Royaume-Uni: Theresa May prête à repousser le Brexit à 2019 ?

La Première ministre britannique Theresa May (à gauche) et la chancelière allemande Angela Merkel, le 20 juillet dernier à Berlin. John MACDOUGALL

Un article du Sunday Times explique que le Royaume-Uni pourrait reporter sa sortie de l’Union européenne à 2019. Un retard causé par les difficultés que rencontre l’administration britannique, mais aussi par les prochaines élections en France et en Allemagne.

Avec notre correspondante à Londres,  Marina Daras

La Première ministre britannique Theresa May avait annoncé qu’elle déclencherait l’article 50 du traité de Lisbonne en janvier ou février 2017, ce qui devait marquer le début de la période de négociations de deux ans au terme de laquelle le pays concerné doit quitter l’Union européenne.

Mais d’après le Sunday Times, certains ministres de son gouvernement auraient d’ores et déjà prévenu en privé de hauts responsables de la City de Londres que les négociations pourraient être repoussées jusqu’à fin 2017, ce qui reporterait le Brexit à fin 2019.

Les raisons de ce retard seraient d’ordre administratif, puisque les équipes ministérielles chargées du commerce international et de la sortie du royaume de l’UE ne sont tout simplement pas prêtes à entamer les négociations.

Au lendemain de sa nomination, Theresa May avait créé un ministère consacré entièrement au Brexit. Mais le ministre en charge, David Davis, n’aurait pour l’instant recruté que la moitié du personnel requis. Liam Fox, le ministre du Commerce international, est lui aussi en manque d’effectifs.

Le Sunday Times ajoute que l’élection présidentielle en France, qui aura lieu au printemps 2017, ainsi que les élections fédérales en Allemagne, prévues pour septembre de la même année, sont également susceptibles de pousser Mme May à retarder le processus.

Prudence du côté de Bruxelles

« Ce ne serait pas la bonne méthode d’imposer un ultimatum au Royaume-Uni », affirme, à Bruxelles, un porte-parole de la Commission européenne. Au lendemain du référendum britannique, les responsables des institutions européennes avaient pourtant été très clairs : le Brexit doit se faire le plus vite possible.

« Nous préférons un déclenchement accéléré, déclare un représentant de la Commission européenne à la correspondante de RFI dans la capitale belge, Laxmi Lota. Déclencher le processus est important car cela permet de clarifier les choses ». Mais, ajoute-t-il, « il n’y a pas de date imposée dans l’article 50, c’est au Royaume-Uni de décider ».

Martin Schulz, le président du Parlement européen, a à nouveau demandé le mois dernier à toutes les parties d’« agir avec une très grande responsabilité ». Le Brexit sera le dossier-clé de la rentrée, confirme la commission. « Nous ne sommes pas uniquement dans une position d’attente, confirme son porte-parole. Nous avons nommé Michel Barnier (commissaire européen au marché intérieur et ancien ministre français de l’Agriculture) comme négociateur et nous préparons les discussions ».

John MACDOUGALL

Source AFP et rfI 14/08/2016

Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique UE, rubrique Grande Bretagne, rubrique Economie,

Cynthia Fleury : “Aimer, c’est politique”

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Elle est philosophe et psychanalyste, elle exerce comme professeur, chercheur et praticien dans un univers contrasté, composé de prestigieux établissements d’enseignement supérieur (Ecole Polytechnique, Sciences Po Paris, HEC, American University of Paris), du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu, et de l’Hôtel Dieu – où elle vient de créer la première chaire de philosophie en secteur hospitalier. Des métiers, un terrain d’expérimentations et d’actions qui mettent ses convictions à l’épreuve – et se nourrissent – d’un public et d’une matière protéiformes, et qui la confrontent au « Réel ». Un réel dont elle appelle à combattre le « poison » marchand, matérialiste, spéculatif afin d’épanouir « l’être individué », c’est-à-dire l’être sujet, affranchi, désaliéné, singulier, créateur, altruiste et libre qui conditionne son « irremplaçabilité » aujourd’hui menacée. Sa multidisciplinarité confère à Cynthia Fleury d’être particulièrement légitime pour examiner l’humanité de l’Homme dans le prisme des systèmes, des technologies, des performances, du pouvoir et des vassalités qu’il déploie. Son auscultation est radicale, mais aussi espérance si « l’amour » qui construit l’être intrinsèque et l’être social parvient à s’imposer.

Acteurs de l’économie – La Tribune. Permettre à tout individu d’être ou de redevenir sujet selon le processus d’« individuation », reconnaître le caractère inaliénable et singulier de la personne humaine, et ainsi établir le principe d’« irremplaçabilité » de l’Homme grâce auquel prennent forme le sens et l’utilité de l’existence. Votre essai Les irremplaçables (Gallimard) traite de cette nécessité, qui conditionne une multitude d’enjeux : l’éducation, la considération de l’essentiel, le rapport au pouvoir, la relation au temps, la salubrité de la démocratie, le modèle capitaliste… Irremplaçable : l’individu l’est-il aujourd’hui moins qu’hier ?

Cynthia Fleury. Le phénomène de « chosification » de l’individu n’est pas nouveau mais depuis une vingtaine d’années, nous assistons à son retour, et à son accroissement, via des dynamiques et des procédures d’interchangeabilité, qui donnent à l’individu un sentiment de désingularisation, et donc de déshumanisation. Ce mouvement a pour socle principal la révolution managériale et le renouveau de la rationalisation scientifique.

Des travaux de Jeremy Bentham (1748-1832) à ceux de Winslow Taylor (1856-1915), l’organisation scientifique du travail a toujours fait l’objet de doctrines convergeant vers cette rationalisation déshumanisante, mais le tournant des années 1960 et le besoin de s’extraire de cette chape font apparaître un souci inédit sinon d’irremplaçabilité au moins de resingularisation. Cette « respiration » ne se révèlera toutefois que temporaire ; le cadre ultraconcurrentiel et ultramarchand symptomatique du monde libéral au XXIe siècle asservit la civilisation à un diktat hégémonique : la raison économique s’impose à tout, comme l’alpha et l’omega de la vie et du sens. Tout est monétarisé.

La règle marchande et consumériste impose aux biens matériels celle du renouvellement effréné, de la substitution presque instantanée ; le principe de remplaçabilité contamine-t-il donc l’Homme ?

Absolument. « Je ne vaux rien, je me sens ou me sais totalement remplaçable et interchangeable », me confient des patients. Mais cette réalité n’est pas nouvelle, elle est seulement exacerbée. En quelle année le penseur autrichien Günther Anders rédigea-t-il L’obsolescence de l’homme ? En 1956.

Le modèle architectural « panoptique » inventé par Jeremy Bentham et son frère – édifier une tour centrale permettant aux surveillants de contrôler sans être vus les prisonniers incarcérés dans des bâtiments disposés en arc de cercle – fut déployé à d’autres fins que les geôles, notamment dans les écoles, les hôpitaux et les manufactures industrielles. Partout où se concentraient la hiérarchie des individus, la présence de fortes vulnérabilités et l’exercice des dominations. Michel Foucault, dans Surveiller et punir (Gallimard, 1975), décela d’ailleurs dans cette « visibilité organisée entièrement autour d’un regard dominateur et surveillant » l’essence même du modèle disciplinaire moderne.

Le cercle de la rationalisation scientifique s’est donc extraordinairement ouvert à un nombre inédit de strates de la société. Des territoires qui en étaient autrefois davantage préservés sont désormais assujettis à la logique marchande – éducation, santé, relations affectives – et succombent à l’ultime avatar de la rationalisation : celle de la financiarisation spéculative, qui semble fasciner comme jamais. Or c’est un leurre, car la rationalisation du profit charrie son propre lot de perversion, d’échecs, d’inégalités criantes, de désillusions.

Famille, école, enseignement supérieur, association, entreprise : les espaces d’accomplissement de la dynamique d’« individuation » – processus de création et de distinction de l’individu – s’étagent tout au long de l’existence. Quelles sont les entraves communes et singulières à ces différentes étapes ?

La dynamique d’individuation fait s’exprimer « une intelligence dans un certain contexte » ; cela signifie que ce qui est entrave à un moment particulier peut, à un autre, susciter un dépassement ou révéler une vertu. Bref, toute contrainte n’est pas entrave. Les obstacles à l’individuation peuvent toutefois être réunis sous un même vocable : la maltraitance. Une maltraitance dont les manifestations couvrent un spectre immense : manque d’attention, indifférence, refus de considérer l’interlocuteur comme un « sujet » avec lequel on établit une relation qualitative intersubjective, etc… jusqu’à l’expression la plus ultime, lorsqu’elle attente à l’intégrité morale, psychique et bien sûr physique. La maltraitance est un mode d’instrumentalisation de l’autre, qu’elle relève du cercle familial, institutionnel ou professionnel.

L’école également est un lieu de maltraitance, et notamment de récidives. Récidives des mécanismes d’inhibitions, dans le meilleur des cas sociales, et, au pire, cognitives ; à l’école en effet, on apprend trop souvent à ne penser que selon un cadre comprimant, réducteur, uniformisé. La méthode, la discipline sont totalement nécessaires au processus d’individuation, mais elles ne se confondent pas avec la désingularisation.

Quant à l’entreprise, elle a cultivé sans retenue l’instrumentalisation de l’individu. Sous couvert d’encourager l’autonomisation, l’émancipation, l’authenticité, le talent, la réalité de chaque salarié, les systèmes d’organisation du travail et de management ont exacerbé son individualisme et son isolement, ils l’ont mis délibérément en danger notamment en faisant voler en éclats les stratégies collectives de défense et en enfermant ce « sujet » dans une perspective exclusivement utilitariste et subordonnée. En d’autres termes, « comment vais-je m’employer à faire de cette singularité un client ou un travailleur encore plus assujettis ? », s’interrogent la plupart des directions d’entreprise.

