Syriza « La volonté d’un nouvel équilibre politique »

Photo Rédouane Anfoussi

Anastassia politi. Elle est membre fondatrice de Syriza Paris, le parti grec arrivé au pouvoir le 25 janvier dernier. Petit tour d’horizon des questions qui se posent pour faire entendre la voix du peuple.

Anastassia Politi est une artiste grecque qui mène sa carrière de comédienne et metteur en scène à Paris. Elle est membre fondatrice de Syriza Paris. Invitée jeudi au cinéma Diagonal par le collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple Grec*, elle apporte un éclairage sur la position politique du parti Syriza et l’espoir qu’il suscite pour tous les peuples d’Europe, deux mois après son arrivée au pouvoir en Grèce.

Quelle analyse portez-vous sur les conditions de votre arrivée au pouvoir le 25 janvier dernier ?

L’accession de Syriza au pouvoir est le fruit d’un long processus historique. Notre parti trouve ses origines dans une large coalition de partis de gauche et d’extrême gauche. Le ciment de cette alliance remonte au forum social de Gènes en 2001. Syriza est un parti qui revendique une position marxiste-léniniste adaptée au XXIe siècle. Il faut comprendre que la gauche grecque et notamment les communistes, se sont illustrés héroïquement à travers leurs faits d’armes et leurs convictions tenaces durant le XXe siècle. Cette gauche jouit toujours aujourd’hui d’une vraie reconnaissance dans la population.

L’origine de cette soif démocratique populaire tiendrait aux braises du XXe siècle…

Oui, après le désastre de la Seconde guerre mondiale le combat révolutionnaire s’est poursuivi, contre le nouveau pouvoir grec soutenu par les puissances anglo-saxonnes. Les résistants de gauche furent écartés une première fois. Durant les trois ans de guerre civile, la chasse aux sorcières a fonctionné à plein régime. Il suffisait d’avoir un membre de sa famille communiste pour perdre ses droits élémentaires de citoyen, comme celui d’étudier ou de travailler. Puis ce fut la dictature des Colonels extrêmement répressive qui s’inspirait ouvertement de l’idéologie fasciste avec le soutien de la CIA. Après la guerre civile et la dictature, ce qui s’est passé en janvier dernier est la troisième possibilité d’accéder à une démocratie populaire. Elle s’est imposée par la voie des urnes, ce qui confirme que la résistance est implantée dans le coeur du peuple grec.

Le peuple grec se mobilise aussi face au désastre humanitaire lié au programme de sauvetage de la troïka…

En effet le mémorandum conditionnait le plan d’aide financière à des économies et réformes qui se sont révélées catastrophiques et inhumaines. En cinq ans, les classes moyenne et ouvrière se sont appauvries de 337%. Le taux de chômage dépasse les 30%. Il est de 60% chez les moins de 26 ans. On a assisté à une vague d’émigration sans précédent des jeunes diplômés. Les services publics ont été abandonnés. Vingt-cinq hôpitaux ont fermé et beaucoup de nos médecins sont partis trouver du travail en Allemagne. La crise a aussi touché le secteur privé avec la liquidation de 65 000 entreprises.

Le président de la Commission J-C. Juncker oppose très frontalement les traités
de l’UE à votre volonté de démocratiser la vie politique…

On peut dire que monsieur Juncker a enfin révélé la vraie nature de la dictature libérale qui tient lieu de démocratie dans l’union européenne. Ce que les peuples français, irlandais, et néeerlandais ont déjà pu expérimenter en voyant leur voix rejetées après avoir été consultés sur les traités. Le volet démocratique du programme de Syriza repose notamment sur des mesures pour combattre la corruption et l’évasion fiscale. Il passe par un soutien à la croissance économique, la création de 300 000 emplois notamment pour les jeunes. Il comporte enfin un important volet social pour fournir de l’électricité et nourrir 300 000 personnes en situation d’extrême précarité.

 

Alexis Tsipras engage un bras de fer pour renégocier la dette estimée à 320 Mds d’euros. Ne sera-t-il pas contraint à faire des compromissions ?

