Du 20 au 28 octobre aura lieu le festival Cinemed grand rendez-vous du 7e art méditerranéen à Montpellier. Aure Atika sera la présidente du jury de cette 39e édition qui met l’Algérie à l’honneur.
Trente neuf années que Montpellier suit le cinéma méditerranéen en privilégiant tous ses acteurs et notamment les réalisateurs quelque soit leur origine. Le festival participe pleinement au rayonnement d’une expression cinématographique immensément riche trop souvent oublié par les circuits de production et de diffusion de l’industrie du cinéma. Quatre décennies ont permis de tisser des liens de confiance qui portent aujourd’hui le festival montpelliérain comme un carrefour reconnu dans tout le bassin de la grande bleue mais aussi dans des instances professionnelles comme le CNC. « Cela concourt au développement des échanges artistiques et économiques entre la France et les pays de la Méditerranée, afin que nous soyons les uns pour les autres des partenaires de premier choix », confirmee son président Frédérique Bredin.
Hier, lors de la présentation à la presse, l’ex ministre de la culture Aurélie Filippetti, qui préside le festival depuis 2016, a souligné la solidité de l’engagement financier singulier des partenaires publics « qui s’investissent en laissant une totale liberté aux programmateurs.» La part des fonds publics s’élève à 863 000 euros dont 83% en provenance de la Métropole et de la ville de Montpellier, l’Etat et la Région entrant chacun dans ce budget pour moins de 10%. Pour le maire et Président de la Métropole Philippe Saurel, le Cinemed apparaît comme un des fleurons d’une politique cinématographique et audiovisuelle forte dont l’engagement vise à structurer le secteur des industries culturelle et créative.
Ambiance de fête
Avec 211 films à l’affiche le festival séduit un large public sans céder au faste ni à la tendance people. On attend 80 000 spectateurs dont une grande majorité d’habitants de La Métropole. La volonté de simplicité alliée à l’exigence est un aspect qui joue pour beaucoup dans la réussite public de l’événement. C’est une composante de l’identité du festival qui participe à son ambiance, très ouverte, en correspondance avec la convivialité que partage les peuples de la Méditerranée si terrible soit l’histoire que traversent certains d’entre-eux.
Après la Tunisie en 2016, le Cinemed donnera cette année un coup de projecteur sur le cinéma algérien en privilégiant la jeune garde dont beaucoup ont choisi l’exil après les années 90.
L’énergie du cinéma algérien
Films documentaires, courts et longs métrages vont se succéder, pour dessiner la richesse du paysage cinématographique algérien. Plus d’une vingtaine de films récents sont programmés. On pourra notamment découvrir Kindil de Damien Ounouri, En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui sélectionnés à Cannes, Les bienheureux de Sofia Djama et retrouver la filmographie de l’invité d’honneur Merzak Allouache qui n’a eu de cesse de suivre l’évolution tourmentée de l’Algérie contemporaine.
Parmi les autres réjouissances attendues : une rétrospective du grand maître italien d’après-guerre Alberto Lattuada. Un focus sur l’oeuvre du réalisateur espagnol Fernando Trueba, au sommet de la comédie madrilène. Des hommages : à Manuel Pradal, ainsi qu’au duo Olivier Nakache et Eric Toledano, l’intégrale de la réalisatrice d’origine algérienne Dominique Cabrera, Les Lumières de la ville de Charlie Chaplin en ciné-concert avec l’Orchestre national de Montpellier, de nombreuses avant-premières, et tous les films en compétition… La présidence du jury de l’Antigone d’Or est confiée à une fille du rock, Aure Atika.
Crise dans le Golfe. Pourquoi le Qatar est mis au ban par ses voisins
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.
Anthony Samrani
Source L’Orient du jour
RIYAD POURRAIT FOMENTER UN COUP D’ETAT AU QUATAR
L’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, dans le palais royal, le 3 août 2015, à Doha. PHOTO / BRENDAN SMIALOWSKI / REUTERS
Plus le temps passe, plus les Saoudiens seront tentés par le recours à des solutions radicales pour faire plier Doha. L’enjeu pour eux : maintenir leur crédibilité de puissance régionale.