Benoît Hamon veut en finir avec les notes qui briment à l'école

« L’école est un lieu de maltraitance, mais aussi de récidives des mécanismes d’inhibitions, au mieux sociales au pire cognitives. »

L’éducation constitue la condition peut-être la plus déterminante à la réussite d’un parcours d’individuation. Quels sont les principaux fondements d’une éducation à l’individuation ? Et dans un monde inédit voire totalitariste d’ultra-compétition, est-il possible d’éduquer à ne pas être réduit à un simple agent de compétition, à un agent en survie plutôt qu’à un agent bâtisseur ?

Chaque parent est en prise à des conflits de loyauté et de légitimité forts. En effet, nous sommes pleinement conscients des insuffisances (morales, culturelles…) et des dangers (compétition mortifère, inégalités aggravées, technologisation tentaculaire, déshumanisation économique) dont nous voulons préserver nos enfants. Mais pour cela, il faudrait quasiment les extraire dudit milieu, compétitif et parfois sclérosant, de la société. Or c’est délicat, et lourd de conséquences quasi irréversibles.

En fait, le système éducatif marie les antagonismes et les oxymores comme nul autre : il fournit des armes à la fois pour être acteur assumé et conquérant de cette compétition (ou sa victime), et pour imaginer la déconstruction de cette compétition et la naissance de nouveaux territoires d’épanouissement. Démultiplier les modèles d’apprentissage scolaire, les diversifier, aiderait à déscléroser nos mécanismes éducationnels. La famille a aussi un enjeu-clé : offrir la capacité à l’enfant de résister aux injonctions de ce contexte ultracompétitif hégémonique, ne pas être l’objet de sa disqualification, et surtout l’éveiller à remettre en cause et à dépasser cedit contexte que l’on sait intrinsèquement destructeur.

Entrer dans un processus d’individuation exige de voyager très loin au fond de soi. Et ainsi d’accepter de se mettre en risque voire en danger en allant creuser là où sont nichées les vulnérabilités qui « font » trésor. Connaître et se connaître impliquent, le démontrez-vous d’ailleurs, « d’être en risque », ce risque qui fonde la valeur et la densité du souci de soi. La hâte, la superficialité, la technologie numérique, le matérialisme mais aussi l’obligation de performance et de solidité qui caractérisent la civilisation occidentale en constituent-ils un obstacle « dépassable » ou rédhibitoire ?

Rien n’est jamais rédhibitoire, mais tout a un prix. Et celui de l’affranchissement est considérable. En effet, contester le réquisit de la performance et de la compétition et s’en extraire a pour conséquence d’être aussitôt placé en accusation. Refuser de se soumettre à une telle évaluation, c’est prendre la décision d’être non pas soupçonné d’avoir une valeur autre, mais catégorisé sans valeur. C’est prendre le risque d’une mort sociale. La marge de manœuvre est donc en réalité extrêmement étroite, et même quasiment inexploitable.

Que font, in fine, l’immense majorité des individus ? Soit par aveuglément soit par résignation consciente, ils se mettent au service de cet ordre suprême de la performance, seul à même de leur permettre d’être « reconnus ». Et la reconnaissance est ici bien plus que sociale : elle est ontologique, elle conditionne le regard que vous portez sur votre propre être, et le lien que vous fondez avec tout autre et donc avec l’ensemble de la société. Qui est prêt à payer ce prix de l’affranchissement, qui a pour noms isolement, non reconnaissance, solitude ? Les ermites ou certains marginaux ? Ceux qui ont renoncé à ce que nous faisons tous : négocier, c’est-à-dire faire les arbitrages et trouver les compromis grâce auxquels on conserve un peu d’intégrité dans un système qui s’emploie à la nier.

Quelle est votre estimation du « bon risque », mais aussi de la « bonne instabilité », de la « bonne précarité » qui déterminent notamment la faculté d’entreprendre ? Principe de précaution qui a outrepassé ses prérogatives initiales, sécurité de l’emploi dans un secteur public ultracorporatiste et dont certains privilèges sont devenus indicibles, garanties excessives exigées par les systèmes bancaire ou assurantiel, pressions morales de toutes sortes : est-on encore encouragé à « être en risque » ?

Jamais le monde occidental n’a dénombré autant de millionnaires, comptabilisé autant de richesses, accumulé autant de PIB – le fameux indice censé faire la démonstration de la bonne santé des nations -, fait naître et aggloméré autant d’intelligences et de qualifications… et pourtant la plupart des disparités demeurent considérables, et certaines mêmes s’aggravent. La « crise » a bon dos, c’est-à-dire que le vocable est opportun pour qui veut dissimuler ses réalités et ses manifestations dans leurs détails.

Or justement, l’examen de ces détails révèle qu’une partie du monde est performante dans la précarité – grâce à ses revenus, son niveau de qualification, son origine sociale, etc. -, et fait supporter aux autres, globalement démunis, les répercussions néfastes de cette précarité. Tout le monde n’est pas armé de la même manière pour tirer profit du risque. Et surtout le « risque » n’est pas reconnu dans sa pluralité. Ceux qui supportent le risque aujourd’hui, ce sont principalement les travailleurs précarisés.

Est-il acceptable que du bondissement du nombre de working poors résulte l’enrichissement supplémentaire de dirigeants et actionnaires d’entreprises ? Doit-on tolérer cette précarité structurelle qui développe des logiques et des outils « incapacitaires », enfermant ses « détenus » dans une course pour honorer les injonctions du court-termisme, telle une pyramide de Ponzi ?

La mondialisation n’est pas pour autant « que » dégâts, et parmi ses bienfaits il faut retenir la mobilité, c’est-à-dire l’opportunité et la faculté d’investiguer bien au-delà de son territoire, de sa culture, de son pays, de son économie d’origine. Mais là encore, attention : croire que nous sommes égaux face à cette belle perspective est un leurre. La mobilité ne repose pas sur un accès totalement démocratisé et équitable aux outils qui permettent de la vivre. Quiconque n’est pas bilingue, ne maîtrise pas le numérique, n’a pas accès aux bons circuits d’information, est disqualifié. Travailler à juguler ces écarts est un devoir pour l’Etat et tous les rouages – y compris bien sûr l’entreprise – de la nation.

S’individuer, c’est s’extirper de sa « minorité » – l’incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui -, c’est être en dynamique d’autonomisation pour s’accomplir. Et être libre. Cette minorité fut contestée avec bonheur au Siècle des Lumières ; trois cents ans plus tard et au-delà des apparences, ne s’est-elle pas réimposée, sous d’autres formes ?

Dans le sillage des villes, des métiers, des structures du travail, des classes sociales, la société contemporaine est frappée de « déshomogénéisation ». Il ne s’agit pas là d’une régression, mais simplement d’un fait, aussi massif qu’incontestable, lié à la mondialisation. Ses effets sont accentués par l’exacerbation des identités culturelles, des communautés et des blessures narcissiques de toutes sortes, par l’égalitarisation des conditions d’existence, la crise des autorités, le sentiment croissant de défiance à l’égard de la science, le retour des idéologies et des religions, etc. Tout cela compose un volcan.

Justement, si l’on considère que le processus d’individuation et donc de singularisation permet de juguler la loi du déterminisme social et culturel, faut-il juger, à l’aune des inégalités sociales à la naissance toujours aussi élevées, que ce processus s’exprime très faiblement ou que certains obstacles à son accomplissement sont insurmontables ?

Nous continuons à assimiler l‘individualisme et l’individuation. Or le premier sert très vite les idéaux pervertis des mécanismes néolibéraux, alors que la seconde les décrypte et les déconstruit. L’individuation est une « capacité critique » qui ne conteste nullement le sentiment d’affiliation, sauf qu’elle privilégie l’appartenance symbolique, celle qu’elle réinvente plutôt que celle dont elle « s’origine. » Ce qu’il faut comprendre, c’est ce lien intrinsèque entre les sujets et l’Etat de droit ; ce dernier se nourrit de leur individuation, sans elle, il ne peut se revitaliser. Les obstacles à l’individuation ne sont pas insurmontables, ils sont simplement culturellement, sociologiquement, très ancrés. La valeur de l’individuation est à légitimer, dans sa dimension psychique et politique.

Le travail forme un terreau fertile, mais l’organisation du travail et les injonctions qui l’encadrent – productivité, performance, compétitivité, rentabilité, mobilité, docilité, etc. – souvent assèchent le potentiel de réalisation et d’émancipation. Le sens d’un métier peut être effacé par le déficit de sens de l’organisation qui sert de support à l’exercice dudit métier. De nouvelles formes d’organisation du travail voient le jour, qui tentent de conférer à la singularité toute sa richesse. Font-elles espérer la réconciliation de l’Homme et de l’entreprise ?

Absolument, même s’il faut raison garder ; ce qu’elles représentent est encore trop faible et ne pèse guère face aux entreprises ligotées aux règles déshumanisantes. Toutefois, par conviction véritable, pour répondre aux pressions des consommateurs ou aux injonctions de la RSE (responsabilité sociale et sociétale), les collectifs de travail sensibles à des organisations managériales reconnaissant les vertus de l’individu singulier semblent de plus en plus nombreux. Même des multinationales commencent à admettre que cette reconnaissance sert l’efficacité d’ensemble de l’entreprise.

