Chronique d’une visite présidentielle

Au 4e jour des 100 jours pour convaincre les Français.es, l’espace d’intervention du président Macron n’est plus rempli que de gens triés sur le volet.

Ganges 20 avril 2023. Parmi les autorités, dans la cour du collège Louise Michel de Ganges on voit le président de la République assis au centre d’une petite assemblée, vêtu d’une chemise blanche aux manches retroussées. Ces scènes comme celles où, il arrive dans l’établissement tout sourire, entouré d’élèves et d’une poignée de journalistes, on les observe sur les photos des médias de masse. Ce sont les images scénarisées qui vont tourner sur les écrans de télé. Sur le terrain, ni les 1500 d’Héraultais qui ont fait le déplacement, ni les habitants de la commune n’ont pu voir Emmanuel Macron officiellement venu à la rencontre des Français.es.

 

Nichée au pied des Cévennes, Ganges se réveille dans un autre monde en ce jeudi 20 avril 2023. Pour un jour, à la lumière de mille feux, la petite cité peuplée de 4 000 âmes n’est plus la ville oubliée dont on vient de fermer la maternité en envoyant les femmes accoucher dans la Métropole. Elle se met a rêver d’un avenir imminent où l’État prendrait courageusement la mesure de la fracture numérique, des déserts médicaux et des besoins en termes de sécurité civile.

En ce jour à marquer dans le calendrier, les Gangeois.es n’ont pas pu voir Emmanuel Macron, mais ils ont pu avoir un aperçu de son dispositif de sécurité avec le bouclage complet de la cité dès le lever du jour par 600 gendarmes. Les quatre agents de la police municipale avaient vraisemblablement besoin d’un peu de renfort. Ils n’auraient pas pu repousser les manifestants souhaitant entrer dans le périmètre quadrillé de la ville comme l’ont fait les escadrons de CRS tôt dans la matinée. Il aurait été difficile pour ces agents de fouiller toute personne désirant entrer en ville comme de refouler courtoisement les dangereux détenteurs.trices de casseroles pour appliquer l’arrêté préfectoral pondu la veille pour la circonstance.

Mercredi à Sélestat (Bas-Rhin), Emmanuel Macron avait assuré qu’il continuerait d’être sur le terrain malgré la colère qui s’exprime. « Il faut entendre la colère, je ne suis pas sourd à celle-ci », avait affirmé le chef de l’État. Mais dans la nuit, le président a vraisemblablement eu les oreilles qui bourdonnent. Alors le scénario a changé.

Les enseignants sécessionnistes du collège Louis Michel de Ganges qui se sont mis en grève et les enfants absents que les parents ont souhaité garder à la maison ce jeudi ne font pas partie du scénario. Et tous ceux qui font œuvre de subversion contre le violent mode de pouvoir de leur président doivent savoir en off qu’ils pourraient être rendus complice de violence. Encore de dangereux gauchistes dira sans doute le ministre de l’Intérieur, comme ces femmes qui sortent taper sur leur casserole dans la rue au lieu de rester en cuisine pour nourrir leurs enfants. Mais en la circonstance, on passera là-dessus car on est là pour tourner la page et ouvrir le dialogue direct. Une nouvelle ère commence.

 

Seul au pouvoir, seul à vouloir tourner la page

 

Pour imposer sa feuille de route néolibérale, Emmanuel Macron pense être l’élu. Sa conception de la hiérarchie paraît antidémocratique et antilibérale, mais pour lui cette révolution n’a qu’un seul chef. Rejetant tout « état d’âme », il a assuré que  « la mission d’un président de la République n’est ni d’être aimé, ni de ne pas être aimé, c’est d’essayer de faire bien pour son pays et d’agir ». Tout dépend de lui, seulement de lui.

« C’est un homme qui marche seul, maintenant il marche dans le noir » ironise, le secrétaire de la CGT de l’Hérault, Serge Ragazzacci à l’occasion d’une coupure d’électricité  dans le quartier du collège, revendiquée par le syndicat  : « la coupure de courant pour l’arrivée d’Emmanuel Macron à Ganges durera moins longtemps que celle de ceux qui n’arrivent pas à payer leurs factures ». Qu’a cela ne tienne, on rectifie immédiatement le scénario avec un président manches retroussées qui prend le soleil dans la cours pour un débat ouvert. Au 4e jour des 100 jours pour convaincre les Français.es, l’espace d’intervention du président n’est plus rempli que de gens triés sur le volet.

Dans ce cadre, on voit Emmanuel Macron prendre la parole. Il accueille l’assentiment de ses sujets comme une marque de confiance : « Merci pour ce dialogue. Si on est là, c’est parce que le collège Louise Michel est un établissement dynamique. On part d’un constat : on veut que nos enfants soient mieux éduqués, qu’ils aient confiance en eux, qu’ils développent un esprit critique et ouvert au monde. »

 

A Ganges des gendarmes bloquent une rue alors que des manifestants attendent l’arrive?e du pre?sident.

