Procédures à suivre, erreurs à ne pas commettre, sanctions possibles: l’ONG Transparency international France a publié jeudi un guide pratique, premier outil de ce type, pour venir en aide aux lanceurs d’alerte et les aider à « se défendre ».
« Il y a un an, la France s’est dotée d’un régime de protection des lanceurs d’alerte parmi les plus avancés en Europe », avec la loi dite Sapin 2, souligne dans un communiqué Transparency, pour expliquer cette publication.
Mais « bien souvent, ne sachant à qui s’adresser », les citoyens « n’ont pas les bons réflexes et s’exposent à des risques majeurs », comme le licenciement ou les poursuites pour diffamation, ou bien « se taisent par peur des représailles », ajoute l’ONG.
Le guide, mis en ligne sur le site de l’organisation, détaille sur une soixantaine de pages la procédure à suivre et les conditions à remplir pour lancer une alerte en bénéficiant des protections garanties par la loi.
Le document propose également un résumé des jurisprudences et des conventions internationales signées par la France, susceptibles d’aider les lanceurs d’alerte « dans la constitution de leur dossier ».
L’objectif, c’est de donner aux citoyens « les clefs pour agir », et leur permettre de révéler en toute sécurité les « failles et dysfonctionnements de nos Etats, de nos économies, de nos systèmes politiques et financiers », assure l’ONG.
Plusieurs lanceurs d’alerte ont été visés ces dernières années par des procédures judiciaires, à l’image d’Antoine Deltour, condamné en appel à six mois de prison avec sursis et à 1.500 euros d’amende par la justice luxembourgeoise dans l’affaire des LuxLeaks.
La loi Sapin 2, adoptée fin 2016, a renforcé la protection des salariés contre les représailles, en leur permettant de bénéficier de l’appui du Défenseur des droits.
A partir du 1er janvier 2018, elle obligera par ailleurs les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10.000 habitants et l’administration à mettre en place des procédures de recueil des alertes.
Des migrants afghans à Calais, le 27 mai 2016. PHILIPPE HUGUEN / AFP
L’association demande à la France et à l’Europe de stopper leur politique de renvois vers ce pays où les civils ne sont plus protégés.
L’organisation Amnesty International demande, jeudi 5 octobre, un « moratoire immédiat » sur tous les renvois de migrants vers l’Afghanistan, où leur sécurité ne peut être garantie. Dans un rapport intitulé « Retour forcé vers l’insécurité » et basé sur une enquête de terrain, l’ONG rappelle que si 2016 a été une année record en matière de personnes tuées, 2017 suit la même pente.
« Jamais autant de civils n’ont été blessés, comme le soulignent les Nations unies, et parallèlement, jamais autant de renvois n’ont été effectués au départ de l’Europe », déplore Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty International France. « Désireux d’augmenter leur nombre d’expulsions, les gouvernements européens appliquent en effet une politique irresponsable et contraire au droit international. Ils exposent des hommes, des femmes et des enfants à des dangers tels que l’enlèvement, la torture ou la mort », a-t-elle ajouté mardi 3 octobre.
« Nous demandons au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, un moratoire immédiat sur tous les renvois vers l’Afghanistan. Nous demandons à l’Europe la suspension de tous les vols conjoints organisés par Frontex pour reconduire des Afghans depuis plusieurs pays d’Europe », a relayé Jean-François Dubost, responsable du programme de protection des populations au sein de l’organisation de défense des droits de l’homme.
Au sein de l’Union européenne, le taux de protection des Afghans est tombé de 68 % en septembre 2015 à 33 % en décembre 2016. En parallèle, le nombre de renvois a presque triplé, passant sur la même période de 3 290 à 9 460. La France, elle, a remis 640 personnes à l’avion en 2016, contre 435 en 2015.
