenne. De toute évidence, cela ne signifie pas qu’ils ont une influence égale. Ici, le mot clef est Augenhöhe. Si je le comprends bien, il signifie quelque chose comme « à hauteur des yeux » – ou sur un pied d’égalité – ce qui, traduit en termes culturels, correspond au fond de ma pensée. (…)
Permettez-moi de dire quelques mots à propos des relations entre l’Allemagne et la Hongrie. Il y a deux ans, je suis allé voir la maison du chancelier Adenauer à Rhöndorf, où j’ai vu les statues d’Adenauer et de de Gaulle. Elles ont été faites par Imre Varga, qui a également sculpté la statue de Saint Stéphane de Hongrie, qui se trouve devant la Chapelle de Hongrie dans la fière cathédrale de l’Europe chrétienne, à Aachen. Pour les Allemands, c’est une réponse facile à comprendre à la question historique et idéologique du positionnement de la Hongrie.
Helmut Kohl comprit que l’Allemagne avait grand intérêt à avoir des amis. A l’époque, la situation était moins favorable. Helmut Kohl accordait de la valeur à notre amitié. En Hongrie, il existe un jour de mémoire pour commémorer la déportation des personnes d’ethnie allemande en Hongrie. En Hongrie, les Allemands ont un député au Parlement. Il existe treize minorités nationales et ethniques en Hongrie, qui représentent la diversité civilisationnelle et ethnique, mais aussi l’homogénéité culturelle de notre pays. Le nombre d’écoles allemandes, et de leurs élèves, est également en train de grimper.
Concernant les relations germano-hongroises, nous devrions aussi nous souvenir de 1989. Kohl a compris le lien essentiel qui existait entre la souveraineté hongroise et l’unité allemande. La Hongrie a fait tomber la première brique du mur de Berlin. En 1989, beaucoup de gens voulaient nous convaincre de ne pas ouvrir la frontière.
En 1989, beaucoup de gens voulaient dissuader Helmut Kohl d’unifier l’Allemagne et d’adhérer à l’OTAN. La Hongrie ne craignait pas la réunification allemande, mais peu de nations – voire aucune – pensaient comme nous. En 1990, le soutien à la réunification allemande était plus fort en Hongrie qu’en Allemagne même. Aujourd’hui, je vois des politiciens européens qui, à l’époque, s’opposaient à l’unification allemande, mais qui veulent aujourd’hui nous expliquer comment être de bons Européens. Par la suite, la Hongrie est devenue membre de l’Union européenne. Nous sommes reconnaissants à l’Allemagne pour cela.
Je dois également rappeler que les contribuables allemands n’ont pas à s’inquiéter : nous ne sommes pas venus dans l’Union européenne pour mendier, et nous ne voulons pas vivre de l’argent allemand. Nous travaillons à ce que, d’ici à 2030, la Hongrie devienne un contributeur net au budget de l’Union européenne. Qui plus est, les échanges commerciaux de l’Allemagne avec les pays du V4 sont désormais nettement plus importants que ceux avec, par exemple, la France, l’Italie ou la Grande-Bretagne. Les Allemands et les autres États-membres profitent bien de nous. Ni eux ni nous n’avons de raison de nous plaindre.
En outre, un élément important des relations germano-hongroises est que nous utilisons nos propres ressources pour défendre notre frontière méridionale – et par extension l’Allemagne – contre l’arrivée de quelque douze mille migrants par jour. Nous n’avons pas abandonné l’Allemagne, ni l’Europe. Comme nous l’avons dit, nous sommes les gardiens des forteresses frontalières et connaissons notre devoir. La morale des relations germano-hongroises est la même, en 2015 et en 1989 : quand le moment vient, il ne faut pas hésiter, mais il faut se décider et agir ; nous devons hisser notre pavillon et montrer nos couleurs. C’est exactement ce que nous avons fait en 1989 et en 2015.
Abordons désormais la question de la frontière et de la clôture. Nous devons défendre la frontière extérieure. C’est la condition préalable à la libre circulation au sein des frontières. La défense de la frontière fait partie des “devoirs-obligatoires”. Ce n’est pas une tâche qui s’assume à l’échelle européenne, mais à l’échelle nationale, par les États-membres. Il peut y avoir une aide européenne, mais la responsabilité demeure nationale. Nous avons constaté que la position de la Hongrie, jadis condamnée, est désormais de plus en plus acceptée. Nous n’attendons pas de remerciements auxquels nous ne sommes pas habitués. Nous ne jubilerons pas non plus. Il n’est pas agréable de constater que la valeur de la monnaie de certains a baissé après trois années de crise, tandis que la nôtre l’a fait immédiatement.
