Tuggener entre réalité et suggestions sceptiques

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Montpellier Photographie. A découvrir l’exposition Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953 consacrée au photographe Jakob Tuggener au Pavillon Populaire jusqu’au 18 octobre 2015.

Par JMDH

Contraste au Pavillon Populaire de Montpellier après l’expo “La vie en Kodak de 1950 à 1970”, qui idéalisait en colorimétrie un modèle de société en pleine expansion. On traverse la vitrine du rêve américain pour toucher la réalité des ouvriers dans leur environnement professionnel avec « Fabrik : une épopée industrielle 1933/1953 », une exposition consacrée au photographe suisse Jakob Tuggener sous la direction artistique de Gilles Mora et le commissariat de Martin Gasser.

Changement de thème, d’époque, passage de la couleur au noir et blanc et retour à une ligne artistique, souvent perturbée pour ce haut lieu de la photographie d’art en province qui peine à creuser sa ligne de force en alternant radicalement les esthétiques pour ne déplaire à personne. Au même titre que les américains Brassaï et Eugène Smith, Jakob Tuggener est un photographe de terrain passionné qui a su capturer l’essence de son époque en apportant un regard libre et singulier qui le place aujourd’hui comme une référence dans l’histoire de la photographie.

L’art subjectif de dire

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Employé de l’usine allemande MFO (Ateliers de construction mécanique Oerlikon) qui tourne à plein régime mais connaît quelques problèmes d’encadrement. On attend de son travail photographique qu’il réduise le fossé entre les travailleurs et la direction. Lui ne souhaite rien moins que de rendre photographiquement tous les aspects de son usine.

Les machines, les murs de briques, les toits de zinc, attestent par leur gigantisme d’un glorieux environnement industriel. Tout fonctionne mais la dimension subjective des images de Jakob Tuggener laisse penser que les machines pourraient s’emballer à l’image des valeurs virtuelles du marché toujours en convalescence après la crise de 1929.

Quand l’artiste montre les chaînes de production, il n’omet pas de présenter les stocks de munitions qui s’accumulent en Allemagne. Sa notion du temps passe par les horloges de pointages qui nous ramènent aux hommes. A l’instar de la photo de l’affiche de l’exposition montrant Berti la coursière qui presse le pas de bon matin après que le lourd portail de l’usine se soit fermé dans son dos. Le gardien lui aura sans doute fait une réflexion sur son retard.

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Loin du réalisme socialisme, l’univers discret et onirique de Tuggener qui fut aussi réalisateur, procède par une mise en exergue des symboles proches du cinéma expressionniste.

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Une carrière sous l’angle de la passion

 

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Jakob Tuggener débute sa vie professionnelle en tant que dessinateur industriel à Zurich. 1930-1931 il étudie à Berlin puis s’initie au graphisme, à la typographie, au dessin et au cinéma à l’école des arts et métiers en Allemagne. A son retour en Suisse, il travaille comme photographe industriel. En 1934 Tuggener achète un Leica et photographie pour la première fois le Grand Bal russe à Zurich.

Le thème du bal qui le fascine revient durant sa carrière. Il a photographié de nombreux bals en Suisse dans le Grand Hôtel de Zurich où à l’Opéra de Vienne. Il se consacre également à des sujets de la vie quotidienne et s’éprend  de la relation entre l’Homme et la machine. En 1943, Tuggener publie un essai photographique Fabrik (Usine ) relatant la relation de l’Homme dans le monde industriel des machines. Cet ouvrage le propulse dans l’avant-garde de la photographie suisse en dépit des critiques de l’époque qui rejettent son innovation artistique.

Après la Seconde Guerre mondiale ses photos sont exposées au Musée d’Art Moderne de New York et publiées dans le magazine photographie Leica. Une grande exposition rétrospective lui est consacrée en 1969 à Munich. Tuggener a développé un style poétique qui est devenu un modèle pour nombre de jeunes photographes se réclamant de la photographie subjective.

L’exposition de Montpellier puise partiellement dans les maquettes des livre Métal noir 1935-50 et Le temps de la machine 1942-51. Projets de livres que Tuggener n’est jamais parvenu à publier de son vivant. Parmi ces images, certaines seront exposées pour la toute première fois.

Au Pavillon Populaire. Entrée libre

Source La Marseillaise.

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