L’effondrement d’un barrage au Laos sur le fleuve Mékong, qui a fait plusieurs dizaines de morts lundi, met en lumière les dangers de la course à l’énergie hydraulique dans laquelle le Laos s’est engagé.
Depuis des années, les organisations de défense de l’environnement mettaient en garde. La course aux barrages sur le Mékong, que ce soit au Laos ou dans les autres pays traversés par ce fleuve long de plus de 4 500 km, n’est pas sans risque.
L’effondrement, lundi 23 juillet, du barrage Saddle Dam D, qui fait partie d’un réseau de barrages en construction à la frontière entre le Laos, le Cambodge et le Vietnam, vient conforter l’avis des opposants à la politique du « tout hydroélectrique » menée par le gouvernement laotien. Les 500 millions de tonnes d’eau qui se sont déversées sur sept villages, causant des dizaines de morts et plus d’une centaine de disparus, « rappelle de la manière la plus dure qui soit à quel point l’option de l’énergie hydraulique pose de multiples dangers », a réagi Marc Goichot, responsable des questions environnementales autour du Mékong pour le WWF.
Pour le Laos, pays le plus pauvre d’Asie du Sud-Est, le Mékong représente depuis longtemps la clef de sa croissance future. Le pays espère, depuis le début des années 1990, devenir le réservoir régional d’électricité. Une série de barrages hydrauliques, tout au long du fleuve, devraient lui permettre d’exporter de l’électricité aussi bien vers la Thaïlande que le Vietnam, le Cambodge ou encore le Myanmar. Le Laos, sous la coupe d’un régime communiste très dur, espère ainsi doper sa croissance en profitant des besoins grandissants en énergie de pays voisins qui, eux, ont déjà ouvert leur économie à l’international depuis longtemps.
Près de 80 millions de kWh d’électricité par an
En 2006, le Laos avait ainsi signé des protocoles d’accord pour la construction de 55 barrages sur le Mékong, et une dizaine de ces projets ont été mis en chantier, souligne un rapport de l’ONG International Rivers sur l’exploitation du Mékong au Laos. Officiellement, ces barrages doivent permettre au Laos d’exploiter une centaine de centrales hydroélectriques d’ici 2020, capables de produire 77 millions de kWh d’électricité par an. Le barrage qui s’est effondré le 23 juillet devait produire de l’électricité dès 2019.
Conséquence indirecte de cette ruée sur les barrages : le pays a commencé à apparaître sur le radar des investisseurs. Les promesses d’un eldorado d’énergie hydraulique ont attiré près de 6,6 milliards de dollars de capitaux étrangers depuis les années 1990, soit plus du tiers de l’investissement direct au Laos sur cette période, rappelle le site sud-coréen d’information Asia Time. Des partenaires avant tout thaïlandais, mais aussi russes ou chinois, ont accepté de financer en grande partie la construction de ces barrages, dans l’espoir d’en retirer des bénéfices futurs.
L’atout de l’énergie hydraulique est tel pour ce pays, qui ne dispose pas de beaucoup d’autres cartes économiques en main, que les petites voix des ONG environnementales étaient inaudibles pour le régime laotien. D’autant plus que « la Banque mondiale et l’Agence américaine pour le développement international ont promu l’hydroélectricité comme une source d’énergie propre et durable », souligne le site spécialisé dans les questions asiatiques The Diplomat.
Mortelle course à l’énergie hydraulique
Mais pour les associations de défense de l’environnement, l’obsession pour l’énergie hydraulique revient tout simplement à tuer le Mékong à petit feu. Chaque nouvel ouvrage, qu’il soit au Laos, au Cambodge ou encore en Chine, transforme davantage le 11e plus long fleuve du monde en succession de réservoirs d’eau.
D’un point de vue écologique, c’est une catastrophe en devenir, dénonce le WWF dans une note de 2016. Près de 60 millions de personnes au Laos, en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam dépendent pour leur nourriture et leur travail de l’extraordinaire richesse en poissons d’eau douce du Mékong. Les barrages vont entraîner une baisse du niveau de l’eau et un débit plus lent, prévient l’ONG. Le fleuve risque de ne plus être suffisamment profond pour permettre à certaines espèces de poissons d’y circuler librement, mettant leur survie en péril.
Les associations dénoncent aussi la logique économique de cette course à l’énergie hydraulique. La plupart des partenariats conclus au Laos au milieu des années 2000 sont venus remplacer ceux que des grands groupes européens et américains avaient abandonnés à la fin des années 1990, lors de l’éclatement de la crise économique en Asie du Sud-Est. Les nouveaux acteurs, thaïlandais ou chinois essentiellement, sont moins regardants sur les conséquences environnementales et sociales des barrages et misent davantage sur la rapidité de construction, déplorent l’ONG International Rivers. Elle souligne, ainsi, que le consortium en charge du projet d’un milliard de dollars où a eu lieu la catastrophe du 23 juillet, a ignoré de façon répétée les populations locales, qui demandaient à être consultées et informées sur les travaux.
Les conséquences du réchauffement climatique n’auraient pas non plus été prises suffisamment en compte lors de la conception des barrages, craignent ces opposants. Le Saddle Dam D n’aurait ainsi pas résisté à la violence de la mousson cette année. « Mais les événements climatiques extrêmes comme celui-ci vont justement devenir de plus en plus fréquents à cause du réchauffement climatique, et les financiers et opérateurs de ces barrages doivent de toute urgence réévaluer la capacité de leur ouvrage à y faire face », souligne International Rivers. Sans cela, des tragédies similaires risquent de se reproduire et le rêve d’une croissance dopée à l’exportation d’énergie « propre » se transformerait en cauchemar d’un modèle économique mortel pour les habitants.
Source France 24 25/07/2018