L’insoutenable pression mondiale sur la société civile

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Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.

Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».

Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.

« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.

« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »

Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.

Plus de fonds pour les dissidents

Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.

Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »

Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.

Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».

Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.

« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.

« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »

Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.

« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.

« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »

by Mischa Wilmers

Source : Equal Times 31/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique  Politique, Politique Internationale, Société civile, rubrique Société, citoyenneté,

JO de 1968 : deux poings levés… et un troisième homme, acteur lui aussi

(Anonymous/AP/SIPA)

(Anonymous/AP/SIPA)

Ces photos mythiques qui ont marqué l’histoire – Aujourd’hui, les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968.

 

Un geste de défi

 

1968, année césure. Même si l’événement se veut apolitique, les Jeux olympiques de Mexico ne sont pas épargnés par la bourrasque de révolte qui souffle alors. Sur cette photo, restée gravée dans les esprits, deux des trois gagnants de la très prisée épreuve du 200 mètres brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol.

Il s’agit de Tommie Smith et de John Carlos, respectivement premier et troisième, qui s’érigent ce jour-là contre le racisme et l’exclusion dont sont toujours victimes les afro-américains aux Etats-Unis. Le geste en soi peut sembler banal. Mais ce 17 octobre 1968, les deux athlètes défient leur pays et la bienséance des Jeux sous les caméras du monde entier, par ce triomphe honteux et accusatoire. Le scandale sera immédiat, et les sanctions aussi cinglantes que l’écho.

« Dénoncer l’injustice »

 

La ségrégation, théoriquement abolie en 1964 par le Civil Rights Act, est encore bien présente dans les mentalités en 1968. L’intolérance et les crimes racistes empoisonnent toujours l’intégration de la communauté noire : le 4 avril, soit cinq mois avant les JO, Martin Luther King est assassiné, et une énième vague d’émeutes embrase le pays qui semble éternellement promis à la violence. Il y a une quarantaine de morts.

Tommie Smith et John Carlos, s’ils n’appartiennent pas de fait à l’un des groupes du Black Power, en deviennent les emblèmes. Ce fameux poing levé, ceint de noir, est en fait l’apanage d’une des formations les plus actives et radicales de l’époque, le Black Panther Party. Et si c’est ce geste qui laissera l’opinion bouche bée, les athlètes ne s’en sont pas contentés. Leur regard, qui se détourne du drapeau américain pendant que l’hymne national retentit fièrement, guide le nôtre vers leurs pieds drapés de longues chaussettes noires.

Ceci, énoncera Tommie Smith, « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ». Pareillement, le foulard qu’il porte ainsi que le maillot ouvert de son camarade John Carlos sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des leurs. Un asservissement dont les chaînes jugulent encore la liberté des afro-américains.

Un impact instantané

 

Ce moment, figé par le photographe John Dominis, ne laisse pas apparaître l’incroyable agitation qui s’ensuit. Car l’effet escompté ne se fait pas attendre. Les audacieux coureurs viennent, en un instant, de clamer en silence la souffrance et l’injustice séculaires de tout un peuple, sous les yeux du monde entier. La foule hurle, crache, les organisateurs hoquètent.

Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt sanctionnés

 

Le poing levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux, L’Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne l’immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.

Leurs carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d’abord suspendus temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie Smith vient pourtant d’établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les 200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant 1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.

Du podium à l’enfer

 

Les choses empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des menaces de mort. Smith se fait tout bonnement « virer » de son emploi de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s’avère quasi-impossible. Même l’armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du médaillé d’or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.

Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action, et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que dans les années 90-2000.

Le « troisième homme », acteur à part entière

 

Si l’attention s’est portée de fait sur la mutique provocation des deux afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium photographié par John Dominis. Ce troisième, c’est l’Australien Peter Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière de la scène.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Il n’auront de cesse de louer la noblesse du « seul sportif blanc qui eut assez de cran » pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et rassembleur. John Carlos déclarera lors de l’inhumation: « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour ».

Quentin Sedillo

Source L’OBS 10/08/2015

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Photo, rubrique Etats-Unis, Société

 

« Une forme de Roméo et Juliette au féminin »

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film  La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.

Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier  jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.

La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.

« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?

Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.

ENTRETIEN

« Je reste attentive
au cinéma de mes consoeurs »

Photo Dr

Catherine Corsini  Photo Dr

Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?

J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.

Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?