« Devenir un collaborateur, c’est devenir remplaçable, c’est entrer dans la chaîne et vivre sans avenir, c’est vivre comme si l’avenir disparaissait. » Ce propos de Günther Anders dans L’obsolescence de l’Homme doit-il signifier que le principe de collaboration, axe cardinal de l’organisation, du management, de la culture même des entreprises est un non sens, ou plutôt n’a pas de sens éthique – cette éthique que vous qualifiez être « le Réel auquel l’Homme n’a pas accès lorsqu’il renonce à son irremplaçabilité » ?

Günther Anders comme Hannah Arendt ont exploré les ressorts de la banalité du mal et mis en lumière le processus de désubjectivation : dans quelles circonstances et pour quelles raisons décide-t-on de ne pas ou de ne plus être sujet, c’est-à-dire de se soustraire à l’exercice et à l’« assumation » de ses responsabilités ? Les « cas » d’Eichmann et d’Eatherly sont emblématiques : le premier, fonctionnaire zélé, a dirigé la logistique et l’administration de la « Solution finale » et le second pilota l’un des avions d’assistance de celui qui largua la bombe atomique sur Hiroshima. Leurs arguments face à leurs responsabilités de l’indicible ? Totalement opposés : Eichmann, c’est le déni, le fait d’avoir exécuté les ordres, d’avoir été un « rouage » – sous-entendu : un autre aurait fait la même chose. Earthely, c’est l’impossibilité à accepter l’horreur de son geste, et sa folie grandissante devant une société qui ne veut pas reconnaître sa propre horreur.

Tous deux, face à des injonctions étatiques humainement inconcevables, justifièrent l’abdication de leur sujet en employant des trajectoires très différentes. L’Américain voulut faire acter la défaillance profonde de l’Etat de droit – il en deviendra fou -, l’Allemand quant à lui tergiversa sans cesse lors de son procès (à Jérusalem en 1961) et en réponse aux appels des magistrats à resubjectiver les actes de son passé nazi : incapable d’assumer son « sujet » dans certaines circonstances – celles qui l’interrogent sur l’Histoire avec un H majuscule -, totalement « sujet » dans d’autres – celles qui sollicitent sa petite histoire personnelle. Cette capacité à cliver, à être sujet et non sujet au gré des contextes et de son intérêt, est la preuve qu’il n’était pas fou et était en pleine conscience.

Cet exemple incarne la problématique de la responsabilité. « S’individuer, c’est prendre conscience que l’on doit au monde », rappelez-vous d’ailleurs. Le monde, c’est la planète et c’est aussi sa famille, c’est le paysan d’Afrique et c’est aussi son voisin, c’est une ethnie entière et c’est aussi son collègue de travail… S’individuer modifie notre conception des droits et des devoirs dans le sens d’une plus grande responsabilité…

Indéniablement. Et c’est pourquoi l’évocation du double cas d’Eichmann et d’Eatherly n’est pas une digression ; elle illustre la question, fondamentale, de l’engagement dans le récit collectif. Et il ne faut pas croire qu’elle n’est pas riche d’enseignement, même appliquée à un contexte en apparence plus anodin, comme l’entreprise. Chaque jour, dans le monde du travail, il est proposé au sujet soit d’assumer sa responsabilité, soit de s’en défausser. Certes nous ne sommes que les maillons d’une chaîne – sur la planète, dans sa ville ou sa communauté, sur son lieu de travail, etc. -, mais utiliser cette réalité pour se décréter ou être considéré interchangeable et ainsi fuir ses responsabilités, est fallacieux.

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« Dans quelles circonstances décide-t-on de ne pas ou de ne plus être sujet, de se soustraire à l' »assumation » de ses responsabilités? Eichmann, maître d’oeuvre de la Solution finale, est un cas d’école. » Ici, lors de son procès. (Crédits : Flick’r / The Huntington Theatre Company)

« Etre irremplaçable, ce n’est pas refuser d’être remplacé, c’est simplement avoir conscience de son caractère irremplaçable », rappelez-vous. Personne n’est irremplaçable, chacun est indispensable. Notamment dans la tête des créateurs d’entreprises, le principe d’irremplaçabilité se confond parfois avec la notion de toute-puissance, et surtout devient un obstacle au cheminement des salariés vers leur propre individuation. Dans un environnement dominé par l’image, le marketing, les médias, et qui sacralise performance, narcissisme, vanité, cette confusion des genres prend-elle une dimension inédite ?

Ce monde contemporain est en effet frappé de folie narcissique immense, nourrie par un mythe de la personnalisation extrême. Il est celui du spectacle – ce n’est bien sûr pas nouveau, comme pouvait l’illustrer toute cour des rois qui était un théâtre permanent -, mais sous le joug d’un système panoptique qui superpose les écrans dans le prisme desquels chacun est sous l’œil de chacun, le phénomène s’est amplifié de manière inédite.

Tout désormais est « accélération », notamment des existences, tout est « marchandisation » de la célébrité ou de la notoriété par la faute desquelles chacun devient son propre outil de « chimérisation » et donc cherche lui-même à devenir marque, à être repéré comme produit à forte valeur ajoutée. Les réseaux sociaux et les followers – qui non seulement établissent notre notoriété mais conditionnent la reconnaissance de ce que nous faisons – forme une impressionnante mise en scène de l’ego, et cela même malgré soi : difficile de s’extraire, là encore, du diktat de la visibilité et de la traçabilité pour faire connaître et valider auprès du plus grand nombre ce que l’on entreprend ou expérimente, sans en payer le prix fort.

Se retirer du jeu de l’hypervisibilité est compliqué, subir l’hypervisibilité est invivable. C’est cette double contrainte qui produit une hybridation psychique, nullement nouvelle, mais exacerbée entre les complexes de toute-puissance et ceux d’infériorité.

Il n’y a pas de possibilité d’individuation si le temps que l’on donne à cheminer vers soi est furtif ou trop rare. Le rapport au temps est pluriel et contrasté, l’impression est que nous dominons un temps qui en réalité ne nous a sans doute jamais autant asservis, et le temps semble avoir pour vocation première justement celle de nous écarter de cette rencontre avec nous-mêmes. Hannah Arendt n’avait de cesse de dénoncer la quasi disparition de la scholè, le « temps pour soi ». S’il existe un domaine qui semble avoir irrémédiablement échappé à notre souveraineté, c’est bien celui-là…

Le temps est capturé, et d’ailleurs cette confiscation est particulièrement préoccupante et pénalisante, puisque le temps forme le premier espace vital de l’homme, il est sa véritable « maison ». Dépossédé d’un toit ou d’un lieu physique, l’individu peut en trouver un ailleurs ; c’est loin d’être aisé, mais je crois que la création d’un « temps propre » est encore plus menacée et porteuse de conséquences fâcheuses. Le premier responsable de cette confiscation est l’obligation de productivité, et la principale conséquence est l’abandon du souci de soi et de la capacité critique à contester cet outil de production. La lutte pour récupérer ou reconquérir du temps pour soi est un acte politique majeur.

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« Google, Apple, Facebook, Starbucks, n’auraient pas pu élaborer leurs montages d‘optimisation fiscale sans la complicité du ministère du Budget. »

Dans quelles proportions le processus d’individuation conditionne-t-il la faculté créatrice ? Comment, notamment dans l’entreprise, peut-on donner une concrétisation collective et tirer la quintessence commune aux processus personnels d’individuation ?

Etre individué ne signifie pas forcément être davantage « équipé » pour créer. Le processus créatif résulte de racines, de ressorts, de moteurs extrêmement variés. Ensuite, il y a plusieurs façons de « créer », de faire œuvre : la fraternité, comme l’art, est une œuvre fondamentale. Certains seront des « accoucheurs » de la créativité d’autrui, des Pygmalions, d’autres encore seront des muses, etc.

Quel est l’enjeu de la création si ce n’est de s’extraire de la rivalité mimétique et de faire émerger un désir propre ? Cet inattendu, cette insubordination, cette culture de l’expérimentation – économique, managériale, mais surtout existentielle – qui bouscule la stratégie planifiée, l’entreprise doit avoir pour dessein de les favoriser plutôt que continuer à les décourager. Pour cela, elle doit accepter que le profit ne soit pas la finalité de sa stratégie mais simplement un moyen au service d’une invention sociale plus déterminante.

Le débat sur la nécessité ou l’utilité du travail dominical a basculé. Il y a encore une dizaine d’années, les vertus du repos dominical – du temps commun à tous (ou presque) pour penser à soi et avec l’autre, et pour prendre ses distances, un jour par semaine, avec le rouleau-compresseur consumériste et productiviste – l’emportaient ; au nom d’injonctions économiques mais aussi de la liberté pour l’individu de faire le choix de travailler le dimanche, elles se sont effacées. Est-ce symptomatique d’un bouleversement profond de la société en faveur du plaisir strictement personnel, strictement immédiat, strictement matérialiste ?

Ne nous leurrons pas : personne ou presque n’aspire à vouloir coûte que coûte travailler le dimanche, et ce volontariat a pour seule motivation, compréhensible, la gratification pécuniaire – pour beaucoup, soumis à des salaires ou à des temps partiels peu rémunérateurs. Ceci étant, la généralisation et donc la banalisation du travail dominical ne sont pas sans conséquence sur la manière dont nous partageons notre temps libre.

Le dimanche n’était pas trop « monétarisé », pas trop « marchand » ; aujourd’hui, il devient un jour où l’on consomme encore plus. Le repos, ce n’est pas seulement l’absence d’activité, c’est aussi un certain type de partage avec autrui. Il faut veiller à maintenir une société dans laquelle partager, hors d’un système marchand, socialement et humainement des respirations hebdomadaires, en famille ou entre amis, n’est pas aléatoire.