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« Gilets jaunes » : l’urgence démocratique commence par le bas

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Le récent mouvement des « gilets jaunes » est une véritable révolte populaire, assez peu organisée et dont les revendications sont hétérogènes. Toutefois, parmi ces revendications, l’une est de nature politique et s’est progressivement imposée : le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Plébiscitée sur les réseaux sociaux, cette idée a été présentée comme nouvelle lors même qu’elle a, au contraire, une longue histoire – plutôt marquée politiquement à l’extrême droite – et qu’elle figurait dans les propositions de la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2017, à l’exception notable d’Emmanuel Macron.

On ne reviendra pas ici sur cette histoire. Notre propos est bien plutôt de prendre appui sur une recherche récente pour réfléchir au fait que le RIC est sans doute une fausse bonne idée et qu’il serait préférable de favoriser la démocratie participative plutôt que la démocratie directe. Encore faudrait-il toutefois que cette démocratie participative parvienne à exister davantage – ce qui pose la question beaucoup trop occultée du fonctionnement politique au niveau local et non pas simplement national.

Un exemple : installer ou pas de la vidéosurveillance

À l’occasion d’une enquête récente sur la vidéosurveillance, nous avons notamment examiné les mécanismes de la prise de décision qui conduisent les élus nationaux comme locaux à investir l’argent public dans cette nouvelle technologie. Et nous avons pu faire une série de constats qui peuvent contribuer à la réflexion sur le fonctionnement de la démocratie et sur les moyens de l’améliorer.

  • Les élus nationaux comme locaux ne décident pas fondamentalement d’investir l’argent public dans ce type de technologies en fonction de leur efficacité déjà éprouvée, et donc à nouveau espérée (il est au contraire démontré dans l’enquête que cela ne sert presque pas à améliorer la sécurité quotidienne des habitants). Ce sont d’autres raisons qui les motivent.
  • Sauf exceptions, les citoyens ne sont jamais consultés avant ces prises de décision. Au niveau national, les élus se contentent de profiter de sondages simplistes (« êtes-vous pour ou contre ceci ou cela ? ») pour prétendre que « les Français le souhaitent ». Et au niveau local, les élus préfèrent se fier aux courriers de plainte qu’ils reçoivent en mairie et aux discussions qu’ils ont au fil de leurs déplacements et réunions quotidiens. Ils ont ainsi le sentiment de « prendre le pouls » de leur commune dont ils ne côtoient pourtant en réalité qu’une toute petite partie de la population.
  • Les recherches scientifiques ont montré de longue date que ces sondages nationaux expriment des opinions simplistes (puisque binaires), généralement désincarnées, plutôt conformistes et souvent politisées (les gens qui se sentent plutôt de droite répondent plutôt ça, ceux qui se sentent plutôt de gauche répondent ça, etc.).
  • Lorsque l’on réalise des enquêtes avec la technique des sondages mais au niveau local, en incarnant les problèmes et en impliquant les personnes, en proposant des questions réflexives et en offrant la possibilité de réponses multiples, les résultats peuvent être très différents de ceux des sondages, voire contradictoires. Nous l’avons montré dans cette enquête sur la vidéosurveillance et, plus globalement, dans une série d’enquêtes locales sur les politiques de sécurité et de prévention menées ces dernières années dans le département des Bouches-du-Rhône.
  • Dans au moins deux communes françaises – Nérac (Lot-et-Garonne) en 2011 et Aigues-Vives (Gard) en 2018 –, avant de prendre une décision, les élus (pour des raisons diverses) ont organisé un débat citoyen, en donnant à la population des éléments d’information techniques et budgétaires, en tenant des réunions publiques et finalement en organisant un référendum local sans valeur juridique. Et, dans les deux cas, une large majorité des votants s’est prononcée contre, non pas par principe mais au terme d’un arbitrage (estimant notamment qu’il y avait des dépenses plus importantes à faire dans la commune). Le résultat d’un forum local peut donc être contraire aux déductions trop rapidement faites à partir des sondages nationaux.

Le référendum et le risque d’une caricature de démocratie

Chacun s’accorde aujourd’hui pour constater que la démocratie représentative est en crise dans les démocraties occidentales. Mais ce n’est pas une raison pour en conclure que la bonne alternative est le modèle opposé de la démocratie directe, dans lequel les citoyens décident potentiellement tous par vote, le font sur tous les sujets et peuvent – en fin de compte – se passer de représentants élus. Il existe en quelque sorte une voie du milieu : c’est la démocratie participative.

Cette dernière est préférable car, au niveau national, le fonctionnement par référendum a toutes les chances de renforcer ce que l’étude des sondages d’opinion a déjà montré : le poids des arguments idéologiques, la constitution d’opinions binaires, voire manichéennes, interdisant de penser la diversité et la complexité des choses, l’exacerbation des imaginaires, des peurs et des émotions, le manque d’informations (voire la sensibilité à la désinformation)… Toutes choses qui risqueraient fort d’écraser tout véritable débat sur leur passage.

Ce serait alors une caricature de démocratie, le règne des émotions et de la politique par slogans, et finalement un boulevard pour les populismes en tous genres. Ce serait, de surcroît, un type de fonctionnement ne suscitant aucun débat réel entre les gens qui vivent ensemble. En tiendrait lieu une sorte de forum sur Internet, sur les réseaux sociaux et autres sites dits « participatifs » où pullulent déjà les propagandistes et les « trolls » en tous genres.