La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.

Comment avez vous abordez les scènes de nu ?

Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.

Vous montrez les hommes sous un beau jour…

Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.

Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?

J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 15/08/2015

Voir aussi : Rubrique Cinéma Virginie Despentes : « Cherchez une femme dans les films qui lise un journal », Hollywood a la braguette qui coince, rubrique Rencontre, rubrique Société, Mouvements sociaux, Droit des femmes, Livre, Une encyclopédie du nu au cinéma,

 

Précarité à Radio France : à partir de combien de CDD le système va-t-il exploser ?

 Radio France, mars 2015. Photo : Christophe Ena AP/SIPA
De plus en plus de collaborateurs précaires, des contrats de plus en plus courts… La récente crise à Radio France a remis en lumière le dossier de la précarité. Un mode de gestion qui pèse lourd dans les comptes de la Maison Ronde.

Une cacophonie inquiétante sourd du siège de Radio France, imposant navire d’aluminium, fiché en bord de Seine, à Paris. La Maison ronde tangue sous les remous, la menace d’un plan de départs volontaires et la révélation d’un déficit inédit : plus de 21 millions d’euros prévus en 2015. Du 19 mars au 16 avril, la plus longue grève de son histoire a ravivé le débat sur la précarité — que la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin souhaite voir diminuer. L’inflation du nombre de contrats à durée déterminée (CDD) commence à peser dans les budgets, puisque bon nombre de collaborateurs obtiennent réparation et de lourdes indemnités aux prud’hommes – 100 000 euros récemment, pour les 258 CDD signés par un technicien de France Bleu Sud Lorraine.

L’intermittence : une vieille histoire

Le bilan social de Radio France rendu public, en comité d’entreprise les 2 et 3 juin derniers, dénombre 15 890 signatures de CDD pour l’année 2014, contre 14 334 contrats paraphés en 2013. Soit plus de 1500 CDD supplémentaires en un an ! La direction des ressources humaines de Radio France confirme ces chiffres mais préfère mettre en avant le nombre de collaborateurs employés sous ce statut : 438 personnes en 2014, contre 425 en 2013. Un décompte qui traduit pourtant une évidence : les contrats sont de plus en plus courts ; un même collaborateur enchaînant plusieurs CDD à l’année… En outre, la Maison de la Radio est réputée signer des « CDDU » (contrats à durée déterminée d’usage) également appelés « contrats de grilles », dévolus aux producteurs, animateurs ou chroniqueurs (Pascale Clark, Mathieu Vidard ou Alain Finkielkraut, etc.). Ceux-là sont rémunérés au cachet.

Ce recours aux bras intérimaires n’est pas une nouveauté. Ex-ingénieur du son, Jacques Ricau fut permanent syndical CFDT à Radio France, pendant plus de vingt ans. Selon lui, les premiers cachetiers sont apparus à la fin des années 1960 : « Roland Dhordain, directeur de France Inter (de 1967 à 1971, ndlr) a généralisé leur emploi, car il trouvait que les personnels de l’ancienne ORTF étaient trop syndiqués ! Il s’est donc constitué ses troupes d’animateurs et de réalisateurs. La pratique s’est étendue à France Culture et à France Musique. » Elle est désormais la même dans toutes les stations.

En soi, cette rémunération n’a rien d’illégal, mais ce mode de fonctionnement maintient les personnels sous un statut précaire d’intermittents du spectacle, très avantageux pour l’entreprise (qui cesse de les payer entre deux saisons), beaucoup moins pour le salarié. « Les retraites des personnels rétribués au cachet continuent d’être très inférieures à celles des titulaires en CDI ; et leur couverture sociale, qui leur coûte plus cher, les prend moins bien en charge », note Jacques Ricau.

A la tête des ressources humaines de Radio France depuis 2010, Christian Mettot (qui fut également directeur délégué au dialogue social de 2006 à 2010), considère l’intermittence comme une donnée inhérente et essentielle au bon fonctionnement des antennes publiques : « Quand un programme ne fonctionne pas, il faut que le directeur de la chaîne puisse renouveler son contenu éditorial. Donc mettre fin à des contrats passés de gré à gré, valables pour une grille définie. « CDIser » des intervenants dont la mission est d’exercer leur talent au micro est impossible. » Mais les maintenir de longues années dans la précarité ne devrait-il pas l’être tout autant ?

