Le Conseil de sécurité de l’ONU s’impatiente et tape du poing sur la table. Les protagonistes de la crise malienne sont priés de fumer le calumet de la paix. Le statu quo ne peut plus durer, avertit le chef de la mission des Nations Unies au Mali. Il constate avec regret que l’accord sur le désarmement des combattants signé par les différents groupes est resté lettre morte.
Face à la presse qu’il a reçue à Bamako, Mahamat Saleh Anadif, chef de la mission des Nations Unies au Mali, tire la sonnette d’alarme. Il met en garde les frères ennemis maliens contre les conséquences d’une guerre qui s’éternise dans ce pays sahélien, où la communauté internationale entretient une force de plus de 13.500 hommes qui coûtent la bagatelle d’un milliard de dollars à l’ONU.
«Les membres du Conseil de sécurité ont exprimé de façon claire leur impatience. Ils ont dit: « Nous allons renouveler ce mandat pour un an. Après, ce ne sera plus automatique. Nous allons voir comment vous allez faire dans la mise en œuvre de l’accord »». Une façon de dire que le statu quo ne peut plus continuer, précise le chef de la Minusma.
Gouvernement et groupes armés s’accusent mutuellement
Alors que le Mali est en campagne électorale pour la présidentielle prévue le 29 juillet, le gouvernement et les mouvements armés s’accusent mutuellement de bloquer la mise en application des accords de paix.
Les groupes armés multiplient les attaques contre la force internationale. Tirs de mortiers, voitures piégées, attaques suicides de combattants munis de ceintures d’explosifs, tous les moyens sont bons pour défier la Minusma et l’opération française Barkhane.
«J’avoue que je suis frustré par le fait que depuis deux ans, nous avons construit au moins huit camps pour le cantonnement des combattants des différents mouvements signataires. Mais jusqu’au jour d’aujourd’hui, ces camps demeurent toujours vides», déplore le chef de la mission onusienne.
Les sites de désarmement des combattants restent vides
Quelque 10.000 combattants appartenant à différents mouvements signataires de l’accord d’Alger étaient censés se regrouper dans huit sites pour être désarmés. Il n’en a rien été.
Face aux attaques des groupes djihadistes qui étendent leur rayon d’action bien au-delà du Mali, les experts estiment que le règlement de la crise malienne n’est pas pour demain. Certains n’hésitent pas à faire la comparaison avec l’Afghanistan.
«Les Américains ont tenté l’approche tout sécuritaire en Afghanistan: résultat, les talibans y sont plus forts que jamais», confie à l’AFP Bakary Sambe, directeur du groupe de réflexion Timbuktu Institute à Dakar. Il constate que les Français font de même dans le nord du Mali.
«Non seulement les djihadistes n’ont pas disparu, mais ils se sont multipliés. Comble du comble, le djihadisme a contaminé le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie», observe-t-il.
Dans ces conditions, la marge de manœuvre de la mission de l’ONU au Mali reste très étroite et la mise en garde lancée par le Conseil de sécurité aux belligérants ne devrait pas changer grand-chose.
«Le pouvoir malien n’est pas à la hauteur des enjeux»
A quatre semaines de l’élection présidentielle au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta a promis de «traquer les terroristes jusque dans leurs derniers retranchements». Mais certains partenaires du Mali ne sont pas du tout rassurés. Ils pointent le manque de volonté politique des responsables maliens.
«Il y a beaucoup de pays qui sont aux côtés du Mali pour sortir de cette instabilité sécuritaire, mais il faut aussi qu’il y ait une visibilité dans la situation politique. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas», tranche Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale française.
Interrogé par RFI, le parlementaire français pense que le pouvoir actuel malien n’est pas du tout à la hauteur des enjeux.
Laurent Bigot (chroniqueur Le Monde Afrique) souligne la prédation des élites ouest-africaines et l’aveuglement – voire l’approbation – de la communauté internationale.