« J’ai su que le combat serait dur »
A 24 ans, Farhad a échappé de justesse à ce voyage retour. Sa chance ? Il parle un très bon anglais et a pu interpeller les passagers du vol dans lequel il était tenu menotté entre deux policiers escorteurs. C’était en juillet et le jeune homme, aujourd’hui en procédure d’asile en France, n’a pas oublié un instant de cette journée de cauchemar. « L’épreuve a duré une demi-heure. Les policiers m’avaient expliqué que je ne pouvais pas refuser d’embarquer. Ils me maintenaient assis, mais j’ai pu hurler qu’on m’expulsait de France, que je mourrais dès mon retour à Kaboul. Au départ, une femme s’est adressée aux policiers ; puis d’autres passagers se sont manifestés avant que le pilote ne vienne à son tour. » Farhad, qui promet alors qu’il ne lâchera pas son combat, est finalement descendu de l’avion avant d’être présenté au médecin du centre de rétention : il affirme ne plus pouvoir déglutir car les policiers lui ont serré le cou pour l’empêcher d’alerter les autres passagers.
Car, si la France affiche un taux de protection de 88 % pour cette nationalité, elle enferme de plus en plus souvent en centre de rétention administrative (CRA) des déboutés de l’asile, mais aussi des Afghans qui n’ont pas encore déposé de demande. « En 2011, 382 Afghans ont été enfermés en centres de rétention, en France. Quatre ans après, en 2015, ils ont été un millier, comme en 2016. Cette année, le cap des 1 600 a déjà été franchi. On sera à 2 000 à la fin de l’année si la privation de liberté des ressortissants de cette nationalité continue sur le même rythme », regrette David Rohi, de la Cimade.
Zubair, 23 ans, passé par le CRA du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), a été contraint de demander l’asile en rétention. « Mon frère a été assassiné par les talibans, alors toute la famille est partie. En Grèce, j’ai perdu tout le monde et je me suis retrouvé seul. Pendant une semaine, j’ai cherché mon père, ma mère, ma sœur, en vain, avant de reprendre la route vers Londres puisque c’était le terminus qu’on s’était fixé », raconte le jeune homme. Arrêté à Calais alors qu’il tentait de passer, il se dit aujourd’hui heureux d’être reconnu comme réfugié, mais s’interroge sur le lieu où se trouve sa famille et sur la façon dont il pourra la rejoindre puisqu’il est désormais lié à la France…
Avant ses tentatives de renvoi, Farhad avait lui aussi connu l’enfermement au CRA de Coquelles (Pas-de-Calais), puis au Mesnil-Amelot, juste derrière l’aéroport de Roissy. « Quand je suis arrivé au Mesnil-Amelot, j’ai su que le combat serait dur car deux Afghans avaient été remis à l’avion les jours précédents », rapporte le jeune homme.
« Des pressions exercées » sur Kaboul
Fin 2016, un accord a été signé entre l’Union européenne et l’Afghanistan pour faciliter ces retours. Amnesty, qui s’était déjà exprimée à l’époque, relativise une nouvelle fois la notion d’« accord » et cite des sources afghanes qui le qualifient de « coupe de poison ». L’ONG rappelle dans son rapport que, « selon des informations jugées fiables, des pressions auraient été exercées sur le gouvernement afghan pour qu’il accepte cette “nécessité” des renvois ». L’organisation relate des propos du ministre afghan des finances, Eklil Hakimi, qui a déclaré devant le Parlement que, « si l’Afghanistan ne coopère pas avec les pays de l’Union européenne dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des conséquences négatives pour le montant de l’aide allouée à notre pays ».
Selon la Cimade et Amnesty, la France s’appuie, elle aussi, sur cet accord. Ainsi, sur les 1 700 ressortissants afghansdéjà passés en rétention entre janvier et septembre, la moitié étaient visés par une mesure d’éloignement vers l’Afghanistan, puisque des laissez-passer européens peuvent désormais remplacer les laissez-passer consulaires nécessaires aux renvois, que les autorités afghanes ne s’empressaient pas de délivrer.
