Venezuela, les raisons du chaos

 Yaneth Rivas. – « El ejemplo que Caracas dió » (L’Exemple qu’a donné Caracas), 2014 © Yaneth Rivas – Cartel de Caracas


Yaneth Rivas. – « El ejemplo que Caracas dió » (L’Exemple qu’a donné Caracas), 2014
© Yaneth Rivas – Cartel de Caracas

En novembre, manifestations populaires et tentatives de déstabilisation ont intensifié les convulsions politiques que connaît le Venezuela. Tout au long des années 2000, les réussites — sociales, géopolitiques et culturelles — de la « révolution bolivarienne » d’Hugo Chávez avaient pourtant suscité l’enthousiasme des progressistes par-delà les frontières. Comment expliquer la crise que traverse actuellement le pays ?

arfois, la mémoire est cruelle. Le 2 février 1999, à Caracas, un homme au teint mat prononce son premier discours de président. Son nom : Hugo Chávez. « Le Venezuela est blessé au cœur », assène-t-il en citant Francisco de Miranda, héros de l’indépendance. Il décrit la crise « éthique et morale » que traverse alors son pays. Ce « cancer » gangrène l’économie, de sorte que, dit-il, « nous avons commencé à entendre parler de dévaluation, d’inflation ». « Tel un volcan qui travaille de fac?on souterraine », ces crises économique et morale en ont généré une troisième : la crise sociale. L’ancien militaire formule une promesse : « Cette cérémonie n’est pas une passation de pouvoirs de plus. Non : elle marque une nouvelle époque. (…) Nous ne devons pas freiner le processus de changement et encore moins le dévier : il risquerait de se replier sur lui-même et nous, de nous noyer à nouveau. »

La mémoire est parfois cruelle, mais les Vénézuéliens ont appris à sourire de ses vexations. « Regarde, ça c’est moi il y a un an, nous lance Mme Betsy Flores en s’esclaffant. Je pesais dix kilos de plus ! Et sur cette photo, c’est Martha. Tu ne la reconnais pas, hein ! À vrai dire, moi non plus. À l’époque, elle avait une vraie paire de fesses. Désormais, on dirait une planche ! » Combien de fois avons-nous vécu la scène ? La quasi-totalité des personnes que nous rencontrons, une ancienne ministre comprise, confessent se contenter régulièrement d’un repas par jour. Et lorsqu’elles s’attablent, les festins demeurent rares : chacun se débrouille avec ce qu’il a pu obtenir dans les boutiques aux rayons clairsemés ou au marché noir, dont les prix reposent sur l’évolution du dollar parallèle. Entre le 11 octobre et le 11 novembre, celui-ci est passé de 1 230 à 1 880 bolivars, soit un bond de plus de 50 %. Comme en 1999, « dévaluation » et « inflation » font partie du vocabulaire quotidien des Vénézuéliens, qui formulent un même constat : leur paie, y compris lorsqu’elle dépasse le salaire minimum, fixé à 27 000 bolivars par mois (1), « ne suffit pas pour survivre ».

« Dopé à la rente, le Venezuela distribuait les uppercuts »

Il y a dix ans, la rue frémissait de politique. On y parlait de Constitution, de réduction de la pauvreté, de participation populaire. Et pas seulement à gauche. En 2016, les gens n’ont plus qu’un sujet à la bouche : la nourriture. Celle qu’ils ont réussi à glaner et, surtout, celle qui leur manque ou dont les prix s’envolent. À la mi-novembre 2016, le riz coûtait 2 500 bolivars le kilo, ce qui le renvoyait dans le domaine de l’inaccessible. Domaine où figuraient déjà le poulet, le beurre, le lait ainsi que la farine nécessaire à la confection des arepas, ces galettes de maïs blanc dont raffolent les Vénézuéliens.

Il y a dix ans, en pleine campagne présidentielle, Chávez présentait les progrès du système de santé comme « l’une de [ses] plus grandes réussites (2)  ». Aucun adversaire sérieux n’aurait songé à le lui contester. Désormais, le pays manque de médicaments. Pas seulement d’aspirine et de paracétamol, mais également d’antirétroviraux et de molécules destinées aux chimiothérapies.

Il y a dix ans, dans la foulée de dizaines d’autres programmes sociaux, naissait la « mission Negra Hipólita ». Son objectif ? Venir en aide aux sans-abri urbains. Elle fut l’une des premières victimes de la crise. Le spectacle des personnes attendant la sortie des poubelles le soir est redevenu familier, cependant que les rues de Caracas exposent aux regards les mille et un visages de la détresse infantile.

Inflation, misère et corruption : les forces telluriques que décrivait Chávez lors de sa prise de fonctions sont à nouveau à l’œuvre ; le volcan s’est réveillé. Pour la droite, les choses sont simples : le socialisme échoue toujours. À gauche, où l’on avait appris à voir le Venezuela comme un phare dans la nuit néolibérale, l’incompréhension le dispute à l’incrédulité. Et une question s’impose, celle que formulait déjà le dirigeant bolivarien quand il esquissait le bilan de ses prédécesseurs, en 1999 : comment expliquer que, en dépit de « tant de richesses », « le résultat soit aussi négatif » ?