L’atomisation des règles infecte nécessairement l’affectio societatis, et est donc propice à enflammer certains maux dans la société : abandon, solitude, violences, dépressions, etc. Assurer à chacun sa liberté de travailler est essentiel, mais il faut aussi admettre qu’il n’existe aucune vie sans limites, sans construction d’espaces et préservation de temps communs. Ces espaces et ces temps évoluent bien sûr au gré de l’histoire, ils doivent être pensés indépendamment des institutions, et notre époque propice aux « co », et notamment à la co-élaboration, peut d’ailleurs se révéler créative en la matière. Mais la sanctuarisation de cet affectio societatis (même s’il est profondément plastique) est capitale et incontournable.

Le verbe et le substantif pouvoir ne portent pas le même sens. Pouvoir utilement pour soi et les autres exige d’être en rapport à un pouvoir adéquat. De quel substrat éthique et moral, politique et législatif, faut-il encadrer le triple exercice du pouvoir, de l’autorité, de la discipline pour qu’ils soient utilité personnelle et collective, pour qu’ils fassent éclore ou grandir l’être sujet plutôt qu’ils ne le vassalisent et l’instrumentalisent, pour qu’ils fassent lien social plutôt que domination ?

Désubstantialiser « le pouvoir » est une condition essentielle pour s’affranchir d’un rapport idolâtre, fallacieux, duplice audit pouvoir. Le pouvoir est une réalité complexe et ambivalente. Il est circulaire, il n’est pas l’apanage d’un seul, mais d’un réseau dans lequel les membres s’adoubent réciproquement. Il est renforcé par nos croyances dans son inéluctabilité alors qu’il est un artefact, fabriqué de toutes parts par les dominations symboliques et socio-économiques. Ses mécanismes relèvent d’une religion continuée, soit d’un même type de croyances, de fascinations, et de soumissions volontaires.

Á l’inverse, le verbe « pouvoir » signifie la dynamique de transformation, à laquelle il est essentiel que le plus grand nombre souscrive et participe. Essentiel, afin qu’une action concrète en résulte, et cela nécessite au préalable que ces producteurs du verbe pouvoir soient organisés. L’autodiscipline est le meilleur allié du faire, au sens où c’est une vertu opératoire, qui permet de rendre possible et efficace ce faire.

Quant à l’autorité, elle forme un pilier de la démocratie. Elle est ce surcroît conféré à des individus ou des institutions que l’on juge « légitimes » pour nous représenter, ou nous accompagner dans notre propre cheminement d’apprentissage, ou encore auxquels on se réfère pour organiser la cité, et plus généralement nos vies. L’autorité nous permet de devenir « auteurs », à notre tour. C’est le contraire de l’autoritarisme.

Le processus d’individuation interroge d’ailleurs en profondeur les manifestations de la domination, il met en lumière le rapport dominant-dominé. Ce rapport, quels en sont les fondements, les ressorts, les langages, les manifestations en 2016 ? Sont-ils fortement distincts de ceux du XXe siècle ? Et à partir de quels outils les dominants contemporains agissent-ils pour inféoder, réussir « l’entreprise de démolition » qui consiste à « cesser de croire en sa propre irremplaçabilité pour devenir un irremplaçable chaînon », bref pour imposer une nouvelle forme de totalitarisme ?

Les outils et les méthodes de la domination ont bien sûr fortement changé. Ils sont plus diffus et pernicieux, moins visibles ou « saisissables », et prennent essentiellement la forme de vexations symboliques, d’humiliations répétitives et ordinaires, de dévalorisation de soi, de paupérisation orchestrée. C’est ce mélange incessant qui produit une grande usure, voire une érosion de soi.

Prenons le cas, en apparence anodin, des avantages ou privilèges suivants : taille du bureau, place de parking, invitation à déjeuner ou « qualité » de la considération publique par un supérieur, manière de saluer, usage arbitraire du « tu » ou du « vous », possibilité d’accéder à l’enceinte dans laquelle on travaille facilement, bref quantité de signaux inutiles qui concomitamment bonifient ceux qui en bénéficient et relèguent ou discréditent les autres. Ces vexations narcissiques passent par l’attitude, le langage ou le geste, elles constituent des humiliations impalpables, bien sûr impossibles à dénoncer ou à poursuivre juridiquement. Or elles peuvent être d’une grande douleur pour ceux qui les éprouvent, surtout injustement et depuis longtemps – elles peuvent démarrer dès la petite école, notamment lorsqu’elles sont un reflet et donc la reproduction des inégalités sociales.

De telles stratégies insidieuses de disqualification exhortent ou convainquent la victime, à qui « on » fait prendre conscience qu’elle est niée ou dégradée, de s’enfermer dans l’acceptation de sa condition, de s’auto-censurer. Commence alors un travail, patient et long, pour déconstruire ces vexations sans produire d’amertume ou de colère, et trouver l’accès à sa propre individuation, et à un possible engagement, régénérant, dans la cité.

Parfois, ces vexations révélatrices de dominations trouvent un support, une caisse amplificatrice voire même une légitimité là où on ne les attend pas. Par exemple au sommet de l’Etat (de droit)…

Effectivement. Google, Apple, Facebook, Starbucks en sont l’illustration. Voilà des entreprises qui, par le truchement de sociétés intermédiaires basées qui en Irlande qui aux Pays-Bas, se soustraient à leur devoir d’impôts sur les bénéfices dans les autres pays d’Europe, dont bien sûr la France. Or ces montages d’optimisation fiscale ne peuvent être élaborés sans la complicité, délibérée ou subie, des ministères du Budget. Imagine-t-on les dégâts que ce tel cautionnement public d’un acte immoral voire délictueux provoque dans l’opinion ? Comment dans ces conditions l’autorité – et même la légitimité – de l’Etat de droit peut-elle se maintenir ? N’est-on pas dans une configuration extrême des vexations, humiliations et autres dominations inacceptables en démocratie ? « L’arbitraire légalisé » est l’un des pires fléaux de la démocratie.

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« La Gauche française est victime de la trahison de ses élites, qu’elles soient corrompues ou trop rentières. »

Si Dieu existe, est-il un dominant, un maître qui libèrent l’individu de sa minorité ou au contraire qui l’y enferment ? Son pouvoir est-il immaculé ou corruption ?

Dieu est un concept – polymorphe qui plus est – inventé par les hommes. Il est l’alibi des pires manquements humains, de leur volonté farouche à ne pas devenir sujets. Ensuite, s’il s’agit de faire du nom de « Dieu » la foi dans l’humanité, pourquoi pas, mais un tel viatique n’est pas obligatoire.

L’expérience de Mère Teresa, sur sa longue nuit de la foi, est exemplaire du doute qui étreint l’homme et le protège de ses certitudes d’ignorant. Si la foi s’identifie à une tutelle dogmatique – qui peut être idéologique ou religieuse -, elle devient délétère et même mortifère pour l’esprit humain, puisque qu’elle dispense (au mieux) et interdit (au pire) de penser librement et par soi-même. Si la foi équivaut à l’« Ouvert » du poète Rilke, à un sentiment mystérieux face au Réel, à l’accueil et à l’exploration de perspectives inconnues, alors à ce titre, elle est totalement conciliable avec la liberté de penser et de pratiquer la recherche scientifique.

Etre sujet constitue le ciment du fonctionnement d’une démocratie, séculairement considérée comme le levier d’émancipation, d’accomplissement des êtres libres. La régénération de cette démocratie, l’accès à une vitalité en perdition, n’exigent-ils pas désormais d’inverser les rôles, c’est-à-dire de réfléchir aux voies que l’individu doit emprunter pour en être acteur et non plus seulement bénéficiaire ?

L’Etat de droit et la démocratie composent un système vitaliste, qui, tel un organe de notre corps, « vit » de respiration, de sang, de muscles, de régénérations exogènes et endogènes. Et cela depuis 1789 – même si ses fondements sont plus anciens.

Cette démocratie ne vit qu’à la condition d’être sans cesse remise en question, mesurée à son passé éloigné ou récent, réévaluée, et donc revivifiée à partir de leviers nouveaux, adaptés aux spécificités (technologiques, spatiales, culturelles, économiques, etc.) de chaque époque. La démocratie du suffrage censitaire et celle du suffrage universel, celle de la France isolée et celle de la France combinant avec les systèmes de 27 autres états membres de l’Union européenne, connaissent de profondes différences. Et c’est justement parce que la complexité de l’Etat de droit est grandissante que la singularité des citoyens est encore plus essentielle pour y faire face et assurer un fonctionnement démocratique à la hauteur des circonstances et des enjeux.

Mais alors ne prend-on pas le risque du chaos ? En effet, s’individuer exhorte à (se) révéler toutes les poches de singularité, mais aussi les aspirations ou exigences propres à l’émancipation et à la réalisation de soi qui lui sont associées. Or « faire société » impose des renoncements, des retraits. A force de célébrer les singularités de chacun, ne rend-on pas de plus en plus improbable le être ensemble et le faire ensemble ? Si chacun est autorisé à revendiquer son irremplaçabilité et la sanctuarisation de ses singularités, comment peut-on faire société ?

De nouveau, l’individuation est la conscience d’être « manquant ». Autrement dit, plus on s’individue, plus on fait société. Cette équation est inéluctable, puisque pour construire sa subjectivité, l’individu a fondamentalement besoin d’intersubjectivité. Le fameux affectio societatis nous rappelle que créer avec les et grâce aux autres est la condition même de notre existence et donc de notre survie. Le retrait, le renoncement, ne sont pas uniquement des notions arbitraires, subies. Le renoncement fait partie intégrante de l’individuation.