Nous avons désormais une bonne douzaine d’années de recul sur tout ceci et l’expérience montre que ce pseudo-débat sur Internet et les réseaux sociaux participe trop souvent à une dégradation de la qualité des discussions et, finalement, à une brutalisation des relations sociales.

Instaurer une véritable démocratie participative à l’échelon municipal

En revanche, au niveau local, le référendum apparaît comme l’issue logique d’un débat au cours duquel des personnes qui vivent ensemble dans un espace donné (la commune) ont réellement discuté, confronté leurs avis et recherché ensemble une solution à des problèmes qui touchent leur vie quotidienne. Il constitue ainsi un des leviers d’une démocratie participative qui présenterait les énormes avantages d’incarner les problèmes et d’impliquer réellement les citoyens, en les amenant à davantage se parler entre eux, donc également à admettre plus facilement la diversité des points de vue et à rechercher plus naturellement des compromis.

Autrement dit, si le référendum risque de bi-polariser encore plus les opinions et de conflictualiser encore plus les relations sociales, son organisation au niveau local peut s’articuler avec une mise en discussion collective incarnée (on ne s’adresse pas à un personnage inconnu voire anonyme sur Internet, on parle avec son voisin dans la « vraie vie »), qui tend au contraire à les pacifier.

Si la démocratie n’est pas que le choix d’une forme de gouvernement non autoritaire, mais aussi un projet de « faire société », alors il est clair que, dans un pays de 67 millions d’habitants comme la France, en ce début de XXIe siècle, le référendum local peut y correspondre. En pratique, il se heurte toutefois à tout un système de gouvernement qui brille par son immobilisme, malgré une façade de constante « modernisation ».

Sortir de la culture du chef et de la verticalité du pouvoir également au niveau local

Une demande de démocratie s’exprime de plus en plus dans un vieux pays dont le système politique apparaît non seulement usé mais aussi figé et comme incapable de se réformer. Domine toujours l’antique conception du pouvoir de type guerrier (il se conquiert dans et par « la guerre électorale ») et de type autocratique (une fois qu’on l’a, on le partage le moins possible). Le chef décide puis l’intendance suit.

Le pouvoir est vertical et les messages vont dans un seul sens : du haut vers le bas (le système top-down disent les anglo-saxons). Le fait est bien connu au niveau national et les constitutionnalistes savent, depuis le célèbre livre de Maurice Duverger en 1970, que le régime politique organisé par la Ve République ne doit pas être qualifié de parlementaire mais de « semi-présidentiel ». La critique d’une dérive autoritaire voire monarchique est ainsi consubstantielle à ce régime, de De Gaulle à Macron en passant par Mitterrand et Sarkozy. Et nombre de personnalités politiques de tous bords ont déjà appelé par le passé à la fondation d’une VIe République.

Ces débats ont, toutefois, le plus souvent un point aveugle. En se concentrant sur le seul échelon national de la vie politique, ils occultent les questions locales, où les blocages sont tout aussi puissants – si ce n’est davantage – et expliquent largement l’incapacité française à organiser davantage de démocratie participative.

Des outils en place mais détournés

C’est, en théorie, l’un des enjeux de la décentralisation : renforcer la démocratie en donnant davantage de prérogatives aux collectivités locales. Le gouvernement socialiste issu des élections de 1981 avait enclenché ce mouvement, la loi Deferre du 2 mars 1982 supprimant la tutelle des préfets sur les départements et créant les régions administratives également dirigées par leurs propres élus.

Vingt ans plus tard, le gouvernement de Jean?Pierre Raffarin prolongeait ce mouvement par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 consacrant l’autonomie financière des collectivités locales, transférant de nouvelles compétences aux Régions et créant deux nouveaux outils censés favoriser la démocratie participative : le référendum d’initiative locale et un certain droit de pétition (les électeurs peuvent, par pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour du conseil municipal d’une question relevant de sa compétence).

À sa suite, la loi organique du 1?? août 2003 relative au référendum local, dans un souhait de « participation des électeurs aux décisions locales », a précisé la possibilité pour le maire ou le conseil municipal d’organiser à tout moment un référendum local pour trancher des questions relevant de la compétence de la mairie.

En théorie, la France dispose donc déjà des outils pour faire vivre la démocratie participative au niveau local. Mais il y a souvent loin de la théorie à la pratique ! Dans la réalité, la tentation est grande pour les élus locaux (comme l’avait bien montré Marion Paoletti) d’instrumentaliser ces référendums locaux, d’en faire une sorte d’instrument de légitimation de décisions déjà prises ou de les transformer en des sortes de plébiscites.

Et puis, malgré la loi de 2003, les maires ayant utilisé la possibilité de faire des référendums locaux se comptent sur les doigts des mains en quinze ans. La méfiance envers les citoyens prédomine chez les élus. La démocratie locale est figée, comme l’a montré Michel Koebel. Pire encore : les gouvernements successifs récents ont multiplié les échelons intermédiaires de décision en créant des communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999), des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI, loi du 16 décembre 2010) et enfin des métropoles (loi du 27 janvier 2014).