Lorsque les médias parlent du Sahel, c’est pour évoquer la menace terroriste sous toutes ses formes – une menace bien réelle, comme l’ont récemment montré l’attentat à Ouagadougou, le 13 août, ou les attaques contre les Nations unies au Mali, le lendemain. C’est également le cas pour les autorités françaises, qui communiquent abondamment sur le sujet afin de vanter et de justifier le déploiement de l’opération militaire « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne (BSS en langage militaire). Or le sujet central du Sahel n’est pas celui-là.
Le terrorisme, ou plutôt la montée en puissance des groupes armés dans le Sahel, est la conséquence d’une grave crise de gouvernance qui touche toute l’Afrique de l’Ouest. Cette crise de gouvernance se caractérise par une disparition de l’Etat au service des populations, car l’Etat moderne est privatisé par les élites politiques à leur profit. Cette privatisation – Jean-François Bayart parle de patrimonialisation – s’est accélérée ces dernières années pour atteindre un niveau tel que, désormais dans les pays sahéliens, les populations sont livrées à elles-mêmes, plus aucune entité (Etat ou autre) n’étant chargée d’une forme d’intérêt général.
C’est particulièrement le cas au Mali, au Niger et en Mauritanie. Ces Etats ont tous en commun un système politique miné, accaparé par une élite prédatrice dont les méthodes ont non seulement porté l’estocade à ce qu’il restait de l’Etat et de son administration, mais en plus ont fait entrer au cœur même du pouvoir le crime organisé. La conquête du pouvoir et sa conservation ne sont perçues que comme un accès à une manne intarissable.
Les dégâts des ajustements structurels
Les Etats sahéliens ont été fragilisés, dans les années 1980, par les ajustements structurels imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale au nom du libéralisme doctrinaire ambiant. Il fallait « dégraisser » la fonction publique, dont les secteurs les plus « gras » étaient l’éducation et la santé. Quelle politique « visionnaire » pour une zone qui allait subir quinze ans plus tard un choc démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité !
Le Niger est aujourd’hui le pays qui a le taux de fécondité le plus élevé au monde, soit plus de sept enfants par femme. Le Mali n’est pas loin derrière, avec un peu moins de sept. Ce n’est plus une bombe à retardement, c’est une bombe qui a déjà explosé et dont les dégâts sont en cours d’estimation. Serge Michailof rappelle dans son remarquable livre Africanistan que le secteur manufacturier au Niger crée 5 000 emplois par an quand le marché de l’emploi doit absorber chaque année 200 000 jeunes…
Le secteur de l’éducation est sinistré. Les classes du primaire dans les quartiers populaires de Niamey ont des effectifs habituels proches de la centaine d’élèves, avec des enseignants si peu formés qu’une part importante ne maîtrise pas la langue d’enseignement qu’est le français. Au Sénégal, pourtant un pays qui se maintient mieux que les autres, le système éducatif est dans un tel état que le français, langue d’enseignement, recule au profit du wolof. Si la promotion des langues dites nationales est incontestablement un enjeu, aujourd’hui leur progression est d’abord le signe de la faillite du système d’enseignement.
Que dire des systèmes de santé ? Le niveau des soins est accablant. L’hôpital de Niamey est un mouroir. L’accès aux soins est un parcours du combattant semé d’étapes successives de corruption. Les cliniques privées fleurissent dans les capitales ouest-africaines pour une clientèle privilégiée, mais le peuple doit se contenter de soins qui relèvent plus des soins palliatifs que curatifs. Il faut dire que les élites politiques n’en ont cure, elles se font soigner à l’étranger et scolarisent leurs enfants dans les lycées français (hors de prix pour le citoyen lambda, une année de scolarité pouvant représenter plusieurs années de salaire minimum) ou à l’étranger.
Des élections grossièrement truquées
Précisons à leur décharge qu’étant donné les dégâts causés par les ajustements structurels et la démographie actuelle, aucun Etat ouest-africain ne peut désormais relever sur ses seules ressources propres les défis de l’éducation et de la santé. Le rapport sénatorial sur la politique française d’aide au développement au Sahel (« Sahel : repenser notre aide au développement », juin 2016) rappelle un chiffre vertigineux : de 2005 à 2035, le Mali devra multiplier par 11 ses dépenses en la matière. La solidarité internationale pourrait en effet contribuer à financer ce type de dépenses, mais on butte sur le problème structurel qu’est la patrimonialisation ou la privatisation de l’Etat.
