Après «120 BPM», épargnez-nous vos louanges

Des militants d'Act Up à Paris, en 1995. Photo Christian Poveda. Agence VU

Des militants d’Act Up à Paris, en 1995. Photo Christian Poveda. Agence VU

Le cofondateur d’Act Up salue la récompense accordée à Cannes au film de Robin Campillo, mais rappelle que l’engagement a mis ces militants «au ban de la société».

 

TRIBUNE

1026338-portrait-litterature-hommosexualiteIl y a encore deux mois, ma mère me disait à table?: ­«Didier, tu as tout fait contre le sida, c’est bien, maintenant, il faut que tu tournes la page et que tu écrives sur autre chose.» Je lui ai répondu?: «Mais je sais maman?! Tous mes amis me le disent depuis des années, rassure-toi, je n’ai plus rien à raconter.» Et bingo, 120 Battements par ­minute reçoit le grand prix à Cannes. Et Robin Campillo remercie dans son speech les fondateurs et les présidents d’Act Up, et tout bascule instantanément sur Internet avec un déluge de messages. Le film préféré de Cannes sur Twitter entre dans l’histoire de l’épidémie du sida, et des milliers de personnes, séropositives ou non, sont clairement remerciées pour des années d’engagement qui les ont profondément marquées. On sent toute une génération qui s’approprie le grand prix pour ce qu’il est?: un remerciement de la société à une idée, comme le rappelait un récent documentaire sur Arte.

Au-delà du cinéma, c’est le début d’un phénomène populaire qui va s’amplifier à la sortie du film dans les salles, à la fin du mois d’août. La première fois que cela s’est produit pour Act Up il faut remonter à… 1994 avec l’engagement de Cleews Vellay lors du premier Sidaction. Son visage, sa manière de s’exprimer, sa sincérité avaient provoqué une fixation populaire amoureuse qui nous avait tous surpris, lui en premier. A force d’entendre les messages sur le répondeur d’Act Up qui disaient?: «Merci pour ­votre combat?!» c’était devenu une blague interne déclinée en multiples parodies qui survenaient pendant les moments les plus embarrassants de l’activisme (et il y en avait beaucoup).

Nous avons créé ce mouvement au milieu des insultes 

Déjà sur Facebook, les anciens ­redoutent une mania affective qui serait bien différente du mépris que nous avons dû subir de tous les côtés pendant nos années d’engagement. Nous avons créé ce mouvement au milieu des insultes. Alors please, ne recommençons pas la même blague, c’est gênant pour tout le monde. 120 Battements par minute ­raconte une histoire commune que la société a oubliée. Parmi les jeunes LGBT, une très grande majorité n’a aucune idée d’Act Up, la plupart ne connaissant même pas le nom de l’association. Et comme ce film a pour but (entre autres) de susciter un moment de partage et de réconciliation avec l’histoire, ma réponse est désormais la suivante. Si tout le monde parle de transmission de l’activisme, où en sommes-nous du projet d’archives LGBT que la Mairie de Paris promet depuis presque deux décennies et qui reste au point mort?? Mes propres archives du début d’Act Up, je les lègue à qui?? Faudrait-il manifester devant l’Hôtel de Ville pour obtenir enfin un centre de documentation comme d’autres villes européennes en disposent ??

La mémoire est un enjeu politique 

Ce film raconte à quel point le tissu associatif sida était puissant en France dans les années 80 et 90, ce qui a permis à notre pays d’obtenir en priorité les multithérapies qui ont sauvé tant de vies. Anne Hidalgo, allez-vous enfin vous réveiller?? Les anciens présidents d’Act Up sont désormais vieux. Dans le film, nous sommes tous jeunes, ce qui est d’ailleurs une adaptation de l’histoire du groupe puisque nous avons tous été fortement marqués par l’intervention de personnes plus âgées qui nous ont éduqués avec leur savoir et leur expérience.

Mais quand ­Robin Campillo parle de précarité pour rappeler que les séropositifs d’aujourd’hui sont confrontés à la dureté du vieillissement et la mise à l’écart de la société, il a raison. Qui soutient l’association Grey Pride qui est le seul groupe qui travaille sur la question du vieillissement des personnes LGBT?? Qui ose parler de notre appauvrissement social?? Je dois être la seule personne de presque 60 ans qui a monté les marches du tapis rouge de Cannes tout en étant au RSA (oui, les mots «Cannes» et «RSA» dans la même phrase). Je suis au chômage depuis dix ans, c’est marqué sur mon profil Twitter. Et les seules personnes qui écrivent ­encore sur le sida et le militantisme, comme Christophe Martet ou Gwen Fauchois, sont dans la même situation.