Résultat : loin de renforcer la lisibilité des prises de décisions et la démocratie participative, ces réformes ont au contraire conduit à un renforcement de la confiscation du pouvoir de décider par les élus et les techniciens locaux, le tout de façon encore plus discrétionnaire (loin de tout débat citoyen local). C’est ce que Fabien Desage et David Guéranger ont appelé « la politique confisquée ».

Budget participatif et droit de pétition : des innovations intéressantes mais peu opératoires

Certes, dans ce tableau particulièrement sombre émerge l’initiative très intéressante des budgets participatifs, initiée à Porto Alegre (Brésil) en 1989, reprise en France dans les années 2000 par des municipalités de gauche et qui s’étend désormais à d’autres courants politiques. L’expérience est intéressante à beaucoup d’égards (voir par exemple la vidéo de ce débat). Toutefois, il semble très exagéré de parler de « révolution citoyenne ». Deux limites de cette expérience sont en effet plus qu’évidentes.

Premièrement, l’expérience ne concerne que quelques dizaines de communes en France (sur près de 36 000…). Et, deuxièmement, la part des budgets alloués et donc des projets concernés est plus que limitée. À Brest, par exemple, le montant alloué par la ville à cette forme de participation est de 3 % de l’investissement – ce qui correspond à 0,3 % du budget annuel de la ville.

Enfin, quant au droit de pétition, au niveau national cette fois-ci, organisé par la loi organique du 28 juin 2010, il prévoit une procédure particulière puisque les pétitionnaires (au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France) doivent saisir le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur « toute question à caractère économique, social ou environnemental ». Ce dernier doit ensuite la discuter en interne et éventuellement décider de la valider par un vote en séance plénière, avant de la transmettre au premier ministre ainsi qu’aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

De nombreuses pétitions ont ainsi été réalisées ces dernières années, mais à notre connaissance aucune n’a débouché sur une quelconque action législative. L’activité du CESE est, hélas, largement invisible politiquement et médiatiquement, y compris lorsqu’il tente de s’emparer de l’actualité des problèmes sociaux comme il l’a fait avec les « gilets jaunes », ne dénombrant que 25 000 participations entre la mi-décembre et début janvier (quand, par exemple, des vidéos postées sur Internet et les réseaux sociaux sur ces mêmes sujets font des centaines de milliers voire des millions de vues).

L’échec récurrent de la participation en France

À tout cela, il faut ajouter le constat classique fait par les chercheurs (voir par exemple ici, ici et encore ) ayant évalué les politiques de la ville au fil des ans et des réformes (la dernière en date étant la création de « conseils citoyens » dans les quartiers prioritaires par la loi du 21 février 2014). De tous les aspects de ces politiques menées depuis les années 1970, celui qui conduit à un constat d’échec récurent est précisément « le volet participatif ».

On est loin en France de pratiquer ce que les Nord-Américains appellent de longue date l’empowerment. Le constat dressé par exemple par le sociologue Thomas Kirszbaum est limpide :

« La France se singularise dans le paysage international par une politique de la ville dont le caractère bureaucratique et descendant n’a fait que se renforcer au fil des ans. S’il existe naturellement des variations, d’une ville à l’autre, dans le mode de gestion des quartiers, la monopolisation du pouvoir par les institutions publiques – et par les municipalités au premier chef – est une donnée structurelle du “modèle français”. Ici se marque la principale différence avec d’autres modèles que l’on qualifiera de pluralistes, au sens où ils reconnaissent les collectifs d’habitants comme des acteurs légitimes du processus décisionnel ».

La participation à la française reste ainsi un processus étroitement contrôlé par le pouvoir politique, tant au niveau national qu’au plan local. Les élus redoutent l’émergence d’un véritable contre-pouvoir citoyen délibératif et ne conçoivent fondamentalement ni que l’initiative puisse partir du bas, ni que les citoyens puissent savoir mieux que les élus et les technocrates ce qui est bon pour eux, pour résumer les choses.

Et Thomas Kirszbaum ajoute :

« Toute la dynamique institutionnelle à l’œuvre de la politique de la ville française concourt à inhiber l’émergence d’une capacité d’action autonome des habitants. Toutes ses orientations de fond confortent leur atomisation, aux antipodes du développement communautaire qui vise à restaurer des dynamiques collectives, bien au-delà de ce que l’on entend par “lien social” dans l’animation socio-culturelle ».

Aveuglés par la peur du communautarisme, précise enfin Kirszbaum :

« La plupart des élus ne comprennent pas que la “communauté”, c’est ce que les habitants partagent en commun, c’est la prise de conscience de leurs intérêts communs. De même que l’on a parlé d’une “conscience de classe” à propos du mouvement ouvrier, il s’agit de faire advenir une « conscience du quartier », de transformer une force latente en force active pour échapper à la résignation et au fatalisme individuels ».

 

Répondre enfin à la demande de démocratie

Le mouvement des « gilets jaunes » pose avec acuité une demande de démocratie repérée de longue date par les chercheurs. On doit même parler d’une urgence démocratique à l’heure où les populismes, les nationalismes et les extrémismes gagnent du terrain un peu partout en Europe et dans le monde, conduisant à un recul des libertés et des droits fondant la démocratie. La France résiste encore à la conquête du pouvoir par l’extrême droite nationaliste, mais pour combien de temps ?