Aujourd’hui, les budgets de l’Etat sont exécutés en dépit du bon sens avec l’aval du FMI et de la Banque mondiale, qui froncent parfois les sourcils quand les ficelles de la prévarication deviennent trop grosses (on pense à la fâcherie de six mois des institutions de Bretton Woods, en 2014, après les surfacturations massives des marchés de défense au Mali, l’aide ayant repris sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait été ouverte ni les méthodes changées…). Quand on sait que plus de 50 % du budget d’investissement de ces Etats proviennent de l’aide publique internationale, on peut légitimement s’interroger sur la désinvolture avec laquelle la communauté internationale gère l’argent du contribuable.
Cependant, l’irresponsabilité du système international de développement (Nations unies et coopérations bilatérales) est tel que cet argent est déversé sans aucun souci de rendre des comptes. Le critère de performance utilisé par l’Union européenne en la matière est le taux de décaissement. L’objectif est de dépenser les budgets. Savoir si cela est efficace et conforme à l’objectif fixé importe peu. Pour les autorités bénéficiaires, cette absence de responsabilité a développé un réflexe d’assistanat, le premier geste étant de tendre la main avant d’envisager quelque action que ce soit. Ensuite, c’est de se répartir la manne de l’aide, et ce d’autant plus facilement que les contrôles sur la destination finale et l’efficacité sont des plus légers.
Les élites politiques ont depuis une vingtaine d’années fait de la prévarication le mode de gouvernance le plus répandu. La démocratisation qui a suivi la vague des conférences nationales au début des années 1990 n’a rien empêché. Nombre d’élections qui se sont tenues depuis n’ont guère été sincères, parfois grossièrement truquées (deux cas d’école parmi tant d’autres : l’élection d’Alpha Condé en 2010 en Guinée, élu au second tour alors qu’il n’a fait que 17 % au premier tour et son adversaire 40 %, et celle de Faure Gnassingbé en 2015 au Togo, durant laquelle le dépouillement était environ à 40 % quand les résultats ont été proclamés…).
Tout cela avec l’approbation de la communauté internationale et les chaleureuses félicitations des différents chefs d’Etat français. La lettre de François Hollande adressée au président nigérien Issoufou en 2016 est un modèle du genre. Féliciter un président élu au second tour avec plus de 92 % des voix alors que son opposant principal a fait campagne depuis sa prison, c’est osé. Le monde occidental se targue d’être le défenseur de la cause des peuples en promouvant la démocratie, mais les peuples africains n’ont vu qu’une chose : ce monde occidental soutient les satrapes africains sans aucune considération pour les populations qui en subissent les dramatiques conséquences.
La politique financée par le narcotrafic
Cette situation dans le Sahel est un terreau propice au développement d’idéologies radicales et la lutte armée devient un horizon séduisant pour une partie de la jeunesse qui sait que, hors de l’émigration vers l’Europe ou de l’affiliation aux groupes armés, point de salut. L’affaissement de l’Etat dans les pays sahéliens s’est accéléré avec la montée en puissance des divers trafics en zone sahélo-saharienne et notamment avec le trafic de cocaïne en transit vers l’Europe.
La vie politique de ces Etats s’est financée auprès de narcotrafiquants notoires qui n’ont pas hésité à prendre la place du généreux guide libyen Kadhafi. C’est ainsi qu’un conseiller du président malien Amadou Toumani Touré (2002-2012) était un trafiquant notoire, aujourd’hui reconverti au Burkina Faso. C’est aussi l’affaire emblématique du Boeing chargé de cocaïne qui se pose en 2009 dans le désert malien et dont le déchargement a été supervisé par un officier supérieur de l’armée malienne, aujourd’hui général. L’un des principaux soutiens financiers du parti du président nigérien Issoufou était Chérif Ould Abidine (décédé en 2016), dont le surnom était « Chérif Cocaïne »…
La frontière entre l’Etat et le crime organisé s’est estompée progressivement, laissant les populations livrées à leur sort. L’islam radical s’est répandu comme un modèle alternatif à la démocratie, laquelle est perçue par une part grandissante de la population comme une escroquerie idéologique visant à maintenir en place des kleptocraties. Le réarmement moral passe désormais par l’islam dans sa version la plus rigoriste (et étrangère aux pratiques confrériques du Sahel), soutenu par une classe politique qui a utilisé la religion pour faire du clientélisme.
