Finance Europe : les quatorze banques à surveiller de près

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Pour le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) Luis de Guindos, une douzaine de banques de la zone euro ne seraient pas suffisamment capables de soutenir une crise d’importance. Elles représentent « une zone de vulnérabilité » et vont faire l’objet d’une surveillance attentive. Il faut y ajouter deux banques britanniques pour obtenir le panorama des établissements européens qui posent problème selon les critères des régulateurs.

S’il y avait une nouvelle crise

Le commentaire de Luis de Guindos fait suite à la publication début novembre par l’Autorité bancaire européenne (EBA) des résultats de ses derniers « stress tests ». Comme n’importe quelle entreprise, les banques en difficulté épongent leurs pertes grâce à leur capital, ce que leur apportent leurs actionnaires.

L’EBA cherche donc à tester si en cas de situation de stress, soit une récession forte accompagnée de turbulences sur les marchés financiers, les banques auraient assez de capital pour faire face.

Or, pour douze établissements de la zone euro, plus deux britanniques, le niveau actuel de leur capital apparaît insuffisant.

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Trois éléments d’inquiétude

Ce résultat est inquiétant à plusieurs titres. Les banques en question sont réparties dans sept pays européens (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Irlande, Italie, Royaume-Uni), multipliant ainsi les points de fragilité.

De plus, selon la dernière liste établie mi-novembre par le Conseil de stabilité financière, en charge de la coordination de la régulation financière au niveau mondial, sur les quatorze établissements, quatre sont considérés comme « systémiques », c’est-à-dire dont les déboires individuels sont susceptibles de provoquer une crise nationale ou mondiale, Ainsi, BNP Paribas, Deutsche Bank, Barclays et Société générale, respectivement, deuxième, quatrième, sixième et septième plus grosses banques européennes ne disposent pas, selon les calculs de l’EBA, d’un niveau de capitalisation suffisant pour leur permettre d’absorber les pertes issues d’une crise sévère tout en conservant la confiance des investisseurs. Dans une telle situation, leur niveau de capital actuel ne garantit pas leur survie.

Enfin, on peut s’interroger sur le niveau de risque tel qu’il a été énoncé par Luis de Guindos. Ce dernier pointe en position délicate des établissements qui, du fait d’une crise, se retrouveraient avec un capital inférieur à 9 % des activités de la banque – pondérées par le niveau de risque de chaque activité –, signe que leur niveau de capital initial, avant la crise, était insuffisant. Mais que signifie « insuffisant » ?

Donald Trump, l’assassinat de Jamal Khashoggi et… l’Iran

« Le monde est un endroit très dangereux ! » · Quelques réflexions sur la déclaration de Donald Trump concernant l’assassinat de Jamal Khashoggi, alors que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman s’apprête à se rendre au sommet du G-20 à Buenos-Aires à la fin du mois.

Donald Trump et Mohamed Ben Salman dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, 14 mars 2017. Shealah Craighead

Donald Trump et Mohamed Ben Salman dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, 14 mars 2017. Shealah Craighead

Le président américain Donald Trump vient de rendre publique une déclaration sur l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Sa tache était d’autant plus difficile que le Washington Post avait divulgué des informations selon lesquelles la CIA était convaincue de la culpabilité du prince hériter saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) dans ce crime, ce que confirment toutes les informations rendues disponibles par la Turquie. Ce texte de Donald Trump est un cas d’école. On hésite sur la manière de le qualifier : cynisme, arrogance, mépris de la vérité, mais une chose est sûre, il fera date dans les annales de l’histoire de la diplomatie.

Le titre d’abord : « Le monde est un endroit très dangereux ! » sert, dès le départ, à déplacer le problème qui n’est plus l’assassinat barbare de Khashoggi, mais… l’Iran. C’est d’ailleurs contre ce pays que débute la diatribe du président américain : « L’Iran est responsable d’une guerre sanglante par procuration contre l’Arabie saoudite au Yémen, qui tente de déstabiliser la fragile tentative de démocratie de l’Irak, soutient le groupe terroriste Hezbollah au Liban, soutient le dictateur Bachar Al-Assad en Syrie (qui a tué des millions de ses propres citoyens), et bien plus. De même, les Iraniens ont tué de nombreux Américains et d’autres innocents dans tout le Moyen-Orient. L’Iran déclare ouvertement, et avec une grande force : « Mort à l’Amérique ! » et « Mort à Israël ! » L’Iran est considéré comme « le premier sponsor mondial du terrorisme ». »

On pourrait rappeler bien des faits que le président semble oublier : que c’est l’Arabie saoudite qui a déclenché la guerre contre le Yémen ; que c’est l’intervention américaine en Irak qui a déstabilisé le pays ; que, si les Iraniens ont tué des Américains, ces derniers ont mené une guerre permanente contre leur pays ; que ce sont les États-Unis et Israël seuls qui considèrent l’Iran comme « le premier sponsor du terrorisme », etc. Mais nous savons que le président américain n’est ni un connaisseur de l’histoire de la région, ni un expert en géopolitique. On peut cependant insister sur un point : à l’heure où Trump tente de mobiliser le monde arabe et Israël contre l’Iran, un pays qui symboliserait « le Mal », il aura du mal à se réclamer d’une quelconque « supériorité morale » sur son adversaire s’il entérine la politique saoudienne. Même s’il sait pouvoir compter sur les cercles pro-israéliens à Washington et sur le gouvernement de Tel-Aviv qui ont été, depuis deux mois, les plus fermes soutiens de MBS.