L’étude des aspirations des manifestants en gilets montre que les thèmes nationalistes traditionnels comme la xénophobie n’y sont pas prédominants. Mais qui récupérera le plus les fruits de leur colère aux prochaines élections sinon l’extrême droite ? Pour les élus de tous niveaux qui gouvernent aujourd’hui notre pays, il y a donc urgence absolue à admettre que l’expression de la démocratie par le seul vote a vécu et qu’il faut véritablement instaurer davantage de participation et de délibération dans la vie politique.

Beaucoup réclament pour cela une procédure référendaire nationale, restant ainsi figés sur le principe du vote binaire et des oppositions bloc-contre-bloc. Il nous semble, quant à nous, que c’est bien plutôt en commençant par en bas, par les échelons locaux, que l’on aurait une chance de faire vivre une véritable démocratie, participative et délibérative, qui contribue du même coup à renforcer le vivre-ensemble et à pacifier la société. On espère, sans trop y croire, que le dit « grand débat national » ouvert par le gouvernement jusqu’en avril 2019 pourra au moins soulever quelques-uns de ces enjeux.

Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université

Source The Conversation 9 janvier 2019

Institutions: l’hypothèse d’un référendum à questions multiples sur la table

L'Assemblée nationale . La prise en compte du vote blanc, une dose de proportionnelle ou la limitation du cumul des mandats dans le temps pourraient faire l'objet d'un référendum AFP/Archives - JOEL SAGET

L’Assemblée nationale . La prise en compte du vote blanc, une dose de proportionnelle ou la limitation du cumul des mandats dans le temps pourraient faire l’objet d’un référendum AFP/Archives – JOEL SAGET

L’exécutif étudie la piste d’un référendum à questions multiples sur les institutions, qui serait une manière de répondre à des demandes des « gilets jaunes » et de reprendre la main sur une réforme maintes fois reportée.

Vote blanc, proportionnelle, cumul des mandats, nombre de parlementaires: telles seraient les questions envisagées lors de cette consultation, selon le député de La République en Marche, Sacha Houlié. « Cette piste est à l’étude », a affirmé mercredi sur LCI l’élu de la Vienne, proche du président Macron.

Ce référendum pourrait avoir lieu à l’issue du grand débat national, voulu par le chef de l’Etat pour répondre aux « gilets jaunes » et dont deux thèmes, « organisation de l’État » et « démocratie et citoyenneté » portent sur les questions institutionnelles. Emmanuel Macron doit écrire aux Français dans les prochains jours pour préciser les contours de ces échanges.

Le chef de file des sénateurs LREM, François Patriat, soutient cette idée de référendum sur les institutions, qu’il aimerait voir organisé le jour des élections européennes, le 26 mai, a précisé à l’AFP l’élu de Côte d’Or, confirmant une information du Canard Enchaîné.

Mais le chef des députés de la majorité à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, interrogé par l’AFP, juge prématurée et « secondaire » cette proposition, qui « risque de bâcler l’étape du débat national et du contenu ».

– Démocratie participative –

Devant le Congrès à Versailles en juillet 2017, Emmanuel Macron avait déjà évoqué la possibilité de recourir au référendum pour réformer les institutions.

Cette hypothèse prend un relief particulier dans le contexte des « gilets jaunes », qui manifestent depuis plusieurs semaines pour demander notamment davantage de démocratie participative, à travers des assemblées citoyennes ou l’organisation d’un référendum d’initiative citoyenne (Ric).

Elle permettrait aussi à l’exécutif de relancer sa réforme des institutions, reportée à plusieurs reprises, et qui devra désormais « tenir compte » du débat national qui s’achèvera en mars, selon le Premier ministre Edouard Philippe.

Pour autant, les questions institutionnelles ne seraient pas toutes résolues par ce référendum à questions multiples, explique Anne Jadot, maître de conférences en science politique à l’université de Lorraine.

La prise en compte du vote blanc, l’introduction d’une dose de proportionnelle, ou la limitation du cumul des mandats dans le temps, qui relèvent de la loi ordinaire, pourraient effectivement faire l’objet d’un référendum, défini par l’article 11 de la Constitution: le président, sur proposition du gouvernement, soumet un ou des projets de loi à référendum.

– « Reprendre l’initiative » –

Mais les questions d’incompatibilité de mandats ou de réduction du droit d’amendement supposent, elles, de réviser la Constitution et relèvent d’un référendum constitutionnel, défini par l’article 89. Or il est difficile à envisager étant donné que le texte de loi doit être auparavant adopté dans des termes identiques par les deux assemblées, alors que le Sénat est dominé par l’opposition de droite.

Quant au référendum d’initiative partagée, instauré en 2008, qui peut être déclenché par 1/5e des parlementaires et 1/10e des électeurs (soit environ 4,5 millions de personnes), il est tellement complexe et long à organiser, qu’il n’a encore jamais été utilisé.

Proposer plusieurs questions permettrait en outre « de diluer » les réponses. « Il n’y aurait pas un seul oui ou un seul non » et cela « enlèverait de la charge symbolique » au référendum, qui avait été associé à un plébiscite sous le général de Gaulle, quand ce dernier avait mis sa démission dans la balance.

