Critique de cinéma, journaliste et commissaire de l’exposition Jarmusch, à découvrir à la Galerie de Bruxelles jusqu’au 12 février, Philippe Azoury signe un petit essai qui suit et épouse le cours d’une grande œuvre.
La singuliarité des films de Jim Jarmusch n’a d’égal que celle des francs-tireurs indépendants du septième art, tels David Lynch, John Cassavetes, de ce côté de l’Atlantique, on songe à Godard, Fassbinder, ou Wenders, c’est-à-dire des cinéastes qui ont inventé leur propre langue cinématographique et développé un style propre qui personnalise le cinéma, en se tenant souvent à distance de la cavalerie. Ceux qu’on ne supporte pas ou qui nous font succomber.
Le sens de la narration
Dans le bel hommage que lui rend Philippe Azoury avec son livre, Jim Jarmusch une autre allure (éditions Capricci), le journaliste critique, évoque les premières grandes leçons que retiendra Jim qui vit sa jeunesse les pieds dans le rock, la tête dans la poésie. » Jim Jarmusch a appris à faire du cinéma dans la rue, Nicholas Ray lui a instruit les rudiments de la bagarre. William S. Burroughs – qu’il allait visiter dans son bunker avec Howard Brookner, son meilleur ami à la fac – lui a montré comment charger une arme dans le respect, au sens politique et poétique du terme. Le punk et la no wave ont fait le reste ».
Jim Jarmusch est né à Akron dans l’Ohio en 1953. Il débute sa carrière au cinéma à 26 ans avec Permanent Vacation. Les première images de son premier film sont des ralentis rappelle Philippe Azoury dont le livre se découpe film par film dans un montage maillé de traces émotives et de réflexions. « Dans Wall Sreet, une armée de zombies avance d’un pas cotonneux et amniotique. Ils vont sans désir et par grappes en direction d’un travail, où invariablement on les exploite. » Les dés ont été jetés le réalisateur va tracer son sillon. On pense à Peterson actuellement sur les écrans où le quotidien répétitif du personnage principal, un chauffeur de bus poète, se révèle passionnant par la qualité de la lenteur du temps qui passe. Les images de Jirmusch font toucher l’éternité à la portée de notre main. La composition allie une retenue émotionnel et une ouverture totale à l’expérience qui nous attend au coin de la rue. La poésie y trouve toujours une place de William Blake à William Carlos Williams en passant par Emily Dickinson.
Modernité dans les décombres
Philippe Azoury signe un livre sensible et juste dans lequel les amateurs des films de Jarmusch se retrouvent. Sa filmographie compte une quinzaine d’oeuvres, qui ont toutes connu une carrière internationale. Parmi lesquelles on peut citer, Down by Law (1986), Dead Man (1995), Gosth Dog (1999), Broken FLowers (2005), Only Lovers Left Alive (2013), Paterson (2016). Le cinéaste aime l’élégance Mitelleuropa comme il aime les néons des zones urbaines asiatiques et le monde en général. Un monde toujours ouvert avec lequel il prend des distances pour mieux le réinterpréter. « New-York, ça n’existe pas, Eva. Cela tu dois le savoir. Ce que tu prends pour New York, c’est juste le son d’un moteur d’avion posé sur le terrain vague au milieu de nulle part. » On peut se demander pourquoi ce film, Stranger than Paradise, où les personnages apparaissent comme des atomes perdus dans le vide, a fait un carton ?
Cet étrange ralliement des spectateurs autour de l’oeuvre de Jim Jirmusch tient sans doute au fait que son cinéma s’adresse au sens. Si bien que quand Philippe Azoury évoque ce sentiment d’appropriation de l’univers Jarmuschien, au point de pénétrer dans les rues que le réalisateur dessine avec sa caméra pour s’y établir un espace de survie, on saisit parfaitement de quoi il parle. « J’adore habiter chez Jarmusch quand j’en ai marre d’ici – et je sais trop combien j’en ai marre d’ici. »