«Les autres baisaient, nous, on passait nos soirées en réunion»

Ne vous trompez pas, notre engagement associatif nous a mis au ban de la société. Nous sommes marginalisés précisément parce que nos années de travail n’ont pas été récompensées. L’Etat et les gays haut placés n’ont rien fait pour nous, absolument rien. Personne n’a reçu de médaille à Act Up. Si on nous avait demandé, il y a dix ans, de coordonner le Centre d’archives LGBT, il serait déjà ouvert. C’est précisément parce que nous avons prouvé que nous savions faire les choses que nous avons été mis au placard. La mémoire est un enjeu politique. Les archives de Têtu ne sont pas en ligne, et j’adresse directement mes reproches à Pierre Bergé. Nous avions la possibilité d’offrir le plus grand portail de news LGBT francophones depuis 1995 et nous l’avons laissé partir en fumée.

C’est injuste et cruel. Nous avons consacré les plus belles années de nos vies à ce combat. Les autres baisaient, nous, on passait nos soirées en réunion. Nous avons servi d’exemple. Excusez-moi de faire la drama queen, mais Act Up a précisément réussi grâce à elles. Alors, épargnez-moi les louanges, je ne sais pas y répondre de toute manière. On veut juste travailler et écrire sur ce qui nous passionne encore. On ne veut pas la charité (et dieu sait que je survis grâce à elle), on veut juste participer encore à la société. Nous méritons un travail comme tout le monde. Nous avons toujours traversé la France pour éduquer, discuter, apporter la bonne parole. Gratuitement. Et ça commence à bien faire. Nos vies servent à faire des livres et des films. Il est temps d’être Paid in Full, comme Eric B. & Rakim, classique de 1987, l’année du début d’Act Up aux Etats-Unis, il y a juste trente ans.

Didier Lestrade Journaliste, écrivain, cofondateur d’Act Up et de Têtu

Publié dans LIbération le 30/05/2017

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« Le terrorisme au Sahel, conséquence de la prévarication érigée en mode de gouvernance »

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Laurent Bigot (chroniqueur Le Monde Afrique) souligne la prédation des élites ouest-africaines et l’aveuglement – voire l’approbation – de la communauté internationale.

Lorsque les médias parlent du Sahel, c’est pour évoquer la menace terroriste sous toutes ses formes – une menace bien réelle, comme l’ont récemment montré l’attentat à Ouagadougou, le 13 août, ou les attaques contre les Nations unies au Mali, le lendemain. C’est également le cas pour les autorités françaises, qui communiquent abondamment sur le sujet afin de vanter et de justifier le déploiement de l’opération militaire « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne (BSS en langage militaire). Or le sujet central du Sahel n’est pas celui-là.

 

Le terrorisme, ou plutôt la montée en puissance des groupes armés dans le Sahel, est la conséquence d’une grave crise de gouvernance qui touche toute l’Afrique de l’Ouest. Cette crise de gouvernance se caractérise par une disparition de l’Etat au service des populations, car l’Etat moderne est privatisé par les élites politiques à leur profit. Cette privatisation – Jean-François Bayart parle de patrimonialisation – s’est accélérée ces dernières années pour atteindre un niveau tel que, désormais dans les pays sahéliens, les populations sont livrées à elles-mêmes, plus aucune entité (Etat ou autre) n’étant chargée d’une forme d’intérêt général.
C’est particulièrement le cas au Mali, au Niger et en Mauritanie. Ces Etats ont tous en commun un système politique miné, accaparé par une élite prédatrice dont les méthodes ont non seulement porté l’estocade à ce qu’il restait de l’Etat et de son administration, mais en plus ont fait entrer au cœur même du pouvoir le crime organisé. La conquête du pouvoir et sa conservation ne sont perçues que comme un accès à une manne intarissable.

Les dégâts des ajustements structurels

Les Etats sahéliens ont été fragilisés, dans les années 1980, par les ajustements structurels imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale au nom du libéralisme doctrinaire ambiant. Il fallait « dégraisser » la fonction publique, dont les secteurs les plus « gras » étaient l’éducation et la santé. Quelle politique « visionnaire » pour une zone qui allait subir quinze ans plus tard un choc démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité !
Le Niger est aujourd’hui le pays qui a le taux de fécondité le plus élevé au monde, soit plus de sept enfants par femme. Le Mali n’est pas loin derrière, avec un peu moins de sept. Ce n’est plus une bombe à retardement, c’est une bombe qui a déjà explosé et dont les dégâts sont en cours d’estimation. Serge Michailof rappelle dans son remarquable livre Africanistan que le secteur manufacturier au Niger crée 5 000 emplois par an quand le marché de l’emploi doit absorber chaque année 200 000 jeunes…
Le secteur de l’éducation est sinistré. Les classes du primaire dans les quartiers populaires de Niamey ont des effectifs habituels proches de la centaine d’élèves, avec des enseignants si peu formés qu’une part importante ne maîtrise pas la langue d’enseignement qu’est le français. Au Sénégal, pourtant un pays qui se maintient mieux que les autres, le système éducatif est dans un tel état que le français, langue d’enseignement, recule au profit du wolof. Si la promotion des langues dites nationales est incontestablement un enjeu, aujourd’hui leur progression est d’abord le signe de la faillite du système d’enseignement.
Que dire des systèmes de santé ? Le niveau des soins est accablant. L’hôpital de Niamey est un mouroir. L’accès aux soins est un parcours du combattant semé d’étapes successives de corruption. Les cliniques privées fleurissent dans les capitales ouest-africaines pour une clientèle privilégiée, mais le peuple doit se contenter de soins qui relèvent plus des soins palliatifs que curatifs. Il faut dire que les élites politiques n’en ont cure, elles se font soigner à l’étranger et scolarisent leurs enfants dans les lycées français (hors de prix pour le citoyen lambda, une année de scolarité pouvant représenter plusieurs années de salaire minimum) ou à l’étranger.