Mais si le référendum a lieu le jour des élections européennes, un scrutin marqué traditionnellement par une forte abstention, Mme Jadot y voit « un petit danger » pour l’exécutif car « il pourrait faire venir davantage d’électeurs aux urnes », parmi lesquels « des opposants ».

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau prévient aussi que la consultation ne permettrait pas de demander aux Français leur avis sur le contenu des réformes, comme le nombre de parlementaires. Car l’article 11 porte sur l’approbation ou pas d’un projet de loi.

Pour autant, reconnaître le vote blanc comme un suffrage « exprimé valable » répondrait à la demande de reconnaissance des « gilets jaunes », selon Mme Jadot.

Et ce référendum permettrait à Emmanuel Macron « de reprendre l’initiative » d’une séquence difficile depuis l’affaire Benalla, à défaut de changer de Premier ministre ou de dissoudre l’Assemblée, note le politologue et membre d’EELV Bastien François.

Source AFP 02/01/2019

Pour les Kurdes de Syrie, le rêve autonomiste s’éloigne

Des combattantes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). Delil Souleiman, AFP (archives)

Des combattantes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). Delil Souleiman, AFP (archives)

Dos au mur après l’annonce d’un retrait des soldats américains, et menacés d’une offensive turque, les Kurdes de Syrie risquent de perdre le contrôle de leurs territoires, et leurs rêves autonomistes, après avoir fait appel au régime syrien.

 La realpolitik aura-t-elle une nouvelle fois raison des Kurdes ? En Syrie, la minorité kurde qui a de facto instauré un embryon d’État dans le nord et le nord-est du pays à la faveur du conflit syrien, en établissant une région fédérale autonome dans les zones qu’elle contrôle, est en passe de perdre son pari et ses territoires. Depuis l’annonce d’un retrait américain, le 19 décembre, par le président Donald Trump, l’avenir du Rojava, nom de la fédération autonome, est menacé.

« Les chances de maintenir un sérieux degré d’autonomie se sont considérablement réduites », estime, dans une analyse, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un cercle de réflexion américain.

En première ligne du combat contre les jihadistes de l’organisation État islamique (EI), les milices kurdes, et notamment la plus puissante d’entre elles, les Unités de protection du peuple (YPG), soutenues et armées jusqu’ici par l’armée américaine, font face aux menaces répétées de la Turquie.

« Nous voulons protéger les Kurdes, mais je ne veux pas rester en Syrie pour toujours. C’est du sable et c’est la mort », a déclaré,le 2 janvier, Donald Trump. Pour expliquer sa décision de retirer quelque 2 000 soldats stationnés en Syrie, il avait décrété que la guerre contre l’EI avait touché à sa fin. Et ce, au grand dam de plusieurs hauts responsables américains – dont le secrétaire à la Défense Jim Mattis qui a par la suite démissionné –, réticents à abandonner les Kurdes, qui composent l’essentiel des Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance arabo-kurde soutenue par la coalition internationale dirigée par Washington.

Des commandants américains ont même recommandé ces derniers jours de laisser aux Kurdes les armements qui leur ont été confiés pour lutter contre les jihadistes, une préconisation qui risque de se heurter à une opposition turque, alors qu’aucun calendrier de retrait n’a été annoncé par les États-Unis.

Dans le viseur de la Turquie

Ankara, qui rejette toute velléité d’autonomie kurde au large de sa frontière avec la Syrie, qualifie les YPG et le PYD, principal parti kurde, de « terroristes » en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une guérilla en Turquie depuis 1984.

Depuis 2016, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déjà ordonné deux offensives dans le nord syrien, dont la dernière a permis début 2018 à ses troupes ainsi qu’à leurs supplétifs, des rebelles islamistes syriens, de mettre la main sur Afrin, l’un des trois cantons de la zone autonome qui correspond à la province syrienne de Hassaké.

Les Kurdes craignent que le retrait américain, que Recep Tayyip Erdogan appelait ardemment de ses vœux, ne lui laisse les mains libres dans la région. Malgré leurs résultats probants contre les jihadistes, à Kobané et à Raqqa, les combattants kurdes font les fraisdes calculs de Donald Trump et de la relation turco-américaine. Une relation privilégiée, parfois houleuse, qui remonte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et scellée par l’adhésion de la Turquie à l’Otan.

« Depuis le début de la crise en Syrie, les Turcs ont eu une politique extrêmement claire, à savoir créer une zone tampon au sud de leur frontière de manière à s’assurer qu’il n’y ait pas à l’avenir des camps d’entraînement, des centres de recrutement ou des stocks de munitions aux mains des Kurdes, qui pourraient bénéficier au PKK », explique à France 24 Alexandre Vautravers, expert en stratégie militaire et professeur d’histoire et de relations internationales à Genève.

« L’armée turque ne vise pas une annexion de la zone frontalière, mais Recep Tayyip Erdogan veut s’assurer que les milices locales proturques s’installeront à la place des Kurdes et resteront fidèles aux intérêts d’Ankara », poursuit-il. Encore faut-il obtenir l’assentiment de la Russie, incontournable marraine du président Bachar al-Assad qui entend de son côté reprendre le contrôle de tout le territoire syrien.