Les groupes armés dits djihadistes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou Ansar Dine, qui eux-mêmes recourent volontiers aux réseaux et aux pratiques mafieux, évoluent désormais dans un environnement de moins en moins hostile. Quand j’entends parler de terrorisme djihadiste au Sahel, je pense souvent à un magicien qui, pour réaliser son tour, attire l’attention du public avec la main droite et réalise son tour avec la main gauche. Le terrorisme, c’est la main droite. La réalité du tour, la main gauche, c’est la grave crise de gouvernance dont personne n’ose parler.
Les Etats sahéliens ont parfaitement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de notre peur du terrorisme djihadiste : Jean-François Bayart parle de « rente diplomatique de la lutte contre le terrorisme ». Moyennant un discours engagé contre le terrorisme et l’autorisation pour l’armée française d’opérer sur leur territoire, ces dirigeants ont compris qu’ils ne seraient pas du tout inquiétés pour les graves dérives de gouvernance. La communauté internationale reproduit la même erreur qu’en Afghanistan lorsqu’elle avait soutenu le régime indécemment corrompu de Hamid Karzaï, ce qui n’avait fait que renforcer les Talibans et accélérer le rejet par la population des forces étrangères.
Rôle trouble des services algériens
A cette cécité sur les causes profondes, ajoutons celle relative au rôle joué par les services de sécurité algériens. Comment le mouvement d’Iyad Ag Ghali a-t-il été financé ? Où se replient Iyad et ses combattants ? Comment se fait-il que Mokhtar Belmokhtar sillonne en toute impunité la zone depuis vingt ans ? Des questions qui trouvent des réponses dans la complicité d’une partie des services de sécurité algériens.
Je me souviens d’un entretien à Bamako en 2009 avec Ahmada Ag Bibi, député touareg, à l’époque bras droit d’Iyad Ag Ghali et resté depuis lors proche du chef d’Ansar Dine. Il me disait que lorsque AQMI s’est installé en 2006-2007 dans l’Adrar des Ifoghas (Nord-Mali), Iyag Ag Ghali et ses hommes l’ont combattu. Le soutien logistique algérien dont bénéficiait Iyad Ag Ghali depuis des années s’est immédiatement interrompu. Il en a déduit que s’attaquer à AQMI, c’était s’attaquer à une partie des services de sécurité algériens. Il a donc composé.
Ahmada Ag Bibi a conclu cet entretien en me disant que l’Algérie poursuivait au Sahel sa guerre de décolonisation contre la France. Il a ajouté qu’il ne comprenait pas comment la France n’avait pas saisi que l’Algérie la considérait toujours comme un ennemi. Au cours de ma vie de diplomate, j’ai pu constater, en effet, l’angélisme dont fait preuve la France à cet égard. C’est troublant.
On pourrait aussi parler des autorités des pays sahéliens qui négocient des pactes de non-agression avec ces groupes armés. C’est le cas de la Mauritanie, comme l’attestent des documents saisis par les Américains lors du raid mené contre Oussama Ben Laden en 2011 au Pakistan.
Bref, résumer la situation sécuritaire du Sahel à sa seule dimension « terroriste » est un raccourci dangereux car il nous fait tout simplement quitter la réalité du terrain.