En revanche, il existe des « renoncements » qui ne sont que des rémanences de domination sociale. Il ne s’agit donc pas d’évacuer la problématique du deuil ou du renoncement – grandir, s’individuer, c’est faire différents deuils -, mais de veiller à ce qu’elle ne soit pas instrumentée par la domination, socio-économique et politique. Ensuite, il y a un deuxième âge de l’Etat-Providence à fonder, illustré notamment par l’avènement d’un revenu universel affranchissant l’homme de l’obligation d’un travail pour survivre.

Le double enjeu de l’irremplaçabilité et de l’individuation inspire une lecture, une interprétation politiques, sociologiques, idéologiques et même partisanes. N’est-ce pas de l’antagonisme, insoluble, « être sujet – faire collectif » dont souffre le plus et dont est prisonnière la Gauche ?

Une partie des partisans de Gauche se sont faits rattraper par le cénacle des « dominants », ceux qui au nom de la défense des plus vulnérables en réalité ne représentaient que leurs propres intérêts. La Gauche française est victime de la trahison de ses élites, qu’elles soient corrompues ou trop rentières. Ces dernières se sont engagées dans une libéralisation effrénée de l’économie, elles souscrivent depuis plusieurs décennies à une dérégulation incontrôlée qui affecte en premier lieu ceux qui lui accordaient leur confiance. Et la gauche, plus radicale au sens premier du terme, peine à rendre lisible sa capacité de gouverner, et donc de réformer durablement.

Se mettre en chemin vers l’individuation à la fois constitue un rempart à la vacuité de la civilisation matérialiste et individualiste, et est durement malmené par cette même inanité. Parce qu’il entretient individualisme, cupidité, égoïsme et utilitarisme, le capitalisme est-il bien davantage obstacle que ressort aux principes d’individuation et d’irremplaçabilité ? Un autre modèle doit-il être inventé ?

Le capitalisme contemporain, à ce point financiarisé et dérégulé, « réifie » les humains. Il est donc totalement incompatible avec le processus d’accomplissement et de singularisation de la personne. En revanche, un capitalisme « encadré » par des règles et donc assurant une concurrence relativement non faussée, ne serait pas ennemi de l’individuation. Mais est-ce possible ?

Aujourd’hui, nous avons érigé de tels principes de compétition et de rivalité qu’ils portent en eux leurs propres débordements, dans la mesure où ce qui importe plus que tout, c’est la rentabilité à outrance, le profit sans limites. Nous sommes entrés dans un monde de capitalisme entropique, sans cesse excédant les limites de la bienfaisance, toujours prompt à l’exploitation inégalitaire des ressources et des hommes. Résultat, nous avons là un système qui promeut le vice, structurellement, qui donne de la valeur aux actes les plus amoraux. N’est-il pas hallucinant et profondément symptomatique que les normes comptables européennes intègrent désormais dans la comptabilité publique les revenus de la prostitution et de la drogue ?

Un passage de votre essai décortique les ressorts psychanalytiques de l’humour. « L’humour est révolution », il échappe au pouvoir dont « il refuse la normalisation » et qu’il « décrédibilise », le rire préfigure une pensée, une échappée, une liberté, il est à la fois solitude et solidarité, autonomie et communion. Et donc participe au cheminement vers l’individuation. Ce qui est rire et fait rire permet de lire l’état de santé psychique d’une société. Cet examen est-il source d’espérance ou d’inquiétude ?

Le rire et l’humour n’échappent pas à la marchandisation. Aujourd’hui, c’est le bouche-trou cathodique ou radiophonique par excellence. Ce rire, qui relève théoriquement de l’inattendu, de la subversion, nous avons fini par le planifier. Il est devenu omniprésent, grossièrement imposé partout où il peut combler la vacuité ou, pire, obstruer délibérément le « fond », le « vrai », « l’utile ». Le rire devrait participer à faire émerger et à nourrir le débat, finalement on l’emploie pour le museler.

Il n’y a plus de plateau télévisé sans « bouffon » pour détourner l’attention, court-circuiter les discussions et y mettre fin. Or le rire n’a pas vocation à « débrancher » nos esprits, mais bien au contraire à les « brancher ». Enfin, l’instrumentation du rire célèbre le « rire majoritaire », alors que l’essence même du rire est minoritaire. Le rire est devenu un exercice du pouvoir, tout autant qu’un enjeu de pouvoir. La manière dont nous rions dit bien sûr beaucoup des civilisations et des sociétés qui sont les nôtres.

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 » Le rire et l’humour sont notamment un antidote au politiquement correct ». Ici Gad Elmaleh dans une publicité bancaire.
(Crédits : Capture d’écran / Youtube)

La difficulté des humoristes d’être autorisés ou de s’autoriser à faire rire de tout, et notamment de ce qui caractérise l’identité ethnique ou religieuse, indique-t-elle une moralisation aigüe et une dégradation des libertés ?

L’espace qu’occupent le rire et l’humour participe à étendre celui des libertés. Le rire et l’humour sont notamment un antidote au politiquement correct, ils proposent une distanciation et une déconstruction face aux spectres moralisateurs et uniformisateurs, ils sont un rempart à l’aliénation. Mais tout cela, c’est essentiellement théorique. Car en pratique, ce dont la télévision et la radio nous abreuvent, c’est d’un usage politiquement correct de la polémique : chaque « contributeur d’humour » fait très attention à faire rire de certains sujets et à ignorer les plus sensibles, chaque sketch ou intervention répond à un calibrage millimétré. Même ce qui peut sembler outrancier est en vérité soumis à un conformisme extrême. Le spectacle de l’outrancier est très cadré.

La télévision est devenue la « table familiale », elle est une « caverne reconstituée » qui montre non pas le monde mais les images du monde, elle fait de l’individu un « tout-puissant servile ». Que manque-t-il pour que le progrès – technologique, médical, social, etc. – soit systématiquement amélioration de l’humanité – individuelle et collective ?

« Tout-puissant servile » : c’est incontestable. La « table familiale » ainsi décrite par Anders, dans les années cinquante, n’est plus, avec l’éclatement de la famille, des temporalités communes, et des modes de vie traditionnels. Les écrans se sont démultipliés, mettant en place des jeux d’acteurs nouveaux. Grâce aux chaînes d’information en continu, il y a comme un sentiment d’ubiquité, mais le flux continu des images, et des événements, nous « évince » de la réalité tant celle-ci, écrivait Anders, devient fantomatique, car toujours derrière un écran, prise par le flux des images, des commentaires, des nouveaux événements chassant les anciens, etc. Le sentiment d’impuissance et de servilité n’est pas antinomique de ce flot d’informations.

Heureusement, les nouveaux outils de régulation, notamment l’usage des réseaux sociaux, réinscrivent le « spectateur » dans un agir. Le digital n’est pas un « sous-monde », ou un « hors-monde ». Il sert souvent les objectifs du divertissement massifié, mais pas seulement. Il est également un nouvel outil au service de notre immersion dans le monde.

Finalement, à quelles conditions peut-on espérer être sujet empathique et altruiste, être individu non individualiste, c’est-à-dire échapper à cet individualisme contemporain « qui se vit comme le seul génie des lieux, convaincu d’être l’alpha et l’omega d’un monde qui n’a ni mystique (le sens de Dieu) ni République (le sens des autres) », cet individualisme contemporain qui donc non seulement « empêche l’individuation » mais « est une individuation pervertie » – au sens où l’individu est persuadé que la recherche de son autonomisation peut se passer de la production qualitative de liens sociaux ou qu’il est possible de l’instrumenter pour son seul profit ?

Cela relève d’une révolution culturelle majeure. Ces dernières décennies, l’idéologie néolibérale n’a eu de cesse de dévaloriser les comportements sociaux, coopératifs, non exclusivement tournés vers le profit. Soit ils étaient jugés défaillants en terme de performance économique, soit ils relevaient de l’utopie niaise altruiste. Nous nous réveillons enfin de ce lavage de cerveaux, et redécouvrons le caractère proprement rationnel de l’éthique. Celle-ci n’est pas un supplément d’âme mais une épistémologie, une manière plus juste intellectuellement et éthiquement de penser.

L’essentiel est de faire lien. D’être déterminé et disposé à aimer. Aimer est une décision, un libre-arbitre, mais aussi un travail. Aimer, c’est politique, car l’amour, l’attraction de l’autre et vers l’autre, le sens de l’autre, construisent l’être.

Vous êtes philosophe et psychanalyste, vous intervenez dans des lieux de vie très variés : dans de grands établissements d’enseignement supérieur (Ecole Polytechnique, Sciences Po Paris, HEC, American University of Paris) et au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, au sein de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu ou à l’Hôtel-Dieu où vous venez de créer la première chaire de philosophie à l’hôpital. Vos « métiers » et les lieux où vous les exercez vous confèrent finalement une légitimité toute particulière pour comprendre l’Homme, l’Homme dans ses vulnérabilités et ses trésors, dans ses travers et ses aspirations, dans ses manques et ses ressources. Est-il à la hauteur des enjeux – humanité, progrès, environnement – de sa propre civilisation ?

Chaque jour est le théâtre d’un festival d’antinomies : impossible d’échapper à l’horreur de ce qui se passe internationalement, une simple lecture des rapports de la Cour pénale internationale pourrait nous faire perdre toute espérance en l’homme. Et puis, il y a ceux qui résistent, ils ne sont pas aussi nombreux, mais ils ont une telle force d’âme qu’elle nous régénère malgré les douleurs du monde. Ensuite, nous ne traversons pas tous les mêmes traumatismes. Certains ont la chance absolue d’être épargnés. Quand je dis « épargnés », je ne parle pas d’une vie douce économiquement parlant, je parle de traumatismes bien plus fondamentaux, qui relèvent de l’irrécupérable tant ils sont déshumanisants : torture, viol, exode, maltraitance infantile. Chez la plupart de ces êtres frappés par la barbarie des hommes, restaurer un sens, un espoir, une finalité dans leur existence relève de l’improbable, voire de l’impossible.