Les dérives d’un système : opacité et pression

Source de fantasmes et de préjugés, le statut des producteurs animateurs recouvre des réalités contrastées. Un jeune réalisateur de documentaires, qui jouit d’une dizaine d’années d’ancienneté à Radio France, préfère témoigner sous couvert d’anonymat : « J’ai assumé cette précarité, tant que le dialogue prévalait. Aujourd’hui, à France Musique et à France Culture, nous avons perdu toute possibilité d’échange, face à des directions qui considèrent les employés comme des pions interchangeables ! » Ce professionnel pointe l’opacité et le manque de considération. Soumis aux contrats de grille, les producteurs d’émissions redoutent ces mois de mai et juin, où ils apprennent brutalement qu’ils ne sont pas reconduits.

Mais la condition du cachetier suppose aussi des charges de travail fluctuantes. Un producteur peut ainsi effectuer des reportages pendant dix mois, coordonner l’année suivante une émission, puis devenir animateur remplaçant sur une tranche matinale : rien ne garantit que son cachet sera réévalué en conséquence. Le jeune producteur anonyme souligne : « Il n’y a aucune revalorisation, aucune grille de salaires, aucun barème. Tout se négocie en face-à-face avec la direction. Il y a un vrai problème de transparence ! »

Actuel directeur de la rédaction des Inrockuptibles, Frédéric Bonnaud a fait ses gammes de chroniqueur radio à France Culture, avant de rejoindre France Inter, puis le Mouv’, en 2010, où il présentait Plan B pour Bonnaud, jusqu’en 2013. Pour sa part, il n’a pas gardé un si mauvais souvenir de sa vie de cachetier : « Quand on est producteur animateur de sa propre émission, on est très correctement payé, par rapport à un chroniqueur ou à un collaborateur spécialisé. Je me souviens que pour Charivari, ça devait être de l’ordre de 300 € par émission, donc par jour ! Et pour La Bande à Bonnaud, c’était même un peu plus… Moi-même, quand j’ai été viré d’Inter, je n’ai pas hésité à aller aux prud’hommes. Ils ont d’ailleurs dû m’indemniser grassement vu mes années d’ancienneté. Déjà à l’époque, de grosses sommes étaient provisionnées, ce qui prouve que personne n’est dupe : avec de tels contrats, les contentieux sont inévitables ! »

Tous les personnels sont concernés

Le recours à la justice pour régler des litiges liés à l’abus de contrats précaires s’est accentué chez tous les personnels. Examinée au conseil des prud’hommes de Paris, en mai dernier, la situation d’une documentariste de France Culture, qui avait cumulé 114 CDD en dix ans, pourrait faire jurisprudence. Les conseillers ont en effet requalifié la kyrielle d’engagements courts en CDI, obligeant Radio France à titulariser la salariée précaire à un poste identique, à lui verser des indemnités compensatoires, et à lui restituer les cotisations retraite et les primes d’ancienneté qu’elle aurait dû percevoir sur dix années de CDI.

Interrogé sur le devenir de cette productrice, Christian Mettot assure que la direction est en pourparlers avec elle, afin de lui proposer un poste. S’il reconnaît des défaillances ponctuelles dans la reconduction de certains contrats d’intermittents, le directeur du personnel relève toutefois que « les cas de requalification automatique en CDI par les tribunaux » restent limités. Selon lui, « une forme de judiciarisation de l’ensemble de la société » explique les nombreuses procédures auxquelles l’entreprise fait face.

Plus récemment encore, courant juin, un opérateur du son, technicien de France Bleu Sud Lorraine, qui avait travaillé dix-sept ans dans 19 des 44 stations locales de Radio France, a gagné au conseil des prud’hommes de Nancy : congédié brutalement après 258 CDD, il a été indemnisé à hauteur de 100 000 €. Ces victoires marquantes reflètent une part du mal qui ronge la maison : à tous les niveaux, des conflits larvés sont susceptibles d’éclater. Et de finir aux prud’hommes, où l’aventure se clôt, neuf fois sur dix, en faveur de l’employé. Si les cas les plus médiatiques ont défrayé la chronique – Didier Porte et Stéphane Guillon, licenciés d’Inter, en 2010, ont respectivement obtenu 250 000 et 235 000 € de dommages et intérêts –, nombre de dossiers ont été tranchés avec moins d’écho.