Des élections grossièrement truquées

Précisons à leur décharge qu’étant donné les dégâts causés par les ajustements structurels et la démographie actuelle, aucun Etat ouest-africain ne peut désormais relever sur ses seules ressources propres les défis de l’éducation et de la santé. Le rapport sénatorial sur la politique française d’aide au développement au Sahel (« Sahel : repenser notre aide au développement », juin 2016) rappelle un chiffre vertigineux : de 2005 à 2035, le Mali devra multiplier par 11 ses dépenses en la matière. La solidarité internationale pourrait en effet contribuer à financer ce type de dépenses, mais on butte sur le problème structurel qu’est la patrimonialisation ou la privatisation de l’Etat.
Aujourd’hui, les budgets de l’Etat sont exécutés en dépit du bon sens avec l’aval du FMI et de la Banque mondiale, qui froncent parfois les sourcils quand les ficelles de la prévarication deviennent trop grosses (on pense à la fâcherie de six mois des institutions de Bretton Woods, en 2014, après les surfacturations massives des marchés de défense au Mali, l’aide ayant repris sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait été ouverte ni les méthodes changées…). Quand on sait que plus de 50 % du budget d’investissement de ces Etats proviennent de l’aide publique internationale, on peut légitimement s’interroger sur la désinvolture avec laquelle la communauté internationale gère l’argent du contribuable.
Cependant, l’irresponsabilité du système international de développement (Nations unies et coopérations bilatérales) est tel que cet argent est déversé sans aucun souci de rendre des comptes. Le critère de performance utilisé par l’Union européenne en la matière est le taux de décaissement. L’objectif est de dépenser les budgets. Savoir si cela est efficace et conforme à l’objectif fixé importe peu. Pour les autorités bénéficiaires, cette absence de responsabilité a développé un réflexe d’assistanat, le premier geste étant de tendre la main avant d’envisager quelque action que ce soit. Ensuite, c’est de se répartir la manne de l’aide, et ce d’autant plus facilement que les contrôles sur la destination finale et l’efficacité sont des plus légers.
Les élites politiques ont depuis une vingtaine d’années fait de la prévarication le mode de gouvernance le plus répandu. La démocratisation qui a suivi la vague des conférences nationales au début des années 1990 n’a rien empêché. Nombre d’élections qui se sont tenues depuis n’ont guère été sincères, parfois grossièrement truquées (deux cas d’école parmi tant d’autres : l’élection d’Alpha Condé en 2010 en Guinée, élu au second tour alors qu’il n’a fait que 17 % au premier tour et son adversaire 40 %, et celle de Faure Gnassingbé en 2015 au Togo, durant laquelle le dépouillement était environ à 40 % quand les résultats ont été proclamés…).
Tout cela avec l’approbation de la communauté internationale et les chaleureuses félicitations des différents chefs d’Etat français. La lettre de François Hollande adressée au président nigérien Issoufou en 2016 est un modèle du genre. Féliciter un président élu au second tour avec plus de 92 % des voix alors que son opposant principal a fait campagne depuis sa prison, c’est osé. Le monde occidental se targue d’être le défenseur de la cause des peuples en promouvant la démocratie, mais les peuples africains n’ont vu qu’une chose : ce monde occidental soutient les satrapes africains sans aucune considération pour les populations qui en subissent les dramatiques conséquences.