Pour ceux qui n’ont pas traversé ces expériences-limites, dépasser le découragement est plus simple. Il y a toujours quelqu’un avec lequel échanger, ou un livre que l’on peut saisir, ou une association à laquelle on peut se rattacher, ou un réseau social, en somme toujours des tiers résilients susceptibles d’accompagner la reconquête de nous-mêmes, et le désir de réinvestir le champ socio-politique.

Pour ma part, l’expérience humaine et professionnelle m’a enseigné les trésors de la philia, cette amitié politique, au sens aristotélicien du terme, qui nous permet de fraterniser et de bâtir la cité. Je n’ai pas eu de maître à penser, je n’appartiens pas à cette génération qui s’est construite dans le sillage d’un grand autre. En revanche, j’ai rencontré des collègues précieux, dont l’intelligence et la générosité ont été capitaux dans mon parcours, grâce auxquels je pense mieux, et qui chaque jour me redonnent courage simplement par le fait de réfléchir et de rire avec eux.

Ces personnalités résilientes honorent la préoccupation de « générativité » – préoccupation consciente d’avoir un impact positif et durable sur les générations ultérieures, contribution au bien-être de la communauté, responsabilité envers autrui et développement d’activités créatrices qui peuvent être remémorées par les autres dans le futur. Cette générativité fait écho au questionnement de Goethe : « Naissons-nous en dette d’être nés ? », c’est-à-dire n’avons-nous pas pour devoir de faire et de donner pour assurer à l’héritage que nous laissons des propriétés au moins aussi vertueuses que celles de l’héritage que nous avons reçu ? Le niveau de générativité observé dans vos fonctions consolide-t-il votre espérance en l’humanité ? Que les campagnes, toutes deux perdues, aux primaires françaises de 2012 pour Martine Aubry et américaines de 2008 pour Hilary Clinton aient eu pour socle le « soin d’autrui » – Care -, doit-il être interprété comme la grande difficulté, voire l’impossibilité de transformer politiquement et de faire reconnaître populairement l’exigence d’humanité ?

Le « soin », de soi et de l’autre, constitue le fondement premier de cette générativité. Or la formidable puissance destructrice de la machine capitaliste et libérale est parvenue à la reléguer loin, très loin dans l’ordre des priorités. Pire, elle est parvenue à imposer une fallacieuse croyance : le chiffre s’est substitué au sujet pour faire protection du sujet.

Dans ces conditions, faire valoir politiquement une approche holistique du soin, ou encore convaincre que la justice est le modèle de croissance, plutôt que l’inverse, est difficile. L’irremplaçabilité tente cette aventure-là. Pour ma part, si je parviens à mettre en place une ou deux poignées d’outils concrets, de mon vivant – création d’un revenu universel et de temps citoyens dans les entreprises, généralisation du bi ou trilinguisme national qui conditionne la citoyenneté européenne… -, alors je pourrai être satisfaite de ma « contribution générative. »

 

Denis Lafay  | 

 

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Hala Mohammad « la vérité et la liberté sont l’oxygène de la paix »

Hala Mohamad .Photo JMDH

Hala Mohammad, poète et réalisatrice syrienne exilée à Paris depuis juin 2011, est également engagée dans les échanges culturels entre la Syrie et l’Europe. Elle était invitée au Festival Voix Vives à Sète.

Comment viviez-vous en tant que poète en Syrie ?

A Damas, je n’ai jamais été invitée à une soirée ou à une lecture de poésie parce que je faisais partie de ceux qui sont avec la justice contre le régime de dictature avant qu’il y ait des tueries et des massacres. Nous les Syriens, n’avons pas démarré notre révolution en 2011. Nous avons entamé une lutte douce et pacifique contre l’injustice depuis bien plus longtemps. Nous avons établi notre paradis, ce que j’appelle l’art de vivre. Mais cela reposait sur un équilibre fragile parce que nous savions que si nous demandions plus, nous les intellectuels et les artistes, il y aurait des tragédies.

La situation a changé  depuis 2011, vue d’ici, le mouvement du peuple syrien semble tombé dans l’oubli…

En 2011, c’est le peuple qui réclamait un changement, pas les élites dont je faisais partie. A ce moment, nous sommes tous entrés dans cette marée d’espoir. En appelant de nos vœux un avenir meilleur pour la Syrie. Nous espérions que notre civilisation puisse accéder à la paix. Les dictatures comme les régimes totalitaires empêchent les civilisations d’exister. Nous avons lutté avec tout notre bonheur, toute notre force pour vivre heureux dans un pays que nous aimons beaucoup comme chaque peuple du monde aime son pays. Quand je suis arrivée en France, tout le monde parlait de Daesh. Tout le monde parlait des extrémistes arrivés en Syrie à la fin 2012, mais personne ne parlait des actes du régime face au peuple pacifique sorti réclamer la liberté dans la rue en chantant, en dansant en espérant rejoindre l’autre bout du monde ou la démocratie en Europe. Nous faisons partie de cette humanité. Nous ne sommes pas coupés du monde. On ne parlait que des extrémistes islamistes et cela m’a frappé énormément.

Pour quelle raison ?

Pour être juste, il faut voir toute la vérité. Si on ne peux pas voir toute la réalité, on ne pourra jamais être juste. On ne pourra jamais établir la paix. La liberté, c’est l’oxygène de la paix. Si on ne peux pas être libre dans sa pensée, libre pour voir et dire, libre pour entreprendre une recherche afin de trouver la liberté, pour avoir son approche personnelle, on ne pourra jamais établir la paix. On a besoin de beaucoup de courage pour cela. Nous les Syriens avons fait preuve de beaucoup de courage. Nous sommes un peuple pacifique issu d’une civilisation piétinée par la guerre, par la négation de nos droit, piétiné par la violence, par l’absence, par l’oubli.

Avez-vous été victime de la censure du régime ?

A un moment, j’ai fait un film sur la littérature et la prison et j’ai été convoquée par le service de sécurité en Syrie. Durant un quart d’heure, on m’a fait marcher dans des labyrinthes souterrains pour arriver à un interrogatoire dans le bureau du général. J’étais escorté par un homme qui était comme un mur à côté de moi. Bien sûr je tremblais de peur. Nous étions silencieux. Nous passions devant des cellules où des familles criaient et suppliaient qu’on leur permette de voir leurs proches. Je voyais tout cela, puis nous sommes arrivés devant la porte du général. Elle s’est ouverte sur une salle immense. Le général était assis au fond, derrière un bureau gigantesque, comme un bâtiment. Il m’a regardé. Il y avait un tapis énorme dans cette salle et moi j’étais tellement terrorisée que j’ai trébuché sur le bout du tapis qui arrivait jusqu’à la porte. J’ai regardé le tapis et je lui ai demandé pardon. J’ai demandé pardon au bout de tapis pour l’avoir piétiné. A ce moment précis, je suis de nouveau devenu poète. Je me suis dit que si je me laissais fondre par cette peur, je deviendrai esclave toute ma vie.

Que s’est-il passé ?

J’ai récupéré mon âme de poète, j’ai regardé le général et je lui ai dit. Je ne dirais pas un mot sans mon avocat tout en sachant que je n’avais nul droit d’avoir un avocat. Je pense que cet exemple est minime par rapport à tout ce que le peuple syrien a réclamé. Il a réclamé d’être son propre avocat de participer et de contribuer à l’écriture de l’histoire de la Syrie. Il a été tué à balles réelles. Le peuple syrien est pris en otage entre deux extrémistes. Il n’y a pas pour les Syriens de différence entre celui qui tue les civils et celui qui tue les civiles.

Qu’avez-vous ressenti lorsque votre âme de poète vous a fait relever la tête ?

J’étais démolie, brisée comme une feuille sèche dans la nature. Et j’ai réalisé que je pouvais reverdir. On se découvre souvent dans les moments les plus atroces, rien n’est plus fort que la vie. Le courage appelle le courage. J’ai ressenti beaucoup de joie. Comme un amour fou qui me protégeait, l’amour profond de la mémoire de l’humanité. Tout à coup, j’ai senti que j’appartenais au monde. Cela se situe au-delà de la citoyenneté. C’est un grain de beauté qui laisse des traces. La vie n’est rien d’autre que quelques traces. Je voulais dire au bourreau : tu peux être bon. Tu n’es pas obligé d’être un monstre. J’ai saisi le moment qui s’offrait pour lui faire sentir que nous étions égaux. Il a dit : traitez la bien. Ce qui pouvait tout vouloir dire mais moi j’étais certaine que j’allais sortir pour raconter ça. Si je n’avais pas senti qu’il allait me relâcher, je n’aurais pas trouvé ce courage. C’était en 2005, le peuple syrien l’a fait en 2011. Nous ne défendons pas la Syrie mais la dignité de l’être humain qui n’est ni un principe, ni une géographie ou une histoire. Il faut être profondément soi-même pour s’inscrire dans cette volonté. Nous ne sommes pas syriens pour être nationaliste.

A vous écouter, on mesure le degré de maturité et de courage de votre peuple. Quelle altérité est-il possible de concevoir avec les peuples européens dont la liberté demeure contrainte par les modes de vie et de consommation ?