Et ils sont condamnés à ne pas répéter le scénario de 2014, quand ils avaient déjà exigé du Qatar la fermeture de la chaîne de télévision Al-Jazira : Or le Qatar avait refusé d’obtempérer, mettant ainsi en évidence aux yeux de tout le monde les limites de la puissance de ces deux pays.”
Aujourd’hui, à nouveau, “plus le temps passe, plus la situation devient compliquée”, les deux pays risquant de perdre la face après avoir mis la barre très haut.
Ils doivent donc absolument réussir à contraindre le Qatar à mettre genou à terre. En dernier recours, ils pourraient chercher d’autres moyens pour y parvenir, y compris un changement de régime, que ce soit par une invasion ou en fomentant un coup d’État.”
Le ministre des Affaires étrangères émirati a certes déclaré le 6 juin que le but de son pays était d’imposer au Qatar “un changement de politique et non pas un changement de régime”, comme l’a rapporté la presse d’Abou Dhabi. Mais des médias émiratis et saoudiens envoient également d’autres signaux.
Opération médiatique
Aussi bien le journal saoudien Al-Hayatque celui des Émirats The Nationalavaient ainsi, dès le début de la crise, parlé d’un prince de la famille régnante du Qatar, Cheikh Saoud ben Nasser Al Thani, qui aurait l’intention de “retourner dans son pays pour y créer un parti d’opposition”.
De même, le journal saoudien donne la parole à l’ancien chef des services secrets du Qatar, Mahmoud Mansour, visiblement prêt à se mettre au service des Saoudiens. Selon lui, les dirigeants du Qatar devraient comparaître devant la justice internationale pour leur politique “criminelle de soutien à des fauteurs de troubles”.
En effet, non seulement Doha apporterait son soutien aux Frères musulmans, mais, à en croire ses allégations, il pourrait même “avoir donné l’asile à Abou Bakr Al-Baghdadi”, le ‘calife’ de l’organisation État islamique (Daech).
Des déclarations qui sonnent, en effet, comme une opération médiatique destinée à justifier un droit d’ingérence régionale.
La diplomatie française redouble d’efforts pour tenter d’apaiser les tensions entre Riyad et Doha.
Appels au dialogue, rencontres, tentatives de médiation, la France multiplie les gestes en vue de rapprocher les points de vue entre le Qatar d’une part, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’autre. Hier encore, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, annonçait qu’il allait s’entretenir par téléconférence avec le président français Emmanuel Macron et l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Dès le lendemain de la crise, qui a éclaté lundi dernier, la France s’est mise en ligne de front pour appeler au dialogue entre les frères ennemis. Le président français s’est entretenu avec ses homologues turc et qatari une première fois. À la suite de cette conversation téléphonique, le porte-parole du Quai d’Orsay a souligné que la France est « aux côtés des pays de la région dans l’intensification nécessaire de la lutte contre les groupes terroristes, leurs soutiens et leur financement ». Et pas plus tard qu’il y a deux jours, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a reçu son homologue qatari à Paris pendant la tournée européenne de ce dernier. Le ministre des Affaires étrangères de l’émirat, cheikh Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, a pour sa part affirmé que M. Macron a été « très actif dans la communication entre les différentes parties de cette crise (…) et la France parle aux gouvernements en faveur d’une désescalade ». Plus tôt, M. Le Drian avait également rencontré le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.
Ne pas souffler sur les braises
La France est sur tous les fronts diplomatiques de la crise, aux côtés de la Turquie et du Koweït, pour le séisme le plus grave dans la région depuis la création du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en 1981 (à l’exception de l’épisode de l’occupation du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, en 1990, et de la guerre du Golfe qui en a découlé).
« La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a des responsabilités particulières au sein du groupe européen », précise Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et spécialiste des relations internationales. Dans ce coin stratégique du globe, elle est « sans doute l’une des puissances les mieux placées parmi les membres du Conseil de sécurité pour aider à renouer le dialogue », estime le chercheur. Par ailleurs, Paris « n’a aucun intérêt à souffler sur les braises », ajoute-t-il.