Peut-on atteindre un compromis dans le débat sur les migrants ? Non – et ce n’est pas nécessaire. Il y a ceux qui s’imaginent que chaque partie adverse devrait faire des concessions, qu’ils devraient discuter puis se serrer la main. C’est une mauvaise approche. Certaines questions ne pourront pas aboutir à un consensus. Cela n’arrivera pas, et ce n’est pas nécessaire. L’immigration est l’une de ces questions. Aucun document ne stipule que l’entrée d’un pays dans l’Union européenne implique que ce dernier devienne une terre d’immigration. Lorsque nous sommes entrés, nous n’avons pris aucun engagement de ce genre. Il est également vrai que les documents fondateurs de l’Union européenne ne déclarent pas qu’un État-membre ne puisse pas chercher à se transformer en pays d’immigration. C’est pourquoi il y a des pays d’immigration dans l’UE, où les migrants sont les bienvenus, où les populations locales veulent bien les intégrer et se mélanger avec eux. Il y a aussi des pays qui ne veulent pas de migrants, qui ne veulent pas se mélanger avec eux, et où leur intégration est donc hors de question. Dans de telles situations, il n’y a pas besoin de compromis, mais de tolérance. Nous tolérons que certains États-membres de l’espace Schengen admettent des migrants. Cela a et aura des conséquences – y compris pour nous. De même, ils devraient tolérer le fait que nous ne voulons pas le faire. Ils ne devraient pas nous sermonner, ils ne devraient pas nous faire chanter, ils ne devraient pas nous forcer, mais ils devraient simplement nous donner le respect propre aux États-membres ; puis il y aura la paix sur le Mont des Oliviers.
Outre l’immigration, il n’y a pas besoin de compromis et d’accord, mais de tolérance et de respect sur d’autres questions : le concept de la nation ; les principes de base de la politique familiale ; la réglementation du mariage ; et l’intégration sociale. Ces questions relèvent de la compétence des États membres, et l’absence d’accord sur ces questions est due à des spécificités culturelles et à des racines historiques. Il est donc inutile d’essayer à plusieurs reprises et sans succès de se convaincre les uns les autres sur des questions sur lesquelles nous n’avons pas besoin de prendre une décision commune.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur les échecs de l’Europe au cours des cinq dernières années. Il y a longtemps que l’Union européenne n’a pas connu cinq années aussi infructueuses que ces cinq dernières années. Trois graves erreurs pèsent sur la conscience de Bruxelles : premièrement, nous avons perdu le Royaume-Uni ; deuxièmement, nous avons été incapables de défendre notre continent contre les migrants ; et troisièmement, Bruxelles a bouleversé l’équilibre entre l’Est et l’Ouest. La responsabilité des dirigeants européens actuels est claire comme de l’eau de roche. Avec l’élection de Jean-Claude Juncker – à laquelle les Britanniques se sont fermement opposés, fermement et jusqu’au dernier – nous avons dynamité le cadre des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. À l’exception de la Hongrie, tout le monde a ignoré le point de vue des Britanniques. Nous n’avons donc aucune raison d’être surpris que l’étincelle de la migration ait allumé la mèche qui a tout fait exploser.
Bien sûr, il est également vrai qu’au cours des cinq dernières années, il y a eu des résultats positifs – même s’ils ont été surpassés par les échecs. Le programme de relance économique de Juncker, par exemple, a vraiment aidé certains États-membres. C’est également une réussite que, même en période d’échec, Bruxelles a été en mesure de maintenir le fonctionnement de l’UE. Il est vrai que nous avons une stratégie digitale ambitieuse et que nous avons également pris des mesures pour constituer une défense commune. En temps de paix, ce résultat pourrait mériter de vives acclamations. Et pourtant ces années n’étaient pas des années de paix – parce que nous avons perdu la Grande-Bretagne, parce que nous n’avons pas réussi à nous défendre contre l’invasion des migrants et parce que Bruxelles a ouvert un conflit entre les parties orientale et occidentale de l’UE. C’est de cela que je voudrais maintenant dire quelques mots.
Tout le monde peut voir qu’il y a une ligne de faille symbolique entre l’Est et l’Ouest. Les hommages rendus à Fidel Castro par la Commission et notre coprésident ont causé une certaine gêne. Nous les supportons. Mais l’éloge funèbre pour Marx nous est resté en travers de la gorge, parce qu’elle nous est incompréhensible. Marx a défendu l’abolition de la propriété privée ; la dissolution des nations ; l’abolition du modèle familial qui existait depuis mille ans ; l’abolition de l’Eglise et de la foi ; et, enfin, il a créé l’antisémitisme moderne, lorsqu’il a qualifié les Juifs de quintessence d’un capitalisme condamné à disparaître. Comment cela peut-il être loué ? Qui a perdu la tête ?