L’autre moitié des Afghans enfermés font l’objet d’un transfert vers un pays d’Europe qui, le plus souvent, les renvoie ensuite vers Kaboul. « Au final, 70 % de ces personnes enfermées ont été libérées par un juge », observe David Rohi, pour qui « cette donnée illustre la violation des droits ». Reste que les moins chanceux, eux, ont repris un vol. Et, si Farhad ne s’était pas opposé fermement à son transfert, il aurait été envoyé en Norvège, un pays qui réexpédie très largement vers l’Afghanistan.
Un caractère volontaire « très relatif »
« En Afghanistan, toute ma famille était menacée car mon père et mon oncle refusent de payer leur tribut aux talibans. Moi, j’étais plus particulièrement visé car j’ai été traducteur pour l’ONU », rapporte Farhad qui, au lendemain d’une tentative d’enlèvement à Kaboul, a pris un billet pour Moscou, puis un autre pour Mourmansk, dans l’extrême nord-ouest de la Russie.
Arrivé là-bas, il s’est débrouillé pour passer en Norvège. « Je n’avais pas envie d’y demander l’asile, mais j’ai été obligé de le faire car ils ont relevé mes empreintes », raconte le jeune homme. Une fois débouté, il est arrivé en France, où, arrêté le 16 février dans un parc à Calais, il s’est retrouvé sous le coup d’un renvoi vers la Norvège au nom des accords de Dublin qui permettent aux pays de l’Union de renvoyer un demandeur d’asile vers le premier pays d’Europe où il a laissé trace de son passage. Dans le cas de Farhad, la France a décidé de se charger de sa demande, à l’issue de sa rébellion dans l’avion, puis de sa libération du centre de rétention par un juge.
La Cimade observe que 640 personnes ont été renvoyées en 2016 depuis la France. Si seules 115 d’entre elles l’ont été de façon forcée, l’association reste dubitative sur le caractère volontaire des autres renvois, qu’elle estime « très relatif dans un contexte où l’accueil a été notoirement déficient et compte tenu des multiples formes de répression qu’ont subies ces personnes ».
A Calais, les demandes de retour ont été nombreuses, mais la France avait augmenté les avantages financiers pour un retour volontaire au moment de l’évacuation de la jungle. Amnesty demande la suspension de ces retours volontaires puisque la sécurité n’est pas assurée pour les civils dans ce pays. Les chercheurs de l’organisation, qui se sont entretenus avec plusieurs familles, relatent le « calvaire » que ces dernières ont « vécu après avoir été contraintes de quitter l’Europe. Certaines ont perdu des êtres chers ; d’autres ont échappé de peu à des attaques lancées contre la population civile ; d’autres encore vivent dans la peur des persécutions ».
Cécile Carrière. — de la série « Barques », 2014 cecilecarriere.fr – Collection Fondation François Schneider
Un monde de camps
Camps de réfugiés ou de déplacés, campements de migrants, zones d’attente pour personnes en instance, camps de transit, centres de rétention ou de détention administrative, centres d’identification et d’expulsion, points de passage frontaliers, centres d’accueil de demandeurs d’asile, « ghettos », « jungles », hotspots… Ces mots occupent l’actualité de tous les pays depuis la fin des années 1990. Les camps ne sont pas seulement des lieux de vie quotidienne pour des millions de personnes ; ils deviennent l’une des composantes majeures de la « société mondiale », l’une des formes de gouvernement du monde : une manière de gérer l’indésirable.