Et pour cause, au-delà de la sphère géopolitique, le Qatar présente un intérêt économique majeur pour la France. Au-delà de ses acquis fortement médiatisés dans le monde sportif (le PSG), le petit émirat a investi dans de nombreux domaines divers. Luxe, immobilier, commerce ou encore médias, Doha semble être presque partout. À noter que la France est le deuxième bénéficiaire des investissements qataris après le Royaume-Uni. La relation privilégiée avec Doha se renforce durant le mandat de Nicolas Sarkozy, aux dépens de l’Arabie saoudite. Par la suite, si François Hollande mène une politique autrement plus balancée entre Riyad et Doha, les relations entre le richissime Qatar et la France restent bonnes. La vente de 24 Rafale au petit émirat en 2015 menée par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense à l’époque, souligne « la constance, la fiabilité, la crédibilité de la France », selon M. Hollande. Autant d’éléments avec lesquels le nouveau président français va devoir conjuguer.
Apaiser les tensions
Mais au-delà des sphères économiques, la crise entre le Qatar, l’Arabie saoudite et ses alliés représente une étape majeure pour Emmanuel Macron. Arrivé à la présidence il y a un mois jour pour jour, ses premiers pas sur le devant de la scène diplomatique moyen-orientale sont observés à la loupe, surtout par les pays de la région. Il porte un lourd poids sur ses épaules alors qu’il avait annoncé durant la campagne présidentielle vouloir « mettre fin en France aux accords qui favorisent le Qatar » et avait reproché au quinquennat de Nicolas Sarkozy d’avoir été trop « complaisant » à l’égard de Doha « en particulier ». L’ancien banquier va devoir prouver ses capacités de négociation pour ramener les pays frères autour de la même table. Tâche difficile alors que le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Sabah al-Khaled al-Sabah, rappelait dimanche « l’inéluctabilité de résoudre la crise dans le cadre du Golfe ».
« Paris ne pourra naturellement pas régler seul un différend qui est d’abord l’affaire de pays arabes », note M. Charillon. « Emmanuel Macron peut réaffirmer la volonté de la France d’aider à apaiser les tensions de la région, et tenter de proposer de nouvelles méthodes. Mais le Moyen-Orient nous a appris à être prudents et humbles », conclut le chercheur.
Entretien. Ferhat Aït Ali, économiste : “Doha a les moyens de résister”
Avec ses ressources économiques, ses relations diplomatiques et ses liens supposés avec les djihadistes, le petit émirat peut tenir tête à l’Arabie Saoudite, affirme l’économiste algérien Ferhat Aït Ali dans les colonnes du Temps d’Algérie.
Le Temps d’Algérie : Plusieurs sanctions économiques ont été prises à l’encontre du Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Selon vous, quelles seront les répercussions économiques immédiates sur le Qatar ?
Ferhat Aït Ali : Le Qatar, émirat gazier par excellence et pays à faible densité démographique, qui n’a pas de besoins en infrastructures de base sur des distances importantes – mais qui n’a pas énormément investi sur son territoire par rapport aux émirats dont la plus grande part des investissements est nationale, et aux Saoudiens, dont les budgets explosent –, n’est pas, dans l’immédiat, dans une posture pire que celle de ses adversaires. Avec des rentrées annuelles à peu près équivalentes à celles de l’Algérie, il peut vivre avec des dépenses bien inférieures à celles de ses voisins, et sur des réserves généralement bien placées et rentables. Il aura certainement des surcoûts dus aux nouvelles distances à franchir pour s’approvisionner, mais il pourra éventuellement compter sur la Turquie, le Koweït, et même Oman, pour servir de relais ou de passages vers des marchés extérieurs?; il pourra aussi se rabattre sur des pays comme le Pakistan ou l’Inde, tout proches par voie maritime, pour contourner l’embargo saoudien qui ne vaut que vers l’ouest.
Le Qatar pourra donc résister économiquement. Mais combien de temps ?