Ce qui est certain, c’est que quelqu’un a perdu la tête – soit eux, soit nous. Quoiqu’il en soit, nous aurions dû, d’une manière ou d’une autre, combler ce fossé symbolique entre l’Est et l’Ouest. Ce qui s’est avéré impossible à surmonter, c’est que dans les litiges pratiques centrés sur la compétitivité, la Commission représente exclusivement les intérêts des pays occidentaux. D’après notre expérience, lorsque les pays occidentaux ont un avantage concurrentiel naturel – comme par exemple dans la libre circulation de l’argent et des capitaux – Bruxelles se bat unguibus et rostro pour le protéger, au nom du marché. Je pense qu’il est juste de le faire. Toutefois, dans les domaines où les pays de l’Est ont une position concurrentielle relativement forte – comme dans le travail et les services – Bruxelles crie immédiatement au scandale, déclarant qu’il s’agit d’un dumping et nous oblige à prendre des mesures correctives ; tout à coup, le marché passe au second plan. Cela nous coûte très cher et c’est complètement injuste.
Helmut Kohl était également président de son parti et, dans un discours en sa mémoire, il est nécessaire de parler des relations entre les partis au pouvoir en Hongrie et le Parti populaire européen. Malgré les erreurs commises à nos dépens par les dirigeants du Parti populaire européen, nous avons décidé de continuer à faire partie de cette famille de partis européens.
En ce qui concerne les élections au Parlement européen de 2019, il serait facile, par exemple, d’établir une nouvelle formation à partir de partis d’Europe centrale partageant les mêmes idées – ou, en fait, une formation anti-immigration paneuropéenne. Il ne fait aucun doute que nous aurions un grand succès aux élections européennes de 2019. Mais je propose que nous résistions à cette tentation et que nous nous en tenions aux idéaux d’Helmut Kohl et à la famille du parti. Au lieu de déserter, nous nous attellerons à la tâche, plus difficile, de renouveler le Parti populaire européen et de l’aider à retrouver ses racines démocrates-chrétiennes. Le Parti populaire européen est le parti qui a connu le plus de succès dans l’histoire de la communauté européenne. Au début des années 2000, à l’invitation de Helmut Kohl, le Fidesz – Hungarian Civic Union s’est joint à cette grande communauté, et au cours des deux décennies, il est devenu l’un de ses partis les plus forts.
Le Parti populaire européen a réussi à obtenir des résultats exceptionnels en se positionnant dès le début comme un parti de vainqueurs. Nous avons jeté les bases de nos succès non pas à Bruxelles, mais au sein des nations. Tant dans les États que dans l’UE, le Parti populaire a fait le travail essentiel d’un parti, celui que fait tout parti : il a représenté la volonté du peuple dans les institutions politiques décisionnelles et dispose donc de bases solides sur lesquelles il peut revendiquer d’imposer son point de vue sur l’orientation de l’intégration européenne. Nos rivaux politiques de gauche et libéraux se sont perdus dans les idéologies et sont devenus esclaves de doctrines irréalistes rédigées sur des pupitres. Pendant des décennies, nous avons eu beaucoup plus de soutien populaire que les autres formations parce que, contrairement à nos rivaux, nous avons toujours gardé les pieds sur terre, nous avons toujours compris les gens, nous avons une connaissance approfondie de nos propres pays et nous avons toujours prêté attention à ce que les citoyens de l’Europe veulent. Nous les avons représentés.
Même s’il reste aujourd’hui le plus grand parti du continent, le Parti populaire européen a perdu lentement mais régulièrement de sa force et de son influence au cours des quinze dernières années. L’évolution la plus importante – et un certain nombre d’élections au cours des dernières années en témoignent – est que, petit à petit, l’influence de nos partis auprès des électeurs a diminué. La réponse de la direction du Parti populaire à cette situation a été mauvaise : elle a créé un front populaire anti-populiste. L’Allemagne en est un bon exemple, mais c’est également vrai au Parlement européen. Ce front populaire anti-populiste cherche à s’opposer aux nouveaux partis émergents en unissant toutes les forces traditionnelles : des communistes, en passant par les verts, les sociaux-démocrates et les libéraux, jusqu’aux chrétiens-démocrates. Nous pensons que c’est une erreur. C’est une erreur parce que, tout d’abord, elle jette une bouée de sauvetage à une gauche qui s’affaiblit rapidement. Deuxièmement, c’est une erreur en raison de sa dynamique politique bipolaire : au lieu d’affaiblir les forces que nous voulons vaincre, elle les renforcera de fait, en tant que seule alternative à l’élite dirigeante.
Alors que la direction du Parti populaire européen a mal réagi, des modèles nationaux se sont formés et ont été couronnés de succès. L’autre modèle, qui a été testé avec succès en Autriche et en Hongrie, relève le défi, ne crée pas un tel front populaire, prend au sérieux les questions soulevées par les nouveaux partis et leur apporte des réponses sérieuses. C’est le faire sans rejoindre la gauche – qui cherche à nous entraîner dans la mauvaise direction politique et à profiter de nous.