La politique financée par le narcotrafic

Cette situation dans le Sahel est un terreau propice au développement d’idéologies radicales et la lutte armée devient un horizon séduisant pour une partie de la jeunesse qui sait que, hors de l’émigration vers l’Europe ou de l’affiliation aux groupes armés, point de salut. L’affaissement de l’Etat dans les pays sahéliens s’est accéléré avec la montée en puissance des divers trafics en zone sahélo-saharienne et notamment avec le trafic de cocaïne en transit vers l’Europe.
La vie politique de ces Etats s’est financée auprès de narcotrafiquants notoires qui n’ont pas hésité à prendre la place du généreux guide libyen Kadhafi. C’est ainsi qu’un conseiller du président malien Amadou Toumani Touré (2002-2012) était un trafiquant notoire, aujourd’hui reconverti au Burkina Faso. C’est aussi l’affaire emblématique du Boeing chargé de cocaïne qui se pose en 2009 dans le désert malien et dont le déchargement a été supervisé par un officier supérieur de l’armée malienne, aujourd’hui général. L’un des principaux soutiens financiers du parti du président nigérien Issoufou était Chérif Ould Abidine (décédé en 2016), dont le surnom était « Chérif Cocaïne »…
La frontière entre l’Etat et le crime organisé s’est estompée progressivement, laissant les populations livrées à leur sort. L’islam radical s’est répandu comme un modèle alternatif à la démocratie, laquelle est perçue par une part grandissante de la population comme une escroquerie idéologique visant à maintenir en place des kleptocraties. Le réarmement moral passe désormais par l’islam dans sa version la plus rigoriste (et étrangère aux pratiques confrériques du Sahel), soutenu par une classe politique qui a utilisé la religion pour faire du clientélisme.
Les groupes armés dits djihadistes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou Ansar Dine, qui eux-mêmes recourent volontiers aux réseaux et aux pratiques mafieux, évoluent désormais dans un environnement de moins en moins hostile. Quand j’entends parler de terrorisme djihadiste au Sahel, je pense souvent à un magicien qui, pour réaliser son tour, attire l’attention du public avec la main droite et réalise son tour avec la main gauche. Le terrorisme, c’est la main droite. La réalité du tour, la main gauche, c’est la grave crise de gouvernance dont personne n’ose parler.
Les Etats sahéliens ont parfaitement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de notre peur du terrorisme djihadiste : Jean-François Bayart parle de « rente diplomatique de la lutte contre le terrorisme ». Moyennant un discours engagé contre le terrorisme et l’autorisation pour l’armée française d’opérer sur leur territoire, ces dirigeants ont compris qu’ils ne seraient pas du tout inquiétés pour les graves dérives de gouvernance. La communauté internationale reproduit la même erreur qu’en Afghanistan lorsqu’elle avait soutenu le régime indécemment corrompu de Hamid Karzaï, ce qui n’avait fait que renforcer les Talibans et accélérer le rejet par la population des forces étrangères.

Rôle trouble des services algériens

A cette cécité sur les causes profondes, ajoutons celle relative au rôle joué par les services de sécurité algériens. Comment le mouvement d’Iyad Ag Ghali a-t-il été financé ? Où se replient Iyad et ses combattants ? Comment se fait-il que Mokhtar Belmokhtar sillonne en toute impunité la zone depuis vingt ans ? Des questions qui trouvent des réponses dans la complicité d’une partie des services de sécurité algériens.
Je me souviens d’un entretien à Bamako en 2009 avec Ahmada Ag Bibi, député touareg, à l’époque bras droit d’Iyad Ag Ghali et resté depuis lors proche du chef d’Ansar Dine. Il me disait que lorsque AQMI s’est installé en 2006-2007 dans l’Adrar des Ifoghas (Nord-Mali), Iyag Ag Ghali et ses hommes l’ont combattu. Le soutien logistique algérien dont bénéficiait Iyad Ag Ghali depuis des années s’est immédiatement interrompu. Il en a déduit que s’attaquer à AQMI, c’était s’attaquer à une partie des services de sécurité algériens. Il a donc composé.
Ahmada Ag Bibi a conclu cet entretien en me disant que l’Algérie poursuivait au Sahel sa guerre de décolonisation contre la France. Il a ajouté qu’il ne comprenait pas comment la France n’avait pas saisi que l’Algérie la considérait toujours comme un ennemi. Au cours de ma vie de diplomate, j’ai pu constater, en effet, l’angélisme dont fait preuve la France à cet égard. C’est troublant.
On pourrait aussi parler des autorités des pays sahéliens qui négocient des pactes de non-agression avec ces groupes armés. C’est le cas de la Mauritanie, comme l’attestent des documents saisis par les Américains lors du raid mené contre Oussama Ben Laden en 2011 au Pakistan.
Bref, résumer la situation sécuritaire du Sahel à sa seule dimension « terroriste » est un raccourci dangereux car il nous fait tout simplement quitter la réalité du terrain.