Produit du dérèglement international qui a suivi la fin de la guerre froide, le phénomène d’« encampement » a pris des proportions considérables au XXIe siècle, dans un contexte de bouleversements politiques, écologiques et économiques. On peut désigner par ce terme le fait pour une autorité quelconque (locale, nationale ou internationale), exerçant un pouvoir sur un territoire, de placer des gens dans une forme ou une autre de camp, ou de les contraindre à s’y mettre eux-mêmes, pour une durée variable (1). En 2014, 6 millions de personnes, surtout des peuples en exil — les Karens de Birmanie en Thaïlande, les Sahraouis en Algérie, les Palestiniens au Proche-Orient… —, résidaient dans l’un des 450 camps de réfugiés « officiels », gérés par des agences internationales — tels le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens — ou, plus rarement, par des administrations nationales. Souvent établis dans l’urgence, sans que leurs initiateurs aient imaginé et encore moins planifié leur pérennisation, ces camps existent parfois depuis plus de vingt ans (comme au Kenya), trente ans (au Pakistan, en Algérie, en Zambie, au Soudan) ou même soixante ans (au Proche-Orient). Avec le temps, certains se sont mis à ressembler à de vastes zones périurbaines, denses et populaires.
La planète comptait également en 2014 plus de 1 000 camps de déplacés internes, abritant environ 6 millions d’individus, et plusieurs milliers de petits campements autoétablis, les plus éphémères et les moins visibles, qui regroupaient 4 à 5 millions d’occupants, essentiellement des migrants dits « clandestins ». Ces installations provisoires, parfois qualifiées de « sauvages », se retrouvent partout dans le monde, en périphérie des villes ou le long des frontières, sur les terrains vagues ou dans les ruines, les interstices, les immeubles abandonnés. Enfin, au moins 1 million de migrants sont passés par l’un des 1 000 centres de rétention administrative répartis dans le monde (dont 400 en Europe). Au total, en tenant compte des Irakiens et des Syriens qui ont fui leur pays ces trois dernières années, on peut estimer que 17 à 20 millions de personnes sont aujourd’hui « encampées ».
Au-delà de leur diversité, les camps présentent trois traits communs : l’extraterritorialité, l’exception et l’exclusion. Il s’agit tout d’abord d’espaces à part, physiquement délimités, des hors-lieux qui souvent ne figurent pas sur les cartes. Quoique deux à trois fois plus peuplé que le département de Garissa où il se trouve, le camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya, n’apparaît pas sur les représentations de ce département. Les camps jouissent également d’un régime d’exception : ils relèvent d’une autre loi que celle de l’État où ils sont établis. Quel que soit leur degré d’ouverture ou de fermeture, ils permettent ainsi d’écarter, de retarder ou de suspendre toute reconnaissance d’une égalité politique entre leurs occupants et les citoyens ordinaires. Enfin, cette forme de regroupement humain exerce une fonction d’exclusion sociale : elle signale en même temps qu’elle dissimule une population en excès, surnuméraire. Le fait d’être ostensiblement différent des autres, de n’être pas intégrable, affirme une altérité qui résulte de la double mise à l’écart juridique et territoriale.
Si chaque type de camp semble accueillir une population particulière — les migrants sans titre de séjour dans les centres de rétention, les réfugiés dans les structures humanitaires, etc. —, on y retrouve en fait un peu les mêmes personnes, qui viennent d’Afrique, d’Asie ou du Proche-Orient. Les catégories institutionnelles d’identification apparaissent comme des masques officiels posés provisoirement sur les visages.
Ainsi, un déplacé interne libérien vivant en 2002-2003 (soit au plus fort de la guerre civile) dans un camp à la périphérie de Monrovia sera un réfugié s’il part s’enregistrer l’année suivante dans un camp du HCR au-delà de la frontière nord de son pays, en Guinée forestière ; puis il sera un clandestin s’il le quitte en 2006 pour chercher du travail à Conakry, où il retrouvera de nombreux compatriotes vivant dans le « quartier des Libériens » de la capitale guinéenne. De là, il tentera peut-être de rejoindre l’Europe, par la mer ou à travers le continent via les routes transsahariennes ; s’il arrive en France, il sera conduit vers l’une des cent zones d’attente pour personnes en instance (ZAPI) que comptent les ports et aéroports. Il sera officiellement considéré comme un maintenu, avant de pouvoir être enregistré comme demandeur d’asile, avec de fortes chances de se voir débouté de sa demande. Il sera alors retenu dans un centre de rétention administrative (CRA) en attendant que les démarches nécessaires à son expulsion soient réglées (lire l’article page 16). S’il n’est pas légalement expulsable, il sera « libéré » puis se retrouvera, à Calais ou dans la banlieue de Rome, migrant clandestin dans un campement ou un squat de migrants africains.