Or c’est ce qu’il fait tout au long de son texte. Il affirme ainsi, contre toute vraisemblance, que l’Arabie « se retirerait volontiers du Yémen si les Iraniens acceptaient de partir ». Il est inutile de revenir longuement sur ce mensonge, sur la manière dont l’Arabie et ses alliés ont déclenché une guerre d’agression, détruit le pays, visé les civils, affamé sa population. Ni sur le fait que l’implication réelle mais limitée des Iraniens au Yémen est venue en réponse à cette intervention, les houthistes se cherchant des alliés.

Mais Trump se veut « réaliste », soucieux des intérêts économiques des États-Unis. Il insiste sur le fait que l’Arabie saoudite aurait accepté, après sa visite à ce pays en 2017, d’acheter pour 450 milliards de dollars (395 milliards d’euros) de produits américains, dont 110 (96 milliards d’euros) en matériels militaires. Mais tous ces chiffres ont été gonflés, la presse américaine l’a démontré à plusieurs reprises. Ils incluent des contrats signés sous la présidence Obama, comme de simples déclarations d’intention. Et Trump a aussi avancé des chiffres fantaisistes sur le nombre d’emplois que cela représenterait pour les États-Unis, allant jusqu’à un million — toute l’industrie de l’armement emploie moins de 400 000 personnes ! Fake news comme dirait Trump. Et même ces chiffres justifient-ils un appui inconditionnel à Riyad ?

« Notre pays n’approuve pas » ce crime

Il est significatif que le jour même où Trump faisait cette déclaration, Human Rights Watch révélait, dans un communiqué, que des actes de torture avaient été pratiqués contre les Saoudiennes arrêtées récemment — pratique il est vrai courante dans le royaume. Qu’importe toutes ces bavures, du moment que l’Arabie est « notre alliée » contre l’Iran, pays auquel le président américain a décidé de déclarer la guerre ! Comme le disait le président Franklin D. Roosevelt à propos du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza, « c’est peut-être un fils de p…, mais c’est notre fils de p… » Et on se souvient du soutien des États-Unis au régime du chah en Iran.

C’est dans cette perspective que Trump analyse le crime contre Khashoggi : « Notre pays ne l’approuve pas. » Ne l’approuve pas ? Un peu faible comme condamnation. Et Trump reprend ensuite les allégations de Riyad selon lesquelles Khashoggi « était un « ennemi de l’État » et un membre des Frères musulmans », des mensonges qui servent à atténuer la portée du crime commis. Et quid de la responsabilité de ce crime ? Là on touche au sublime : « Le roi Salman et le prince héritier Mohamed Ben Salman nient vigoureusement avoir eu connaissance de la planification ou de l’exécution du meurtre de M. Khashoggi. Nos services de renseignement continuent d’évaluer toute l’information, mais il se pourrait très bien que le prince héritier ait eu connaissance de cet événement tragique — peut-être qu’il l’a fait et peut-être pas ! »

Car Trump ne peut pas nier ce qui a fuité dans la presse américaine : la CIA est convaincue de la responsabilité de MBS, mais le président américain la traite comme un détail qui ne doit pas menacer les relations avec l’Arabie. « Ils ont été un grand allié dans notre très importante lutte contre l’Iran. Les États-Unis ont l’intention de rester un partenaire inébranlable de l’Arabie saoudite pour défendre les intérêts de notre pays, d’Israël et de tous les autres partenaires dans la région. Notre objectif primordial est d’éliminer complètement la menace du terrorisme dans le monde entier ! » Et Trump se contentera de punir quelques lampistes désignés par Riyad et dont le crime est d’avoir suivi les instructions de Riyad.

MBS au sommet du G-20 ?

Le Congrès suivra-t-il le président dans cette absolution donnée à la monarchie saoudienne ? Trump écarte à l’avance toute proposition qui ne serait pas « compatible avec la sécurité et la sûreté complètes de l’Amérique ». D’autant que le royaume, ajoute-t-il, a été très réceptif « à mes demandes de maintenir les prix du pétrole à des niveaux raisonnables. » Et de conclure : « J’ai l’intention de veiller à ce que, dans un monde très dangereux, les États-Unis défendent leurs intérêts nationaux et contestent vigoureusement les pays qui veulent nous faire du mal. Très simplement, cela s’appelle l’Amérique d’abord ! » Mais, même d’un point de vue de realpolitik cynique, ce calcul est-il bon ? MBS, en quelques années de pouvoir a déclenché une guerre désastreuse contre le Yémen ; ouvert une crise avec le Qatar ; enlevé le premier ministre libanais ; fait arrêter (et sans aucun doute maltraiter physiquement) des centaines de responsables saoudiens coupables de ne pas lui être totalement fidèles ; intensifié les arrestations contre tous les opposants. Ce prince erratique est-il vraiment un allié fiable des États-Unis ? Beaucoup aux États-Unis, y compris dans les cercles militaires et du renseignement, en doutent.