Le destin du Sahel ne nous appartient pas

Il ne peut y avoir d’ébauche de solutions sans un constat de vérité. Si ceux qui prétendent contribuer à la solution se racontent des histoires dès l’étape du constat, comment l’élaboration de réponses aux défis du Sahel pourrait-elle être un processus pertinent ? La communauté internationale tombe dans le même aveuglement qu’elle a savamment entretenu pendant cinquante ans sur la question de l’aide au développement.
Refusant de regarder une réalité qui dérange, on s’obstine dans des réponses qui n’ont aucun impact durable sur les réalités. Aujourd’hui, nous pensons l’Afrique depuis des bureaux et des salons de ministères ou de grandes organisations internationales dont la déconnexion avec la réalité est effrayante. Plus grave encore, notre réflexion repose sur des postulats inconscients qui pourraient expliquer notre manque d’humilité.
Et si la solution était que nous cessions de vouloir tout gouverner ? Quel est ce postulat intellectuel qui consiste à considérer comme admis que nous avons la solution aux problèmes du Sahel ? Pour ma part, je pense que la solution est entre les mains des peuples concernés. Il est temps de mettre les dirigeants de ces pays face à leurs responsabilités et qu’à leur obsession d’accroître leur patrimoine personnel se substitue enfin celle de s’occuper de leur propre pays.
J’entends souvent dire que nous ne pouvons pas ne rien faire. Ah bon ? Pouvez-vous le démontrer ? Accepter que la solution puisse se mettre en place sans nous, est-ce à ce point inacceptable pour notre cerveau d’Occidental ? Des milliers d’heures de réunions dans les ministères et organisations internationales pour parler du Sahel, avec, 99 % du temps, aucun représentant de ces pays et, 100 % du temps, sans aucun point de vue des populations concernées, est-ce la bonne méthode ? Ne pourrions-nous pas accepter l’idée que nous ne savons pas ? Ne pourrions-nous pas accepter que le destin du Sahel ne nous appartient pas ?
Ou alors, si nous estimons en être coresponsables, accordons aux pays du Sahel la même coresponsabilité sur la gestion de notre propre pays. La relation serait ainsi équilibrée. Mais sommes-nous prêts à recevoir des conseils venus du Sahel ? Les trouverions-nous pertinents ? Pas plus que les populations sahéliennes lorsqu’elles nous entendent disserter sur leur sort…
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant. Ce texte est d’abord paru dans la revue l’Archicube n° 22 de juin 2017.

Source Le Monde 16.08.2017

 

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« Il faut arrêter l’omerta » : « Paye ton gynéco » dénonce les violences obstétricales

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Animée par trois amies, une page Facebook recueille les témoignages de femmes dénonçant des violences obstétricales et gynécologiques dont elles ont été victimes.

Une femme relate la pose d’un stérilet « en mode Moyen Age », suivie de neuf jours de douleur dont deux « à ne pas pouvoir marcher ». Une autre parle du manque d’écoute et les remarques déplacées, entendues lors d’une IVG médicamenteuse (« le préservatif, ça existe »). Une autre encore décrit un traumatisant examen gynécologique avec un spéculum :

« J’ai dû crier ‘maintenant vous arrêtez !’ pour qu’elle [l’enlève]. »

De plus en plus de femmes prennent la parole pour dénoncer des violences obstétricales et gynécologiques qu’elles ont subies. Lancé fin janvier 2017, « Paye ton gynéco », constitué d’une page Facebook et d’un Tumblr, est l’un des endroits dédiés à la collecte et à la diffusion de ces mots.

300 témoignages ont déjà été recueillis par la créatrice de la page, Sarah Lahouari, 31 ans, féministe et militante dans le milieu associatif.

Des Tumblr contre le sexisme

Pour « objectifier le phénomène, le quantifier et identifier les problématiques », Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, a demandé le 24 juillet dernier au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) de produire un rapport sur ces violences :

« Il n’appartient pas au gouvernement de dire quelle est la réalité des chiffres, mais d’apporter une réponse aux femmes qui font part de leurs souffrance.
La considération qui est évidemment due aux professionnels de santé, en première ligne, ne doit pas entraver la nécessité de lever des sujets tabous comme les violences obstétricales. »

 

Pour Sarah, animatrice socio-culturelle dans un centre social et membre de l’IRASF (Institut de recherche et d’action pour la santé des femmes), une association créée en mars dernier, la commande de ce rapport est une « excellente nouvelle ».

La jeune femme a lancé « Paye ton gynéco » il y a six mois, inspirée par les différents Tumblr créés dans la mouvance de « Paye ta shnek », un site qui dénonce depuis 2012 le harcèlement de rue.

Les plateformes « paye ta/ton » recueillent et publient des témoignages sur le sexisme et les violences à l’encontre des femmes : « Paye ton taf » se concentre sur le travail, « Paye ta blouse » sur le milieu hospitalier, « Paye ta robe » chez les avocats, « Paye ton journal » dans les médias, « Chair collaboratrice » sur la politique…

Les plateformes de témoignages libèrent la parole tout en rendant visible ces questions. Des objectifs qu’avait en tête Sarah en créant la page Facebook, sensibilisée au sujet des violences obstétricales de part ses trois accouchements et de nombreuses lectures. « Evidemment, tous les soignants ne sont pas maltraitants », relativise-t-elle.

« Maman de trois filles, j’ai l’espoir que les choses changent et les pratiques évoluent. »

Tabou

Dès les premières semaines, de nombreux messages sont arrivés jusqu’à elle. Deux amies l’épaulent désormais pour administrer la page Facebook et modérer les commentaires : Aurélie, qui travaille dans le transport touristique, et Alexandra, une sage-femme libérale, toutes les deux trentenaires. Une jeune femme s’est aussi proposée pour lancer et animer le Tumblr.

