Procédures à suivre, erreurs à ne pas commettre, sanctions possibles: l’ONG Transparency international France a publié jeudi un guide pratique, premier outil de ce type, pour venir en aide aux lanceurs d’alerte et les aider à « se défendre ».
« Il y a un an, la France s’est dotée d’un régime de protection des lanceurs d’alerte parmi les plus avancés en Europe », avec la loi dite Sapin 2, souligne dans un communiqué Transparency, pour expliquer cette publication.
Mais « bien souvent, ne sachant à qui s’adresser », les citoyens « n’ont pas les bons réflexes et s’exposent à des risques majeurs », comme le licenciement ou les poursuites pour diffamation, ou bien « se taisent par peur des représailles », ajoute l’ONG.
Le guide, mis en ligne sur le site de l’organisation, détaille sur une soixantaine de pages la procédure à suivre et les conditions à remplir pour lancer une alerte en bénéficiant des protections garanties par la loi.
Le document propose également un résumé des jurisprudences et des conventions internationales signées par la France, susceptibles d’aider les lanceurs d’alerte « dans la constitution de leur dossier ».
L’objectif, c’est de donner aux citoyens « les clefs pour agir », et leur permettre de révéler en toute sécurité les « failles et dysfonctionnements de nos Etats, de nos économies, de nos systèmes politiques et financiers », assure l’ONG.
Plusieurs lanceurs d’alerte ont été visés ces dernières années par des procédures judiciaires, à l’image d’Antoine Deltour, condamné en appel à six mois de prison avec sursis et à 1.500 euros d’amende par la justice luxembourgeoise dans l’affaire des LuxLeaks.
La loi Sapin 2, adoptée fin 2016, a renforcé la protection des salariés contre les représailles, en leur permettant de bénéficier de l’appui du Défenseur des droits.
A partir du 1er janvier 2018, elle obligera par ailleurs les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10.000 habitants et l’administration à mettre en place des procédures de recueil des alertes.
Les récentes révélations sur les pratiques d’écoute de la CIA nous ouvrent les yeux sur les dangers du monde virtuel, constate Neue Zürcher Zeitung :
«Les divulgations prouvent à un vaste public ce que les experts en sécurité rabâchent depuis des années déjà : le nouveau monde numérique est extrêmement vulnérable. On sait depuis plus de deux ans que les téléviseurs connectés à Internet peuvent être autant d’espions dans notre propre salon ; le producteur Samsung l’a clairement indiqué. Mais ce genre de mises en garde passent au second plan car le désir de bénéficier de nouveaux services numériques confortables est plus fort. On ne veut pas se priver du confort de pouvoir dire à son téléviseur sur quelle chaîne passer, alors on ferme les yeux sur le fait qu’il enregistre aussi les conversations privées. … De la gamelle du chien à la balance en passant par le babyphone, on a l’impression que tout et n’importe quoi doive être interconnecté, pour peu qu’un raccordement à Internet soit possible. Mais ce que Wikileaks vient de dévoiler nous donne à voir l’envers du décor.»
The New York Times a trié et vérifié 60 000 câbles diplomatiques saoudiens révélés par WikiLeaks. Conclusion : le royaume wahhabite a mis en place un redoutable système de prosélytisme à échelle planétaire pour faire la promotion d’un islamisme rigoriste.
Depuis des dizaines d’années, l’Arabie Saoudite injecte “des milliards de pétrodollars dans des organisations islamiques à travers le monde, pratiquant une diplomatie du chéquier”, révèle le journal américain New York Times.
Pour arriver à cette conclusion, le journal a trié et analysé 60 000 documents diplomatiques saoudiens dont les fuites ont été orchestrées par le site WikiLeaks. Le SaoudiLeaks ne fait que commencer. D’autres informations pourraient être bientôt révélées : WikiLeaks a révélé que quelque 400 000 autres documents étaient en attente de publication.
On sait que l’une des priorités de Riyad est de répandre une vision rigoriste de l’islam sunnite. Ce que l’on sait moins, c’est que l’Arabie Saoudite investit également énormément d’argent pour combattre son principal ennemi : l’Iran chiite.
“[Les Saoudiens] craignaient que la levée des sanctions internationales contre l’Iran après la signature de l’accord nucléaire [le 16 juillet] donne davantage de moyens à Téhéran pour soutenir des groupes [chiites et pro-iraniens].Mais les documents révèlent une compétition qui va bien au-delà, avec de profondes racines idéologico-religieuses”, écrit le quotidien américain.