Il pourra résister assez longtemps pour voir ses adversaires soit réguler leurs passions, soit partir vers une aventure militaire qui coûtera cher à toutes les parties. Cet émirat, ne l’oublions pas, a des alliés assez puissants, dont les États-Unis, qui jouent un double jeu dans cette affaire.
Le Qatar peut également jouer la carte de ces fameux terroristes qu’on le soupçonne de soutenir, en en activant toutes les cellules dormantes s’il est directement attaqué. Économiquement, il aura toujours des débouchés pour écouler son gaz, et des fonds pour approvisionner son économie et se défendre le cas échéant?; de ce côté, il a de quoi tenir longtemps encore.
Quel sera le poids de cette crise sur l’Opep ?
Dans l’immédiat, l’impact semble être nul dans les deux sens, vu la perte de poids de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole] et de ses membres sur les marchés pétroliers et les nouvelles technologies qui permettent de les contourner petit à petit. L’émirat est un État gazier par vocation, et cette ressource n’étant pas liée au pétrole sur les marchés,même les cours du gaz ne s’en sont pas ressentis. Par contre, un retrait du Qatar de l’accord actuel [sur les quotas de production], bien que sans incidence majeure sur les quantités de pétrole qu’il pourrait injecter en plus – 30?000 barils/jour –, pourrait représenter une incitation pour les autres pays à se débarrasser d’un accord qui les gêne, car sans grands résultats sur les prix. Cela pourrait alors tourner à la débandade au sein de l’organisation et sur les marchés.
Le fait que le Qatar se rapproche de l’Iran est très mal perçu notamment par l’Arabie Saoudite, mais aussi par les États-Unis évidemment. À quoi doit-on s’attendre ?
À part l’Arabie Saoudite, qui a fait de la guerre contre le chiisme une sorte de nouveau cheval de bataille dans sa tentative de leadership sur le monde musulman, aucun État n’a jamais réellement rompu avec l’Iran, même pas Israël.Et le Qatar ne peut pas se le permettre, en plus d’entrer en conflit, direct ou larvé, avec une puissance qui se trouve juste en face de lui et qui partage sa seule ressource, le gaz, sur des champs limitrophes aux contours indéfinis.
Des relations apaisées avec ce pays, quel que soit son régime ou son dogme religieux, sont une nécessité vitale pour cet émirat, et jamais l’Arabie Saoudite ne lui a demandé de cesser ces relations, jusqu’à l’avènement messianique du roi Salmane. Si le Qatar faisait quoi que ce soit qui déplaise effectivement aux Américains, ces derniers l’auraient déjà rappelé à l’ordre.
Source Le Temps d’Algérie 16/06/2017
AUCUNE ISSUE RAPIDE A L’HORIZON DE LA CRISE SAOUDO-QATARIE
Les Libanais du Qatar, à l’instar des nombreuses autres communautés d’expatriés dans le pays, s’inquiètent de la tournure de la crise qui sévit actuellement entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d’une part, et le Qatar, d’autre part. Il faut dire que la communauté libanaise est forte de 35 000 personnes et qu’elle envoie annuellement au Liban un total de 54 millions de dollars.
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a en effet rejeté une invitation du président américain Donald Trump à se rendre à Washington pour prendre part à une réunion de médiation entre l’émirat et l’Arabie saoudite, même si, selon certaines informations, il craindrait également d’être victime d’un coup d’État. Doha continue également de soutenir que toutes les accusations de soutien au terrorisme faites par Riyad et ses alliés sont « infondées », et, de source diplomatique, on estime désormais que la crise s’est installée dans un « tunnel obscur » dont l’issue est à l’heure actuelle très peu claire.
Il faut également ajouter à ce sombre tableau la chute la plus raide du riyal qatari depuis 1999, puisque même si, dans les faits, la monnaie de l’émirat n’est passée que de 3,64 à 3,65 face au dollar, il n’en reste pas moins que c’est là un indice peu prometteur de l’évolution de la situation. Les experts s’attendent à une nouvelle dégringolade dans le cas où la crise s’inscrirait dans la durée.