« À cause de la guerre économique que nous livrent l’opposition et ses alliés », répond le président Nicolás Maduro, élu en avril 2013, un mois après le décès de Chávez. Les chefs d’entreprise profitent de la chute des cours du pétrole (retombé sous les 40 dollars en 2016 après avoir dépassé les 100 dollars entre 2011 et 2014) pour organiser la pénurie, souffler sur les braises de la colère populaire et préparer le renversement du pouvoir chaviste. Au prétexte d’en rendre compte, le site Dolartoday (3), sis à Miami, orchestre la flambée du dollar parallèle. Ses ambitions politiques ne s’affichent-elles pas clairement à travers un sondage présenté à sa « une » depuis plusieurs semaines ? « Si l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, pour qui voteriez-vous ? » Parmi les réponses possibles : MM. Henry Ramos Allup, Leopoldo López, Henrique Capriles Radonski, Henri Falcón et Lorenzo Mendoza Giménez, ainsi que Mme María Corina Machado. Tous membres de l’opposition.

On ne compte plus les analystes proches du pouvoir qui, se rappelant le sort réservé au président chilien Salvador Allende en 1973, défendent cette explication de la situation, comme si elle était vraiment contestée dans le camp progressiste. Or la question qui divise le chavisme est d’une autre nature : l’hostilité de ceux que la « révolution bolivarienne » cherche à priver de leurs privilèges suffit-elle à expliquer le chaos actuel ?

Membre du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), M. Sergio Sánchez en a été exclu pour avoir refusé de soutenir un candidat au poste de gouverneur parachuté en dépit de forts soupçons de corruption. Le thème de la « guerre économique » lui évoque une image : « Dopé à la rente pétrolière, le Venezuela est monté sur le ring pour distribuer les uppercuts à la bourgeoisie et à l’empire. Désormais, les anabolisants ont disparu : le gouvernement est dans les cordes. D’un seul coup, il trouve anormal que ses adversaires poursuivent le combat. » Se revendiquant toujours du chavisme, « mais opposé au gouvernement », le militant Gonzalo Gómez formule les choses autrement : « On ne fait pas la révolution en espérant que le capitalisme ne réagira pas. » « D’ailleurs, poursuit-il, il faut distinguer deux attitudes : celle qui consiste à créer les conditions de la crise et celle qui consiste à en profiter. Bien souvent, les patrons se contentent de tirer parti des dysfonctionnements de l’économie. »

Quand les petites perturbations s’accumulent

Pour une partie de la gauche, le chaos actuel s’expliquerait par la toute-puissance d’un adversaire capable, dix-sept ans après sa défaite, de produire le déraillement de l’économie. Pour une autre, il découlerait de la trahison de dirigeants cyniques qui auraient passé l’arme à droite. Mais on peut également envisager les processus de transformation sociale comme contradictoires : leurs réussites — considérables dans le cas vénézuélien (4) — engendrent parfois des difficultés qui, faute de réponse, peuvent devenir menaçantes. La chute ne serait donc pas inscrite dans l’amorce, mais dans l’incapacité à corriger les conséquences néfastes de ses choix. C’est la leçon de la « théorie des catastrophes », que Chávez exposait à son auditoire un certain 2 février 1999 : « Selon cette théorie, les catastrophes apparaissent de manière progressive, quand, dans un système donné, se manifeste une petite perturbation qui ne rencontre aucune capacité de régulation, une toute petite perturbation qui n’appelait qu’une toute petite correction. En l’absence de capacité et de volonté d’agir, la première perturbation en rencontre une autre, tout aussi petite, qui ne trouve pas plus de réponse. Et les petites perturbations s’accumulent, jusqu’à ce que le système perde la capacité de les réguler. C’est alors que survient la catastrophe. »

Quand Chávez arrive au pouvoir, le prix du baril de pétrole est à un plancher historique, proche des 10 dollars : un désastre dont l’explication impose de plonger dans l’histoire du pays. Au début du XXe siècle, la nation caribéenne figure parmi les premiers producteurs de café et de cacao. Et puis elle découvre d’immenses réserves d’or noir… En dix ans seulement, de 1920 à 1930, le secteur pétrolier passe de 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) à près de 40 %, l’agriculture dévissant de 39 % à 12,2 % (5). Alors que la crise des années 1930 provoque la chute des cours du café, la plupart des pays de la région dévaluent leur monnaie pour maintenir la compétitivité de leurs exportations et lancer un processus d’industrialisation reposant sur la production locale des biens autrefois importés (« substitution des importations »). Le Venezuela procède à rebours : disposant d’importantes quantités de devises grâce à la rente, il cède à la pression du lobby commercial, qui organise l’importation de tout ce que le pays consomme.