La seule raison pour laquelle notre force politique, qui perd des forces, n’est plus spectaculaire, Mesdames et Messieurs, c’est que nos rivaux traditionnels s’affaiblissent encore plus vite que nous. Mais ce n’est qu’une maigre consolation. Nos opposants de gauche et libéraux veulent nous enfermer dans une cage intellectuelle ; ils veulent nous dire – à gauche comme à droite – ce qu’il faut faire et penser ; ils veulent nous expliquer ce dont nous pouvons et ne pouvons pas parler, et avec qui nous pouvons et ne pouvons pas nous allier. Plus récemment, ils ont même voulu nous dire, à gauche comme à droite, qui peut et ne peut pas être membre du Parti populaire européen. Voilà une situation absurde. Pour nous, pays qui ont connu le communisme, cela nous rappelle de mauvais souvenirs. Cela rappelle la technique du salami employée dans toute l’Europe centrale au milieu du siècle dernier par les communistes – soutenus par l’Union soviétique et les accords géopolitiques mondiaux – afin d’éliminer progressivement les partis civiques.
Nous sommes sans aucun doute la CSU du Parti populaire européen, et donc la plateforme démocratique chrétienne de droite du Parti populaire européen. Nous croyons que le temps est venu d’une renaissance démocratique chrétienne, et non d’un front populaire anti-populiste. Contrairement à la politique libérale, la politique chrétienne est capable de protéger nos peuples, nos nations, nos familles, notre culture, enracinée dans le christianisme et l’égalité entre les hommes et les femmes : en d’autres termes, notre mode de vie européen.
Après avoir parlé des affaires du parti, permettez-moi de dire quelques mots de l’avenir de l’UE. L’Union européenne est toujours riche, mais faible. Elle s’affaiblira davantage avec le Brexit, tandis que nos concurrents extérieurs se renforceront. Nous ne pouvons avoir d’autre objectif qu’une Union européenne forte, mais une Union européenne forte a besoin d’États-membres forts. Dans l’économie, la responsabilité individuelle ne peut pas continuer à être diluée, et ne peut pas être dissoute dans un processus magique de formation communautaire. C’est une condition préalable à une Europe forte : tout d’abord, chacun doit mettre de l’ordre dans sa propre maison, car seul un État-membre fort peut s’empresser de venir en aide à un autre État-membre qui se trouve en difficulté sans que ce soit de sa faute. J’aimerais vous rappeler que nous avons été les premiers à nous retrouver dans le filet de sécurité financière. Mais, en 2013, nous avons aussi été les premiers à rembourser l’aide financière que nous avons reçue – jusqu’au dernier centime. Nous croyons au concept de M. Schäuble selon lequel des réformes structurelles majeures peuvent être menées dans le cadre de la discipline budgétaire. Nous savons que c’est possible parce que nous l’avons essayé et que nous avons réussi.
L’avenir de l’Union européenne dépend de sa capacité à défendre ses frontières extérieures. C’est la prochaine question qui se pose pour l’avenir de l’UE. Si nous défendons nos frontières, le débat sur la répartition des migrants n’a plus de sens, car ils ne pourront plus entrer. S’ils ne peuvent pas entrer, il n’y a personne à répartir. C’est simplement du bon sens. Et si nous suivons cette ligne de conduite, la seule question est de savoir ce que nous devons faire de ceux qui sont déjà entrés. Notre réponse à cette question est qu’ils ne devraient pas être répartis, mais qu’ils devraient être ramenés chez eux.
Enfin, la défense est aussi l’un des principaux enjeux pour l’avenir de l’Europe. Sur ce point, nous devons être clairs : ceux qui ne sont pas en mesure de se protéger avec leurs propres ressources seront toujours à la merci des autres – même en temps de paix, même si ce n’est pas de manière aussi visible. Cela signifie que, pour pouvoir se défendre, l’Europe a besoin de sa propre défense. Heureusement, nous avons progressé dans cette direction – lentement toutefois, et sans doute plus lentement que nous ne le devrions.