Les camps et campements de réfugiés ne sont plus des réalités confinées aux contrées lointaines des pays du Sud, pas plus qu’ils n’appartiennent au passé. Depuis 2015, l’arrivée de migrants du Proche-Orient a fait émerger une nouvelle logique d’encampement en Europe. En Italie, en Grèce, à la frontière entre la Macédoine et la Serbie ou entre la Hongrie et l’Autriche, divers centres de réception, d’enregistrement et de tri des étrangers sont apparus. À caractère administratif ou policier, ils peuvent être tenus par les autorités nationales, par l’Union européenne ou par des acteurs privés. Installées dans des entrepôts désaffectés, des casernes militaires reconverties ou sur des terrains vagues où des conteneurs ont été empilés, ces structures sont rapidement saturées. Elles s’entourent alors de petits campements qualifiés de « sauvages » ou de « clandestins », ouverts par des organisations non gouvernementales (ONG), par des habitants ou par les migrants eux-mêmes. C’est ce qui s’est produit par exemple autour du camp de Moria, à Lesbos, le premier hotspot (centre de contrôle européen) créé par Bruxelles aux confins de l’espace Schengen en octobre 2015 pour identifier les migrants et prélever leurs empreintes digitales. Ces installations de fortune, qui accueillent généralement quelques dizaines de personnes, peuvent prendre des dimensions considérables, au point de ressembler à de vastes bidonvilles.
En Grèce, à côté du port du Pirée, un campement de tentes abrite entre 4 000 et 5 000 personnes, et jusqu’à 12 000 personnes ont stationné à Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne, dans une sorte de vaste zone d’attente (2). En France, également, de nombreux centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et centres d’hébergement d’urgence ont ouvert ces dernières années. Eux aussi souffrent d’un déficit chronique de places et voient se multiplier les installations sauvages à leurs abords. Les migrants refoulés de la structure ouverte par la mairie de Paris à la porte de la Chapelle à l’automne 2016 se retrouvent contraints de dormir dans des tentes, sur le trottoir ou sous le métro aérien.
Quel est l’avenir de ce paysage de camps ? Trois voies existent d’ores et déjà. L’une est la disparition, comme avec la destruction des campements de migrants à Patras, en Grèce, ou à Calais, en France, en 2009 puis en 2016, ou encore avec l’élimination répétée de campements dits « roms » autour de Paris ou de Lyon. S’agissant des camps de réfugiés anciens, leur disparition pure et simple constitue toujours un problème. En témoigne le cas de Maheba, en Zambie. Ce camp ouvert en 1971 doit fermer depuis 2002. À cette date, il comptait 58 000 occupants, dont une grande majorité de réfugiés angolais de la deuxième, voire de la troisième génération. Une autre voie est la transformation, sur la longue durée, qui peut aller jusqu’à la reconnaissance et à un certain « droit à la ville », comme le montrent les camps palestiniens au Proche-Orient, ou la progressive intégration des camps de déplacés du Soudan du Sud dans la périphérie de Khartoum. Enfin, la dernière voie, la plus répandue aujourd’hui, est celle de l’attente.
D’autres scénarios seraient pourtant possibles. L’encampement de l’Europe et du monde n’a rien d’une fatalité. Certes, les flux de réfugiés, syriens principalement, ont beaucoup augmenté depuis 2014 et 2015 ; mais ils étaient prévisibles, annoncés par l’aggravation constante des conflits au Proche-Orient, par l’accroissement des migrations durant les années précédentes, par une situation globale où la « communauté internationale » a échoué à rétablir la paix. Ces flux avaient d’ailleurs été anticipés par les agences des Nations unies et par les organisations humanitaires, qui, depuis 2012, demandaient en vain une mobilisation des États pour accueillir les nouveaux déplacés dans des conditions apaisées et dignes.