Un soft power efficace
C’est tout un système d’influence que les autorités saoudiennes ont mis en place et financé par l’argent des pétrodollars, montre l’enquête du quotidien américain. Riyad a notamment accordé des moyens financiers à des prédicateurs à l’étranger, construit des mosquées, des écoles, des centres et soutenu des campagnes pour “contrer des responsables et des médias à l’étranger qui étaient susceptibles de s’opposer à l’agenda du Royaume”.
“Dans la seule région du Kerala [en Inde], les Saoudiens ont donné 4,5 millions de riyals [1,1 million d’euros] à différents organismes”, rapporte par exemple le site India TV en réaction aux informations révélées par Wikileaks.
De même, le quotidien de Toronto The Globe and Mail a relevé un “don de 211 000 dollars canadiens [150 000 euros] à une école d’Ottawa et un autre de 134 000 dollars [96 000 euros] à une école de Mississauga” gérée par la Muslim Association of Canada, qui gère également des mosquées et d’autres écoles.
Si les sommes peuvent paraître relativement modestes pour chacun des cas pris isolément, elles deviennent énormes une fois additionnées les unes aux autres. Tout le mérite du New York Times est précisément d’avoir fait cette addition. “Il s’agit de milliers et de milliers d’organisations militantes et religieuses (…) directement ou indirectement financées par eux”, explique Usama Hasan, chercheur en études islamiques à la fondation Quilliam à Londres, cité par le journal.
L’organisation mise en place consistait globalement à identifier les personnalités et les associations étrangères à aider ou financer. “Le ministère des Affaires étrangères transmettait les demandes de financement à des officiels de Riyad, parfois les services de renseignements donnaient leur accord après examen des bénéficiaires potentiels et la Ligue islamique mondiale contribuait à avoir une stratégie coordonnée, tandis que les diplomates saoudiens supervisaient le projet à travers le monde”, explique encore le New York Times.
Les pays concernés ne sont pas seulement ceux du Moyen-Orient où la lutte fait rage entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour l’influence régionale, mais aussi les pays africains, notamment le Mali, où des acteurs locaux ont fait référence à la “menace du chiisme iranien” pour appuyer leurs demandes de fonds auprès des Saoudiens. “La peur de l’influence chiite allait jusqu’à englober des pays dotés de minorités musulmanes aussi réduites qu’en Chine. Aux Philippines, où seulement 5 % de la population est musulmane, des documents présentent également des propositions pour ‘restreindre l’influence iranienne’.”
Selon les révélations de l’unité de contre-espionnage de WikiLeaks, auxquelles Rue89 a eu accès avec 18 médias étrangers, les marchands de surveillance numérique privilégient les pays peu regardants sur les droits de l’homme.
Les marchands d’armes n’aiment guère la publicité. Problème : les télécommunications, ça laisse des traces, opportunément exploitées par la NSA (entre autres), comme Edward Snowden l’a amplement démontré.
WikiLeaks a décidé de rendre publique la liste des pays visités par les principaux marchands d’armes de surveillance numérique, dont trois « sociétés ennemies d’Internet » – pointées du doigt par Reporters sans frontières pour avoir vendu des logiciels espions à des pays eux aussi considérés par RSF comme des « ennemis d’Internet ».
En 2011, WikiLeaks avait rendu publics, avec ses « SpyFiles », des centaines de documents internes révélant l’ampleur du business des logiciels et systèmes d’espionnage et de surveillance des télécommunications.
Dans une nouvelle série de révélations, intitulée « SpyFiles 3 », à laquelle Rue89 a eu accès en partenariat avec dix-huit autres médias étrangers, WikiLeaks révèle que la WLCIU (pour WikiLeaks Counter Intelligence Unit), son « unité de contre-espionnage » (sic), a recensé les pays d’où se sont connectés les téléphones portables de dix-neuf employés ou responsables de onze marchands d’armes de surveillance numérique.
Surveillés depuis des mois par WikiLeaks
Du 4 au 6 juin derniers, le gotha de la surveillance des télécommunications se réunissait au Clarion Congress Hotel de Prague, à l’invitation d’ISS World. L’entrée de ce salon itinérant, interdit aux journalistes mais organisé sur les cinq continents, facturée entre 995 et 2 295 dollars (entre 755 et 1 742 euros), est réservée aux représentants de services de renseignement, forces de l’ordre et gouvernements.