Beaucoup de celles qui contactent Sarah pour témoigner disent n’avoir jamais parlé à leur entourage de ces violences. La compilation de témoignages permettent à certaines de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu. « En voyant la page, je me dis que finalement il m’est peut être arrivé àmoi aussi quelque chose qui n’était pas ‘normal' », écrit ainsi l’une d’entre elles.

Sarah parle d’un « tabou » qui entoure ces violences :

« On leur dit qu’une consultation gynéco n’est pas une partie de plaisir, que l’accouchement fait mal et que si l’enfant et la mère vont bien, c’est le principal, tout en mettant le reste de côté… »

 

Les témoignages reçus sont anonymisés. « On soutient, on accueille cette parole et on ne la remet jamais en question », précise-t-elle.

Pour que témoigner ne fasse pas plus de mal que de bien, Sarah recommande aux commentateurs d’éviter les injonctions, du type « Pourquoi tu n’as rien dit ? » ou « Tu dois porter plainte ! ». Même si elles ne sont bien intentionnées, ces remarques peuvent contribuer à ce que la victime se sente coupable ou renforce un sentiment de honte, explique-t-elle.

« Arrêter l’omerta »

Chose nouvelle depuis l’annonce fin juillet de la secrétaire d’Etat : des soignant(e)s commencent à prendre la parole sur « Paye ton gynéco ». Certains de leurs commentaires ont été effacés à la modération. « Vous êtes des ignares », cite Sarah. « Vous crachez sur la profession », a-t-elle aussi lu sur la page.

Après l’audition au Sénat de Marlène Schiappa, le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) a vigoureusement critiqué la ministre, accusée de « salir une profession entière en l’accusant ouvertement de maltraitance envers les femmes ». Même réaction de la part du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), Israël Nisand :

« Non Madame la secrétaire d’Etat, les obstétriciens ne maltraitent pas leurs patientes. »

A l’inverse, l’ordre des sage-femmes a jugé nécessaire la commande d’un rapport sur les « violences obstétricales » :

« Le ressenti des femmes ne doit en aucun cas être nié ou minimisé. »

 

Pour Sarah, les réactions des syndicats de gynécologues illustrent un certain « déni de ressenti » des patients. « L’espoir réside dans le fait que certains se désolidarisent complètement des positions du CNGOF et du Syngof et osent parler des violences gynécologiques obstétricales et même témoignent des violences auxquelles elles assistent ou subissent », poursuit-elle.

Fin juillet, une anonyme se présentant comme interne en gynécologie a partagé un long texte nuancé sur « Paye ton gynéco » pour raconter « l’autre côté, le côté médical ». Son message commence ainsi :

« Je suis interne en gynécologie obstétrique et je suis parfois horrifiée de ce que je lis sur votre page. Je lis chaque témoignage pour me rappeler le médecin que je ne veux pas devenir. »

« Il faut arrêter l’omerta », écrit plus récemment une internaute qui se présente comme médecin gynécologue obstétricien.

« Je préférais que le Pr Nisand s’exprime en son nom propre mais pas au nom de tous les gynécologues obstétriciens, car personnellement je ne me reconnais pas dans ses propos. »

Remise en question

Pour Alexandra, sage-femme depuis 2009 et modératrice de « Paye ton gynéco », les plaintes pour violences obstétricales « sont là pour dire stop, nous ne voulons plus accepter ce genre de traitement ».

« Ceux qui ont l’impression qu’elles veulent démonter leur profession n’ont, à mon sens, rien compris et rien entendu. […] Nier le vécu des femmes est un moyen de se défendre sans se remettre en question. »

 

En tant que soignante, la jeune femme a d’abord hésité à prendre position, par peur d’être jugée négativement par ses confrères et consœurs. Pour elle, les soignants maltraitants ne le sont jamais volontairement, « à part peut-être quelques sadiques ».

« On leur parle de violence alors qu’ils pensent faire ce qui est bon pour leur patiente, ils ne comprennent absolument pas et se sentent agressés dans leur professionnalisme, et dans les principes de soins qu’ils défendent depuis des années. »

 

Alexandra relie ces violences à un déficit dans la formation des soignants, basée essentiellement sur l’apprentissage des actes et pas assez sur le bien-être des patients. Elle raconte :

« En tant que sage-femme, j’ai travaillé en salle de naissance, par exemple. J’ai fait des épisiotomies sans consentement, sans me demander comment la patiente pourrait le vire.
J’ai appris à suturer parfaitement bien pour qu’au moins elles n’aient pas de douleurs par la suite, mais je ne me suis jamais posée la question de ‘je lui coupe le périnée, comment est-ce qu’elle va le percevoir ?’

 

Je l’ai fait parce que j’ai appris que c’était comme ça qu’on travaillait et pas autrement. Et j’ai appris que si on leur explique ce qu’on va faire, elles ne seront pas d’accord et vont se contracter au lieu de relâcher ce qui coincera encore plus. J’ai mis du temps à me défaire de cela. »

 

Dans son communiqué, l’Ordre des sages-femmes soulevait aussi la question de « la place accordée aux patientes, au temps qui leur est prodigué et à la qualité du dialogue entre celles-ci et les soignants ». Ainsi que les conditions de travail et l’organisation des maternités (« sous-effectif, surcharge dans les salles de travail… »).

