Histoire.
Susana Dukic historienne chercheuse coopérante à l’ISCRA méditerranée signe la synthèse historique « L’immigration en Languedoc-Roussillon du XIXe siècle à nos jour ».
A partir de quelle matière avez-vous effectué vos recherches ?
Je me suis appuyée sur une masse de connaissances disponibles sur l’immigration dans la région provenant de bases de données comme celle de la Bnf, de bibliothèques universitaires ainsi que de travaux non publiés.
Ce qui permet de faire immerger des aspects oubliés comme celui des femmes ?
Oui, on a longtemps cru que l’immigration était une histoire d’hommes venus pour vendre leur force de travail face à un appareil productif qui en avait besoin ; une forme de recours rapide, efficace, moins cher et souple pour les employeurs et les pouvoirs publics. En réalité il y a toujours eu plus ou moins 40% de femmes qui pèsent sur la trajectoire de leur mari ou de leur frère mais sont restées un point aveugle de l’historiographie.
On assimile souvent la population étrangère à une main-d’œuvre complémentaire comment définissez vous l’immigration ?
Ce peut être une situation qui correspond au déplacement d’une personne qui franchit une frontière mais dans le cas des déplacements coloniaux par exemple cela ne fonctionne plus. Les descendants d’immigrés représentent en France un habitant sur quatre. Le terme immigré revêt des définitions variables selon à qui on l’applique. Je pense qu’un immigré est avant tout quelqu’un perçu comme tel. On est immigré dans le regard de l’autre.
Comment avez-vous abordé les nationalités concernées sur deux siècles d’Histoire ?
On est pour l’essentiel sur une immigration de voisinage avec des flux importants en provenance de d’Espagne liés aux soubresauts politiques de la monarchie puis la guerre civile et d’Italie liés à la dépression agricole. Les vagues migratoires arrivent différemment dans la Région. L’Histoire de l’immigration est liée à l’économie de production comme la viticulture ou l’exploitation minières dans le Gard ou portuaire à Sète. L’immigration est également favorisée par les crises démographiques comme à la fin de la Première guerre mondiale. Au lendemain de la Seconde guerre, on assiste à de nouvelles vagues d’immigration en provenance d’Espagne et du Portugal mais aussi des pays en voie de décolonisation. L’Algérie et le Maroc, renouvellent la composition de la population régionale.
Vous évoquez aussi les tentions xénophobes parfois attisées par la presse…
A la fin du XIXe, le sentiment national français s’est développé et l’immigration se pose comme une question politique. Dans le même moment, la presse s’en saisit. Le phénomène resurgit avec la crise des années 30 puis dans les années 90 dans le contexte mis en œuvre par la politique d’intégration.
Quels sont les enjeux de mémoire de l’immigration au niveau régional ?
Les pouvoirs publics se sont saisis tardivement des histoires de l’immigration. La commémoration de la Retirada par la Région il y a quelques années a renvoyé l’image d’une vague migratoire méritante et très bien reçu par la communauté concernée mais ce n’est pas sans danger car cela peut renvoyer aux autres qu’ils ne font pas suffisamment d’efforts alors que le contexte n’est pas le même.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Immigrés espagnols. Photo Paul Lancrenon Susana Dukic. Photo Rédouane Anfoussi
Deux siècles d’immigration en L-R
Dans l’optique d’ouverture de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration, les pouvoirs publics avaient lancé un programme de recherche coordonné par Gérard Noiriel pour réaliser une synthèse historique régionale de l’immigration. Le projet a été gelé mais l’historienne Susana Dukic l’a mené à terme. En 2011, la DRAC L-R et le Conseil Régional ont eu l’heureuse idée de soutenir le projet de publication de cette synthèse historique.
L’immigration en Languedoc-Roussillon est un ouvrage qui retrace l’Histoire de centaines de milliers d’immigrants qui se sont succédé de façon temporaire ou définitive dans la région sur plus de deux siècles.
En matière d’immigration le Languedoc-Roussillon présente un certain nombre de singularités : alors qu’au niveau national, le recours à la main-d’œuvre étrangère est calqué sur les rythmes de la production industrielle, l’immigration en Languedoc-Roussillon est liée au travail de la terre en général et de la vigne en particulier. La région constitue un des pôles nationaux de l’immigration au XXe siècle, en particulier durant l’entre de deux guerre. Elle se singularise enfin par la prépondérance de l’immigration d’outre-méditerranée durant près de 150 ans, et, plus récemment par le poids de l’immigration marocaine.
L’ouvrage conclut sur le poids des discriminations, que des enquêtes sociologiques conduites dans la région ont démontré dès le début des années 1990, et questionne le sens des projets d’action culturelle en lien avec les mémoires des immigrations régionales qui s’y sont multipliées ces dernières années. Un ouvrage de référence qui propose un état des connaissances dans un style accessible aux étudiants, aux professionnels et plus largement à tous les citoyens que la question intéresse.
Disponible aux éditions Trabucaire au prix de 15 euros.
Source : L’Hérault du Jour :
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