Chávez se découvre un pouvoir extraordinaire

Le raisonnement de ces épiciers en costume trois-pièces ? Plus la monnaie locale sera forte, plus les Vénézuéliens pourront consommer, et eux s’enrichir. Entre 1929 et 1938, en pleine crise internationale, Caracas élève la valeur du bolivar de 64 %. L’opération verrouille les portes du commerce international au secteur agricole ; elle lui barre également l’accès aux échoppes nationales, inondées de produits bon marché. En dépit de promesses récurrentes de sortir du modèle rentier depuis lors, le déséquilibre économique s’accroît peu à peu ; et, lorsque Chávez prend les rênes du pays, 85,8 % de la valeur des exportations provient du pétrole (6).

Avec un prix du brent au plus bas en 1999, l’économie vénézuélienne ressemble à un gros-porteur tracté par un moteur de Mobylette : elle ahane. Le nouveau président a placé la diversification de l’économie au premier rang de ses priorités, mais il mesure qu’elle prendra du temps. Or la patience ne caractérise pas une population fébrile dont les espoirs ont été aiguillonnés par la campagne électorale. La solution passe par une réactivation de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), dont aucun des membres ne respecte plus les quotas. L’opération paie : les cours repartent à la hausse. Mais elle entraîne une première perturbation : l’urgence de se libérer des affres de la disette s’estompe devant la tentation de jouir de l’abondance.

« Les premières années furent très difficiles, se remémore M. Víctor Álvarez, ancien ministre des industries de base et du secteur minier (2005-2006). La presse présentait Chávez comme un clown. Et l’opposition n’a pas choisi la voie de la contestation démocratique. » En 2002, elle organise un coup d’État (qui échouera) avec l’aide des grands médias et de Washington. Pis, poursuit M. Álvarez, « le 10 décembre 2002, le jour même où nous allions lancer un programme visant à renforcer l’industrie nationale en réorientant vers elle les contrats publics, les patrons organisent un lock-out ! ». La grève du secteur privé et des hauts dirigeants du secteur pétrolier (nationalisé) durera deux mois et amputera le PIB d’environ 10 % (7). « Notre projet fut rangé dans un tiroir, dont il n’est jamais ressorti. »

Les prix du pétrole continuent à grimper, pour atteindre une trentaine de dollars le baril en 2003. Le gouvernement bolivarien dispose des ressources lui permettant de mettre en œuvre les programmes sociaux qui consolideront sa popularité dans les milieux modestes. Incapable de chasser Chávez du pouvoir, l’oligarchie vénézuélienne décide d’exfiltrer son pécule. La fuite des capitaux atteint des montants alarmants : plus de 28 milliards de dollars entre 1999 et 2002, soit près de 30 % de l’ensemble de la richesse produite en 2002 (8). À ce niveau, on ne parle plus de ponction, mais de saignée.

Alors que les réserves de devises s’effondrent, le pouvoir bolivarien prend la seule mesure adaptée : en février 2003, il introduit un contrôle des changes et fixe la parité entre la monnaie nationale et le dollar (le précédent contrôle des changes avait été interrompu en 1996). À partir de ce moment, l’État se réserve la capacité d’allouer ou non les dollars que lui demande telle ou telle entreprise pour importer. « Chávez découvre qu’il dispose d’un pouvoir extraordinaire, commente M. Álvarez. Non seulement la rente permet de satisfaire les besoins de la population, mais elle offre la possibilité de punir ceux qui avaient conspiré contre le pouvoir en leur refusant les devises. » Privées de dollars, bien des entreprises mettent la clé sous la porte, à moins que leur patron ne fasse amende honorable. « Car la rente garantit enfin la loyauté des entrepreneurs opportunistes. » L’espèce n’est pas rare.

« La politique du bolivar fort a constitué une subvention à l’ensemble de l’économie, renchérit le sociologue Edgardo Lander. La rente finançait la consommation, voitures de luxe et billets d’avion compris. » Entre 2004 et 2008, le Venezuela connaît une période d’abondance. Le PIB par habitant frôle son niveau de 1977, l’apogée d’une période connue comme le « Dame dos ! » J’en prends deux ! »). Hier considérée comme un piège dont il fallait s’émanciper, la rente retrouve son rôle traditionnel de clé de voûte du modèle économique vénézuélien. Nouvelle perturbation, sans correction…

Le contrôle des changes ne disparaîtra plus. Conçu comme une mesure temporaire pour lutter contre la fuite des capitaux, « il en devient le principal moteur, explique M. Temir Porras, ancien chef de cabinet de M. Maduro. Pays extrêmement dépendant des importations, le Venezuela affiche une inflation structurelle d’environ 15 à 20 %. Pas le dollar. Fixer une parité avec la devise américaine implique donc de surévaluer sa monnaie. On ne connaît pas de meilleure recette pour détruire la production nationale. Non seulement il devient plus coûteux de produire localement que d’importer, mais le pays redécouvre un négoce particulièrement juteux : l’importation surfacturée, qui permet de mettre la main sur des dollars » .