Sur le plan économique, les pénuries de produits en provenance d’Arabie commencent à se faire ressentir, et c’est désormais l’Iran et la Turquie qui ont proposé de prendre le relais afin que le pays reste à flot en matière de denrées alimentaires et de produits de première nécessité.
Cécile Carrière. — de la série « Barques », 2014 cecilecarriere.fr – Collection Fondation François Schneider
Un monde de camps
Camps de réfugiés ou de déplacés, campements de migrants, zones d’attente pour personnes en instance, camps de transit, centres de rétention ou de détention administrative, centres d’identification et d’expulsion, points de passage frontaliers, centres d’accueil de demandeurs d’asile, « ghettos », « jungles », hotspots… Ces mots occupent l’actualité de tous les pays depuis la fin des années 1990. Les camps ne sont pas seulement des lieux de vie quotidienne pour des millions de personnes ; ils deviennent l’une des composantes majeures de la « société mondiale », l’une des formes de gouvernement du monde : une manière de gérer l’indésirable.
Produit du dérèglement international qui a suivi la fin de la guerre froide, le phénomène d’« encampement » a pris des proportions considérables au XXIe siècle, dans un contexte de bouleversements politiques, écologiques et économiques. On peut désigner par ce terme le fait pour une autorité quelconque (locale, nationale ou internationale), exerçant un pouvoir sur un territoire, de placer des gens dans une forme ou une autre de camp, ou de les contraindre à s’y mettre eux-mêmes, pour une durée variable (1). En 2014, 6 millions de personnes, surtout des peuples en exil — les Karens de Birmanie en Thaïlande, les Sahraouis en Algérie, les Palestiniens au Proche-Orient… —, résidaient dans l’un des 450 camps de réfugiés « officiels », gérés par des agences internationales — tels le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens — ou, plus rarement, par des administrations nationales. Souvent établis dans l’urgence, sans que leurs initiateurs aient imaginé et encore moins planifié leur pérennisation, ces camps existent parfois depuis plus de vingt ans (comme au Kenya), trente ans (au Pakistan, en Algérie, en Zambie, au Soudan) ou même soixante ans (au Proche-Orient). Avec le temps, certains se sont mis à ressembler à de vastes zones périurbaines, denses et populaires.
La planète comptait également en 2014 plus de 1 000 camps de déplacés internes, abritant environ 6 millions d’individus, et plusieurs milliers de petits campements autoétablis, les plus éphémères et les moins visibles, qui regroupaient 4 à 5 millions d’occupants, essentiellement des migrants dits « clandestins ». Ces installations provisoires, parfois qualifiées de « sauvages », se retrouvent partout dans le monde, en périphérie des villes ou le long des frontières, sur les terrains vagues ou dans les ruines, les interstices, les immeubles abandonnés. Enfin, au moins 1 million de migrants sont passés par l’un des 1 000 centres de rétention administrative répartis dans le monde (dont 400 en Europe). Au total, en tenant compte des Irakiens et des Syriens qui ont fui leur pays ces trois dernières années, on peut estimer que 17 à 20 millions de personnes sont aujourd’hui « encampées ».
Au-delà de leur diversité, les camps présentent trois traits communs : l’extraterritorialité, l’exception et l’exclusion. Il s’agit tout d’abord d’espaces à part, physiquement délimités, des hors-lieux qui souvent ne figurent pas sur les cartes. Quoique deux à trois fois plus peuplé que le département de Garissa où il se trouve, le camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya, n’apparaît pas sur les représentations de ce département. Les camps jouissent également d’un régime d’exception : ils relèvent d’une autre loi que celle de l’État où ils sont établis. Quel que soit leur degré d’ouverture ou de fermeture, ils permettent ainsi d’écarter, de retarder ou de suspendre toute reconnaissance d’une égalité politique entre leurs occupants et les citoyens ordinaires. Enfin, cette forme de regroupement humain exerce une fonction d’exclusion sociale : elle signale en même temps qu’elle dissimule une population en excès, surnuméraire. Le fait d’être ostensiblement différent des autres, de n’être pas intégrable, affirme une altérité qui résulte de la double mise à l’écart juridique et territoriale.