Après ces déclarations de Trump, on attend avec intérêt la réaction des gouvernements européens. Alors que plusieurs pays ont annoncé leur volonté d’arrêter leurs livraisons d’armes à l’Arabie, la France continue à en fournir, alors que tout prouve qu’elles servent dans la guerre contre le Yémen. Et Paris semble déjà prêt à tourner la page et à poursuivre le partenariat avec un royaume dont la politique contribue aux incendies dans la région. Un premier test sera le sommet du G-20 à Buenos Aires en Argentine (30 novembre-1er décembre) où le prince héritier saoudien a annoncé qu’il se rendrait après son absolution par Trump. Emmanuel Macron acceptera-t-il de lui serrer la main ?

Source. Orient XXI, 21/11/2018

Barrage au Laos : itinéraire d’une tragédie annoncée

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L’effondrement d’un barrage au Laos sur le fleuve Mékong, qui a fait plusieurs dizaines de morts lundi, met en lumière les dangers de la course à l’énergie hydraulique dans laquelle le Laos s’est engagé.

Depuis des années, les organisations de défense de l’environnement mettaient en garde. La course aux barrages sur le Mékong, que ce soit au Laos ou dans les autres pays traversés par ce fleuve long de plus de 4 500 km, n’est pas sans risque.

L’effondrement, lundi 23 juillet, du barrage Saddle Dam D, qui fait partie d’un réseau de barrages en construction à la frontière entre le Laos, le Cambodge et le Vietnam, vient conforter l’avis des opposants à la politique du « tout hydroélectrique » menée par le gouvernement laotien. Les 500 millions de tonnes d’eau qui se sont déversées sur sept villages, causant des dizaines de morts et plus d’une centaine de disparus, « rappelle de la manière la plus dure qui soit à quel point l’option de l’énergie hydraulique pose de multiples dangers », a réagi Marc Goichot, responsable des questions environnementales autour du Mékong pour le WWF.

Pour le Laos, pays le plus pauvre d’Asie du Sud-Est, le Mékong représente depuis longtemps la clef de sa croissance future. Le pays espère, depuis le début des années 1990, devenir le réservoir régional d’électricité. Une série de barrages hydrauliques, tout au long du fleuve, devraient lui permettre d’exporter de l’électricité aussi bien vers la Thaïlande que le Vietnam, le Cambodge ou encore le Myanmar. Le Laos, sous la coupe d’un régime communiste très dur, espère ainsi doper sa croissance en profitant des besoins grandissants en énergie de pays voisins qui, eux, ont déjà ouvert leur économie à l’international depuis longtemps.

Près de 80 millions de kWh d’électricité par an

En 2006, le Laos avait ainsi signé des protocoles d’accord pour la construction de 55 barrages sur le Mékong, et une dizaine de ces projets ont été mis en chantier, souligne un rapport de l’ONG International Rivers sur l’exploitation du Mékong au Laos. Officiellement, ces barrages doivent permettre au Laos d’exploiter une centaine de centrales hydroélectriques d’ici 2020, capables de produire 77 millions de kWh d’électricité par an. Le barrage qui s’est effondré le 23 juillet devait produire de l’électricité dès 2019.

Conséquence indirecte de cette ruée sur les barrages : le pays a commencé à apparaître sur le radar des investisseurs. Les promesses d’un eldorado d’énergie hydraulique ont attiré près de 6,6 milliards de dollars de capitaux étrangers depuis les années 1990, soit plus du tiers de l’investissement direct au Laos sur cette période, rappelle le site sud-coréen d’information Asia Time. Des partenaires avant tout thaïlandais, mais aussi russes ou chinois, ont accepté de financer en grande partie la construction de ces barrages, dans l’espoir d’en retirer des bénéfices futurs.

L’atout de l’énergie hydraulique est tel pour ce pays, qui ne dispose pas de beaucoup d’autres cartes économiques en main, que les petites voix des ONG environnementales étaient inaudibles pour le régime laotien. D’autant plus que « la Banque mondiale et l’Agence américaine pour le développement international ont promu l’hydroélectricité comme une source d’énergie propre et durable », souligne le site spécialisé dans les questions asiatiques The Diplomat.

Mortelle course à l’énergie hydraulique

Mais pour les associations de défense de l’environnement, l’obsession pour l’énergie hydraulique revient tout simplement à tuer le Mékong à petit feu. Chaque nouvel ouvrage, qu’il soit au Laos, au Cambodge ou encore en Chine, transforme davantage le 11e plus long fleuve du monde en succession de réservoirs d’eau.