Le destin du Sahel ne nous appartient pas
Il ne peut y avoir d’ébauche de solutions sans un constat de vérité. Si ceux qui prétendent contribuer à la solution se racontent des histoires dès l’étape du constat, comment l’élaboration de réponses aux défis du Sahel pourrait-elle être un processus pertinent ? La communauté internationale tombe dans le même aveuglement qu’elle a savamment entretenu pendant cinquante ans sur la question de l’aide au développement.
Refusant de regarder une réalité qui dérange, on s’obstine dans des réponses qui n’ont aucun impact durable sur les réalités. Aujourd’hui, nous pensons l’Afrique depuis des bureaux et des salons de ministères ou de grandes organisations internationales dont la déconnexion avec la réalité est effrayante. Plus grave encore, notre réflexion repose sur des postulats inconscients qui pourraient expliquer notre manque d’humilité.
Et si la solution était que nous cessions de vouloir tout gouverner ? Quel est ce postulat intellectuel qui consiste à considérer comme admis que nous avons la solution aux problèmes du Sahel ? Pour ma part, je pense que la solution est entre les mains des peuples concernés. Il est temps de mettre les dirigeants de ces pays face à leurs responsabilités et qu’à leur obsession d’accroître leur patrimoine personnel se substitue enfin celle de s’occuper de leur propre pays.
J’entends souvent dire que nous ne pouvons pas ne rien faire. Ah bon ? Pouvez-vous le démontrer ? Accepter que la solution puisse se mettre en place sans nous, est-ce à ce point inacceptable pour notre cerveau d’Occidental ? Des milliers d’heures de réunions dans les ministères et organisations internationales pour parler du Sahel, avec, 99 % du temps, aucun représentant de ces pays et, 100 % du temps, sans aucun point de vue des populations concernées, est-ce la bonne méthode ? Ne pourrions-nous pas accepter l’idée que nous ne savons pas ? Ne pourrions-nous pas accepter que le destin du Sahel ne nous appartient pas ?
Ou alors, si nous estimons en être coresponsables, accordons aux pays du Sahel la même coresponsabilité sur la gestion de notre propre pays. La relation serait ainsi équilibrée. Mais sommes-nous prêts à recevoir des conseils venus du Sahel ? Les trouverions-nous pertinents ? Pas plus que les populations sahéliennes lorsqu’elles nous entendent disserter sur leur sort…
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant. Ce texte est d’abord paru dans la revue l’Archicube n° 22 de juin 2017.
Le 4 octobre 1984, le leader socialiste et panafricaniste Thomas Sankara, élu président du Burkina Faso en 1983, prononça à l’ONU un discours qui marqua les esprits. Il fut assassiné trois ans plus tard.
(…) Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. (…)
Nous voudrions que notre parole s’élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair. Tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité par une minorité d’hommes ou par un système qui les écrase. (…) Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé, mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part. (…)
Je parle au nom des artistes — poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs —, hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business. Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage. Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage moderne. (…)
Notre révolution, au Burkina Faso, est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers-monde. (…)
Extrait de Thomas Sankara parle. La révolution au Burkina Faso, 1983-1987, Pathfinder, Atlanta (États-Unis), 2007.
: Défilé de troupes françaises, par Luc Lagarde/Flickr
Les soldats de maintien de la paix français accusés de viol d’enfants ne seront probablement pas poursuivis
Les enquêteurs français s’apprêtent à retourner en République centrafricaine (RCA) pour approfondir leur examen des accusations portées il y a deux ans contre des soldats français pour des sévices sexuels infligés à des enfants. Il semble cependant peu probable que les auteurs présumés soient bientôt poursuivis et, à plus forte raison, condamnés.
Pourtant, les faits rapportés au personnel des Nations Unies par des victimes et des témoins en mai et juin 2014 et transmis aux autorités françaises en juillet 2014 comportaient les noms des enfants concernés et certains surnoms et traits physiques de 11 auteurs présumés servant dans le cadre de l’opération française Sangaris.
L’armée s’était déployée en décembre 2013, avec la bénédiction du Conseil de sécurité des Nations Unies et à la demande du président centrafricain, quand les affrontements entre mouvements armés rivaux faisaient craindre un génocide et poussaient des centaines de milliers d’habitants à fuir de chez eux.