L’opération est simple. Imaginons un importateur qui dispose d’un réseau lui permettant d’acheter des bouteilles d’eau à 10 centimes de dollar pièce. Il obtient de l’État des dollars pour en acheter un million qu’il déclare payer 20 centimes pièce par le biais d’une entreprise qu’il aura préalablement créée en dehors du pays. Résultat : l’entrepreneur dispose de 100 000 dollars, qu’il peut écouler sur le marché noir local ou faire sortir du pays. « La culbute est parfois réalisée avant même la distribution du produit, poursuit M. Porras. De sorte que certains importateurs abandonnent les produits dans les hangars, ne vendant que de quoi acheter de nouveaux dollars. » Entre 2002 et 2012, la valeur des importations quintuple, passant d’environ 10 milliards de dollars à 50, un bond bien plus rapide que celui de leur volume. Lucratif, le secteur de l’importation attire du monde : ceux qu’on dénommera bientôt les « bolibourgeois » et que le pouvoir présente comme des « patrons socialistes », mais également des militaires, des hauts fonctionnaires et des malfrats.

Des taux de profit taquinant les 18 000 %

Pendant ce temps, la réduction de la pauvreté — l’une des plus grandes réussites de la « révolution bolivarienne » — permet à la population de consommer davantage. Dans un contexte où le pouvoir conteste peu au secteur privé sa mainmise sur les importations, la manne pétrolière qu’il déverse sur la population pour « solder la dette sociale » ruisselle jusque dans les poches des chefs d’entreprise. De sorte qu’en dépit de ses réussites sociales et géopolitiques, le Venezuela retrouve peu à peu sa fonction première dans la division internationale du travail : celle d’exportateur non seulement de pétrole, mais surtout de devises. Selon les calculs du trimestriel Macromet, la fuite des capitaux (surfacturation des importations comprise) aurait atteint 170 milliards de dollars entre 2004 et 2012 (9), soit pratiquement 160 % du PIB de l’année 2004. Un chiffre étourdissant.

Lorsque la crise financière internationale oriente le cours du pétrole à la baisse, en 2008, la rente ne suffit plus à couvrir la facture des importations. Le pays doit s’endetter. Il tente de limiter les dépenses, notamment en introduisant un double taux de change : un premier, préférentiel, pour les importations jugées stratégiques ; un autre, plus élevé, pour le reste. L’idée n’était pas mauvaise, mais sa mise en œuvre aurait gagné à être précédée d’une analyse des « perturbations » qu’elle avait engendrées dans le passé. Car des dispositifs similaires avaient été instaurés dans les années 1980 puis 1990, avec chaque fois une même conséquence : l’essor de la corruption. Qu’on en juge. En 2016, le Venezuela affiche un taux de change préférentiel de 10 bolivars par dollar et un autre de 657. Obtenir un accès (légal ou non) à la manne du dollar préférentiel pour alimenter le marché courant assure donc un taux de profit stratosphérique de 6 500 %. Que l’on revende ses dollars sur le marché parallèle, et le taux de profit taquine les… 18 000 %. On fait naître des vocations de brigand au moyen de chiffres beaucoup moins élevés.

« La droite veut mettre le peuple à genoux »

Or le Venezuela entretient une relation particulière avec la corruption. Ici, l’accumulation capitaliste ne repose pas sur la production de richesse, mais sur la capacité à butiner les ressources qu’administre l’État. Redistribution, clientélisme, népotisme, favoritisme, renvoi d’ascenseur ou simple illégalité, les frontières entre les formes de captation des dollars du pétrole s’avèrent d’autant plus ténues que beaucoup les franchissent plusieurs fois par jour.

« En 2012, Chávez prend enfin conscience du problème économique, notamment celui lié au taux de change, nous raconte M. Porras, qui a œuvré pour l’éclairer sur la question. Nous avions réussi à le convaincre d’agir. Et… il est tombé malade. » L’instabilité politique provoque un décollage soudain du dollar et de l’inflation, alors que les cours du pétrole recommencent à plonger fin 2014. Le pays redécouvre les pénuries, liées à l’atrophie d’une production locale étouffée par la survalorisation du bolivar et à la chute des importations, étranglées par le manque de devises. « Or, observe M. Álvarez, la pénurie offre le bouillon de culture idéal pour la spéculation et le marché noir. »

« Brinquebalant, l’édifice tenait grâce à deux clés de voûte, résume Lander : Chávez et la rente pétrolière. » Avec l’annonce officielle du décès du premier, on constate la mort clinique de la seconde. Le modèle socio-économique chaviste s’effondre d’autant plus vite que plus personne, pas même le nouveau président Maduro, n’est en mesure d’opérer la moindre modification d’azimut : la cohésion précaire du camp chaviste ne repose plus que sur la résolution commune à défendre l’héritage du comandante, le meilleur moyen de préserver les équilibres internes — et les prébendes. Il était urgent de changer de stratégie ; chacun s’employa à maintenir le cap. Quitte à mettre en péril certaines conquêtes de la période glorieuse du chavisme.