Des arrivées massives et apparemment soudaines ont provoqué la panique de nombreux gouvernements impréparés, qui, inquiets, ont transmis cette inquiétude à leurs citoyens. Une instrumentalisation du désastre humain a permis de justifier des interventions musclées et ainsi, par l’expulsion ou le confinement des migrants, de mettre en scène une défense du territoire national. À bien des égards, le démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 a tenu la même fonction symbolique que l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie (3) ou que l’érection de murs aux frontières de divers pays (4) : ils doivent faire la démonstration que les États savent répondre à l’impératif sécuritaire, protéger des nations « fragiles » en tenant à l’écart les étrangers indésirables.
En 2016, l’Europe a finalement vu arriver trois fois moins de migrants qu’en 2015. Les plus de six mille morts en Méditerranée et dans les Balkans (5), l’externalisation de la question migratoire (vers la Turquie ou vers des pays d’Afrique du Nord) et l’encampement du continent en ont été le prix.
Michel Agier
Anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a récemment publié Les Migrants et nous. Comprendre Babel (CNRS Éditions, Paris, 2016) et dirigé l’ouvrage Un monde de camps (La Découverte, Paris, 2014), dont le titre de ce dossier s’inspire.
Dans son rapport annuel, l’ONG dénonce une rhétorique « toxique » « diabolisant » certains groupes et en premier lieu les réfugiés.
Des dirigeants du monde entier, comme Donald Trump aux Etats-Unis ou Rodrigo Duterte aux Philippines, propagent des discours de haine « diabolisant » certains groupes, une rhétorique « toxique » qui rend le monde plus dangereux, s’alarme Amnesty international dans son rapport annuel présenté mercredi 22 février.
« Les discours clivants de Donald Trump, Viktor Orban [Hongrie], Recep Tayyip Erdogan [Turquie], Rodrigo Duterte [Philippines] (…) s’acharnent sur des groupes entiers de population, les désignent comme boucs émissaires et propagent l’idée selon laquelle certaines personnes sont moins “humaines” que d’autres », les premiers visés étant les réfugiés, dénonce Amnesty international.
Au total, l’organisation non gouvernementale (ONG) a dénombré 36 pays ayant « violé le droit international en renvoyant illégalement des réfugiés dans des pays où leurs droits étaient menacés ».
L’ONG fustige les discours « déshumanisants »
Ces discours de rejet et de haine ont des effets directs sur les droits et les libertés, dénonce Amnesty : « Des gouvernements ont fait voter des lois qui restreignent le droit d’asile, la liberté d’expression, qui légitiment la surveillance de masse ou donnent aux forces de l’ordre des pouvoirs illimités. »
Loin d’être l’apanage de leaders extrémistes, ces paroles stigmatisantes ont été adoptées « parfois de façon voilée, parfois de façon plus ouverte » par « des partis dits centristes », souligne John Dalhuisen, directeur d’Amnesty International pour l’Europe.
« Les discours déshumanisants, c’est quand le premier ministre hongrois qualifie les migrants de “poison”, c’est quand Geert Wilders [député néerlandais d’extrême droite] parle de la “racaille marocaine”, c’est aussi quand le premier ministre néerlandais écrit une lettre ouverte invitant les migrants à se comporter de façon “normale” ou de rentrer chez eux. »
Les étrangers et les musulmans, « cibles principales de la démagogie européenne » sont « présentés comme une menace à la sécurité, à l’identité nationale, des voleurs d’emplois et des abuseurs du système de sécurité sociale », insiste-t-il.
Les effets pervers de l’état d’urgence en France
En France, où l’ONG sise à Londres a exceptionnellement présenté son rapport annuel, Amnesty dénonce la restriction des droits fondamentaux dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le terrorisme, en particulier l’état d’urgence, prolongé depuis les attentats du 13 novembre 2015.