Si chaque type de camp semble accueillir une population particulière — les migrants sans titre de séjour dans les centres de rétention, les réfugiés dans les structures humanitaires, etc. —, on y retrouve en fait un peu les mêmes personnes, qui viennent d’Afrique, d’Asie ou du Proche-Orient. Les catégories institutionnelles d’identification apparaissent comme des masques officiels posés provisoirement sur les visages.
Ainsi, un déplacé interne libérien vivant en 2002-2003 (soit au plus fort de la guerre civile) dans un camp à la périphérie de Monrovia sera un réfugié s’il part s’enregistrer l’année suivante dans un camp du HCR au-delà de la frontière nord de son pays, en Guinée forestière ; puis il sera un clandestin s’il le quitte en 2006 pour chercher du travail à Conakry, où il retrouvera de nombreux compatriotes vivant dans le « quartier des Libériens » de la capitale guinéenne. De là, il tentera peut-être de rejoindre l’Europe, par la mer ou à travers le continent via les routes transsahariennes ; s’il arrive en France, il sera conduit vers l’une des cent zones d’attente pour personnes en instance (ZAPI) que comptent les ports et aéroports. Il sera officiellement considéré comme un maintenu, avant de pouvoir être enregistré comme demandeur d’asile, avec de fortes chances de se voir débouté de sa demande. Il sera alors retenu dans un centre de rétention administrative (CRA) en attendant que les démarches nécessaires à son expulsion soient réglées (lire l’article page 16). S’il n’est pas légalement expulsable, il sera « libéré » puis se retrouvera, à Calais ou dans la banlieue de Rome, migrant clandestin dans un campement ou un squat de migrants africains.
Les camps et campements de réfugiés ne sont plus des réalités confinées aux contrées lointaines des pays du Sud, pas plus qu’ils n’appartiennent au passé. Depuis 2015, l’arrivée de migrants du Proche-Orient a fait émerger une nouvelle logique d’encampement en Europe. En Italie, en Grèce, à la frontière entre la Macédoine et la Serbie ou entre la Hongrie et l’Autriche, divers centres de réception, d’enregistrement et de tri des étrangers sont apparus. À caractère administratif ou policier, ils peuvent être tenus par les autorités nationales, par l’Union européenne ou par des acteurs privés. Installées dans des entrepôts désaffectés, des casernes militaires reconverties ou sur des terrains vagues où des conteneurs ont été empilés, ces structures sont rapidement saturées. Elles s’entourent alors de petits campements qualifiés de « sauvages » ou de « clandestins », ouverts par des organisations non gouvernementales (ONG), par des habitants ou par les migrants eux-mêmes. C’est ce qui s’est produit par exemple autour du camp de Moria, à Lesbos, le premier hotspot (centre de contrôle européen) créé par Bruxelles aux confins de l’espace Schengen en octobre 2015 pour identifier les migrants et prélever leurs empreintes digitales. Ces installations de fortune, qui accueillent généralement quelques dizaines de personnes, peuvent prendre des dimensions considérables, au point de ressembler à de vastes bidonvilles.
En Grèce, à côté du port du Pirée, un campement de tentes abrite entre 4 000 et 5 000 personnes, et jusqu’à 12 000 personnes ont stationné à Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne, dans une sorte de vaste zone d’attente (2). En France, également, de nombreux centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et centres d’hébergement d’urgence ont ouvert ces dernières années. Eux aussi souffrent d’un déficit chronique de places et voient se multiplier les installations sauvages à leurs abords. Les migrants refoulés de la structure ouverte par la mairie de Paris à la porte de la Chapelle à l’automne 2016 se retrouvent contraints de dormir dans des tentes, sur le trottoir ou sous le métro aérien.