L’urgence de « diversifier » l’économie s’incarne désormais dans les projets tels que l’« arc minier de l’Orénoque » : une zone de 111 800 kilomètres carrés (près de quatre fois la superficie de la Belgique) où l’État vient d’autoriser diverses multinationales à extraire or, coltan, diamants, fer, etc., en jouissant d’exonérations fiscales et de dérogations à la réglementation du travail. De la rente pétrolière à la rente minière ? On a connu diversification plus bigarrée.

En dépit de ses dénonciations récurrentes des méfaits de l’oligarchie importatrice, le pouvoir en préserve la tranquillité. Il ne manque pas de créativité, en revanche, pour imaginer des bricolages tactiques « qui finissent par jeter de l’huile sur le feu de la spéculation », comme nous l’explique M. Álvarez. En 2011, le gouvernement fait passer une loi organique de « prix justes », pour tenter d’imposer un plafond aux prix de produits de base. « Mais ils sont bien souvent inférieurs aux coûts de production, si bien que les gens ont arrêté de produire. » Caracas subventionne par ailleurs certaines importations qu’il met à disposition de communautés organisées, à travers les comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP). Le 11 novembre dernier, dans le quartier de La Pastora, à Caracas, on pouvait ainsi se procurer un gros panier d’aliments (quatre kilos de farine de maïs, deux kilos de riz, deux paquets de pâtes, deux pots de beurre, un litre d’huile, un sachet de lait en poudre et un kilo de sucre) pour 2 660 bolivars. Un prix aussi bas offre la perspective de gains importants sur le marché noir… où finit donc une partie des produits.

Sur le plan économique, la chute du pouvoir d’achat est telle que l’ajustement structurel a en quelque sorte déjà eu lieu. Rendu plus acceptable par la rhétorique de la « guerre économique », il touche en particulier les personnes qui se conçoivent comme les membres de la classe moyenne : celles-là ne bénéficient pas des programmes sociaux et n’ont pas le temps de faire la queue des heures devant les supermarchés. Elles se trouvent donc plongées dans les « eaux glacées » du marché noir, ce qui finit par aiguiser leur colère contre les plus pauvres qu’eux : ceux qui profiteraient du système, avec lesquels l’État se montrerait « trop généreux »…

Quid de l’autre grande réussite chaviste, l’approfondissement de la démocratie ? Militant du mouvement social « depuis toujours », M. Andrés Antillano estime que celle-ci « n’était pas seulement un étendard pour Chávez. Elle a toujours été un moyen de mobiliser, de politiser la population ». « Je n’avais jamais vraiment cru aux vertus des élections, confesse-t-il. Mais ici, elles étaient devenues un outil subversif, une force révolutionnaire. » « Étaient » ?

En 2016, l’opposition parvient à dépasser ses (innombrables) divisions pour demander l’organisation d’un référendum révocatoire, permise par la Constitution de 1999. Bien que se rendant coupable de nombreuses fraudes, elle réussit à recueillir suffisamment de signatures valides pour lancer le processus et obtient le feu vert du Conseil national électoral (CNE). Mais depuis, gouvernement et pouvoir judiciaire — ce dernier ne se caractérisant pas par sa propension à s’opposer à l’exécutif — jonchent le parcours d’obstacles frisant parfois le ridicule. Menace à peine voilée : le 4 mai 2016, M. Diosdado Cabello, l’une des principales figures du chavisme, estimait que « les fonctionnaires chargés d’institutions publiques qui se prononcent en faveur du référendum révocatoire ne devraient pas conserver leur poste ». En procédant de la sorte, « Maduro ne prive pas uniquement l’opposition de référendum, observe M. Antillano. Il nous ôte, à nous la gauche, l’un des instruments-clés du chavisme : la démocratie ».

« Le référendum, c’est le combat de la droite, pas le mien », rétorque Mme Atenea Jimenez Lemon, du Red de comuneros, une puissante organisation qui regroupe plus de cinq cents communes à travers le pays. Ces structures qui maillent le territoire national (surtout la campagne) ont constitué le fer de lance du « nouvel État socialiste », reposant sur la participation, qu’imaginait Chávez (lire la recension ci-dessous). « Je sais qu’à bien des égards on peut décrire le gouvernement comme contre-révolutionnaire. Mais, pour moi, la gauche critique qui appelle au référendum fait le jeu de la droite. Car si l’opposition gagne, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que les gens se rendent compte de ce qu’ils nous préparent ? »

Privatisations en masse, recul de l’État, austérité violente : ici, nul ne se fait d’illusions sur le programme des partis d’opposition. D’ailleurs, rares sont ceux qui souhaitent les voir arriver au pouvoir. En dépit des efforts de certains de ses représentants pour mâtiner de social leurs discours, le principal objectif de la droite consiste à « mettre le peuple à genoux pour nous donner une bonne leçon », analyse Mme Flores. Une sorte de contre-révolution dans la contre-révolution.