Selon son recensement, de la fin de 2015 à la fin de 2016, « seuls 0,3 % des mesures liées à l’état d’urgence ont débouché sur une enquête judiciaire pour faits de terrorisme ». En revanche, « les assignations à résidence ont entraîné des pertes d’emploi ou la marginalisation des personnes [concernées] », déplore Camille Blanc, présidente d’Amnesty International France.
L’ONG considère par ailleurs qu’en matière d’accueil des réfugiés, « la France n’a pas pris ses responsabilités au niveau international » et ne protège pas suffisamment les réfugiés et les migrants présents sur son sol.
« Dans le cadre des élections présidentielle et législatives qui vont avoir lieu en 2017, la France est à la croisée des chemins concernant les droits humains, qui font écho à une tendance mondiale, et les citoyens ne doivent pas tomber dans le piège de ces discours qui entraînent la haine, la peur ou le repli de soi. »
Face aux renoncements des grandes puissances à se battre pour le respect des droits et des libertés, et la passivité des Etats face aux atrocités et crises vécues en Syrie, au Yémen, ou encore au Soudan du Sud, Amnesty International appelle chacun à se mobiliser et agir. « 2017 sera une année de résistance, a dit à l’Agence France-Presse le président d’Amnesty, Salil Shetty. Nos espoirs reposent sur le peuple. »
Dans l’enquête intitulée « Diesel sale », l’ONG Public Eye (ex-Déclaration de Berne) dévoile les pratiques peu scrupuleuses de traders pétroliers suisses en Afrique. Quatre enquêteurs ont travaillé durant trois ans pour percer les mystères toxiques de l’essence et du diesel distribués sur le continent africain par les géants suisses du négoce de matières premières.
Les résultats de cette enquête publiée jeudi 15 septembre sont sans appel : les carburants écoulés en Afrique ont une teneur en soufre entre 200 et 1 000 fois plus élevée qu’en Europe, mettant gravement en péril la santé de populations exposées aux particules fines et à d’autres substances chimiques cancérigènes.
Des produits toxiques ajoutés aux carburants pour augmenter les profits
Pour augmenter leurs profits, les traders effectuent des mélanges avec des produits toxiques et particulièrement nocifs pour l’environnement et pour la santé. Des opérations souvent risquées qui s’effectuent à quai, notamment à Rotterdam, Amsterdam et Anvers, ou en pleine mer à quelques miles des côtes de Gibraltar ou des ports d’Afrique de l’Ouest.
Les traders ont un nom pour qualifier ces produits pétroliers : « qualité africaine ». Ce carburant toxique est écoulé en Afrique de l’Ouest où les négociants en matières premières profitent de réglementations qui permettent encore l’importation de diesel et d’essence contenant un taux de soufre très élevé. Ils en ont fait un marché parallèle et opaque.
Dans les stations essence de Trafigura, Vitol ou Oryx
Public Eye a effectué des prélèvements dans des stations essence de huit pays africains (Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Ghana, Côte d’ivoire, Mali, Sénégal et Zambie) détenues ou alimentées par ces maîtres du négoce pétrolier, comme Trafigura, Vitol ou Oryx. Plus de deux tiers des échantillons contiennent un taux de soufre supérieur à 1 500 parties par million (ppm). Avec une pointe à 3 780 ppm au Mali. La limite est de 10 ppm en Europe, aux Etats-Unis et même en Chine, à compter de 2017.
Les grandes villes africaines pâtissent déjà d’une qualité de l’air déplorable et d’une urbanisation préoccupante. D’ici 2050, la population urbaine devrait tripler sur le continent. Et le nombre de véhicules devrait considérablement augmenter. Les grands acteurs suisses de ce marché du « diesel sale » disent respecter les normes en vigueur. Et ils insistent sur les efforts fournis par l’Association des raffineurs africains (ARA), une organisation basée… à Genève et dont ils sont membres, pour améliorer la qualité des carburants qu’ils importent, mélangent, revendent et distribuent sur le continent.