Selon les accusations, les violences ont eu lieu dans un camp de déplacés à l’aéroport de Bangui qui se trouvait sous la protection des soldats de maintien de la paix français et des Nations Unies.
Des soldats français auraient demandé et, dans plusieurs cas, obtenu des fellations de la part de jeunes garçons en échange de nourriture et d’argent. Un soldat français aurait uriné dans la bouche de l’une de ses victimes. Des soldats tchadiens et équato-guinéens déployés dans le cadre de la mission des Nations Unies auraient quant à eux violé de jeunes garçons par pénétration anale. Ces violences présumées auraient eu lieu fin 2013 et début 2014.
Des enquêtes sont en cours pour faire la lumière sur ces évènements et sur quatre autres affaires de sévices présumément commis par des soldats de l’opération Sangaris en RCA.
Enquête au point mort
Le parquet de Paris chargé de ces dossiers a fait part à IRIN de l’absence de progrès significatif concernant l’affaire principale depuis mai 2015, quand les discrètes enquêtes préliminaires lancées au mois d’août précédent ont laissé la place à une véritable enquête criminelle très médiatisée menée par des magistrats spécialement désignés. Ce changement d’échelle s’est produit peu après la révélation de l’affaire dans le Guardian.
À défaut de tribunal militaire, les crimes commis par des soldats français à l’étranger sont jugés par la justice civile et plus précisément par une juridiction spécialisée en matière militaire du parquet près le tribunal de grande instance de Paris.
Le système judiciaire français est inquisitoire et non accusatoire. Cela signifie que le rôle des magistrats n’est pas d’instruire une affaire pour l’accusation, mais d’étudier de manière impartiale les circonstances d’une allégation afin de déterminer si les poursuites pénales sont fondées.
Tant qu’ils ne sont pas jugés coupables par le tribunal, les suspects bénéficient de la présomption d’innocence. Le haut commandement de l’armée a bien souligné ce point dans l’affaire de Bangui. Une autre affaire de violences sexuelles qui auraient été commises sur deux mineurs, dont l’un âgé de cinq ans, par des soldats français déployés au Burkina Faso a conduit à la mise à pied immédiate des deux auteurs présumés. Le parquet de Paris enquête également sur cette affaire.
Lorsque des membres des forces armées sont la cible d’accusations, la police militaire participe elle aussi à l’enquête.
« Nous n’allons voir personne tant que tous les faits ne seront pas vérifiés », a répondu le chef de la police militaire aux journalistes qui lui demandaient, dans un documentaire diffusé l’année dernière, pourquoi aucun suspect de l’opération Sangaris n’avait été interrogé.
Les enquêteurs qui se rendront à nouveau en RCA cet été devront interroger les victimes et les témoins qui n’ont pas encore été entendus. Cela ne donnera cependant pas forcément lieu à des inculpations.
Certains craignent qu’il y ait très peu de chances que l’affaire soit jugée. « Ils ont raison », a d’ailleurs dit une source au sein du parquet de Paris. Refusant de dire si la véracité des allégations avait été établie, notre source a cependant dit qu’aucune affaire n’avait été classée.
Tolérance zéro ?
Cette affaire illustre l’abîme qui semble exister entre les régulières affirmations publiques de tolérance zéro envers les crimes commis par des soldats de maintien de la paix et la justice effectivement rendue aux victimes de ces violations des droits de l’homme et crimes internationaux.
« Plus cela traîne en longueur, plus [les soldats] sont encouragés [dans leurs crimes], car ils voient leurs collègues s’en tirer alors qu’ils ont commis des horreurs et cela perpétue une culture de l’impunité », a dit Paula Donovan, de Code Blue, une campagne menée par l’organisation non gouvernementale (ONG) Aids-Free World pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient les troupes de maintien de la paix des Nations Unies.
La chronologie des affaires laisse penser que des évènements clés pourraient avoir eu lieu plus tôt. Ainsi, les enquêteurs n’ont interrogé les enfants qu’en juin 2015, soit près d’un an après qu’Anders Kompass — fonctionnaires de haut rang chargés des droits de l’homme qui a depuis démissionné des Nations Unies — a remis à la mission diplomatique française à Genève la synthèse des entretiens menés par la spécialiste des droits de l’homme des Nations Unies à Bangui.