Quel est l’avenir de ce paysage de camps ? Trois voies existent d’ores et déjà. L’une est la disparition, comme avec la destruction des campements de migrants à Patras, en Grèce, ou à Calais, en France, en 2009 puis en 2016, ou encore avec l’élimination répétée de campements dits « roms » autour de Paris ou de Lyon. S’agissant des camps de réfugiés anciens, leur disparition pure et simple constitue toujours un problème. En témoigne le cas de Maheba, en Zambie. Ce camp ouvert en 1971 doit fermer depuis 2002. À cette date, il comptait 58 000 occupants, dont une grande majorité de réfugiés angolais de la deuxième, voire de la troisième génération. Une autre voie est la transformation, sur la longue durée, qui peut aller jusqu’à la reconnaissance et à un certain « droit à la ville », comme le montrent les camps palestiniens au Proche-Orient, ou la progressive intégration des camps de déplacés du Soudan du Sud dans la périphérie de Khartoum. Enfin, la dernière voie, la plus répandue aujourd’hui, est celle de l’attente.
D’autres scénarios seraient pourtant possibles. L’encampement de l’Europe et du monde n’a rien d’une fatalité. Certes, les flux de réfugiés, syriens principalement, ont beaucoup augmenté depuis 2014 et 2015 ; mais ils étaient prévisibles, annoncés par l’aggravation constante des conflits au Proche-Orient, par l’accroissement des migrations durant les années précédentes, par une situation globale où la « communauté internationale » a échoué à rétablir la paix. Ces flux avaient d’ailleurs été anticipés par les agences des Nations unies et par les organisations humanitaires, qui, depuis 2012, demandaient en vain une mobilisation des États pour accueillir les nouveaux déplacés dans des conditions apaisées et dignes.
Des arrivées massives et apparemment soudaines ont provoqué la panique de nombreux gouvernements impréparés, qui, inquiets, ont transmis cette inquiétude à leurs citoyens. Une instrumentalisation du désastre humain a permis de justifier des interventions musclées et ainsi, par l’expulsion ou le confinement des migrants, de mettre en scène une défense du territoire national. À bien des égards, le démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 a tenu la même fonction symbolique que l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie (3) ou que l’érection de murs aux frontières de divers pays (4) : ils doivent faire la démonstration que les États savent répondre à l’impératif sécuritaire, protéger des nations « fragiles » en tenant à l’écart les étrangers indésirables.
En 2016, l’Europe a finalement vu arriver trois fois moins de migrants qu’en 2015. Les plus de six mille morts en Méditerranée et dans les Balkans (5), l’externalisation de la question migratoire (vers la Turquie ou vers des pays d’Afrique du Nord) et l’encampement du continent en ont été le prix.
Michel Agier
Anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a récemment publié Les Migrants et nous. Comprendre Babel (CNRS Éditions, Paris, 2016) et dirigé l’ouvrage Un monde de camps (La Découverte, Paris, 2014), dont le titre de ce dossier s’inspire.
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.
La palestinienne Skywalker a chauffé le Rockstore à blanc
Pour cette douzième édition, le Festival Arabesques, rencontres des Arts du monde Arabe, célèbre à Montpellier des grandes dames jusqu’au 21 mai. La DJ palestinienne, Sama Abdulhadi, alias Skywalker la première qui a mixé dans un bar de Ramallah en bousculant les mentalités et les préjugés a chauffé cette nuit le Rockstore à blanc avec un set endiablé. Skywalker importe les embruns des scènes techno de Beyrouth, Londres, Le Caire ou Paris où elle se produit non sans provocation.
Depuis 12 ans, le festival Arabesques se révèle comme un grand dénicheur des talents issus de la nouvelle scène arabe qui s’impose partout dans le monde. En France, pour des raisons liées à des partis pris socio-politiques qui méritent d’être questionnés le phénomène de reconnaissance est plus tardif. Mais cela n’enlève rien aux talents, à l’instar de l’artiste contemporaine marocaine Leila Hida. La ligne artistique d’Arabesques vise aussi à renouer avec les racines pour ne pas se perdre…
Leila Hida :
« Avec le net nous n’avons plus besoin d’argent pour refléter la réalité »
Photo Leila Hida
Née en 1983, Leila Hida habite aujourd’hui à Marrakech où elle est photographe indépendante depuis 2012. Elle est fondatrice du 18, un espace alternatif de culture et d’expression artistique situé dans la médina. Dans le cadre du Festival Arabesques qui bat son plein à Montpellier, on peut découvrir son travail dans le hall de l’Hôtel Mercure Centre Comédie jusqu’au 10 juin.