Les participants viennent y découvrir les dernières nouveautés en matière de surveillance et d’interception des télécommunications, assister à des démonstrations « live » de logiciels espions, et à des dizaines de conférences où les marchands d’armes expliquent comment leurs systèmes et logiciels peuvent aider les autorités à surveiller et combattre « les activités criminelles conduites sur les réseaux de télécommunication, l’Internet et les réseaux sociaux ».
Du 7 au 9 juillet, plusieurs de ces marchands d’armes se retrouvaient à Lyon, au forum Technology Against Crime, qui se targue de vouloir devenir le « Davos de la sécurité » puis, du 22 au 25, au Brésil, pour l’édition sud-américaine du salon ISS.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que plusieurs d’entre eux étaient surveillés, depuis des mois et pour certains des années, par l’unité de contre-espionnage de WikiLeaks.
Et force est de constater que, lorsqu’ils sont en voyage d’affaires, ces mercenaires du numérique ont une furieuse tendance à privilégier les pays peu regardants en matière de droits de l’homme. (Dans la carte ci-dessus, cliquez sur les pays en rouge pour connaître leur rang au classement RSF de la liberté de la presse, et découvrir quels marchands d’armes les ont visités.)
Droits de l’homme et bord de mer
L’allemand Trovicor, ex-Nokia Siemens Networks, est l’un des plus gros fournisseurs de solutions légales d’interception dans le monde. Plus de 100 pays utiliseraient ses technologies, et c’est le principal sponsor du salon ISS. Son code de bonne conduite précise, au chapitre « business ethics » que l’objectif de l’entreprise est de faire partie des industries leaders en matière de responsabilité sociale et de respect des droits de l’homme.
Elle n’en a pas moins fourni des systèmes d’interception à l’Iran, au Bahreïn et en Syrie, ce qui en a fait l’un des principaux « ennemis d’Internet » pour RSF. Sur ses 170 employés, un seul était surveillé par la WLCIU, qui avance que, depuis janvier, il a été deux fois aux Emirats arabes unis (où Trovicor a une filiale), ainsi qu’en Bulgarie, Serbie, et en Thaïlande, l’un des quatorze pays placés « sous surveillance » par RSF en 2012, en raison de ses velléités de contrôle, de filtrage et de censure d’Internet.
Contactée, la responsable communication de Trovicor à répondu à Rue89 que la liste de ces pays lui fait penser à l’itinéraire de quelqu’un qui apprécierait particulièrement les pays en bord de mer, et que son employeur s’interdit par ailleurs de vendre ses solutions à tout pays en guerre civile…
Mr Q. au Turkménistan
Elaman, elle aussi allemande, se présente comme spécialiste des « solutions de sécurité gouvernementale ». Son catalogue, que WikiLeaks avait rendu public à l’occasion des Spy Files, est un inventaire de tout ce dont aurait rêvé le Mr Q. de James Bond.
Sur la page d’accueil de son site web, Elaman avance que « la confidentialité est essentielle dans le business de la sécurité ». Elle aurait donc probablement préféré que l’on ne sache pas que, du 21 au 24 janvier dernier, puis les 12 et 13 juin, son responsable commercial, Holger Rumscheidt, était au Turkménistan, 177e (sur 179) au classement RSF de la liberté de la presse, un des douze pays considérés par l’ONG, en 2012, comme faisant partie des « ennemis d’Internet ».
Décrit par RSF comme « l’un des plus fermés au monde », le Turkménistan est aussi l’« un des pays les plus hostiles à la liberté d’expression ». Facebook, Twitter, YouTube et Gmail y sont bloqués et « les possesseurs d’antennes paraboliques ou de téléphones portables sont considérés comme des ennemis en puissance ».
La liste des pays d’où Rumscheidt s’est connecté au réseau téléphonique indique qu’il a aussi visité l’Azerbaïdjan (156e du classement RSF) en février 2012, la Jordanie (134e) en avril dernier, et multiplié les déplacements au Liban (101e), au sultanat d’Oman (141e) et aux Emirats arabes unis (114e), par ailleurs placés « sous surveillance » par RSF en 2012, suite aux « arrestations arbitraires » de plusieurs blogueurs qui avaient osé demander aux autorités de procéder à des réformes, ce qui leur avait valu des condamnations de deux à trois années de prison.
Les logiciels espions des Printemps arabes
Le groupe britannique Gamma, une des cinq sociétés classées « ennemies d’Internet » par RSF, n’est pas en reste : entre les 2 et 10 mars 2013, pas moins de quatre de ses principaux responsables se rendaient ainsi aux Emirats arabes unis, en compagnie d’Holger Rumscheidt (Gamma a noué une alliance de sécurité avec Elaman). Au total, huit des onze entreprises surveillées par la WLCIU ont visité les Emirats l’an passé.