D’un point de vue écologique, c’est une catastrophe en devenir, dénonce le WWF dans une note de 2016. Près de 60 millions de personnes au Laos, en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam dépendent pour leur nourriture et leur travail de l’extraordinaire richesse en poissons d’eau douce du Mékong. Les barrages vont entraîner une baisse du niveau de l’eau et un débit plus lent, prévient l’ONG. Le fleuve risque de ne plus être suffisamment profond pour permettre à certaines espèces de poissons d’y circuler librement, mettant leur survie en péril.

Les associations dénoncent aussi la logique économique de cette course à l’énergie hydraulique. La plupart des partenariats conclus au Laos au milieu des années 2000 sont venus remplacer ceux que des grands groupes européens et américains avaient abandonnés à la fin des années 1990, lors de l’éclatement de la crise économique en Asie du Sud-Est. Les nouveaux acteurs, thaïlandais ou chinois essentiellement, sont moins regardants sur les conséquences environnementales et sociales des barrages et misent davantage sur la rapidité de construction, déplorent l’ONG International Rivers. Elle souligne, ainsi, que le consortium en charge du projet d’un milliard de dollars où a eu lieu la catastrophe du 23 juillet, a ignoré de façon répétée les populations locales, qui demandaient à être consultées et informées sur les travaux.

Les conséquences du réchauffement climatique n’auraient pas non plus été prises suffisamment en compte lors de la conception des barrages, craignent ces opposants. Le Saddle Dam D n’aurait ainsi pas résisté à la violence de la mousson cette année. « Mais les événements climatiques extrêmes comme celui-ci vont justement devenir de plus en plus fréquents à cause du réchauffement climatique, et les financiers et opérateurs de ces barrages doivent de toute urgence réévaluer la capacité de leur ouvrage à y faire face », souligne International Rivers. Sans cela, des tragédies similaires risquent de se reproduire et le rêve d’une croissance dopée à l’exportation d’énergie « propre » se transformerait en cauchemar d’un modèle économique mortel pour les habitants.

Sébastian SEIBT

Source France 24 25/07/2018

Les généraux ouvrent la succession du président Abdelaziz Bouteflika

 Palais présidentiel d’El Mouradia, Alger. DR


Palais présidentiel d’El Mouradia, Alger.
DR

Alors que s’approche l’heure de l’échéance présidentielle, coups bas, manœuvres et arrestations marquent les luttes pour la succession en Algérie. Et l’armée met tout son poids dans la balance.

 En à peine huit jours, l’Algérie a vu partir les deux responsables de ses considérables « services de sécurité » suivant la terminologie officielle, ceux qui tiennent le pays. Le 26 juin, le général-major Abdelghani Hamel, en poste depuis 2010 à la tête de la sûreté nationale (200 000 hommes) et champion de la famille Bouteflika est débarqué sans explication et remplacé par un octogénaire spécialiste de la protection civile, Mustapha Lahbiri. Le 4 juillet, c’est au tour du général-major Menad Nouba, patron de la gendarmerie (environ 180 000 hommes) d’être remercié après trois ans de fonction au profit de son chef d’état-major, le général Ghali Beleksir.

 

Une affaire de drogue

À l’origine de ce tremblement de terre sécuritaire, une affaire de drogue en pleine préparation de la prochaine élection présidentielle du printemps 2019. Elle a déclenché ce qui ressemble de plus en plus à une épuration, dirigée par des militaires contre de nombreux responsables, banquiers, hommes d’affaires ou encore contre le directeur central du personnel et celui des finances du ministère de la défense. Le 28 mai, des enquêteurs du Service national des garde-côtes (qui relève du vice-ministre de la défense, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah) perquisitionnent un navire en provenance d’Espagne chargé d’une cargaison de viande brésilienne et y découvrent 701 kg de cocaïne. Le renseignement serait venu de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine, très présente en Amérique latine, via les services espagnols ou français.

Immédiatement, le propriétaire de la viande, Kamel Chikhi, dit « Kamel le boucher », est interpellé avec ses frères. Il est également le plus gros promoteur immobilier d’Alger, spécialisé dans les beaux quartiers où il remplace de ravissantes villas coloniales par des buildings sans grâce. De nombreuses autres personnes en lien plus ou moins direct avec ses multiples activités sont interrogées sur leurs rapports avec ce proche de Saïd Bouteflika, le frère du président. Parmi elles, le chauffeur personnel du général Abdelghani Hamel, courroucé que ses services aient été tenus hors du coup. Propriétaire d’une annexe du port d’Oran, son fils est interrogé plusieurs heures et le chef de la police d’Alger, un de ses proches, est limogé le jour même de son départ par le nouveau directeur général.

Qui contrôlera le club des Pins ?