La plus grande faiblesse de l’Union européenne est le manque de confiance en elle-même. J’aimerais maintenant dire quelques mots à ce sujet. La Commission a commis une erreur fondamentale en annonçant qu’elle ne s’en tiendrait pas à la neutralité, mais qu’elle jouerait un rôle politique. C’était de mauvais augure. Nous avons également commis une erreur fondamentale en ne nous prononçant pas contre cela et en le tolérant tout simplement. Aujourd’hui, la Commission est un instrument que les grands États utilisent contre les plus petits. Quel autre rôle pourrait jouer un organe politique ? Dans une telle situation, la réalité politique doit être dûment prise en compte. C’est pourquoi non seulement la Commission ne nous protège pas contre la force écrasante face à laquelle nous sommes confrontés, mais elle contourne les règles en faveur des grands États, ouvre la voie à l’altération furtive – et donc illégale – des pouvoirs, et la Commission utilise ses instruments à des fins de chantage. Bien que la comparaison soit légèrement problématique du point de vue de la dimension temporelle, je pourrais dire qu’elle se transforme en Moscou. En 2019, il nous faudra y mettre fin. Cette Commission doit disparaître, et nous aurons besoin d’une Commission et d’un Parlement qui reflète les nouvelles réalités européennes.
Si la faiblesse physique a une cause spirituelle, comme c’est le cas avec l’UE, alors il faut traiter non pas le corps, mais l’esprit. Je suis convaincu que l’Union européenne a perdu sa capacité exemplaire de résolution de problèmes parce qu’elle a renoncé à son propre passé et qu’elle a ainsi renoncé à ses décennies d’expérience en matière de gouvernance. Elle a contracté une amnésie. C’est ce que nous avons appris des écrits de József Szájer. Selon l’idéologie officielle actuelle de l’UE, la paix, le progrès et la coopération en Europe ont commencé avec la création de la communauté européenne. Ce qui l’a précédé, c’est une rivalité pitoyable et fragmentée, d’État-nations et de religions, alimentée par des pulsions nationales et sectaires, qui a conduit à des guerres sanglantes – et finalement à l’Holocauste lui-même. Par conséquent, la logique de Bruxelles veut qu’il n’est pas seulement irréaliste de s’appuyer sur cette ancienne pratique pour se guider : si vous le faites, vous agissez en violation directe des valeurs fondamentales et neutres de la nouvelle Europe ; c’est de l’exclusion, c’est nuisible et c’est carrément criminel. Ainsi, l’Europe s’est revêtue d’une camisole de force spirituelle et a mis de côté les leçons tirées de centaines voire – de milliers – d’années d’expérience de gouvernement. Nous devons d’abord nous libérer de cette camisole de force spirituelle, car elle ne nous cause pas seulement des problèmes spirituels, mais aussi des problèmes politiques pratiques. Dans un autre écrit de József Szájer, j’ai lu que ceux qui se rendent, qui se débarrassent de leur passé – ou qui se laissent enlever leur passé – ne devraient pas être surpris si, lorsqu’ils cherchent à résoudre les nouveaux problèmes auxquels ils sont confrontés, ils découvrent qu’ils ont aussi perdu leur boussole. C’est ainsi qu’il a été possible pour des hommes d’État très respectés de faire récemment des affirmations qui peuvent être facilement réfutées avec une connaissance minimale de l’histoire ; l’une de ces affirmations étant que les frontières maritimes ne peuvent être défendues. Au cours des dernières années, les arguments qu’ils ont avancés ensemble au sujet des frontières, des murs et des clôtures sont contredits par l’expérience de l’humanité qui remonte à des milliers d’années. Après tout, les frontières sont des aspects fondamentaux de la vie : sans frontières, l’existence est impossible. Quelque chose qui n’a pas de frontières, pas de contours, n’existe pas. Et si les frontières maritimes ne peuvent être défendues, comment des pays ayant des côtes maritimes peuvent-ils exister ? Il est évident que ce qui manquait, ce n’était pas la possibilité de défense, mais la volonté ; et cela a été prouvé par les actions récentes du gouvernement italien.
Lorsqu’on parle d’une potentielle renaissance des démocrates chrétiens et de la démocratie chrétienne, pour moi la pensée dominante est celle que les Allemands recevaient par message radio des Américains dans les années 1945. « La chrétienté est le fondement duquel toutes nos pensées tirent leur sens. Tous les Européens ne doivent pas forcément croire à la vérité de la foi chrétienne ; mais tout ce qu’ils disent, tout ce qu’ils font, tire son sens de l’héritage chrétien.
Aujourd’hui, l’ordre libéral s’effondre parce qu’il est devenu clair que ses idéaux ne sont pas fondés sur la vie, ni sur la réalité, ni sur l’histoire, mais sur des constructions artificielles qui ne peuvent tout simplement pas accueillir des concepts qu’ils considèrent comme des configurations irrationnelles, mais qui ont façonné et déterminé l’Europe et la vie des Européens depuis deux mille ans : des concepts tels que la foi, la nation, la communauté et la famille.
