Histoire. Culture du mouvement noir américain et activisme social

Livre

9782707175502Avec  Black America, l’historienne des Etats-Unis Caroline  Rolland-Diamond propose une analyse globale des mouvements de revendications noirs américains depuis l’émancipation des esclaves jusqu’à nos jours, en redonnant toute leur place aux acteurs et actrices anonymes. Elle éclaire notamment les forces quoditiennes  sociale et féminine de la résistance sur un temps long.

L’histoire institutionnelle du mouvement noir américain peut se résumer en quelques dates. 1619, arrivée des vingt premiers esclaves africains dans la colonie britannique de Virginie. L’esclavage qui occupe une position centrale dans l’organisation sociale et économique du Sud, se prolonge après l’indépendance des Etats-Unis, en 1776, jusqu’à la guerre de Sécession 1861/1865.

Après l’émancipation des esclaves débute la période de  Reconstruction du Sud (1865- 1877) durant laquelle les affranchis peuvent jouir de leurs droits civiques sous protection militaire. Mais cela ne permet pas d’établir les bases de l’égalité. En 1954 la Cour suprême déclare la ségrégation  inconstitutionnelle et moralement indéfendable.

En 1964, le pays met un terme à la ségrégation légale. Un an plus tard  le droit de vote est institué  pour les Africains -Américains du Sud.  Cette histoire officielle a figé dans la mémoire collective les grandes figures que sont  : Rosa Parks, Martin Luther King et Malcom X qui résumeraient à eux seuls le long combat des Noirs américains pour l’égalité.

Le bon Martin et le vil Malcom

imagesSpécialiste des mouvements sociaux américains, Caroline Rolland-Diamond, inscrit son travail dans le prolongement de l’historiographie des année 1980 et 1990 qui a contesté le mythe de la période héroïque (1954-1965) permettant l’idéalisation d’une Amérique libérale indifférente à la couleur de la peau « dans les bonnes année 1960 » aux dépens de la décennie suivante 1965-1975 perçue comme radicale et incarnée par le Black Panther Party.

Cette nouvelle analyse a permis de montrer que le mouvement des droits civiques provenait des institutions noires qui rendirent possible la mobilisation de masse dès les années 50. Elle a aussi souligné le rôle déterminant des militants inconnus de la classe ouvrière. « Et par là même elle a pu réintroduire  les luttes sociales et économiques des Noirs occultées par la conception étroite des droits civiques », souligne Caroline Rolland-Diamond.

Le temps long de l’ histoire

Lynchage de trois Africains -Américains accusés du viol d’une femme blanche, à Duluth (Minnesota) le 15 juin 1920 Crédit Photo library of Congress

Lynchage de trois Africains -Américains accusés du viol d’une femme blanche, à Duluth (Minnesota) le 15 juin 1920 Crédit Photo library of Congress

En remontant à l’émancipation des esclaves en 1865, l’historienne à l’Université Paris-Ouest-Nanterre met en perspective deux grandes traditions de mobilisation individuelle et collective des Noirs : la tradition libérale  s’appuyant sur les institutions nationales pour revendiquer l’égalité, et la tradition radicale qui critique ces institutions et réclame une transformation profonde de l’économie et de la société américaines.

Ce faisant l’auteur s’attache aussi à redonner leur place aux femmes noires américaines. Tout au long de  cette histoire, organisée en sept chapitres chronologiques, une part importante de l’activisme consiste à obtenir un logement décent, un emploi suffisamment rémunérateur et à conquérir le pouvoir politique pour y parvenir. Un combat mené au quotidien visant à trouver des solutions concrètes pour survivre, qui fut largement mené par les femmes.

La mort d’Eric Garner, tué par étranglement par un policier blanc de New York  alors qu’il vendait des cigarettes à la sauvette, celle de Michael Brown à Ferguson en 2014, ont ouvert une plaie jamais ferméee cette histoire inachevée, nous rappelle l’auteur dans son épilogue.