Un coût exorbitant

Les sommes provisionnées par Radio France pour parer aux décisions prud’homales s’envolent depuis peu. Le rapport de la Cour des comptes d’avril dernier révèle qu’en 2013, l’entreprise a provisionné pas moins de 6,5 millions d’euros pour ces seuls procès. Plus généralement, les « provisions pour risques » (indemnités transactionnelles, frais de justice, etc.) sont passés de 6 millions d’euros en 2004 à 23 millions en 2011 ! Très réticent à infirmer ou confirmer ces montants, Christian Mettot reconnaît toutefois : « Nous avons eu, ces derniers temps, quelques litiges collectifs, qui se chiffrent très vite. Mais concernant les dissensions d’ordre individuel, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu de réelle augmentation. Par ailleurs, une provision ne signifie pas une condamnation. La difficulté vient du fait que les démêlés judiciaires peuvent durer trois, quatre ou cinq ans, et que les provisions pour ces risques éventuels figurent longtemps dans les comptes. »

L’ancien permanent syndical Jacques Ricau est catégorique : « En 2011, Radio France déboursait autour de trois millions d’euros pour les indemnités prud’homales, et aujourd’hui, c’est presque dix millions par an ! ». Il estime à 15 ou 20 % des effectifs la proportion de salariés précaires dans la maison : « Les montants de provisions liées aux conflits prud’homaux sont en nette augmentation, car il y a plein de procès en cours, et avec l’encombrement des juridictions, tout cela prend du temps. Un collectif de neuf réalisateurs de Radio France est ainsi en procès depuis huit ans : pour ce seul dossier, l’entreprise a dû provisionner 4 millions de plus ! ».

Vers des situations ubuesques

Parmi les personnels récemment titularisés, après une litanie de CDD, des milliers d’heures de programmations nocturnes, et une demi-victoire judiciaire : Serge Le Vaillant, 57 ans. Evincé d’Inter en 2013, l’animateur de Sous les étoiles exactement est à ce jour officiellement toujours employé par Radio France, comme en ont décidé les prud’hommes de Paris, il y deux ans. Sans poste ni salaire, puisque son employeur refuse de le réembaucher, le journaliste narre son épopée : « Je ne suis plus licencié : il y a eu requalification de mes CDD – 23 contrats en 29 ans – en CDI et les prud’hommes ont ordonné la poursuite du contrat de travail ! Mais Radio France a fait appel, et à partir de là, on entre dans l’imbroglio des lois : on joue sur les termes, sur les dates… Soumis à une clause d’exclusivité, je ne peux donc plus travailler, ni m’inscrire au chômage ! »

Défenseur de Serge Le Vaillant, Sylvain Roumier blâme l’inconséquence de l’organisme public : « Saisis en procédure d’urgence, avant la fin du dernier contrat, les prud’hommes ont ordonné la poursuite de la collaboration. Cette décision est exécutoire de plein droit, elle doit s’appliquer, même s’il y a appel ! Or, Radio France ne lui verse aucun salaire, ne lui fournit pas de travail et s’en remet au jugement en appel, en 2016 : c’est un non-respect grave d’une décision de justice ! ».

De sa chaude voix grave, qui apaisait naguère les noctambules, Serge Le Vaillant explique : « Quand on m’a annoncé que je ne serai plus sur la grille de rentrée, je me suis dit OK, je ne suis pas propriétaire de mon émission. On est locataire de l’antenne, on le sait. Mais personne ne m’a remplacé : il s’agissait donc d’économiser sur les émissions de nuit – de 1h00 à 5h00, France Inter programme des rediffusions, ndlr. Or, les dirigeants de Radio France préfèrent perdre beaucoup d’argent, plutôt que de me réintégrer ! Il suffirait qu’ils m’envoient une lettre recommandée, qu’ils m’affectent à un poste, et tout est fini. Eux, au contraire, veulent faire durer… En attendant, les indemnités, les retards de paiement, les salaires s’accumulent ! Ces gens-là s’amusent avec l’argent public ! ».

La précarité comme outil de gestion

Pour Me Sylvain Roumier, qui fustige cette « dérive », une culture commune à Radio France et France Télévisions est en train de s’ébaucher. « La précarité est devenue un outil de gestion. L’abus de CDD est néfaste sur tous les plans. Financièrement parlant, les dépenses liées à la requalification judiciaire des contrats sont lourdes pour la société, qui ne change pas de méthode pour autant. Des ruptures classiques de CDI lui coûteraient beaucoup moins cher que cet usage de CDD frauduleux, in fine requalifiés en licenciement abusif ».