J’ai beaucoup appris depuis que je suis en France. Ici, et partout en Europe, les gens sont très sensibles à la poésie . Ils sont fidèles à l’écoute. On vous place là où votre poésie se place. J’avais besoin de cela. Je me suis fondue dans la société, libérée du ciment de protection. Je parle comme je veux. Je ris et pleure comme je veux. C’est grâce à la liberté. Mais ce n’est pas parce que l’on vit dans un monde libre que l’on est libre. En Occident, on fait vivre les gens sous la peur économique. L’art existe, pour explorer ces zones occultées. L’être humain a la capacité d’être un artiste comme il a la capacité d’être libre.

L’engagement se distingue-t-il à vos yeux entre les hommes et les femmes ?

Les hommes et les femmes se complètent dans l’amour et le combat pour la vie. J’aime le fait d’être une femme. Je n’ai jamais eu la sensation d’être inférieure. Je suis mère, femme, épouse, aimée pour celle que je suis. Nous avons perdu tous nos biens et des êtres très chers comme tous les Syriens, mais j’ai beaucoup de chance. L’homme oriental sait aimer les femmes. Elle joue un rôle décisif sans que l’homme soit dépossédé. Chacun donne à l’autre.

Comment réagissez-vous face aux attentats commis en France ?

J’ai ressenti une grande tristesse. Nous avons vécu cela et je ne voulais pas que les gens le vivent ici. Comment en finir avec ces formes de pouvoir qui touchent la profondeur criminelle ? La Syrie était mûre pour la démocratie. On a écrit Baudelaire dans les rues , et le pouvoir a tordu la vérité avec sa violence et ses mensonges. Le système despotique mondial a coopéré. Ce n’est pas les Syriens qui ont implanté Daesh dans leur pays. Cela on ne peut pas le dire tout seul, on doit le dire ensemble pour défendre la liberté.

Entretien réalisé par Jean-Marie Dinh


l A l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée les Editions Al Manar viennent d’éditer le dernier recueil de Hala Mohammad «Ce peu de vie».

Source La Marseillaise 06/08/2016

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Lettre de Mathilde 17 ans à François Hollande, président de la République

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Un j’accuse du XXI e siècle porteur d’espoir

Dans son texte Mathilde nous honore du titre de citoyen. Elle aurait pu avoir la mention très bien au BAC s’il existait une épreuve politique intérieure et internationale voire citoyenneté…

Ponctuée d’exemples probants, sa lettre exprime avec clarté ce que beaucoup de citoyens conscients pensent de la situation préoccupante de la France et des responsabilités politiques y affairant. Elle aide, les autres à s’émanciper d’une pensée formatée et étroite qui conditionne l’opinion publique.

Citoyens du monde

Citoyens du monde

 

Lettre à M. François Hollande, président de la République, à son gouvernement, et à tous les hommes et femmes politiques,

C’est en humble citoyenne que je m’adresse à vous, grands pontes de la politique, à vous qui, dès que possible, avez posté vos commentaires larmoyants sur les réseaux sociaux après la nouvelle des attentats de Nice. Vous qui vous êtes aussitôt empressés de glisser critiques acerbes, solutions personnelles et mesures à prendre derrière chaque expression de douleur à l’égard des victimes. Vous qui, tels des charognards, vous êtes arrachés les restes des 84 corps encore chauds et étalés dans la rue sous un mince tissu, vous qui avez sucé tels des vampires les perfusions des blessés à l’hôpital de Nice, vous qui avez pavé la promenade des Anglais de désolations savamment calculées comme on pave l’enfer de bonnes intentions. Vous pour qui l’état d’urgence est devenu banal et se doit d’être durci, pour qui la liberté des citoyens n’est rien face à la cuisante défaite de subir les retombées de vos actes, et dont les innocents font les frais. Car si la France n’est pas la seule, il est inutile d’essayer de se cacher davantage derrière le rôle que les États­-Unis ont pu jouer dans la création de l’État Islamique (qui s’est construit, rappelons­ le, sur les cendres de Saddam Hussein après une guerre préventive en 2003 complètement opposée au droit international).

Ne sommes­-nous pas de ceux qui ont régenté le Moyen­Orient au lendemain de la1ère Guerre Mondiale ? De ceux qui ont écartelé les peuples à grands coups de crayon tracés sur une carte en oubliant qu’ils ne manipulaient pas que des gisements de pétroles et des lieux stratégiques mais bien des populations ? De ceux qui ont accueilli Kadhafi car il avait du pétrole puis l’ont désigné comme ennemi despotique qu’il faut détruire, sans pour autant oublier son pétrole ? Partout où nous prétendons apporter la paix, nous semons la haine. Alors en France on pleure, mais on pleure de quoi ? Des victimes des attentats sur notre sol ou des erreurs qu’on a commises et qui finissent fatalement par nous éclabousser ? Alors, bien sûr, hommage aux victimes qui étaient là simplement pour un feu d’artifice et qui ont dû connaître l’horreur, mais hommage aussi à toutes les victimes anonymes que la France assassine dans le secret et dont personne ne semble se soucier. Je vous invite, vous qui tenez tant à continuer de bombarder la Syrie, à prendre – une fois n’est pas coutume – le temps de réfléchir posément. Regardez le reportage « Eau Argentée », qui est disponible sur internet. Regardez­ le vraiment et osez réitérer vos propos guerriers sur ce pays détruit, où aucun être­ vivant n’est épargné et où les enfants les plus jeunes ont assimilé le concept de sniper. Là­-bas, ce qu’il s’est passé à Nice survient tous les jours – et aucun syrien ne dispose des cellules d’aides psychologiques qui ont été mises en place dès la première heure après l’attentat, ni même de la qualité des soins qui sont délivrés aux blessés.

Je parle de la Syrie, mais je pourrais évoquer la Palestine, l’Irak ou le Yémen. Lorsqu’on cherche à traiter un problème, il convient d’en étudier la racine. Mais visiblement, aucun de vous ne semble décidé à admettre que la France se trouve aujourd’hui embourbée dans la position d’un serpent qui se mord la queue : nous faisons partie des causes profondes de ce que nous subissons actuellement. Est­-ce si difficile d’admettre que nos prédécesseurs et nous­ mêmes avons eu tort ? Il semblerait que oui puisque vous préférez nous enfoncer avec vous dans un cercle vicieux fait de haine et de sang sans cesse renouvelés. «Nous continuerons à frapper ceux qui, justement, nous attaquent sur notre propre sol, dans leur repère» affirmez­vous, Monsieur le Président, après avoir annoncé la prolongation de l’état d’urgence de six mois, défendu la nécessité de renforcer le contrôle aux frontières et clamé haut et fort que «Parce que les droits de l’homme sont niés par les fanatiques, la France est forcément leur cible».

(source : http://www.europe1.fr/politique/verbatim­attentat­a­nice­la­declaration­solennelle­de­francois­hollande­en-

integralite­2800048 ).

Que de contradictions en si peu de temps : vous voulez renforcer les frontières quand la plupart des terroristes qui ont agi jusqu’à maintenant sont français ; vous parlez de fanatisme en référence à l’islamisme alors que le conducteur du camion fou était apparemment indifférent à la religion (si tant est que l’on puisse qualifier la folie de Daesh de religion) ; et enfin vous évoquez la France comme un pays de libertés alors même que vous annoncez le maintien de cette loi scélérate moderne qu’est l’état d’urgence. Continuez dans cette voie et la partie est gagnée pour l’État Islamique. Bien sûr, j’ai eu vent de cette idée selon laquelle l’opinion publique ne comprendrait pas une levée de l’état d’urgence alors qu’à force de rallonges elle s’y était accoutumée, tout comme elle risque de trouver bientôt normale l’utilisation du 49.3, visiblement en vogue à l’Élysée. Mais cela ne vient que de l’ignorance propagée par les principaux médias qui nous servent leurs réjections prémâchées en guise d’informations, nous irriguent d’images et d’événements anxiogènes qui paralysent notre esprit critique, l’émoussent et finissent par l’inhiber complètement. Si une situation donnée était exposée clairement, sans complexe, dans les JT, une analyse plus fine naîtrait dans le cortex des citoyens français et ils verraient combien les mesures liberticides sont absurdes. Si chacun était mis au fait des victimes, des dégâts que nous engendrons, alors la compassion naturelle sensée caractériser l’espèce humaine reprendrait le dessus et nous pousserait à chercher des solutions ailleurs.