Relation patient-soignant

« On veut permettre aux principales concernées de reprendre leur santé et leur corps en main », affirme Sarah, qui veut aussi faire de « Paye ton gynéco » un lieu d’information des patient(e)s.

Entre deux témoignages, elle publie des articles et des liens, sur les effets secondaires du stérilet Minerva, l’existence d’une base de données de sages-femmes et de gynécos « féministes », ou elle rappelle les droits des patient(e)s. Elle cite par exemple le passage sur le consentement, « pas toujours appliqué », de la loi de mars 2002 dit « loi Kouchner » :

« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

 

Dans ce que dit Sarah, il est aussi question de rééquilibrer la relation patient-soignant. De permettre au soigné d’être suffisamment bien informé pour donner ce consentement libre et éclairé, de pouvoir poser des questions sur sa prise en charge, d’être en mesure de dire « non », que le soignant ait les moyens d’être plus à l’écoute.

« Les protocoles de soins devrait être  adapter au cas par cas par les soignants et non un protocole appliqué systématiquement à tout le monde sans prendre en considération les spécificités de chaque femme. De plus j’espère vraiment qu’on évolue vers une confiance réciproque.

 

Je souhaiterais que les soignants prennent en considération les connaissances qu’ont les femmes sur leur propre corps pour qu’ensemble on collabore à une meilleure prise en charge de notre santé. »

 

Emilie Brouze

Source : Rue 89 02/08/2017

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La solitude des ex-captives de Daech

3cefeb4e-7451-4309-93bd-eb8e686b29fcLibérées dans l’indifférence générale de l’esclavage sexuel, les Yézidies rêvent de partir loin du Moyen-Orient, dans un monde moins cruel à l’égard des femmes et des minorités, souligne Al-Hayat.

Au mont Sinjar [chaîne de montagnes au nord de l’Irak peuplée de Yézidis, on sent que l’irréparable a été commis quand on croise les femmes yézidies qui ont survécu, et surtout le visage de celles qui ont été libérées de la captivité à laquelle elles avaient été réduites.< La plupart d’entre elles avaient vu leurs époux assassinés par Daech lors de l’invasion de cette contrée martyrisée [août 2014]. “Ils se sont mis à tuer nos hommes et à nous faire prisonnières”, résume une des Yézidies libérées.

C’étaient des hommes appartenant à des tribus arabes qui vivaient pourtant dans les alentours. Par ailleurs, lors de cette invasion, les peshmergas [kurdes] se sont retirés et nous ont abandonnés, donnant la priorité à la protection de leurs propres villages. Quant au gouvernement irakien, qui est dominé par les chiites, lui non plus n’a pas senti le besoin d’envoyer des troupes pour nous aider

Ces propos résument bien l’état d’esprit en Irak : la minorité est abandonnée par tous, aussi bien par les communautés majoritaires que par les minorités principales. Beaucoup d’autres groupes humains qui sont considérés comme faibles ont subi le même destin. Les Yézidis ont été abandonnés à leur sort par les tribus arabes sunnites, dont ils sont géographiquement proches, mais aussi par les Kurdes, dont ils sont culturellement proches.

Sous les latitudes du Moyen-Orient, personne ne veut plus protéger les sans-défense. Pas d’autres cultures à l’horizon que celle des razzias, pas d’autres traditions que celle de la capture. Au fond, c’est un peu la même chose qui s’est produite dans le cas des Syriens réfugiés au Liban et morts sous la torture entre les mains de l’armée libanaise. Les Libanais se sont solidarisés avec l’armée plutôt qu’avec les victimes.

Mais la destruction du pays yézidi dépasse tout. Les hommes ont été assassinés devant leurs enfants ; les femmes faites prisonnières avec leurs filles, dans un but bien précis [celui de les réduire au statut d’esclaves sexuelles].

Sept mille femmes yézidies réduites à l’esclavage, des milliers d’hommes yézidis tués. Alors que Daech a été défait au mont Sinjar et est aujourd’hui repoussé à des centaines de kilo mètres de là, les survivantes ne peuvent toujours pas rentrer chez elles.

En Irak, les gens ont en général perdu confiance dans leur avenir. Ils n’ont plus l’impression d’être en sécurité dans leur propre maison, dans leur village, entourés par leurs compatriotes.

Pour les enfants, le pays a désormais le visage de la potence où l’on a pendu leurs pères. Et les femmes ne se sentent plus à l’abri des seigneurs du rapt et du viol.

Un pays lointain

Environ 3 000 prisonnières ont été libérées. Elles reviennent de captivité chargées de récits trop lourds pour que l’Irak puisse en supporter l’écoute. Leurs traditions ne permettent pas que les drames obscurs soient sortis au grand jour.