L’enquête de la gendarmerie se porte bientôt sur un autre lieu de pouvoir : le club des Pins, une résidence d’État sécurisée où plusieurs centaines de villas sont habitées par des responsables officiels, actuels ou en retraite (ministres, généraux, hauts fonctionnaires…). Son directeur Hamid Melzi, « nommé par erreur et maintenu par oubli », puissant et entreprenant — il dirige au moins cinq grands hôtels à Alger, Oran, Tlemcen… — a résisté victorieusement à son renvoi en 2013 et à une demande de commission d’enquête parlementaire du Front de libération nationale (FLN), le parti majoritaire au Parlement.

La gendarmerie qui garde nuit et jour l’enceinte de la résidence a tenté dans le passé de lui disputer ce fief de l’oligarchie algérienne où des « fils de » se livrent dans l’impunité à tous les trafics, dont la drogue. En vain. Finalement, fort de l’appui du premier ministre Ahmed Ouyahia et surtout du général Mohamed Lamine Mediène dit « Toufik » (le redoutable patron des services secrets jusqu’à 2013), Melzi était sur le point de faire nommer un de ses proches à la tête de la gendarmerie du club des Pins quand le général-major Nouba a été limogé, sans doute à cause de sa complaisance, mais aussi et surtout parce que les militaires voulaient déléguer l’enquête sur l’affaire des 701 kg de cocaïne à quelqu’un de confiance.

La présidence a tenté de réagir. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ont appelé à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, suivis par des micropartis et des organisations squelettiques. Un décret a déclaré le club des Pins propriété d’État, et à ce titre incessible ; une agitation dérisoire plus qu’une contre-attaque. Pour la famille Bouteflika, le limogeage du général-major Hamel est un coup dur. Cet ingénieur de formation, retraité, à la tête d’une petite armée, et qui reçoit volontiers chez lui ministres et responsables ne cachait pas ses ambitions. Il aurait assuré la famille, s’il était désigné, qu’elle ne serait victime d’aucune chasse aux sorcières — une spécialité de la vie politique algérienne. C’est le deuxième champion des Bouteflika qui est disqualifié après l’ancien ministre de l’énergie Chakib Khelil, victime d’une campagne de presse pour une affaire de corruption en cours de jugement en Italie.

Depuis plus d’un demi-siècle en Algérie, les militaires s’imposent et imposent leurs vues aux civils. En 1954, ce sont les partisans de l’insurrection qui prennent l’initiative. En 1957, un an après le congrès de la Soummam de l’été 1956 qui déclare la prééminence des politiques sur les militaires, les colonels s’emparent à nouveau du pouvoir qu’ils n’abandonneront plus jamais. Aujourd’hui, les généraux préparent l’après-Bouteflika. Diminué, le président âgé de 81 ans n’est plus une solution d’avenir ; la succession s’impose tôt ou tard et le processus a déjà commencé.

À la manœuvre, le général Gaïd Salah, soutenu par les chefs des régions militaires et omniprésent dans les média. Il a lui-même résisté à une mise à la retraite d’office, renvoyant le porteur de la lettre présidentielle et exigeant que Bouteflika lui-même lui annonce son congé. Il ne s’est rien passé. Le samedi 30 juin, à l’école militaire de Cherchell, lieu de formation des officiers de l’armée algérienne, il a dans son discours repris deux thèmes : « Le dessein abject que le colonisateur n’a pu atteindre sur la terre d’Algérie ne peut et ne pourra être atteint pas personne… L’Algérie est au-dessus de tout. »

Opposition à une intervention contre les Touaregs

La classe politique a vite décrypté le discours de Cherchell : l’étranger veut nous imposer des décisions que nous refusons et l’armée est au-dessus de tout le reste en Algérie.

Sur le premier point, le débat porte sur le Sahel. Paris ne cache pas son impatience devant le refus d’Alger d’intervenir militairement pour mettre un terme à la rébellion touareg qui déchire la région pratiquement depuis l’indépendance du Mali en 1960. « C’est à cause de l’Algérie si la guerre n’a pas encore pris fin », aurait déclaré en privé le président Emmanuel Macron au sommet africain de Nouakchott le 2 juillet. Depuis décembre 2017, il ne s’est pas rendu à Alger et a remis aux calendes grecques son projet de visite officielle.

Le refus algérien d’une intervention extérieure a des sources intérieures : l’armée ne veut pas combattre les Touaregs maliens parce qu’une importante population touareg occupe une grande partie de la « jupe saharienne » de l’Algérie. Cette population a un contentieux, surtout économique et social, avec le nord du pays. Pas question d’y ajouter un litige politique et de s’engager dans une aventure qui risque de se retourner contre elle. Le précédent catastrophique de la guerre de l’OTAN en Libye en 2011 est régulièrement invoqué à Alger pour s’opposer à la demande française d’intervention algérienne.

L’autre grief porte sur les migrants originaires d’Afrique subsaharienne. Comme Rabat et Tunis, Alger refuse de laisser s’installer sur son sol des hotspots, ces camps de la honte que l’Union européenne s’entête à localiser en dehors de chez elle. Le gouvernement expulse sans complexe les Africains (15 000 en quelques mois) au nom d’un accord avec le Niger. Ce pays ne fait pas trop le tri entre ses ressortissants, redevables de l’accord, et les autres Africains qui lui sont expédiés d’office. Les compagnies algériennes d’autobus ont interdiction de prendre à leur bord les réfugiés. Ceux-ci doivent traverser à pied l’immensité saharienne en direction de la Méditerranée.