En outre, la spécialiste elle-même insiste avoir informé les commandants de la mission Sangaris à Bangui des allégations portées contre leurs soldats dès le mois de mai 2014.
Notre source au parquet a dit à IRIN que les interrogatoires de juin 2015 « n’ont pas donné suffisamment d’éclaircissements pour inculper qui que ce soit ». Seuls cinq des 14 suspects mentionnés dans les synthèses ont pu être identifiés, a ajouté notre source.
Les enquêteurs français ont interrogé ces cinq suspects en décembre 2015, soit deux mois après la diffusion du documentaire.
Réticence des Nations Unies
Un comité d’experts indépendants a émis, en décembre 2015, un rapport détaillé révélant les contorsions et les délais affligeants imposés par la bureaucratie onusienne et qui entravent la transmission d’informations clés.
Le rapport fait le procès des actions et inactions des hauts fonctionnaires des Nations Unies dans l’affaire et prête foi à la France, qui assure que ses enquêtes ont été gravement entravées par le refus des Nations Unies de l’autoriser à interroger directement son personnel et par son insistance à ce que les enquêteurs suivent des « voies officielles » alambiquées.
« Les échanges entre la Mission permanente de la France et l’ONU, y compris entre leurs hauts responsables et bureaux juridiques respectifs, ont à chaque fois requis plusieurs semaines », ont rapporté les experts.
Les enquêteurs français ont commencé par contacter la spécialiste des droits de l’homme et un employé de l’UNICEF à Bangui en août 2014. Mais ce n’est qu’en avril 2015 que, conseillée par le Bureau des affaires juridiques des Nations Unies, la spécialiste a répondu à leurs questions, qui devaient lui être posées par écrit. Et ce n’est qu’en juillet 2015 que le Secrétaire général Ban Ki-moon a levé son immunité, privilège dont bénéficient tous les fonctionnaires des Nations Unies.
« [L] » immunité ne doit pas constituer un obstacle lorsque de hauts fonctionnaires ou des experts de l’ONU sont appelés à témoigner dans des affaires de délits sexuels », ont recommandé les experts.
Refus d’admettre ces sévices ?
Selon Emmanuel Daoud, avocat d’ECPAT, une ONG luttant contre l’exploitation sexuelle des enfants et faisant office de « partie civile » dans les poursuites pénales, le recours à l’immunité a en effet posé problème aux enquêteurs. Il a par contre rejeté toute suggestion selon laquelle les enquêteurs français auraient pu faire preuve de mauvaise volonté, insistant sur leur grand professionnalisme.
D’après lui, il n’est pas inhabituel que de telles enquêtes prennent autant de temps. Il a d’ailleurs souligné qu’il s’agissait d’une affaire particulièrement complexe, non seulement parce que les crimes ont eu lieu dans un pays étranger en proie à de violents troubles (imposant le recours à des interprètes pour mener les interrogatoires), mais aussi parce que les soldats de la mission Sangaris impliqués avaient été déployés ailleurs – l’un d’entre eux en Afghanistan.
Même en France, selon l’ouvrage Le viol, un crime presque ordinaire publié en 2013, les enquêtes criminelles pour des affaires de viol durent en moyenne trois ans et le verdict n’est délivré que cinq ans après le dépôt des plaintes.
Le secrétariat des Nations Unies affirme pour sa part avoir toujours agi correctement. « Nous avons pleinement coopéré avec les autorités judiciaires françaises », a dit aux journalistes Stéphane Dujarric, porte-parole de M. Ban, en mai 2015. « Et je pense que la question de la levée ou non de l’immunité n’était pas vraiment pertinente dans ce cas. »
Code Blue est du même avis, ce qui peut sembler étonnant si l’on considère sa critique virulente de l’incapacité des Nations Unies à éviter et à punir les violences sexuelles commises par des soldats de maintien de la paix.