D’où vient l’idée du 18, pourquoi avoir choisi ce lieu ?
C’est un engagement pour les créateurs au Maroc en faveur des artistes locaux mais aussi internationaux. Nous soutenons les artistes émergents en accompagnant leurs recherches à travers les résidences et en diffusant leurs projets au sein de l’espace par des expositions, présentations, rencontres avec le public. Nous souhaitons également connecter les scènes culturelles marrakchies à celles de l’international, et permettre aux artistes étrangers d’intervenir à Marrakech.
Marrakech connaît un développement impressionnant depuis plusieurs années mais le choix de votre implantation reste atypique…
Nous aurions pu nous installer à Rabat, Tanger ou Casablanca mais ça nous intéressait d’ouvrir ce lieu dans ce quartier. Marrakech est une ville de commerce, un point de confluences historiques. La ville s’est métamorphosée, mondialisée, on a construit de manière anarchique sans réflexion urbanistique. Il y a une gentrification de la médina. Au 18, nous recevons tout type de public. Créer un îlot dédié à la création n’est pas si étonnant. L’art contemporain questionne la société et son contexte, la ville, le territoire. Cet environnement se révèle propice aux recherches artistiques. La ville fonctionne à deux vitesses. Le changement vise à promouvoir l’exotisme mais il provoque des tensions entre la population très pauvre et les nouveaux arrivants.
Bénéficiez-vous de soutiens financiers publics ?
Non, nous fonctionnons pour une grande part avec du sponsoring privé et nous attachons beaucoup d’importance à notre indépendance.
« La création contemporaine marocaine est en train de trouver son modèle »
Photo Leila Hida
Considérez-vous que l’expression artistique permet de contourner les impasses politiques ?
Nous agissons dans le domaine de la culture en créant un espace physique permettant la réflexion, un espace où l’on devient citoyen. Ce n’est pas un contournement. C’est essentiel. La nouvelle génération est très impliquée. Avec Internet, nous n’avons plus besoin d’argent pour refléter la réalité et interpeller les pouvoirs publics.
Bénéficiez-vous du droit à la liberté d’expression artistique ?
On peut dire ce que l’on veut, s’il existe une entrave c’est l’artiste qui se la pose lui-même. Nous sommes les héritiers d’une histoire, sous Hassan II rien de cela n’était possible. Il reste des séquelles de cette époque dans notre pays. Il est arrivé que le droit à la liberté d’expression artistique soit malmené mais ça reste à la marge.
Où situez-vous la différence entre les artistes marocains vivants à l’étranger et ceux qui habitent au Maroc ?
Un artiste vivant au Maroc va traiter davantage du contexte marocain, alors que des questions comme celles liées à l’exil seront plus au centre des préoccupations des Marocains vivant à l’étranger. Artistiquement, on n’évolue pas dans le même environnement. Au Maroc, la création se développe différemment, nous sommes confrontés à des difficultés de production. Il n’y a pas de marché, pas de scène mais beaucoup de choses sont possibles et un mouvement émerge. Le Maroc est en train de trouver son modèle.
Leila versissage Arabesques 2017 à Montpellier
L’exposition que vous présentez à Montpellier soulève un questionnement autour de l’identité…
Ce travail correspond à une période où je suis retournée m’installer au Maroc. Je l’ai réalisé avec Artsi, un designer d’origine juive. Les images apparaissent comme dans un album de famille. Elles renvoient à nos identités plurielles, c’est toute la richesse et la complexité qui se posent à nous. Le problème c’est que les gens ne se posent plus assez de questions sur ce qu’ils sont.
Quelle place occupe la question du genre dans votre travail ?
Je n’opère pas de distinction entre la problématique féminine et masculine. Ramener la question à la condition de la femme me paraît régressif. Les inégalités existent mais c’est en agissant que l’on fait avancer les choses.