Enfin, je dois dire quelques mots sur les aspirations fédéralistes – dont le dernier avatar est « l’État de droit. » La Commission européenne – mais ici nous pouvons inclure le Parlement européen – est continuellement insatisfaite de sa propre marge de manœuvre et cherche à étendre ses prérogatives à d’autres domaines. La logique dite de l’État de droit, dont l’analyse approfondie est une fois de plus fournie par József Szájer. Il souligne à cet égard que cette logique n’a pratiquement aucun fondement juridique – du moins pas dans les traités fondateurs de l’Union européenne. Le tour de passe-passe consiste en ce que certaines autorités nationales et organismes de réglementation appliquent également dans une certaine mesure le droit communautaire ; l’Union exige d’avoir son mot à dire sur le fonctionnement des différents systèmes juridiques nationaux, sur les mécanismes de contrôle dont ils devraient disposer et sur la manière dont les différents États membres devraient organiser leur propre pratique législative. C’est pourquoi nous disons que la primauté du droit n’est qu’un nom de code pour l’aspiration fédéraliste, cherchant à faire pression sur les gouvernements réticents.
En guise de conclusion, je devrais peut-être aborder la question de la contribution que la Hongrie peut apporter à la politique européenne commune. En toute modestie, nous pouvons vous proposer les options suivantes. D’abord, nous pouvons nous ériger en exemple en ce qui concerne les réformes économiques. Nous pouvons vous offrir tout le soutien nécessaire pour la réémigration. Depuis longtemps, nous disons qu’il faut exporter de l’aide et non pas importer des problèmes. Nous pouvons également donner des conseils à toute personne qui en fait la demande. Il y a un conseil que nous pouvons également donner qui provient de l’expérience historique de la Hongrie : chacun doit se rendre compte que l’Islam ne fera jamais partie de l’identité des pays européens. Il faudrait savoir quelle est la réponse de l’Islam. Nous, les Hongrois, nous savons de quoi il s’agit. Pour les musulmans, si l’Islam fait partie de l’Allemagne, alors, l’Allemagne fait partie de l’Islam. Cela mérite réflexion. En plus d’offrir un exemple, une assistance et des conseils, nous devons également souligner – de façon bienveillante mais ferme – que nous n’abandonnerons jamais notre avenir et que nous ne permettrons jamais à personne de nous imposer quoi que ce soit contre notre volonté. Si nous ne sommes pas en mesure de parvenir à un résultat satisfaisant dans les négociations à venir, si nous ne sommes pas en mesure d’accepter – ou même de tolérer – les points de vue des uns et des autres sur les questions de migration et de budget, alors nous attendrons. Attendons que le peuple européen exprime sa volonté lors des élections de 2019. Alors ce qui doit arriver arriveraGegeurope
Pour Emmanuel Macron, l’application de cette directive aurait un coût trop important pour les finances françaises. – Frederick FLORIN / AFP
Un projet de directive européenne ambitionne d’élargir le cadre des congés parentaux dans tous les pays membres pour « équilibrer » l’utilisation qui en est faite entre les femmes et les hommes. Sauf qu’elle pourrait ne jamais s’appliquer, la France s’y opposant aux côtés de la Hongrie et de l’Autriche.
Emmanuel Macron avait décrété l’égalité femme-homme « grande cause » de son quinquennat. A peine un an après son élection comme président de la République, ces bonnes intentions commencent (déjà) à s’écorner. Alors qu’un projet de directive européenne vise à équilibrer le recours aux congés parentaux entre les hommes et les femmes dans toute l’Union européenne (UE), la France s’y oppose et pourrait faire échouer son adoption. « J’en approuve le principe, précisait pourtant le chef de l’Etat, de passage au Parlement européen le 18 avril. Mais les modalités ont un coût qui est potentiellement explosif » pour le système social français.
Trois types de congés pour toute l’UE
Ce projet de directive dite « d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle » devait être un des éléments du futur « socle des droits sociaux » minimums communs à tous les pays membres. Face au reproche d’une Europe loin d’être assez « sociale », les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE avaient approuvé toute une série de mesures provenant de la Commission européenne « pour l’égalité » au mois de novembre 2017 à Göteborg (Suède). Trois types de congés devaient être imposés sur tout le territoire. D’abord, un congé paternité de dix jours à la naissance de l’enfant, ce dont la France dispose déjà. Ensuite, un congé parental de quatre mois pour chaque parent, indemnisé sur la base de l’arrêt maladie par les Etats (un couple pourrait ainsi disposer de 8 mois au maximum, à condition que chacun prenne bien 4 mois). Et, enfin, un droit à cinq jours de congé par an pour tout parent ayant à « s’occuper de proches gravement malades ou en situation de dépendance ».