La liste de WikiLeaks révèle que les employés de Gamma placés sous surveillance auraient par ailleurs visité le sultanat d’Oman, le Liban, l’Ouganda (104e au classement RSF), le Qatar (110e), le Nigéria (115e), Brunei (122e), l’Ethiopie (137e), l’Indonésie (139e) et la Guinée Equatoriale (166e), ainsi que deux des douze pays placés « sous surveillance » par RSF à l’occasion de son rapport sur les « ennemis d’Internet » : la Malaisie (145e) et le Kazakhstan (160e).
L’employé de Gamma dont le téléphone portable était, du 9 au 12 juin dernier, localisé au Kazakhstan, est un « usual suspect » : Martin Münch, né en 1981, est le responsable de FinFisher, une suite de logiciels espions (ou « chevaux de Troie ») qui ont beaucoup fait parler d’eux depuis que, Printemps arabes aidant, on a découvert qu’ils avaient été utilisés en Egypte, pour espionner des dissidents au Bahrein, ainsi que, comme l’ont révélé des chercheurs américains au printemps dernier, dans au moins 35 pays, dont quinze des pays visités par les employés de Gamma et de ses filiales l’an passé (Brunei, Nigeria, Afrique du Sud, République tchèque, Ethiopie, Indonésie, Malaisie, Mexique, Qatar, Serbie, Singapour, Turkménistan, Royaume-Uni, Etats-Unis, Emirats arabes unis).
25 200 euros le « kit d’intrusion »
WikiLeaks publie par ailleurs une dizaine de documents révélant comment FinFisher et une entreprise suisse, DreamLab, ont vendu un « proxy d’infection » afin de pouvoir infecter les ordinateurs des citoyens ou résidents d’Oman et du Turkménistan (à la demande de leur gouvernement), ainsi qu’une fiche confidentielle révélant combien sont facturés ces logiciels espion.
Comptez 25 200 euros le « kit d’intrusion », ou bien 100 000 euros la licence de FinSpy, sa solution complète d’intrusion à distance, si vous voulez espionner de une à dix cibles, mais 250 000 euros si vous voulez en surveiller plusieurs centaines, plus 9 500 euros de licence (par client). Le support technique, et les mises à jour, sont facturés 255 338 euros la première année, ou 308 960 euros pour trois ans. Les formations, elles, sont facturées 22 500 euros, les cinq jours. Un juteux business qui a d’ailleurs conduit Gamma à ouvrir un compte « offshore » aux Iles vierges britanniques…
Interviewé par un journaliste de Bloomberg, Martin Münch déplorait l’an passé la publicité faite par les nombreux articles expliquant comment les logiciels espions de FinFisher étaient utilisés pour espionner des défenseurs des droits de l’homme et cyberdissidents, et expliquait avoir abandonné toute forme de vie sociale : « Si je rencontre une fille et qu’elle tape mon nom dans Google, je suis sûr qu’elle ne me rappelera jamais »…
Le blog du « voyageur au Moyen-Orient »
D’autres employés n’ont pas ces pudeurs de jeunes filles : Nelson Brydon, qui se présente sur son compte Twitter (@Brydon_N, désormais indisponible) comme « voyageur au Moyen-Orient » a ouvert un blog (désormais indisponible aussi) où il narre ses nombreux voyages en avion entre le Qatar et Dubaï, l’Ouganda, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Munich – siège social d’Elaman, révélant incidemment la liste des pays où sont donc probablement installés des logiciels ou systèmes espions de Gamma, son employeur.
Sur ce blog, Nelson Brydon ne parle pas de son métier mais, une fois par an, il rédige un (très) long billet où il explique ce que cela fait de prendre l’avion, et compare les compagnies aériennes, les stewards, hôtels…
Le dernier billet se conclut par un « rendez-vous en 2013 ». Sans trahir de secret professionnel, la liste de WikiLeaks indique que, rien qu’entre février et août, il a déjà été cette année sept fois au Qatar, ainsi qu’aux Emirats arabes unis, à Oman, en Malaisie, qu’il était à Chypre du 8 au 29 juillet (en vacances ?), et qu’il était de nouveau au Qatar du 18 au 22 août derniers.