La BCE devait verser 7,2Mds d’euros à la fin 2014 mais elle met le peuple grec au supplice de la goutte. La croissance de la dette depuis la crise de 2008 est le produit de l’effet combiné des cures d’austérité, qui ont plongé le pays dans la dépression, et de la spéculation financière qui fait exploser les taux d’intérêts. Les banques ont utilisé une partie de l’argent public injecté afin de les sauver de la faillite pour spéculer sur la dette grecque. Nous avons commandé un audit conduit par 15 experts indépendants pour se pencher sur la nature de la dette grecque et en estimer la part légitime et illégitime.

Si le gouvernement ne trouve pas d’issue sur cette question envisage-t-il de renoncer à la monnaie unique ?

Jusqu’ici le gouvernement se prononce pour poursuivre les négociations mais au sein du parti le débat est ouvert sur cette question. L’UE joue la carte de l’asphyxie économique. Vous savez on a déjà vécu la guerre civile et on ne souhaite pas la revivre. Cela veut dire que nous voulons avoir la paix.

Après la rencontre avec Merkel, Alexis Tsipras sera reçu par Poutine début avril. Envisagez-vous l’alternative russe comme une porte de sortie ?

Avec la Chancelière allemande le risque est grand pour que la négociation n’aboutisse pas à un compromis. Le problème n’est pas purement financier il est idéologique. Admettre que la politique d’austérité ne fonctionne pas concerne la plupart des pays de l’Union. Ce qu’exprime Syriza c’est avant tout la volonté d’un nouvel équilibre politique. C’est une partie d’échec. Il existe une commission bi ministériel entre la Grèce et la Russie. L’embargo économique de l’UE contre la Russie a pénalisé l’économie grecque. L’idée c’est que nous sommes un pays souverain et que nous avons en tant que tel la possibilité de parler à qui bon nous semble.

Les difficultés auxquelles vous vous trouvez confrontés n’entament-elles pas la mobilisation populaire sur laquelle vous vous appuyez ?

Nous avons été élus sur un programme. Il est hors de question de l’abandonner. Je ne sais pas si nous allons trouver l’argent pour le mettre en oeuvre. L’UE nous dit que notre initiative est unilatérale. C’est absurde. Nous sommes face à une crise civilisationnelle profonde et nous essayons de trouver des solutions politiques. Notre force provient d’un sentiment de dignité retrouvée même si on est encore dans la misère. Ce n’est pas le parti qui mène le peuple. Syriza est issu des mouvements sociaux et souhaite que les mouvements sociaux donnent l’orientation.

RecueiIli par Jean-Marie DINH

Source : La Marseillaise 30/03/2015

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Après l’échec aux départementales : une gauche à reconstruire

Le rêve de Hollande : Bientôt plus que moi et Marine...

Le rêve de Hollande : Bientôt plus que moi et Marine…

Une défaite historique, mais on ne change rien : ce message des ténors socialistes, dimanche soir, était prévisible quel que soit le nombre de départements perdus par la majorité présidentielle.

Entre l’abstention d’un électeur sur deux, le vote FN massif là où il se maintenait même si cela ne se traduit pas en « prise » de département, et le succès sans précédent de l’UMP qui devient majoritaire à ce niveau de pouvoir, le Parti socialiste est face à un champ de ruines, même s’il se console en se disant que ça aurait pu être pire.

Ce n’est guère plus brillant pour le reste de la gauche, qui, s’il parvient à quelques bons résultats locaux, n’a pas offert d’alternative au discrédit du Parti socialiste.

« Unité » ?

Au lendemain de cette sombre journée électorale pour elle, où va la gauche ? Le mot « unité » a souvent été prononcé ces derniers jours, et, dimanche soir encore, la « désunion » a été rendue responsable des piètres résultats.

Nul doute qu’on va encore entendre, dans les prochaines semaines, les appels au « rassemblement » à gauche, sans que les termes de ce rassemblement ne soient évidents.

Comme il l’a dit dès dimanche soir, relayé par ses lieutenants sur les chaînes de télévision, Manuel Valls reste « droit dans ses bottes », s’appuyant sur les signes timides de reprise économique pour ne pas envisager de réorientation.

Dans ces conditions, quelles peuvent êtres les conditions d’un rassemblement, ne serait-ce qu’avec les « frondeurs » socialistes, ceux-là même qui refusaient il y a quelques semaines encore de voter la confiance à leur propre gouvernement ?