« Ils sont payés pour m’insulter »

Le deuxième propos est limpide : dans la succession qui s’engage, l’armée — qui s’identifie traditionnellement à l’Algérie — sera présente et aura le dernier mot. Parmi les candidats susceptibles de briguer la présidence de la République en 2019, le premier ministre Ahmed Ouhiaya passe pour être le mieux disposé à l’égard des thèses françaises. Il a été reçu deux fois en un mois par Emmanuel Macron à Paris et à Nouakchott à l’occasion de conférences internationales sur le Sahel et l’Afrique. Dans le climat de tension, de rumeurs, d’opacité et de panique qui plus que jamais pèse sur le microcosme algérois en plein désarroi, il suscite de nombreuses oppositions. On lui reproche à la fois d’être lié au « parti de l’argent » largement bénéficiaire des presque vingt ans de règne de Bouteflika ; d’avoir le soutien de ce qui reste des réseaux du général Tewfik ; et enfin d’appartenir à la minorité kabyle qui s’est révoltée à deux reprises (en 1980 et en 2000) contre le régime. Il est régulièrement sifflé au stade quand il assiste à un match de football et ne s’en émeut guère : « ils sont payés pour m’insulter », commente-t-il devant la presse.

Jusqu’à une période récente, l’armée lui préférait le général de corps d’armée Ben Ali Ben Ali, commandant de la garde républicaine. Mais, atteint d’une grave maladie,ce dernier est indisponible pour un long moment. Washington, de son côté, affiche profil bas ; le 28 juin dernier à Alger, le secrétaire d’État adjoint, John J. Sullivan, un républicain à la mode Trump, l’a dit publiquement : « Les États-Unis ne soutiennent pas un candidat précis. » Les Russes voient les choses d’encore plus loin, dans la mesure où le Kremlin n’a pas de base militaire dans le pays comme en Syrie et que sa place de fournisseur d’armes n’est pas menacée comme en Libye.

Alors, des scénarios sont élaborés dans les salons de la bonne société algéroise. L’un d’eux, appuyé par le garde des sceaux Tayeb Louh, passe par une réforme de la Constitution qui créerait un poste de vice-président. En 2019, il y aurait donc un compromis, avec un ticket Bouteflika plus une personnalité à trouver. Parmi les noms qui circulent, celui de Lakhdar Brahimi, ancien ministre des affaires étrangères et survivant de la génération des diplomates militants de la guerre d’Algérie. Bien introduit sur la scène internationale, il a occupé de hautes fonctions aux Nations unies et peut rendre des services à un régime trop isolé en ces temps incertains. Octogénaire, il a le profil d’un pape de transition.

À moins qu’une délégation de généraux n’aille à Zeralda ce mois-ci après avoir consciencieusement asséché le pool des prétendants, pour demander au président Bouteflika de désigner lui-même son successeur… sans compromis.

Jean-Pierre Séréni

Stratégie Alstom : les errances de l’Etat actionnaire

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C’est l’histoire du démantèlement progressif d’un fleuron industriel français : hier numéro un mondial dans plusieurs secteurs stratégiques comme les centrales électriques ou le train à grande vitesse, Alstom est en passe aujourd’hui de voir sa dernière activité passer sous contrôle étranger. Comment a-t-on bien pu en arriver là ? C’est ce qu’ont cherché à comprendre une mission d’information au Sénat et une commission d’enquête à l’Assemblée, qui se sont penchées en particulier sur le rôle des pouvoirs publics dans cette affaire.

« Si l’on est arrivé à une telle défaillance de l’Etat à protéger ses intérêts fondamentaux, c’est par cécité, imprévision et entre-soi », résume le député d’Eure-et-Loir (LR) Olivier Marleix, président de la commission. Retour sur les carences de l’Etat stratège à travers deux épisodes récents emblématiques de l’histoire d’Alstom : la vente de la branche énergie à General Electric en 2014 et la cession programmée de celle du ferroviaire à Siemens.

Une longue histoire

La cession de l’équipementier des centrales nucléaires puis celle du fabricant de TGV ne sont que l’épilogue d’un processus commencé il y a vingt ans. En 1998, le conglomérat industriel, issu du rapprochement dans les années 1960 entre Alsthom et la Compagnie générale d’électricité, se scinde en deux. D’un côté, Alcatel, spécialisée dans les télécommunications, dont l’histoire sera jalonnée d’échecs jusqu’à son rachat en 2015 par le finlandais Nokia. De l’autre, Alstom, qui se séparera à son tour en 2006 de son activité de construction navale, les fameux Chantiers de l’Atlantique, qui appartiennent désormais à l’italien Fincantieri.

