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Face aux terroristes et aux bourreaux, à tous ceux qui ne rient pas, y compris les acharnés du pouvoir, l’exposition de Neal Fox est une bénédiction en faveur d’un art dionysiaque ! Une œuvre qui rend un hommage graphique aux troubadours de la beat generation, et à des personnages qui semblent sortir d’un film de Jarmusch.
La Galerie Suzanne Tarasiève propose jusqu’au 28 juillet la troisième exposition personnelle de Neal Fox. Empruntant son titre à un film policier américain de 1938 (réalisé par Michael Curtiz), Angels with Dirty Faces exploite la force de l’encre de Chine et du papier pour ressusciter les figures anthologiques de la contre-culture (musicale, artistique et littéraire).
Au milieu de ces figures iconiques et modernes résonne la voix de son grand-père, pilote britannique pendant la Seconde Guerre Mondiale qui en vint par la suite à écrire des romans de gare, à présenter des talk-shows et à fréquenter les bars de Soho, avec des artistes comme Francis Bacon. Bien que Neal Fox n’ait que très peu connu son grand-père, il semble avoir infuser tout l’héritage de sa créativité? et de sa gaité, qui se retrouvent dans ses narrations réalisées au pinceau.
Le travail de Neal Fox se distingue des formes d’art conceptuelles. Il est tout entier consacré au dessin à l’encre et à la culture contemporaine.
Avec cette nouvelle exposition, l’artiste fait appel à des figures d’icônes, d’Arthur Rimbaud à David Bowie, qui, à la manière d’anges ou d’archanges, prennent le rôle de gardiens spirituels ou de messagers.
En incorporant des forces poétiques puissantes et reconnaissables dans ses dessins, appartenant à des périodes différentes, l’intention de Neal Fox est de les inclure dans des conversations existentielles et de tracer des parallèles entre des mouvements artistiques et des auteurs.
L’art on the beat
Par exemple, La Décadanse (2017) figure Rimbaud en archange regardant par-dessus l’épaule de Jane Birkin et de Serge Gainsbourg (ce dernier faisait souvent référence au jeune poète dans l’écriture de ses chansons). Dans The Siesta (2017), le même poète se laisse aller à une sieste à demi-consciente avec Vincent van Gogh. Ils contemplent ensemble la nature, allongés sur le dos, recomposant ainsi Des glaneuses (1857) de Jean-François Millet, avec des yeux solitaires et hallucinés.
De tous les ingrédients jetés dans le mixeur culturel de Neal Fox, les poètes modernes et leur caractère visionnaire restent les plus importants. Dans l’ordre chronologique l’on trouve Rimbaud et Baudelaire, pionniers de l’utilisation de narcotiques et de l’alcool dans leur quête d’inspiration. Ils sont suivis par les poètes de la Beat Generation (Allen Ginsberg et Jack Kerouac entre autres), qui poursuivirent cette quête avec la forme en vers libre, un vocabulaire plus familier et des images empruntées à la culture contemporaine.
L’imaginaire des drogues
En découvrant cette exposition, on en vient à regretter cette époque de tolérance mutuelle entre folie et société qui caractérisa si joyeusement la période des années 60. Ces années au sortir de la guerre où l’homme accepta comme rarement cette part maudite de lui-même, en reconnaissant des droits à la folie, en assumant l’imaginaire des drogues comme autant d’ingrédients nécessaires d’une vie intense et artiste.
Bref, en sachant comme le disait Deleuze : « qu’on n’a jamais pensé que par elle et sur ses bords, et que tout ce qui fut bon et grand dans l’humanité entre et sort par elle, chez des gens prompts à se détruire eux-mêmes, et que plutôt la mort que la santé qu’on nous propose. »
À la vue des dessins psychédéliques de Neal Fox, on redécouvre incrédule la complicité de la folie avec cette vision humaniste, emblématique des sixties. Certains n’y verront qu’une forme de naïveté, pour le coup « béate ». Mais cette innocence n’est-elle pas préférable à l’esprit de paranoïa qui semble avoir pris le pas sur le monde !
Et, l’ivresse dionysiaque et la Divine folie qui parcourent les œuvres de Neal Fox, sont un contrepoint délicieux à une culture dans laquelle on dresse trop souvent une image aseptisée d’un art, consensuel, rassembleur, sensé, soporifique, qui prétendrait nous anesthésier, et nous soigner des affres de la vie !
L’ange, Kerouac
En 1943, des médecins militaires aux États-Unis diagnostiquaient, à propos d’un jeune marin de 19 ans, un état de démence précoce et de tendances schizoïdes. A leurs yeux, il avait tout pour déplaire : « Il imagine des symphonies entières dans son esprit ; il peut entendre chaque note. Il voit des pages de mots imprimés. » Plus grave : il a quitté l’école soudainement, car « il pensait qu’il n’avait rien de plus à apprendre » et voulait être écrivain. Jean Louis Lebris de Kerouac serait sans doute aujourd’hui tombé sous le coup de la raison comportementaliste !
Non seulement pour des raisons « génétiques », mais aussi pour des raisons de troubles du comportement, Mozart ou Beethoven, Bowie enfants asociaux, auraient été sans doute réadaptés, à coup de psychothérapies comportementalistes ou de neuroleptiques.
Prompts à se détruire !
Dans cette galerie des prétendants au redressement universel, on aurait pu évidemment citer, Artaud, Paul Celan, internés et de plus suicidaire pour le second ! Et, enfin, pour les dépressifs notoires : l’écrivain américain F.S.Fitzgerald, et tous ces artistes américains du XX e siècle qui seront happés par le suicide, la folie, mais aussi plus spécifiquement par l’usage des drogues ou de l’alcool : Malcolm Lowry, Hemingway, Pollock, Warhol, Kerouac, les écrivains dits de la beat génération et la majorité des musiciens de jazz ou de rock.
Prétendre apporter la santé, la sécurité, par des méthodes de dressage ou d’éradication qui réduisent le sujet à ses comportements ou pire à une caractéristique génétique, est une des préfigurations de l’eugénisme qui pourrait nous attendre ! Reconnaître, qu’il y aura toujours une partie de l’humanité qui échappera à cette normalisation, que l’on n’arrivera jamais à « l’homme parfait » qui ne fumera pas, ne se droguera pas, fera l’amour suivant les normes en vigueur et se soumettra sans broncher aux règles et aux conventions sociales, serait au contraire une forme de sagesse à méditer.
Comme l’écrit la psychanalyste, Elisabeth Roudinesco : « Nous vivons dans une société troublée par la mondialisation, l’évolution des normes morales et la perte des repères religieux et identitaires, une société de plus en plus puritaine, qui veut le risque zéro, qui poursuit les pédophiles mais autorise et valorise la pornographie. Il y a un vrai combat philosophique derrière tout cela : veut-on des individus soumis aux contraintes de l’efficacité économique et de l’hédonisme réduit à la question du corps ou bien des sujets lucides et autonomes, mais peut-être moins contrôlables ? »
Bowie, Bacon, Burroughs, Kerouac ; autant d’hommes prompts à se détruire pour dépasser les identités factices dans lesquelles nous sommes englués, pour expérimenter de nouvelles formes de vie. Au lieu d’éradiquer la vie, en accomplir tous les possibles !
Source Libération 12 /O7/2017
Voir aussi : Rubrique Arts, Abstraction la seconde école de Paris, Artistes méconnus de RDA, Cy Twombly tire un trait, rubrique Exposition,