« Dans ce cas précis, l’argument selon lequel l’immunité serait le principal obstacle à l’enquête française ne tient pas debout », car le rapport initial de la spécialiste des droits de l’homme était très détaillé, a expliqué Gill Mathurin, directrice de la communication d’Aids-Free World.
Mme Mathurin ne pense pas pour autant qu’aucune erreur n’a été commise. Si les Nations Unies avaient alerté les autorités françaises en mai 2014, « elles auraient probablement pu éviter que de nouvelles violences soient perpétrées », a-t-elle précisé.
En avril 2016, les Nations Unies ont révélé qu’en RCA 108 autres victimes, principalement des mineures, avaient dénoncé des violences sexuelles (faisant même participer des animaux) commises entre 2013 et 2015, vraisemblablement par des soldats des Nations Unies et des forces françaises.
Trois mois plus tôt, d’autres sévices avaient été dévoilés, qui auraient été commis en 2014 par des soldats français et d’autres pays sur des enfants dont certains avaient à peine sept ans.
Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr
La vie un tout et un pas grand chose…
Avec Du désir d’horizons Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés.
Depuis l’automne 2014, le chorégraphe Salia Sanou et les danseurs de La Termitière, Centre de développement chorégraphique de Ouagadougou, conduisent des ateliers dans le camp de réfugiés maliens de Sag-Nioniogo au Burkina Faso. L’action s’inscrit dans le cadre de Refugies on the move, un programme d’African Artists for Development initié en 2009. La danse y est support de médiation sociale, afin de réduire la violence intra et intercommunautaire, de favoriser le dialogue avec l’extérieur et de redonner estime de soi aux déplacés.
En commençant ces ateliers, Salia Sanou s’interrogeait sur les désirs pour l’avenir « dans ce lieu hors du temps où l’histoire semble s’être arrêtée, les liens aux autres et au monde semblent perdus ». Au centre de cette interrogation, les 35 000 réfugiés qui avaient fui la guerre et le texte Limbes/Limbo, un hommage à Samuel Beckett de l’auteure canadienne Nancy Huston. Le spectacle élaboré avec sept danseurs, certains des interprètes sont issus du camp, n’est pas une illustration du texte ni des réalités des exilés. La danse, porte l’énergie des femmes qui « réinventent chaque jour un peu de vie, dit le chorégraphe, la musique et le rythme m’apparaissent comme un moyen de retour à la vie, même si… ».
D’abord le silence, et le mouvement du corps, celui d’une femme. Le corps parle de la brutalité violente de la vie. Le corps danse. Il est rejoint, par d’autres corps qui se nouent et se dénouent, se nourrissent d’états vécus, de rires et de douleurs, de tensions et de solidarités. La vie est là, puissante et fragile, sans assurance.
La vie est le risque de chaque instant qui repousse l’idée de futur, de rêve et de projet. Parce qu’ici et maintenant, ouvrir une perspective passe inévitablement par son corps que l’on met en danger.
L’oeuvre de Salia Sanou intègre depuis sa rencontre avec Mathilde Monnier, l’héritage de la danse africaine et de la danse contemporaine. Par la force de son propos, cette création, pousse le chorégraphe burkinabé à une grande liberté d’expression très perceptible sur le plateau.
Salia Sanou s’approprie les codes et les pratiques de la danse contemporaine et les ordonnent en intégrant une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. Cette approche infléchit plusieurs directions de recherche, qui évoquent le concept de comédie musicale, brandissent l’étendard de la nouvelle danse française des années 80, virent à l’escapade grecque, sans se départir des évidences naturelles africaines qui s’imposent comme préalable.
L’impulsion demeure la base qui dessine les identités spatiales et entraîne dans son sillage le sentiment de vitesse et d’accélération du temps où la danse tisse une partition avec le texte absurde. L’usage de l’énergie africaine adossée à l’édifice de la danse contemporaine raconte une histoire. Celle d’hommes qui éprouvent, vivent et finalement produisent le monde dans lequel ils vivent. Désirs d’horizons ?