Les petits secrets d’Hacking Team
L’unité de contre-espionnage de WikiLeaks s’est également intéressée au principal concurrent de FinFisher, Hacking Team, une entreprise italienne elle aussi placée dans la liste des « ennemis d’Internet » de RSF. Elle s’était en effet fait connaître après que des journalistes marocains, et un blogueur des Emirats arabes unis, ont reçu des e-mails infectés par « Da Vinci », son logiciel espion.
En avril dernier, une étude de Kaspersky Lab avait révélé que le cheval de Troie d’Hacking Team était particulièrement utilisé au Mexique, en Italie, au Vietnam, aux Emirats arabes unis, en Irak, au Liban et au Maroc. La WLCIU révèle aujourd’hui que les deux employés de Hacking Team qu’elle a surveillé ont multiplié les courts séjours (de deux jours) au Maroc en 2011, 2012 et 2013, ainsi qu’aux Emirats arabes unis, à Singapour, en Serbie, en Espagne, Egypte, Arabie saoudite, au Qatar, Liban, en Malaisie et à Oman.
Eric Rabe, conseiller juridique de Hacking Team, a refusé de commenter la liste des pays visités, mais a tenu à préciser que son employeur avait constitué un panel d’experts indépendants habilité à opposer un veto à tout contrat, qu’il vérifie systématiquement si leurs nouveaux clients pourraient se servir de leurs logiciels espions pour commettre des violations des droits de l’homme, et qu’Hacking Team se réserve le droit de refuser ou suspendre tout contrat en pareil cas, ce qui serait déjà arrivé.
Interrogé sur les soupçons d’utilisation de leur cheval de troie pour espionner des opposants marocains et émiratis, Eric Rabe refuse de rendre publiques les conclusions de leur contre-enquête, ni d’éventuelles mesures prises depuis. Il refuse également de révéler l’identité des experts indépendants, non plus que de leur permettre de répondre aux questions des journalistes, afin d’éviter qu’ils ne fassent l’objet de « pressions pouvant influencer leurs décisions »…
Julian Assange : « Surveiller les surveillants »
Et c’est précisément, explique le fondateur Julian Assange, pour « mettre en lumière cette industrie secrète de la surveillance, qui travaille main dans la main avec les gouvernements de par le monde pour autoriser l’espionnage illégitime de citoyens » que WikiLeaks a lancé ces « SpyFiles 3 », qui permet de doubler le nombre de documents, brochures, plaquettes et autres portfolios émanant des marchands d’armes de surveillance numérique contenus dans la base de données de l’ONG.
Interrogé sur ce qui lui avait permis de mener l’opération de « location tracking » (sic), Julian Assange oppose un « no comment » ferme et définitif. Tout juste consent-il à expliquer que « le rôle de la WLCIU est de protéger les actifs, personnels et sources de WikiLeaks de toute opération d’espionnage hostile, et de révéler la nature des menaces en terme d’espionnage qui pèsent sur les journalistes et leurs sources » :
« Cela comprend des mesures de contre-espionnage incluant, par exemple, la détection de mesures de surveillance mais également le fait de recevoir des informations émanant de sources internes aux organisations susceptibles de menacer la sécurité des journalistes.
Les données collectées par la WLCIU et révélées dans ces SpyFiles 3 permettent aux journalistes et citoyens d’aller plus loin dans leurs recherches portant sur l’industrie de la surveillance, et de surveiller les surveillants. »
Les révélations de la WLCIU ont permis au magazine espagnol Publico de découvrir que la Guardia Civil et l’armée espagnole avaient passé un contrat avec Gamma. En février dernier, plusieurs ONG, dont Reporters sans frontières et Privacy International, portaient plainte contre Gamma et Trovicor, qui auraient violé onze des principes directeurs de l’OCDE, censés garantir la responsabilité sociale des multinationales, en fournissant des armes de surveillance numérique au Bahreïn.
Les nouvelles révélations de WikiLeaks, et la liste des pays, pourraient donner de nouveaux arguments à ceux qui plaident pour un contrôle à l’exportation des systèmes et outils de surveillance et d’interception des télécommunications qui, à ce jour, ne sont pas considérés comme des « armes », et peuvent donc être vendus à des pays connus pour bafouer les droits de l’homme, en toute légalité.
Mathieu O’neil, journaliste et professeur en civilisation américaine, était mardi l’invité des Amis du Monde Diplomatique au Club de la presse de Montpellier (plein à craquer) pour évoquer la remise en cause profonde des modèles de diffusion de l’information liée à la révolution numérique.