Pour de nombreux pays européens, ces mesures apparaîtraient comme quasiment révolutionnaires. En Allemagne, en Croatie, en Slovaquie ou en République Tchèque, par exemple, le congé paternité n’existe tout simplement pas. En France aussi, cette directive apporterait quelques avancées sociales en ce qui concerne l’indemnisation des congés parentaux. Aujourd’hui, une fois le congé maternité passé (10 semaines après l’accouchement) ou paternité (11 jours), les parents ont la possibilité de prendre un congé parental pendant un an. Le problème, c’est qu’il n’est que très faiblement indemnisé. En bénéficiant de l’allocation PreParE (prestation partagée d’éducation de l’enfant), ils ne reçoivent que 396,01 euros par mois. Mais si cette directive était adoptée, l’indemnisation mensuelle serait indexée sur la base d’indemnisation des arrêts maladie pendant les quatre premiers mois. Ainsi, le parent recevrait chaque jour, par l’Etat, 50% de son salaire journalier. Soit une indemnité de pratiquement 900 euros pour un salarié touchant habituellement 2.000 euros par mois par exemple. Un coût « insoutenable » pour les caisses françaises selon Emmanuel Macron.
Un congé parental plus attrayant = moins d’enfants en crèche
« Faux ! », répond Yann Serieyx, représentant de l’Union nationale des associations familiales françaises (Unaf), auprès de Marianne. Avec 48 autres associations, l’Unaf a adressé une lettre ouverte au président. Ils le prient de rendre possibles ces « avancées sociales » pour « des millions de familles européennes », pour un coût qu’il estime « limité, voire nul » pour les finances françaises. « Si le congé parental est plus attrayant, davantage de pères le prendront et cela libérera des places en crèche. Aujourd’hui, chaque enfant en crèche coûte à l’Etat près de 1.700 euros. C’est considérable », nous explique-t-il.
Mais surtout, pour Yann Serieyx, cette directive amènerait la France sur le chemin d’une égalité entre les sexes face aux tâches domestiques. « Une mesure comme celle-ci permettrait la bi-activité des couples. Les deux parents pourraient se permettre de se relayer auprès de l’enfant avant de reprendre leur activité sans de trop grandes pertes d’argent. Cela ne peut qu’améliorer le taux d’activité des femmes après une grossesse », détaille-t-il. Selon une étude menée par l’OCDE en 2016, les hommes ne représentent que 4% des parents qui prennent un congé parental…
« Soutenir cette directive, c’est soutenir l’idée que l’éducation d’un enfant se porte à deux, à égalité, et ceci quel que soit le sexe des parents », souligne le député européen Edouard Martin (PSE), membre de la commission « Droits de la femme et égalité des genres » au Parlement européen, pour Marianne. Même s’il est un élu français, il a été le premier surpris de la position de son pays sur ce dossier… et de sa stratégie. « La France a coordonné un blocage en réunissant autour d’elle quatorze pays. Si la situation reste telle qu’elle est, le texte ne sera pas examiné au Conseil le 25 mai comme cela était prévu, minorité de blocage oblige », précise-t-il.
Mains dans la main avec l’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie
Et les visages des amis de circonstance de Paris ont de quoi surprendre. On y retrouve l’Autriche, dont le gouvernement est composé de ministres d’extrême droite, la Hongrie de Victor Orban, qui s’est distinguée par la récente distribution de manuels scolaires officiels expliquant que « les femmes sont bonnes pour la cuisine, leur rôle c’est de s’occuper de la maison et de faire des enfants », comme l’a signalé L’Obs. Puis toute une bardée d’autres pays de l’est (Croatie, Lettonie, Roumanie, Slovaquie), peu connus pour leurs politiques sociales, et quelques voisins plus proches comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, par exemple.
Une situation qui étonne. D’autant qu’en janvier dernier, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, disait étudier « toutes les possibilités d’allongement (du congé paternité), mais aussi de meilleures rémunérations ». Contacté, le secrétariat d’Etat n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais déjà à l’époque, elle précisait : « Il ne s’agit pas de dire oui pour faire plaisir à l’opinion ou d’aller vers un totem sans savoir comment le financer. » Tout est là : le budget d’abord, les droits ensuite.
L’UE peut-elle stopper la réforme de la justice polonaise ?
La Commission européenne veut sévir contre la réforme de la justice polonaise, que le Parlement du pays a fait avancer jeudi par l’adoption d’une nouvelle loi. Une nouvelle action devrait ainsi s’ajouter aux 122 autres procédures en cours pour violation des traités européens. Le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a par ailleurs menacé d’activer l’article 7 du traité de Lisbonne, susceptible de priver la Pologne de son droit de vote dans l’UE. La presse européenne s’interroge sur les effets potentiels de cette mesure.