Répondre à la violence par la violence, véritable logique puérile, est d’autant plus absurde que nous sommes en partie responsables des drames qui s’abattent sur notre sol comme une pluie radioactive tombe sur Tchernobyl. La guerre étant elle­-même une forme de terrorisme, la guerre contre le terrorisme se révèle être un triste oxymore, médiocre réponse que vous voulez opposer à Daesh. Comment fustiger les terroristes alors que nous­mêmes terrorisons les civils perdus dans les bombardements menés par notre « grande nation » pour rétablir une justice pastiche ? Je ne suis pas en train de défendre les actes terroristes, et cette phrase a son importance parce « dès que vous suggérez qu’il est important de considérer des réponses autres qu’une réplique violente, on vous accuse de sympathiser avec les terroristes. C’est une lâche façon de terminer une discussion sans examiner intelligemment les alternatives aux politiques actuelles. » (citation tirée d’un article d’Howard Zinn, « Notre guerre »). Mais, si les crimes de Daesh sont si terribles qu’il relèvent presque de l’indicible, il ne faut pas pour autant oublier les nôtres, qui, eux, relèvent plus du non­dit. Larguer des bombes n’est en rien une solution : chaque victime d’un bombardement (surtout les civils, plus nombreux que les terroristes) se transforme en martyr et constitue un argument de plus dans le discours de Daesh contre l’occident, incitant toujours plus d’hommes poussés par le désespoir à se radicaliser. Cela me fait doucement sourire de vous voir vous insurger face aux attaques que nous subissons depuis un an et demi quand je pense au Yémen, bombardé par l’Arabie Saoudite à l’aide de nos beaux Rafales. Si Daesh commet des exactions au nom d’une idéologie révoltante, nous vendons allégrement de la mort prématurée pour quelques billets tachés de sang. Comment, dès lors, pouvez­-vous encore – tous autant que vous êtes – supporter l’image que vous renvoie le miroir ? J’ai personnellement une si grande honte sans même être impliquée dans le commerce d’armes que je ne peux concevoir que vous puissiez continuer à tenir vos discours et à montrer patte blanche quand, à quelques kilomètres, des civils se font massacrer avec nos armes. À quel moment, dans votre esprit, l’argent a­-t-­il surpassé la vie humaine ? Comment pouvez­-vous vous émouvoir de 84 morts quand nous avons assassiné au moins 1850 yéménites (selon un rapport de l’ONU) ? Mais j’ai failli omettre, et je m’en excuse, un détail qui a son importance et fait la différence pour beaucoup : ce sont 84 morts français ! Et cet argument justifie que vos mathématiques géopolitiques placent 84 largement supérieur à 1850. En effet, comme l’a montré si justement George Bernard Shaw, « Le patriotisme, c’est cette conviction selon laquelle ce pays est supérieur aux autres parce que vous y êtes né. » J’en arrive à cette nécessité qui chaque jour se dessine un peu mieux, celle de se souvenir qu’avant d’appartenir à une nation, avant d’être recensés, répertoriés, classifiés ou même fichés par notre laborieuse administration, avant d’être convertis en chiffres sur des écrans, nous sommes tous des êtres uniques appartenant à l’espèce humaine.

« Nous devons prêter allégeance à l’humanité et non pas à une nation, quelle qu’elle soit » a écrit un jour Howard Zinn. Ceux qui nous attaquent font partie de notre espèce, possèdent les mêmes caractéristiques. Leurs actes terribles ne sont que l’écho d’un quotidien que l’occident leur a imposé parce qu’ils avaient le malheur d’être nés sur des nappes de pétrole et qui les a poussés à la haine. Il est crucial de rendre sa mémoire à notre pays et au monde entier, de se rappeler que l’argent n’est pas comestible, de penser « humain » plutôt que « finance », « bonheur » plutôt que « réussite » et « biodiversité » plutôt que « billet de banque ». Nous avons une marge d’une petite vingtaine d’années pour modifier nos habitudes de consommation et enrayer un tant soit peu le dérèglement climatique le plus important que notre espèce n’ait jamais connu. Allons­-nous gaspiller ce temps en guerres vaines alors qu’il est tant de manières d’enseigner l’amour ? Vous nous parlez de mesures sécuritaires renforcées quand nous avons besoin d’apprendre comment vivre demain.

Il est évident que nous sommes impuissants face à ces attaques, l’inefficacité des forces de l’ordre a tristement été démontrée à Nice : comment ont-­ils pu laisser un camion pénétrer sur une allée piétonne, pourquoi est­-il parvenu à parcourir deux kilomètres avant d’être stoppé ? Les solutions proposées par la caste politique, si elle sont aussi médiocres que l’action de la police, ont au moins le mérite de faire rire. Je pense en particulier à ce cher Henri Guaino, qui a déclaré qu’ « Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance­-roquettes et il arrêtera le camion ».

(source : http://www.estrepublicain.fr/actualite/2016/07/15/lance­roquette­peine­de­mort­les­propositions­fusent ).

Alors évidemment, le petit détail à ne pas oublier ici, c’est qu’il s’agit d’un député LR candidat à la présidentielle 2017, donc équipé d’œillères, les yeux braqués sur son objectif qui est de mettre définitivement au tapis François Hollande en prétendant de manière sous­-jacente que, s’il avait été élu au moment de l’attentat, il n’aurait tout bonnement pas eu lieu. C’est là un manifeste flagrant de cette petite guéguerre entre politiques qui semble ne jamais prendre fin, même pendant un deuil national. Je ne vais pas gaspiller mon temps à démonter une à une les déclarations politiques, notamment à propos de l’interdiction du voile proposée par Jacques Myard qui atteste de son étroitesse d’esprit, mais plutôt tenter d’apporter des solutions alternatives. Il est nécessaire de former les masses plutôt que de supprimer leurs libertés, de réfléchir à l’origine du mal, de la haine qui ronge les terroristes. Réduire les inégalités et diffuser plus largement la culture constituent des pierres à la base de l’édifice de la paix mondiale. Plutôt que de nous rendre toujours plus  dépendants, encouragez les initiatives qui visent à former les citoyens sur des gestes simples ; plutôt que de nous inciter à la haine, à la peur, encouragez l’amour et l’entraide. Inquiétez­-vous du populisme qui affleure l’air de rien, faisant ressurgir des opinions qui ont permis l’accès d’Hitler au pouvoir dans les années 30. Ne vous figurez pas que le totalitarisme est mort, qu’il ne reviendra pas. Le totalitarisme se cache derrière chaque rejet, chaque parole portée par la crainte. Il ne se présentera pas avec une petite moustache brune et une raie sur le côté, il ne ramènera pas Auschwitz mais créera une nouvelle forme de violence, car l’esprit humain sait se montrer particulièrement inventif dans l’art de faire souffrir son prochain. Rappelez­-vous combien la pratique artistique, tellement mise à mal par l’éducation nationale, constitue un rempart efficace face à la haine, fille de l’ignorance. Gardez à l’esprit les sages paroles d’Edgar Morin : « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Penchez­vous sur des initiatives telles que celle des étudiants paysagistes et des enfants d’un quartier populaire de Seine­ Saint­ Denis qui, ensemble, embellissent un terrain vague pour apporter un savoir-­faire et un rapport à la Terre que trop de gens ont oublié. Ne soyez plus dans la démonstration calculée mais dans les actes concrets. C’est maintenant aux Français que je m’adresse, vous qui n’avez cessé de vous plaindre de l’incapacité de nos dirigeants, qu’avez­vous fait pour changer ce pays qui vous insupporte ? Qu’attendez­-vous pour engager le dialogue avec vos pairs, pour réfléchir ensemble à des solutions aux problèmes qui vous préoccupent ? Levez­-vous de vos fauteuils, éteignez votre télé, sortez et écoutez le murmure qui s’élève, la rumeur qui nous vient des multiples projets alternatifs qui se mettent en place. Informez­ vous sur des médias plus indépendants, trouvez un sujet qui vous tient à cœur et lancez­ vous, il y a tant à faire ! Si vous attendez qu’on vous prenne par la main, vous risquez de mourir avant d’avoir fait une chose qui vous rende réellement fier et vous autorise à marcher la tête haute.

Peut­-être qu’après cette lettre, ma petite tête blonde viendra s’ajouter aux fiches S, mais cela m’est égal : je n’ai rien à me reprocher, à part peut­-être, le fait de daigner réclamer pour l’humanité cette liberté et cette égalité que tous clament et célèbrent depuis trois siècles mais auxquelles personne n’a encore vraiment goûté et le fait d’inciter le genre humain à cette fraternité que la France se plaît à afficher sur ses murs officiels. Liberté, égalité, fraternité, trois petits mots qui veulent dire tellement, trois petits mots étirés dans tous les sens pour masquer une vérité évidente, trois petits mots qui ne peuvent plus cacher la supercherie que l’on tente de dissimuler derrière.

Mathilde Lambert, 17 ans

Source : Carmaux Info 31/07/2016

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Inde: rassemblement d’Intouchables contre les violences et les discriminations

Près de 12000 Intouchables se sont rassemblés, ici à Ahmedabad, pour dénoncer l'humiliant passage à tabac de 4 jeunes de leur communauté par des milices hindoues. REUTERS/Amit Dave

Près de 12000 Intouchables se sont rassemblés, ici à Ahmedabad, pour dénoncer l’humiliant passage à tabac de 4 jeunes de leur communauté par des milices hindoues.
REUTERS/Amit Dave

Dans l’Etat du Gujarat, au nord-est de l’Inde, près de 12 000 Intouchables se sont rassemblés pour dénoncer l’humiliant passage à tabac de 4 jeunes de leur communauté par des milices hindoues. Depuis que la vidéo de la scène a été massivement diffusée sur internet la semaine dernière, les Intouchables reprochent au gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi de ne rien faire. Et le mouvement contestataire prend de l’ampleur.

Non seulement ils ont bruyamment investi les places de plusieurs grandes villes, mais les Intouchables se sont mis depuis plusieurs jours en grève. Parmi les secteurs les plus touchés, ceux du ramassage et du dépeçage de bovins.

Résultat, des centaines de carcasses de vaches, animaux sacrés en Inde, sont à l’abandon au bord des routes et pourrissent à la vue de tous. Symbole d’une tension qui se cristallise en Inde mais aussi d’une contestation qui commence à se structurer.

Les manifestants demandent à ce que le gouvernement de Narendra Modi les protège des violences qu’ils disent subir régulièrement de la part des castes supérieures. Désormais ils ont également listé une série de demandes pour améliorer leur sort : la possibilité d’être propriétaire terrien par exemple, de toucher le chômage ou d’occuper des postes au sein de l’administration publique.

Un défi social mais aussi politique pour le parti au pouvoir. Les leaders du mouvement des Intouchables ont fait savoir que pour les élections régionales qui auront lieu en 2017, ils montreront « leur union et leur force ».

Source RFI 31/07/2016

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