Spécialiste de l’information sur Internet, Mathieu O’neil s’est intéressé à l’idéologie libertaire des hackers. « C’est une culture très développée aux Etats-Unis, articulée sur la liberté d’expression. Aujourd’hui l’univers médiatique n’est pas réel. Il y a des choses qui se passent en dessous. Les hackers veulent savoir comment ça marche. Ils veulent connaître tous les systèmes. Ils livrent de l’info brute pour lutter contre la désinformation ». L’implication politique est celle du combat de l’individu contre l’institution, de l’esprit originel du Net ouvert à tous les moyens d’expression contre la mainmise des entreprises privées sur le réseau.
« A l’heure où le phénomène Facebook fait enclos, il est important de cartographier le Net pour identifier l’espace libre. Une société privée ne peut pas s’attribuer le monopole de l’identité numérique de tous les internautes.La décentralisation est menacée. C’est le principe même du Net qu’il faut défendre, explique Mathieu O’neil. Les hackers sont des pirates qui s’introduisent dans les réseaux, mais ce sont également eux qui ont inventé l’informatique et continuent de la développer et de la défendre. Quand les gouvernements ou les entreprises font des choses terribles, ils se mobilisent pour trouver des solutions créatives. »
Les hackers donnent des sueurs froides aux gouvernements. Les révélations du site WikiLeaks en ont fait en quelques semaines le centre de gravité de l’actualité mondiale. Et la pratique des médias traditionnels s’est vue bousculée. « Avec la concentration des groupes de presse et la disparition de l’investigation, le rôle des médias se réduit à une fonction d’amplification et d’accompagnement à la consommation. Au-delà des révélations qui restent la seule issue démocratique face au système de pouvoir, la démarche d’un site comme WikiLeaks résout la question de la protection des sources à travers les techniques de cryptage. En imposant aux les journaux de travailler ensemble sur les câbles diplomatiques, Wikileaks vient aussi à bout de la concurrence. »
On peut regretter que l’accord passé entre WikiLeaks et les grands journaux manque de transparence, comme une certaine opacité sur le fonctionnement de la structure dirigée par Julian Assange. Mais même si WikiLeaks ne répond pas aux critères d’une transparence radicale, il distribue des documents originaux exclusif à la presse en la préservant des pressions excercées par le pouvoir politico-économique. » Le pouvoir opère une différence de traitement entre Le journal Le Monde et WikiLeaks qui peut paraître étonnante si l’on considère qu’ils sont tous deux que des récepteurs de l’information. »
Le débat d’opinion oppose les partisans du secret à ceux de la transparence, mais il marque aussi un clivage générationnel relatif à la conception de la démocratie. Cependant, il semble que le concept bien réel de la transparence l’emporte aujourd’hui. Celle-ci va-t-elle devenir une valeur de référence ? Pour Mathieu O’neil « Un pas irréversible sera franchi si les infos en possession de WikiLeaks sur la stratégie des banques américaines sont publiées…
Jean-Marie Dinh
Bloqué par Bank of America, Assange dénonce «un maccarthysme financier»
La banque américaine a décidé de suspendre toutes les transactions destinées au site WikiLeaks. Une mesure déjà prise par MasterCard, PayPal, Visa Europe.
Julian Assange a dénoncé samedi «une nouvelle forme de maccarthysme financier aux Etats-Unis», après la suspension par la Bank of America de toutes les transactions destinées à son site WikiLeaks. «C’est une nouvelle forme de maccarthyisme financier, qui prive notre organisation des fonds dont elle a besoin pour survivre, qui me prive personnellement de fonds dont mes avocats ont besoin pour me protéger contre une extradition aux Etats-Unis ou en Suède», a déploré Assange devant quelques journalistes à Beccles, petite ville de l’est de l’Angleterre, à environ 200 km au nord-est de Londres, près de laquelle il est assigné à résidence.
La banque américaine Bank of America a annoncé samedi qu’elle avait décidé de suspendre toutes les transactions destinées au site de publication de documents secrets WikiLeaks. «Bank of America se joint aux mesures annoncées précédemment par MasterCard, PayPal, Visa Europe et d’autres et n’effectuera plus aucune transaction de quelque type que ce soit dont elle ait des raisons de croire qu’elle puisse être destinée à WikiLeaks», a déclaré à l’AFP un porte-parole de la banque, Scott Silvestri.
«Cette décision se fonde sur le fait que nous avons des raisons de penser que WikiLeaks pourrait être engagé dans des activités qui sont, entre autres, contraires à notre politique interne de paiements», a ajouté la banque dans un communiqué.