 JMDH

Ed. La Découverte 24,50 euros

Source : La Marseillaise 20/12/2016

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Afrique, rubrique Livre, Comédie du Livre une fenêtre sur l’Afrique, Afrique 50 les colonies en héritage, rubrique Etats-Unis, “Strange Fruit”, et Billie Holiday suspendit l’Histoire, Les lumières noires de Harlem en mémoireSociété, Mouvements sociaux,

JO de 1968 : deux poings levés… et un troisième homme, acteur lui aussi

(Anonymous/AP/SIPA)

(Anonymous/AP/SIPA)

Ces photos mythiques qui ont marqué l’histoire – Aujourd’hui, les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968.

 

Un geste de défi

 

1968, année césure. Même si l’événement se veut apolitique, les Jeux olympiques de Mexico ne sont pas épargnés par la bourrasque de révolte qui souffle alors. Sur cette photo, restée gravée dans les esprits, deux des trois gagnants de la très prisée épreuve du 200 mètres brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol.

Il s’agit de Tommie Smith et de John Carlos, respectivement premier et troisième, qui s’érigent ce jour-là contre le racisme et l’exclusion dont sont toujours victimes les afro-américains aux Etats-Unis. Le geste en soi peut sembler banal. Mais ce 17 octobre 1968, les deux athlètes défient leur pays et la bienséance des Jeux sous les caméras du monde entier, par ce triomphe honteux et accusatoire. Le scandale sera immédiat, et les sanctions aussi cinglantes que l’écho.

« Dénoncer l’injustice »

 

La ségrégation, théoriquement abolie en 1964 par le Civil Rights Act, est encore bien présente dans les mentalités en 1968. L’intolérance et les crimes racistes empoisonnent toujours l’intégration de la communauté noire : le 4 avril, soit cinq mois avant les JO, Martin Luther King est assassiné, et une énième vague d’émeutes embrase le pays qui semble éternellement promis à la violence. Il y a une quarantaine de morts.

Tommie Smith et John Carlos, s’ils n’appartiennent pas de fait à l’un des groupes du Black Power, en deviennent les emblèmes. Ce fameux poing levé, ceint de noir, est en fait l’apanage d’une des formations les plus actives et radicales de l’époque, le Black Panther Party. Et si c’est ce geste qui laissera l’opinion bouche bée, les athlètes ne s’en sont pas contentés. Leur regard, qui se détourne du drapeau américain pendant que l’hymne national retentit fièrement, guide le nôtre vers leurs pieds drapés de longues chaussettes noires.

Ceci, énoncera Tommie Smith, « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ». Pareillement, le foulard qu’il porte ainsi que le maillot ouvert de son camarade John Carlos sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des leurs. Un asservissement dont les chaînes jugulent encore la liberté des afro-américains.

Un impact instantané

 

Ce moment, figé par le photographe John Dominis, ne laisse pas apparaître l’incroyable agitation qui s’ensuit. Car l’effet escompté ne se fait pas attendre. Les audacieux coureurs viennent, en un instant, de clamer en silence la souffrance et l’injustice séculaires de tout un peuple, sous les yeux du monde entier. La foule hurle, crache, les organisateurs hoquètent.

Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt sanctionnés

 

Le poing levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux, L’Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne l’immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.

Leurs carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d’abord suspendus temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie Smith vient pourtant d’établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les 200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant 1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.

Du podium à l’enfer

 

Les choses empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des menaces de mort. Smith se fait tout bonnement « virer » de son emploi de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s’avère quasi-impossible. Même l’armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du médaillé d’or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.

Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action, et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que dans les années 90-2000.

Le « troisième homme », acteur à part entière

 

Si l’attention s’est portée de fait sur la mutique provocation des deux afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium photographié par John Dominis. Ce troisième, c’est l’Australien Peter Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière de la scène.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Il n’auront de cesse de louer la noblesse du « seul sportif blanc qui eut assez de cran » pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et rassembleur. John Carlos déclarera lors de l’inhumation: « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour ».

Quentin Sedillo

Source L’OBS 10/08/2015

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Photo, rubrique Etats-Unis, Société