Ces choix stratégiques opérés par les directions successives d’Alstom n’ont pas tous été inspirés, loin s’en faut. Mais ce qui pose question, c’est l’attitude des pouvoirs publics. L’État était en mesure de peser, par le biais de la commande publique, sur la stratégie du groupe, dont ses métiers sont très dépendants. Mais aussi directement, lorsqu’il a été présent, à deux reprises, à son capital. En 2004 d’abord, quand il est entré au capital de l’entreprise pour lui éviter la faillite, puis à nouveau de 2014 à fin 2017, lors de la vente de la branche énergie.

Cette cession a longtemps été analysée comme une trahison de la direction d’Alstom, qui aurait mis Bercy devant le fait accompli. Le rapport de la commission d’enquête avance une autre lecture : l’opération se serait faite sous la houlette du secrétaire général adjoint de la présidence de la République de l’époque, un certain… Emmanuel Macron. Et ce, sans même en référer à son supérieur direct, Pierre-René Lemas, ni même à François Hollande !

Promesses non tenues

Au moment de la vente à General Electric (GE), le ministre de l’Économie d’alors, Arnaud Montebourg, a tout de même arraché des contreparties. Tout d’abord, le retour de l’État au capital d’Alstom : il a exigé de Bouygues, premier actionnaire, qu’il lui prête une partie de ses actions, correspondant à 20 % du capital, en se réservant la possibilité de les lui acheter à terme. Ensuite, la création de trois entreprises communes à Alstom et GE. Enfin, l’américain s’est engagé à créer 1 000 emplois en France d’ici à la fin 2018. A la veille de la date d’échéance de cet accord, fin 2018, il ne reste presque rien de ces engagements. L’État a rendu ses actions à Bouygues à la fin 2017, sans utiliser son option d’achat, et Alstom a signé un accord en mai avec General Electric pour sortir, dès cet automne, des trois co-entreprises. Les objectifs de créations d’emplois semblent, quant à eux, inatteignables, puisqu’on n’en comptait que 323 en avril 2018. Et l’avenir est inquiétant : le conglomérat américain est engagé dans un vaste plan de suppressions de postes visant à diminuer ses effectifs au niveau mondial de 20 %. Il entend supprimer 4 500 postes en Europe. Si la France est relativement épargnée pour l’instant, c’est en partie grâce à l’accord de 2014. Or, ce dernier se termine à la fin de l’année.

Face à cette impuissance de l’État à faire respecter des engagements à certains grands groupes, les parlementaires estiment plus judicieux de négocier des accords dont la sortie est progressive, à la place d’une date butoir. Surtout, ils demandent des sanctions financières dissuasives en cas de non-respect des engagements. Le gouvernement semble prêt à s’engager dans cette voie : il a annoncé début juin qu’il appliquerait fin 2018 à GE la pénalité prévue dans le contrat de vente de la branche énergie d’Alstom, soit 50 000 euros par emploi manquant par rapport à l’objectif des 1 000 créations nettes d’emploi.

Face à un tel bilan, nombreux sont ceux qui appréhendent une répétition du scénario avec la cession de l’activité ferroviaire d’Alstom à son concurrent allemand Siemens, qui devrait être bouclée en fin d’année. Si les protagonistes de la fusion la justifient par la mise en place d’un « Airbus du ferroviaire », la nouvelle structure est en réalité bien éloignée du projet politico-industriel du constructeur aéronautique. Certes, la future entité gardera son siège social en France et sera dirigée par l’actuel PDG français d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge. Il n’en reste pas moins que Siemens disposera de la majorité des sièges au conseil d’administration avec seulement 50 % du capital de la nouvelle structure, et qu’il pourra accroître sa participation dans les prochaines années. « C’est un cadeau immense à Siemens, considère le sénateur du Doubs (PS) Martial Bourquin. Alstom est cédée pour zéro euro. » Ce n’est en effet pas une vente, puisque Siemens ne rachète pas Alstom, mais une fusion de deux groupes avec le contrôle de l’instance suprême de gouvernance confié à Siemens.

« Siemens prend le contrôle de nos brevets, de nos compétences, de notre carnet de commandes rempli sur plusieurs années, de notre trésorerie, le tout sans rien dépenser », déplore Boris Amoroz, délégué syndical central CGT d’Alstom. « Un rapprochement plus équilibré et plus favorable aux intérêts français était possible », estime de son côté Martial Bourquin, qui met en avant d’autres solutions comme la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) ou d’une filiale commune.

Un risque pour l’emploi en France

L’enjeu, désormais, c’est la pérennité des treize sites français d’Alstom et l’avenir de leurs 8 500 salariés. Leurs syndicats redoutent que Siemens privilégie les sites et les emplois en Allemagne plutôt qu’en France. Et ce, malgré les engagements pris par Alstom et Siemens auprès du gouvernement français. « Aucun départ contraint ni aucune fermeture de site ne pourra avoir lieu dans les deux pays [France et Allemagne, NDLR] jusqu’en 2023 au moins », a indiqué Bruno Le Maire. Le contenu exact de l’accord est cependant tenu secret et même les syndicats n’y ont pas eu accès. Le parlementaire Martial Bourquin, qui a pu le consulter, déplore l’absence de véritables garanties et de pénalités en cas de non-respect. En outre, la direction de l’entreprise dispose d’autres moyens que les « départs contraints » pour supprimer des postes, qu’il s’agisse des plans de départ volontaire ou des ruptures conventionnelles collectives, mises en place en 2017 par les ordonnances travail.