Pris de court, dos au mur, les Kurdes de Syrie ont fait appel à l’armée syrienne pour s’éviter une offensive turque. Une aubaine pour le régime de Bachar al-Assad qui a déployé ses troupes dans les environs de la ville de Manbij, à une trentaine de kilomètres de la frontière turque, après le retrait de plusieurs centaines de combattants kurdes. Ces derniers sont-ils pour autant prêts à céder le contrôle d’autres territoires au profit de Damas ?

Citant un diplomate arabe à Moscou, le quotidien pro-régime Al-Watan a évoqué l’existence d’une « entente » entre la Turquie et la Russie sur le sort de Manbij, qui doit retourner « sous la direction totale de l’État syrien ». Concernant les autres régions contrôlées par les Kurdes, leur sort pourrait être discuté lors d’un sommet réunissant en début d’année les présidents russe, iranien et turc.

« Il y aura un partage du territoire des FDS entre les Turcs et l’armée syrienne », prédit Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2, cité par l’AFP. « L’armée syrienne reviendra à Raqqa, Deir Ezzor et même à Hassaké. Qamishli passera entièrement sous contrôle du régime syrien », ajoute-t-il, évoquant des régions dans le Nord et le Nord-Est. Il a dit s’attendre aussi à ce que le régime récupère les champs pétroliers de Deir Ezzor.

Retour à la case départ

Si tel était le cas, il s’agirait d’un retour à la case départ pour les Kurdes de Syrie qui représentent 15 % de la population syrienne, selon les estimations, et qui contrôlent aujourd’hui près de 30 % du pays.

Dans le Rojava, abandonné par les troupes syriennes en 2012 – un geste de Damas censé convaincre les Kurdes de ne pas rejoindre les rangs de la rébellion –, ils avaient installé leurs propres institutions publiques. Ils s’étaient doté d’un « contrat social », une sorte de Constitution, et avaient mis en place des écoles où est enseignée la langue kurde, après avoir été longtemps marginalisés et opprimés par le régime baasiste qui refusait de leur accorder leurs droits culturels et politiques. Un régime, vers lequel ils se tournent aujourd’hui, qui est encore qualifié de « tyrannique » sur le site officiel des YPG.

En juillet, la minorité kurde avait initié des pourparlers inédits avec Damas, dans l’espoir d’arriver à une intégration dans le cadre d’une « décentralisation ». Reste à savoir si une telle option entre dans les plans de Bachar al-Assad.

« Jusqu’à ce jour, les Kurdes ont toujours été trahis. Tous ceux qui ont coopéré avec nous ont fini par nous trahir », résumait Hamreen Salah, Kurde syrienne, lors d’une manifestation jeudi à Ras al-Aïn, à la frontière turque.

Marc DAOU

France 24 avec AFP

 

Blanquer, les lycéens et les gilets jaunes

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Quel lien entre le ministre de l’Education nationale, les mouvements lycéens et celui des gilets jaunes ? En apparence aucun. En réalité, la conjonction existe déjà sur le terrain. Surtout, le ministre de l’Education nationale doit faire face à la même opposition que le gouvernement tout entier : celle qui résulte d’une politique qui augmente les inégalités sociales et territoriales.

FRANCE-GOVERNMENT-MEETINGUn mouvement lycéen qui puise dans le même terreau que les gilets jaunes En politique avisé, Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué de communiquer sur le mouvement des gilets jaunes. Sur Twitter , il dit le 1er décembre : « Nous sommes à l’écoute d’un mouvement qui manifeste des détresses ancrées depuis des années dans notre pays. Nous agirons pour la justice sociale. Mais nous n’accepterons jamais la violence. Celle d’aujourd’hui est ignoble… Nous la combattrons ».

Une déclaration apparemment équilibrée. Et JM Blanquer a des arguments à faire valoir , notamment sur le plan social. Depuis 2017, son ministère est l’alibi social du gouvernement grâce aux dédoublements des classes de CP et CE1 en Rep et Rep+, une mesure sans aucun doute social. Même si son financement se fait au détriment du second degré, des autres classes et des écoles de milieu rural.

Car le ministre de l’Education nationale doit faire face à un mécontentement qui puise ses sources dans le même terreau que le mouvement des gilets jaunes. Ce qui commence à lui revenir dans le mouvement lycéen, ce n’est pas une détresse vieille de nombreuses années, mais celle qui résulte de son action.

 

Une réforme du lycée qui augmente les inégalités sociales

Les yeux des lycéens semblent se déciller au moment où les réformes du lycée et du lycée professionnel se mettent en place. Sur le plan social, la réforme du lycée aboutit à anticiper dès la troisième un choix d’orientation qui se faisait jusque là en terminale. Toutes les recherches internationales montrent qu’il faut retarder et non anticiper la fragmentation du système scolaire en filières différentes.  Or dès 2019 celle ci interviendra dès la seconde. La réforme du lycée demande aux établissements de se spécialiser en fonction des filières du supérieur. Le choix du lycée équivaudra dès l’année prochaine à celui du post bac. Si dans les familles les plus privilégiées la route est tracée tôt et les choix décryptés facilement, dans les familles défavorisées l’anticipation du choix à un age aussi tendre va se traduire par une augmentation des inégalités sociales.