Viser les points sensibles
Pour Newsweek Polska, la suspension du droit de vote ne fait pas peur aux politiques polonais, bien au contraire :
«Si Bruxelles considère les sanctions politiques comme une ‘option nucléaire’, elles n’impressionnent guère le gouvernement. [Le leader du PiS Jaroslaw] Kaczynski, [le ministre des Affaires étrangères Witold] Waszczykowski, [et le ministre de la Défense Antoni] Macierewicz ont un autre seuil de tolérance de la douleur que les politiques d’Europe de l’Ouest. La propagande du parti pourrait même exploiter les sanctions pour leur campagne de paranoïa anti-européenne, par laquelle ils essaient depuis plus d’un an de convaincre les Polonais que la Commission attaque la Pologne. Seule la combinaison des deux types de sanctions [financières et politiques] serait efficace.»
Les sanctions sont peut-être une erreur
Des sanctions pourraient impacter d’autres personnes que les fautifs, prévient Novi list :
«Il avait déjà été envisagé d’activer contre la Pologne, dès fin 2015, ‘l’option nucléaire’ de l’article 7, telle qu’on la surnomme de manière informelle. … L’action du gouvernement suscite fort heureusement la fronde des Polonais, qui s’organisent à nouveau et se rassemblent en comités de défense de la démocratie, formant le plus grand mouvement
de protestation depuis Solidarno ? dans les années 1980. C’est la raison pour laquelle l’UE ferait bien, en prenant des sanctions, de ne pas décourager ceux en Pologne qui manifestent quotidiennement pour défendre l’Etat de droit et la démocratie.»
L’Union n’est pas un libre-service
Politiken appelle l’Union à se montrer ferme :
«Il en va de l’âme de l’UE, du crédit que l’on accorde aux valeurs communes. C’est pourquoi la réaction doit être à la hauteur de l’outrage. La Commission européenne menace d’ouvrir la procédure prévue à l’article 7, qui requiert toutefois l’unanimité. Et la Pologne peut compter sur le soutien de la Hongrie. L’UE doit pourtant agir. Le Danemark et les autres pays de l’UE devraient se pencher sur l’idée évoquée par la Belgique, à savoir restreindre l’accès de la Pologne aux fonds européens, afin de montrer que l’UE n’est pas un libre-service. Les derniers jours ont montré que le temps presse.»
Bruxelles doit actionner tous les leviers
Si le site de la radio Deutschlandfunk approuve que l’on hausse le ton envers la Pologne, elle n’en voit pas moins la Commission en proie à un dilemme :
«Quand on montre les dents, il faut avoir les moyens de mordre, en dernier recours. Or en l’occurrence, Bruxelles pourrait rapidement s’avérer être un tigre de papier. Les procédures d’infraction sont relativement faciles à mettre en œuvre. Pour priver un Etat de son droit de vote en vertu de l’article 7, le soutien unanime des 27 Etats membres est indispensable. La Hongrie a déjà pris position, faisant savoir qu’elle ne souscrirait pas à ce genre de mesure. Peut-être n’est-elle pas le seul pays dans ce cas. … Mais en fin de compte, c’est le message politique qui importe. La Commission doit se servir de la boîte à outil dont elle dispose, même si les outils ne suffisent peut-être pas à arrêter le PiS. … L’heure est à exercer le plus de pression politique possible, car l’UE ne peut tolérer qu’un Etat membre commette une pareille infraction.»
Sans respect des valeurs, pas d’argent
L’UE est la seule à pouvoir faire pression sur Varsovie, juge The Irish Times :
«Deux puissances disposent des meilleurs moyens de pression face à la Pologne : les Etats-Unis et l’UE. Trump, qui a tenu au début du mois à Varsovie un discours en phase avec les tendances nationalistes de ses hôtes, n’est visiblement pas à la hauteur de la tâche. Mais Bruxelles peut et doit agir. Elle devrait d’abord user de son pouvoir et ouvrir une procédure d’infraction contre le pays en raison de ses atteintes à la séparation des pouvoirs. Dès que les discussions portant sur la réduction des fonds européens après le Brexit et leur future répartition auront débuté, il faudra établir clairement que le respect des valeurs fondamentales n’est pas une question négociable si l’on veut toucher des fonds européens.»
Un nouveau fossé Est/Ouest
De Volkskrant redoute une rupture Est/Ouest :
«Le rideau de fer n’est plus, mais il a été remplacé par une barrière mentale. A Budapest et Varsovie, les gouvernements sont ultraconservateurs et ultranationalistes. … Bruxelles, à leurs yeux, est ‘la nouvelle Moscou’, une menace pour leur souveraineté nationale à peine retrouvée. … Les deux pays ne veulent pas accueillir de migrants musulmans, affirmant que ceux-ci menacent le caractère homogène et chrétien de leurs sociétés. Cette perception est assez éloignée de celle qui prédomine en Europe occidentale. … On peut craindre une escalade. ‘Faire entendre raison à ceux qui n’écoutent pas’ : tel est l’appel déjà lancé, en effet, par l’Italie et d’autres Etats membres.»