« Une forme de Roméo et Juliette au féminin »

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film  La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.

Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier  jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.

La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.

« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?

Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.

ENTRETIEN

« Je reste attentive
au cinéma de mes consoeurs »

Photo Dr

Catherine Corsini  Photo Dr

Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?

J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.

Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?

La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.

Comment avez vous abordez les scènes de nu ?

Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.

Vous montrez les hommes sous un beau jour…

Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.

Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?

J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 15/08/2015

Voir aussi : Rubrique Cinéma Virginie Despentes : « Cherchez une femme dans les films qui lise un journal », Hollywood a la braguette qui coince, rubrique Rencontre, rubrique Société, Mouvements sociaux, Droit des femmes, Livre, Une encyclopédie du nu au cinéma,

 

Polisse : Noirceur et besoin d’amour

Pour son troisième film, après le convaincant Le bal des actrices, qui faisait le point sur le métier d’actrice, Maïwenn poursuit sur la crête frontalière entre documentaire et fiction. Il s’agit cette fois de suivre le quotidien professionnel et personnel des policiers de la Brigade parisienne de protection des mineurs (BPM). Projet à la fois porteur et glissant tant il n’est pas simple de porter au cinéma un grand classique du genre télé.

Si Polisse, n’apporte rien de vraiment nouveau dans la mise en scène de cette brigade confrontée à l’inceste, la pédophilie et l’esclavage des mineurs, il affirme le regard de la réalisatrice qui s’est elle-même très impliquée dans le vécu des protagonistes en allant chercher sa matière sur le terrain. Dans le film, Maïwen interprète le rôle d’une photographe un peu coincée qui découvre la réalité crue de la BPM. Cette démarche apporte une certaine fraîcheur, comme le recours à certains acteurs n’ayant aucune expérience du cinéma. Maïwen a particulièrement saisit, la forme de légèreté que les policiers cultivent entre eux pour faire face à la lourdeur psychologique des situations. Elle joue de ce contraste durant tout le film, emportant le spectateur en mettant au premier plan la dimension humaine des policiers. Certaines scènes, comme celle où l’on voit les enfants faire la fête dans le bus qui les conduit dans un foyer juste après une descente dans un camp de Roms où on les a séparé de leur famille, sont peu réalistes.

« C’est une mise en scène sur le ton de la vérité » confie pourtant la réalisatrice qui s’est adjoint le concours éclairé d’Emmanuelle Bercot pour le scénario. Le film tient beaucoup sur les comédiens à l’image de Joeystarr qui avait déjà empoché le césar du meilleur acteur dans un second rôle, pour Le bal des actrices. Le talentueux rappeur français crève cette fois l’écran dans le rôle du flic ravagé par son quotidien professionnel. A ses côtés, dans d’autres registres, Karin Viard, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Naïra Ayadi… livrent une partition tout aussi  douloureuse sans fausse note.

A travers l’urgence de ce polar urbain, Maïwen dessine les maux d’une société dans laquelle violence sexuelle, abus de pouvoir, et emprise de la consommation frappent cruellement les mineurs. Les séances d’interrogatoires soulignent bien que la violence symbolique touche l’ensemble des classes sociales. Au-delà de la noirceur, la cohabitation multiple entre les hommes et les femmes, entre devoir et sentiment, entre vie personnelle et professionnelle est un ressort majeur du film. La réalisatrice tire le portrait de personnalités fissurées en de multiples facettes. Le film de Maïwen qui a obtenu le prix du Jury à Cannes donne à voir des hommes, des femmes et des enfants en prise avec leur limites. En se sens, il s’inscrit dans l’air du temps. Aucun des personnages n’est en mesure de se regarder dans un miroir en tenant le mensonge à l’écart. Le montage rythmé nous tient en haleine jusqu’à la chute finale.

Jean-Marie Dinh

Polisse de Maïwen sur les écrans le 19 octobre.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Tous sur le Larsac, rubrique Société, La crise morale nous touche de l’intérieur, Danse, Charmatz ouvre le festival d’Avignon avec « Enfant »,