Limogé en 2014 par France Culture, Alain Veinstein, qui faisait de la conversation radiophonique une merveille de dispute érudite et d’intimité poétique, ne s’est pas défendu aux prud’hommes, mais il analyse avec sévérité les nouvelles méthodes de la station publique, lui qui y est entré sur concours, en 1975 : « Aujourd’hui, on veut des gens souples, dociles, paniqués à l’idée de perdre leur boulot. Tout le monde travaille dans la terreur. Je serais curieux de savoir combien de producteurs sont actuellement traités pour dépression ! »

Ancienne directrice de la station, Laure Adler, qui fut elle-même critiquée pour son intransigeance lors de son passage à la tête de la station, affirme que « le pouvoir de vie ou de mort des patrons des chaînes » devient insensé, si aucun effort n’est fait pour trouver « un accompagnement ou une solution de reclassement ». Tout aussi désabusé, Serge Le Vaillant pronostique, un poil caustique : « A terme, peut-être que l’on n’emploiera plus que des animateurs dépourvus d’autonomie, qui se contenteront d’adopter des concepts inventés par des cabinets conseils, payés très cher… » La fin de la précarité comme mode de gestion des personnels est-elle vraiment à ce prix ?

Hélène Rochette

Source Télérama 16/07/2015.

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Culture. Intermittents du spectacle : l’Assemblée nationale grave dans la loi le régime d’assurance chômage

L’Assemblée nationale a gravé dans le projet de loi sur le dialogue social et l’emploi le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle pour le conforter, dans la lignée des résultats de la concertation ayant suivi la crise des festivals de l’été 2014.

L’article 20 du projet de loi examiné en première lecture par les députés prévoit l’inscription dans le Code du travail du principe de l’existence de règles spécifiques d’indemnisation du chômage des salariés intermittents du spectacle.

C’est la « sanctuarisation dans la loi des annexes 8 et 10, qui a permis d’apaiser le conflit du printemps dernier« , a souligné le socialiste Jean-Patrick Gille, ancien médiateur nommé par le gouvernement.

Sont définis les grands principes de leur indemnisation, ainsi que le cadre de la négociation qui permettra d’en définir le contenu.

Le niveau interprofessionnel, garant de la solidarité, fixera le cadre de la négociation, notamment sur le plan financier. Le niveau professionnel pourra, grâce à sa meilleure connaissance des spécificités de ces professions, définir des règles mieux adaptées et mieux acceptées par les professionnels.

Un comité d’expertise, dont la composition sera calquée sur celui mis en place avec succès par la mission de concertation, sera garant de l’évaluation des paramètres financiers. L’Assemblée a apporté, par des amendements de M. Gille, des retouches sur la composition de ce comité et son rôle.

Par ailleurs, l’Assemblée a voté un amendement de Jacqueline Fraysse (Front de Gauche) prévoyant l’ouverture d’une négociation, avant fin juin 2016, entre organisations représentatives au niveau professionnel de salariés et d’employeurs sur les conditions de recours au contrat à durée déterminée d’usage (CDDU), avant le réexamen des listes d’emplois pouvant être pourvus par ce type de contrat.

Évoquant « un moment important pour notre culture, pour les artistes et techniciens qui la font vivre, partout sur nos territoires », la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin a salué dans ce vote l’approbation des « décisions annoncées par le Premier ministre, le 7 janvier, suite au formidable travail de consensus et de conviction effectué pendant plusieurs mois par Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle et le député socialiste Jean-Patrick Gille ».

« Il fallait en finir avec la menace récurrente qui pesait sur le régime des artistes et techniciens du spectacle et qui déstabilisait les professionnels, entendre ensuite le malaise qu’ils expriment et sortir des crises à répétition (1992, 2003 et 2014), refonder enfin ce régime et assurer sa pérennité », a-t-elle fait valoir dans un communiqué.

Dans l’hémicycle, les députés UMP ont défendu en vain des amendements de suppression, critiquant entre autres la possibilité pour « un secteur d’élaborer ses propres règles ».

Ils ont aussi ironisé, comme Isabelle Le Callenec, sur « le Premier ministre qui ne rate plus une occasion d’affirmer qu’il aime la culture ».

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, politique culturelle,