Ces femmes vont enfouir leurs histoires dans leurs cœurs en attendant le jour où elles pourront partir pour un pays lointain, selon la promesse d’exil faite par les “grandes puissances”.

Ainsi, quoi qu’il en soit de la défaite de Daech, les Yézidis vont tous quitter le mont Sinjar. Tout comme les chrétiens vont tous partir de la plaine de Ninive.

Désormais, on n’aura plus à s’occuper des minorités ; les prochaines guerres opposeront des groupes majoritaires. Sauf que ceux-ci trouveront d’autres minoritaires pour leur tomber dessus. À la place des Yézidis et des chrétiens, on s’en prendra aux minorités à l’intérieur de chaque majorité : les faibles, ceux qui sont de trop, à qui on peut s’attaquer sans risque. Tous ceux-là seront à leur tour victimes de nouveaux Daech qui viendront.

L’histoire des Yézidis éclaire le rapport du Moyen-Orient actuel à ses minorités et à ses communautés sans défense. Cette relation se résume à l’insensibilité à la situation de l’autre nourrie d’un égocentrisme sans nuances.

Ce quant-à-soi, cette focalisation sur ses propres souffrances, cette hypertrophie du moi, tout cela est bien la marque d’une énorme régression sociale et culturelle.

Comme les Yézidis, les chrétiens vont tous partir de la plaine de Ninive. Les femmes Yézidies reviennent de captivité chargées de récits trop lourds. Les 500 000 Yézidis ont été le bouc émissaire de nos guerres civiles. Peu importe le nombre de leurs victimes, tant que leur mort n’est pas un obstacle à nos obsessions communautaristes.

Que les Yézidies se fassent violer, peu importe, tant que cela ne concerne pas nos femmes. Les Yézidis du Sinjar nous disent beaucoup d’autres choses encore sur nous-mêmes. Mais, à la fin, le plus grave est qu’ils ne retourneront plus dans leurs villages.

Ce qu’ils peuvent espérer de mieux est que se réalisent les promesses d’organisations et d’associations internationales de les transférer dans des pays d’immigration. Ceux qui ont une mère ou une sœur à Raqqa [encore capitale de Daech] attendent encore de les prendre avec eux pour partir, emportant au loin ces histoires que notre culture et nos traditions sont incapables d’entendre.

Les Yézidies libérées partiront vers des pays qui supporteront l’écoute de leurs récits. Elles y trouveront des personnes qui sécheront leurs larmes et écriront leurs histoires.

Quant à nous, nous resterons ici, privés de leur présence. Entre nous, encore et toujours plus semblables les uns aux autres. Viendra le temps où nous n’aurons d’autre altérité que nous-mêmes.

Source : Al-Hayat (extraits) Londres,—Hazem Al-Amin 10 juillet 2017

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« L’obligation de vaccination risque d’être contre-productive »

Dans une tribune au « Monde », le Collège national des généralistes enseignants estime que l’obligation risque de renforcer la défiance de la population et de soumettre les médecins, et les directeurs d’école, à la pression de parents qui y sont opposés.

TRIBUNE. Dans son discours de politique générale, le premier ministre a annoncé son intention de rendre obligatoires onze vaccins pour la petite enfance, suivant ainsi les propositions de la ministre de la santé. Cette annonce fait suite au constat de l’insuffisance de la couverture vaccinale pour certaines maladies et à la survenue dans ce contexte d’un petit nombre de décès évitables, d’autant plus choquants qu’ils concernaient de jeunes enfants.

Il s’agit d’une mauvaise stratégie qui ne réglera pas le problème de l’insuffisance de couverture vaccinale. L’obligation risque même d’être contre-productive, et de renforcer la défiance d’une partie de la population.

Une des préoccupations légitimes des autorités de santé est de rétablir la confiance de la population dans la protection vaccinale. Cette confiance a été mise à mal en diverses occasions par la campagne vaccinale contre la grippe H1N1 inutilement alarmiste, suivie d’un abandon de la promotion de la vaccination, par la propagande fallacieuse entretenue par certains mouvements sectaires antivaccinaux, ou encore par les liens d’intérêt entre certains promoteurs de la vaccination et les industriels du secteur.

Contraire au principe d’autonomie du patient

Il est incongru de prétendre rétablir la confiance par l’obligation à l’aide d’une forme d’injonction envers les patients. Cette obligation s’inscrit en opposition avec l’évolution de la place du patient dans la gouvernance de sa propre santé et avec la promotion du principe d’autonomie inscrit dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients. Le code de déontologie et la Haute Autorité de santé soulignent également la nécessaire évolution vers une décision médicale partagée.

La transgression de ces principes pourrait se justifier par une crise sanitaire ou une alerte épidémiologique importante, qui n’existent pas. L’épidémie de rougeole, citée en exemple par le premier ministre, a été à l’origine, ces dix..

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Source Le Monde 13/07/2017

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