Des hauts fonctionnaires rétifs au changement

« Tout n’est pas écrit, renchérit Mme Jimenez Lemon. Les communes offrent un moyen d’approfondir la démocratie, de débureaucratiser l’État et de développer la production. » Plaidoyer pro domo ? Non. À gauche, on imagine rarement une sortie positive de la crise actuelle sans renforcement de ce dispositif, créé par Chávez à la fin de sa vie. Seulement voilà : l’ancien président « était comme un révolutionnaire au sein de son propre gouvernement, explique l’ancienne ministre Oly Millán Campos. Il pouvait prendre des décisions allant à l’encontre des intérêts de l’appareil d’État. Sans lui, les communes se heurtent à la résistance des hauts fonctionnaires : pourquoi renforceraient-ils des structures imaginées dans l’optique de les affaiblir, puis de les remplacer ? ».

Une guerre intestine qui ravit l’opposition

En 2004, Chávez avait décidé d’organiser le référendum révocatoire qu’exigeait l’opposition en dépit de fraudes avérées. Procéder de la sorte aujourd’hui imposerait-il au chavisme une cure d’opposition ? Pas nécessairement. Une défaite lors d’un référendum organisé en 2016 aurait conduit à de nouvelles élections. En d’autres termes, elle aurait pu offrir à la gauche vénézuélienne ce dont elle semble avoir le plus besoin : une période d’autocritique permettant de sortir des raisonnements tactiques pour penser à nouveau en termes stratégiques. Cette période aurait peut-être permis au chavisme critique de faire entendre sa voix.

Mais encore eût-il fallu que le pouvoir accepte de prêter l’oreille. À la fin de l’année 2015, l’organisation chaviste Marea socialista a souhaité procéder à son inscription au registre des partis politiques du pays. Fin de non-recevoir du CNE, qui a estimé, sans rire, que le nom de la formation « ne faisait pas » parti politique. De son côté, un procureur a jugé qu’elle ne pouvait pas se réclamer du socialisme… puisqu’elle critiquait le gouvernement. « Le gouvernement discute actuellement avec l’opposition, avec le Vatican et avec l’ambassade américaine, mais avec nous, la gauche critique, il refuse le dialogue », s’amuse un militant de Marea socialista.

Dans les rangs du chavisme, la bataille fait donc rage, dans un vacarme d’autant plus stérile qu’il n’existe plus de lieu de discussion structuré. D’un côté, les partisans du pouvoir sont de plus en plus discrets. D’un autre, un courant ancré dans la population critique les dirigeants actuels, mais considère que la lutte ne peut avoir lieu en dehors du PSUV, sauf à remettre les clés du pouvoir à la droite. Enfin, un dernier courant, dépourvu de véritable base sociale, regroupe de nombreux anciens ministres, très actifs sur les réseaux sociaux. Ils estiment avec M. Gómez que l’actuelle bureaucratie « constitue une nouvelle bourgeoisie, tout aussi rapace que la précédente et désormais en concurrence avec elle ».

Cette guerre intestine ravit la droite, qui souhaite détruire l’espoir auquel Chávez avait donné naissance. Elle enchante également les nouveaux oligarques en chemise rouge, lesquels rêvent de transformer la lutte de classes qui les a portés au pouvoir en vulgaire lutte de camps. S’ils devaient l’emporter, les innombrables « perturbations » auxquelles le chavisme n’a pas su répondre auraient assurément enfanté la catastrophe.

Renaud Lambert

Source : Le Monde Diplomatique Décembre 2016

Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Amérique Latine , Venezuela, rubrique Politique, Affaires, rubrique Economie,

Jacque Généreux . Nous sommes mondialement gouvernés par des aveugles

Un manuel d’éducation citoyen par Jacques Généreux. Photo dr

Un manuel d’éducation citoyen par Jacques Généreux. Photo dr

Essai :
Avec la «Déconnomie» Jacques Généreux démontre la bêtise de la théorie économique dominante et tente d’en expliquer les raisons. Nous sommes tous concernés…

Une crise ne constitue jamais  un événement exceptionnel et exogène au système économique nous rappelle Jacques Généreux membre des Economistes atterrés, avant d’aborder la nature du nouveau cadre systémique dans lequel prospère les folies politiques en temps de crise. La Grèce à qui la Troïka n’a laissé pour seule alternative, que le maintien des politiques absurdes qui ont aggravé la crise au lieu de la résorber, en est un bon exemple.
Le professeur d’économie à Science Po revient rapidement sur la forme de capitalisme qui s’est imposée depuis les années 80 à savoir le capitalisme financiarisé.   « Système dans lequel l’abolition des frontières économiques nationales et la dérégulation de la finance confèrent aux actionnaires le pouvoir d’exiger un taux de rendement capital insoutenable tant pour l’économie que pour l’écosystème, les salariés et la démocratie.» Le bilan dressé de ce système s’avère comme l’on sait, totalement négatif, sauf pour les 10% des plus riches qui ont accaparé l’essentiel des ressources mondiales.
Le fait que tout ce qui reste utile à  l’équilibre et à la paix tient aux lois, mesures et institutions qui limitent le pouvoir de l’argent, pousse Jacques Généreux à envisager les raisons auxquelles tiennent la persistance de ce système calamiteux.