Par ailleurs, cet accord ne couvre qu’une période de quatre à cinq ans d’activité qui était déjà assurée pour Alstom grâce à son carnet de commandes bien rempli. Les craintes sur le maintien de l’emploi en France portent donc sur la période après 2022. D’autant « qu’il y a eu un accord entre le syndicat allemand IG Metall et Siemens sur le maintien de l’emploi en Allemagne », précise Patrick de Cara, délégué syndical CFDT. Un engagement qui inquiète les syndicats français, car ces derniers n’ont rien signé d’équivalent avec les directions d’Alstom ou de Siemens.

Les premières conséquences sociales devraient cependant se faire sentir ailleurs, dans les rangs des fournisseurs des deux entreprises. Une partie des 4 500 entreprises sous-traitantes d’Alstom, employant au total 27 000 salariés, risque d’être inquiétée lors de l’uniformisation des fournisseurs de la nouvelle entité. Ainsi, si les modules de commande se font désormais aux normes établies par Siemens, il est à redouter que cela profite à des sous-traitants outre-Rhin.

Tout ceci nourrit les critiques d’un accord très déséquilibré et aux objectifs mal définis. L’intersyndicale (FO, CFDT, CFE-CGC, CGT) s’y est d’ailleurs opposée en critiquant « un projet uniquement politique et financier, sans aucune stratégie industrielle ». « Si l’idée de se rapprocher d’un acteur européen a du sens, cet accord est uniquement capitalistique, c’est juste être plus gros », pense le sénateur Martial Bourquin.

Une bonne affaire pour Bouygues

« Dans ce dossier, l’État n’a pas rempli son rôle », ajoute-t-il. Une plainte visant les pouvoirs publics a d’ailleurs été déposée par Anticor. L’association reproche à l’État de ne pas avoir utilisé l’option d’achat sur les parts de Bouygues, « le privant d’un gain de 350 millions d’euros ». Si l’État est perdant, Bouygues, le premier actionnaire d’Alstom avec 28 % du capital, réalise une très belle opération. Il devrait en effet toucher jusqu’à 500 millions d’euros en prime de contrôle et dividendes exceptionnels du fait de la cession à Siemens. Le groupe de BTP et de médias a enregistré des gains financiers à chaque étape du démantèlement d’Alstom, puisqu’il avait déjà touché 900 millions d’euros après la vente de la branche énergie à General Electric. L’accord avec Siemens arrange les affaires de Bouygues, qui ne cache pas sa volonté de sortir du capital d’Alstom depuis plusieurs années : ce rapprochement devrait lui permettre de revendre ses actions à bon prix. En effet, depuis l’annonce de l’accord, le cours de l’action d’Alstom a bondi d’environ 30 %. Négligence ou connivence, l’État donne ainsi l’impression d’avoir privilégié les intérêts du premier actionnaire d’Alstom, au détriment d’une stratégie industrielle de long terme.

Justin Delépine

En 2004, Alstom a frôlé la faillite. Sous-capitalisée à la suite de son divorce d’avec Alcatel, l’entreprise a connu une crise de liquidités liée à la nature de son activité. En effet, dans les secteurs du transport et de l’énergie, les ressources financières devancent la production, qui est par nature longue à réaliser. Mais quand les commandes diminuent, et donc que les avances financières des clients se font plus rares, les coûts pour la production des commandes passées doivent toujours être supportés, ce qui met à mal la trésorerie. En manque de liquidités, l’entreprise a davantage de difficultés à convaincre de nouveaux clients. Un cercle vicieux. A la suite d’un retournement du marché en 2003-2004, Alstom s’est retrouvée dans cette situation et a dû faire appel à l’Etat, qui a injecté 720 millions d’euros dans l’entreprise, afin de lui permettre de traverser ce trou d’air.

 

  • 2004 Face au risque de faillite du groupe, l’Etat entre au capital d’Alstom en en acquérant 21 %, pour un coût de 720 millions d’euros.
  • 2006 L’Etat sort du capital d’Alstom en cédant ses parts à Bouygues pour 2 milliards d’euros.
  • 2014 Alstom vend sa branche énergie à General Electric pour 12 milliards d’euros. Au travers d’un prêt d’actions de Bouygues, l’Etat contrôle 20 % du capital d’Alstom.
  • 2017 Accord pour la fusion Alstom-Siemens. L’Etat annonce ne pas utiliser ses options d’achat sur les actions de Bouygues et sort donc du capital.

Voir aussi : Rubrique Affaires, Alstom vendu aux Américains : retour sur les dessous d’un scandale,