Le budget 2019 montre comment les dédoublements au primaire sont financés en supprimant des postes dans le second degré. Et dans ce niveau, le ministre n’hésite pas à puiser chez les plus démunis en l’occurrence dans l’enseignement professionnel. L’effondrement des postes de PLP mis aux concours en 2019 confirme ce que les syndicats disent depuis des mois ;la réforme du lycée professionnel réduit de façon drastique l’enseignement général tout comme elle déqualifie la formation professionnelle réduisant le bac pro à deux années de préparation seulement. Là aussi les études internationales montrent qu’il faudrait au contraire élever le niveau en enseignement général et non l’affaiblir. Et les enseignants de LP savent qu’ils remettent les élèves sur les rails en 2de pro en étant exigeants en enseignement professionnel. En remplaçant une formation professionnelle exigeante par un méli mélo d’initiation à l’entreprise en seconde, le ministre ne fait que renvoyer une image dégradée à des jeunes déjà qui doutent.

Inutile de développer l’impact social de Parcoursup. Avec lui a disparu le droit des bacheliers à entrer dans le supérieur. Dorénavant, le second degré est soumis aux « attendus » du supérieur et la sélection s’affiche ouvertement. En même temps le ministre met en place une réforme qui donne « la liberté » aux lycéens de choisir leurs spécialités de lycée. Or les dés sont pipés. Les spécialités maths illustrent cela de façon claire. Elles ne sont pas obligatoires en 1ère et terminale. En même temps leur niveau est nettement relevé. Or elles sont exigées pour la plupart des formations supérieures longues, même en psychologie par exemple. Concrètement seuls les jeunes qui ont compris cela dès la 3ème, qui sont prêts à prendre le « bon  » lycée et qui seront en mesure de suivre, pourront suivre des filières supérieures intéressantes. On demande aux collégiens et leur famille un niveau d’analyse du système qui est celui des familles favorisées. Et on remet sur leur dos la responsabilité des désillusions à venir… L’augmentation énorme des droits d’inscription pour les étudiants étrangers confirme crument au yeux des lycéens comment le gouvernement est peu sensible aux inégalités sociales.

 

La montée des inégalités territoriales

Mais ces réformes se traduisent aussi par la montée des inégalités territoriales. JM Blanquer a déjà été très critiqué par les fermetures de classes en milieu rural pour financer les dédoublements. La réforme du lycée augmente aussi les inégalités territoriales. Demander à un lycée rural de se spécialiser c’est réduire le droit de choisir une formation pour les jeunes ruraux. C’est notamment ce qui a poussé les élèves et parents du seul lycée général et technologique de Bellac dans la rue. L’interview de la rectrice de Limoges en réponse à ce mouvement est éclairante. Elle trouve qu’elle fait beaucoup en accordant 7 spécialités à ce lycée qui en demande 9. « En ville les lycées ont en moyenne 7 spécialités contre 6.75 à la campagne », dit-elle. « En revanche les moyens que je mets sont 2.3 fois plus importants dan sle rural car en moyenne la projection des effectifs par spécialités sera de 30 élèves en zone urbaine et 13 en zone rurale. » A la demande des jeunes de respecter leur droit à la formation de leur choix, la rectrice répond par un argument de gestion. Denis Laforgue avait déjà montré dans une remarquable étude comment l’Education nationale fabrique de la ségrégation sociale par ses fonctionnements bureaucratiques. Mais ce mouvement est nettement accéléré par la réforme blanquérienne qui construit sous les yeux des jeunes et leur parents de nouvelles inégalités territoriales.

Si le mouvement des gilets jaunes se construit sur la prise de conscience de la montée des inégalités sociales et territoriales depuis 2017, il se nourrit aussi de l’arrogance d’un pouvoir technocratique qui est convaincu d’avoir raison et qui ne comprend rien à sa contestation. Sur ce terrain là aussi l’Education nationale n’est pas en reste.

 

L’affaiblissement des corps intermédiaires

En réponse aux tensions venues du terrain, le gouvernement n’a trouvé que l’affaiblissement des corps intermédiaires. Là aussi l’Education nationale est en tête avec le mépris affiché pour les représentants syndicaux , le ministre ne faisant aucun cas de leur opposition. Il ne fait pas davantage mystère de sa volonté de les affaiblir encore en mettant en place une gestion « de proximité » qui court circuitera les dispositifs de controle des carrières, voire en réformant le statut à travers la réforme de la formation des enseignants. Ce travail de sape le met face à des révoltes locales tout comme le gouvernement doit faire face au mouvement des gilets jaunes.

« A ce niveau atteint par les inégalités dans notre pays il devient absurde et cynique de parler d’égalités des chances », écrit JP Delahaye, ancien Dgesco, sur Twitter. « C’est l’égalité des droits qu’il faut travailler ». Rétablir les droits de tous les jeunes à un véritable choix de leur avenir, leur dessiner un futur et non imposer dès un âge plus tendre la soumission et la sélection, voilà ce que JM Blanquer pourrait faire. Mais cela implique un autre budget et d’autres réformes.

François Jarraud

Source : Le café pédagogique 03/12/2018