Il en dénombre trois : « 1. Il n’y a pas d’alternative, les politiques sont impuissantes face à l’inéluctable mondialisation de l’économie ; 2. d’autres voies sont possibles, mais leur accès est interdit par des élites dirigeantes au service des plus riche; 3. nous sommes gagnés par une épidémie d’incompétence et de bêtise, depuis le sommet qui gouverne la société jusqu’à la base populaire qui, en démocratie, choisit ses dirigeants

Le désastre de notre ignorance
La première raison est vite démontée. N’importe quel gouvernement souverain pourrait réguler la finance, plafonner le rendement du capital et limité l’exposition de son pays au dumping fiscal et social. La deuxième raison implique de trouver des contournements. Quand à la 3eme, l’auteur nous invite à s’interroger pas seulement sur les motifs cachés des politiques économiques mais aussi sur l’intelligence et les compétences des économistes qui les conçoivent, des journalistes qui les promeuvent, des dirigeants qui les mettent en oeuvre et, pour finir, de nous tous, citoyens qui lisons, écoutons ou élisons les précédents.

L’intelligence n’est pas un réflexe c’est un effort dont il faut ressentir l’exigence.

JMDH

La Déconnomie , éditions du Seuil , 19,5€

Source : La Marseillaise 04/01/2017

Voir aussi : Rubrique  Politique économiqueLe changement c’est maintenant, rubrique Politique, L’après-Hollande a commencé, Valls dépose les armes de la gauche devant le Medef, rubrique Finance, rubrique UE, Des infos sur le Mécanisme européen de stabilitéTraité transatlantique : les pages secrètes sur les services, rubrique Livre, Thomas Piketty : Un capital moderne, rubrique Rencontre Jacques Généreux : « Le débat sur la compétitivité est insensé »,

Juncker aurait bloqué des réformes contre l’évasion fiscale, selon le «Guardian»

3152Selon des documents confidentiels révélés par le « Guardian », l’actuel président de la Commission européenne aurait bloqué des réformes lorsqu’il était Premier ministre luxembourgeois.

Le « Guardian » révèle que l’actuel président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker aurait bloqué des réformes destinées à lutter contre l’évasion fiscale des sociétés multinationales, lorsqu’il était Premier ministre luxembourgeois.

Se basant sur des documents diplomatiques allemands confidentiels, le « Guardian » explique le fonctionnement d’un comité qui se réunit depuis 1998 pour veiller sur l’engagement pris par les Etats membres de l’UE de ne pas se livrer à une concurrence déloyale entre eux en matière de politique fiscale. Selon le journal, une petite poignée de pays, souvent dirigés par le Luxembourg (avec à l’époque Jean-Claude Juncker a sa tête), ont utilisé leur présence dans ce comité pour freiner ou diluer l’action de l’UE et protéger leurs propres régimes fiscaux.

Contacté par le « Guardian », un porte-parole du ministère des Finances s’est refusé à commenter ces documents « dont ils n’avaient pas connaissance ».

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Histoire. Culture du mouvement noir américain et activisme social

Livre

9782707175502Avec  Black America, l’historienne des Etats-Unis Caroline  Rolland-Diamond propose une analyse globale des mouvements de revendications noirs américains depuis l’émancipation des esclaves jusqu’à nos jours, en redonnant toute leur place aux acteurs et actrices anonymes. Elle éclaire notamment les forces quoditiennes  sociale et féminine de la résistance sur un temps long.

L’histoire institutionnelle du mouvement noir américain peut se résumer en quelques dates. 1619, arrivée des vingt premiers esclaves africains dans la colonie britannique de Virginie. L’esclavage qui occupe une position centrale dans l’organisation sociale et économique du Sud, se prolonge après l’indépendance des Etats-Unis, en 1776, jusqu’à la guerre de Sécession 1861/1865.

Après l’émancipation des esclaves débute la période de  Reconstruction du Sud (1865- 1877) durant laquelle les affranchis peuvent jouir de leurs droits civiques sous protection militaire. Mais cela ne permet pas d’établir les bases de l’égalité. En 1954 la Cour suprême déclare la ségrégation  inconstitutionnelle et moralement indéfendable.

En 1964, le pays met un terme à la ségrégation légale. Un an plus tard  le droit de vote est institué  pour les Africains -Américains du Sud.  Cette histoire officielle a figé dans la mémoire collective les grandes figures que sont  : Rosa Parks, Martin Luther King et Malcom X qui résumeraient à eux seuls le long combat des Noirs américains pour l’égalité.

Le bon Martin et le vil Malcom

imagesSpécialiste des mouvements sociaux américains, Caroline Rolland-Diamond, inscrit son travail dans le prolongement de l’historiographie des année 1980 et 1990 qui a contesté le mythe de la période héroïque (1954-1965) permettant l’idéalisation d’une Amérique libérale indifférente à la couleur de la peau « dans les bonnes année 1960 » aux dépens de la décennie suivante 1965-1975 perçue comme radicale et incarnée par le Black Panther Party.

Cette nouvelle analyse a permis de montrer que le mouvement des droits civiques provenait des institutions noires qui rendirent possible la mobilisation de masse dès les années 50. Elle a aussi souligné le rôle déterminant des militants inconnus de la classe ouvrière. « Et par là même elle a pu réintroduire  les luttes sociales et économiques des Noirs occultées par la conception étroite des droits civiques », souligne Caroline Rolland-Diamond.

Le temps long de l’ histoire

Lynchage de trois Africains -Américains accusés du viol d’une femme blanche, à Duluth (Minnesota) le 15 juin 1920 Crédit Photo library of Congress

Lynchage de trois Africains -Américains accusés du viol d’une femme blanche, à Duluth (Minnesota) le 15 juin 1920 Crédit Photo library of Congress

En remontant à l’émancipation des esclaves en 1865, l’historienne à l’Université Paris-Ouest-Nanterre met en perspective deux grandes traditions de mobilisation individuelle et collective des Noirs : la tradition libérale  s’appuyant sur les institutions nationales pour revendiquer l’égalité, et la tradition radicale qui critique ces institutions et réclame une transformation profonde de l’économie et de la société américaines.

Ce faisant l’auteur s’attache aussi à redonner leur place aux femmes noires américaines. Tout au long de  cette histoire, organisée en sept chapitres chronologiques, une part importante de l’activisme consiste à obtenir un logement décent, un emploi suffisamment rémunérateur et à conquérir le pouvoir politique pour y parvenir. Un combat mené au quotidien visant à trouver des solutions concrètes pour survivre, qui fut largement mené par les femmes.

La mort d’Eric Garner, tué par étranglement par un policier blanc de New York  alors qu’il vendait des cigarettes à la sauvette, celle de Michael Brown à Ferguson en 2014, ont ouvert une plaie jamais ferméee cette histoire inachevée, nous rappelle l’auteur dans son épilogue.

 JMDH

Ed. La Découverte 24,50 euros

Source : La Marseillaise 20/12/2016

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Le Conseil constitutionnel ne censure pas le prélèvement de l’impôt à la source

THOMAS SAMSON / AFP

THOMAS SAMSON / AFP

Certaines dispositions du projet de loi de finances pour 2017 ont été rejetées, comme la « taxe Google », relative aux bénéfices de multinationales exerçant des activités en France.

Le Conseil constitutionnel a écarté, jeudi 29 décembre, les griefs des parlementaires sur le prélèvement de l’impôt à la source, sans pour autant donner son blanc-seing à cette mesure phare du budget 2017, et a censuré la « taxe Google » relative aux bénéfices de multinationales exerçant des activités en France.

Saisi par plus de soixante sénateurs et plus de soixante députés, le Conseil s’est prononcé sur seize articles du projet de loi de finances pour 2017.

Sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, réforme majeure de ce texte budgétaire qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2018, les conseillers ne se sont prononcés que sur quatre points de la mesure, et ne les ont pas censurés. Dans le détail, ils ont jugé que les dispositions de l’article n’étaient « pas inintelligibles », ce que faisaient valoir les parlementaires.

Respect de la vie privée

Rien n’empêche donc la mise en place de la mesure, mais les membres du Conseil ont souligné que d’autres dispositions du prélèvement de l’impôt à la source, sur lesquelles ils n’avaient pas été saisis, pourraient à l’avenir faire « l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité ».

Ils ont aussi estimé que, « compte tenu de l’option ouverte aux contribuables leur permettant de choisir un taux par défaut qui ne révèle pas à leur employeur le taux d’imposition du foyer, le législateur [n’avait] pas méconnu le droit au respect de la vie privée ».

Par ailleurs, « des mesures spécifiques sont prévues, s’agissant des dirigeants d’entreprise, pour éviter qu’ils puissent procéder à des arbitrages destinés à tirer parti de l’année de transition ».

Censure de la « taxe Google »

Enfin, le Conseil juge que les entreprises ne joueront qu’un « rôle de collecte », le recouvrement continuant d’être assuré par l’Etat, et qu’elles n’auront donc pas à être indemnisées à ce titre.

Le texte, qui a donné lieu à de vives passes d’armes à l’Assemblée et en commission, a été définitivement adopté le 20 décembre à l’Assemblée nationale, mais la droite a d’ores et déjà annoncé qu’en cas d’alternance, elle reviendrait sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Jeudi, le Conseil a censuré une autre mesure phare, l’article instaurant une « taxe Google », qui visait à renforcer la taxation des bénéfices détournés par les multinationales sur leur activité réalisée en France.

Les conseillers ont rejeté cette disposition au motif que l’administration fiscale ne peut avoir « le pouvoir de choisir les contribuables qui doivent ou non entrer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés ». Le gouvernement avait émis des réserves sur cet amendement introduit par Yann Galut (PS).

Source : Le Monde.fr avec AFP 29/12/2016

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