Difficile d’imaginer les acteurs de la « gauche de la gauche » accepter aujourd’hui un rapprochement avec le PS sur un programme politique qu’ils ont dénoncé avec véhémence depuis des mois.

Il y a quelques jours, Clémentine Autain, une des personnalités du Front de gauche, appelait ainsi à reconstruire la gauche en prenant « la mesure du désastre politique actuel ». Mais, dans son esprit, il s’agit d’un « Syriza à la française », allant des dissidents socialistes aux communistes en passant par une partie des écologistes, pas d’une « union de la gauche » avec le PS.

Pas de « Tsipras français »

Cette impossibilité à retrouver les chemins de l’unité à gauche a certes le mérite de la clarté programmatique – un « programme commun » n’est guère possible quand l’une des composantes de la gauche est au pouvoir et l’autre pas –, mais elle porte en germe les défaites à venir.

Le contexte politique français fait que là où la déception et la colère des électeurs populaires se tournent vers de nouvelles forces politiques de gauche en Espagne ou en Grèce, c’est le Front national qui, en France, en tire les bénéfices. Et ceux qui rêvent d’être les « Tsipras français » n’ont pas fait, jusqu’ici, la percée escomptée, au contraire.

Alors, défaite annoncée aux régionales de la fin de l’année, et défaite presque déjà programmée en 2017, avec un deuxième tour Marine Le Pen – Nicolas Sarkozy ?

La vie politique a ce talent d’imprévisibilité que les mutations économiques et sociales actuelles accentuent. Mais il est clair qu’il manque, aujourd’hui, les bases intellectuelles et conceptuelles de la reconstruction d’une gauche crédible en France.

Les électeurs, en particulier à gauche, ne s’y trompent pas, qui gardent désormais leurs distances avec le champ politique pour s’investir dans celui de la société, de leur cercle privé, faute d’espoir.

Cette défaite est d’abord celle des idées et d’une certaine pratique politique. Peut-être est-ce par là qu’il faut recommencer, par le bas, et pas par des accords d’appareils qui ne seraient guère crédibles.

Pierre Haski

Source Rue 89 29/03/2015

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Tollé contre la loi sur le renseignement

10475225_842318932480556_2441107500693717475_nLe texte était annoncé et Manuel Valls a donc présenté le 19 mars au Conseil des ministres le projet de loi sur le renseignement concocté par Jean-Jacques Urvoas. Lors de la conférence de presse qui a suivi, il a à nouveau égrainé les arguments lénifiants : pas de moyens d’exception, « il ne s’agit en aucun cas de mettre en place une surveillance généralisée des citoyens », l’usage des techniques de surveillance sera mieux contrôlé et réservé à la lutte contre le terrorisme.

Cette loi légalise le recours pour le renseignement à des techniques déjà utilisées par la police judiciaire dans le cadre d’investigations diligentées sous le contrôle de la justice. Elle avalise et banalise ce qui était jusque là des pratiques discrètes. Elle prévoit entre autre le « recours à des appareils enregistrant les paroles et les images de personnes ou à des logiciels captant les données informatiques » par des « agents spécialement habilités ». En d’autres termes ces agents pourront installer micros et caméras dans des bureaux, habitations, lieux privés ou véhicules et des logiciels espions baptisés keyloggers pour enregistrer tout ce qu’un individu va taper sur le clavier de son ordinateur. Les services de renseignement pourront également géolocaliser en temps réel un véhicule ou un objet à l’aide de balises et user de « dispositifs mobiles de proximité »pour intercepter les communications des téléphones mobiles dans un périmètre donné.

Il va sans dire qu’ils n’auront pas à requérir l’aval d’un juge pour ce faire. Les demandes motivées transiteront via les ministères concernés et c’est le premier ministre qui donnera son autorisation en tenant compte, ou pas, de l’avis rendu par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette nouvelle autorité administrative indépendante est créée par la loi pour remplacer l’actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Elle sera composée de deux députés, deux sénateurs, deux membres du Conseil d’Etat, deux magistrats et une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, et pourra en cas de désaccord saisir le Conseil d’Etat. Pour l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN qui rassemble la LDH, le Syndicat de la Magistrature, le SAF ou encore la Quadrature du Net) cette commission fonctionne selon une logique inversée : un seul membre suffit pour rendre un avis favorable, mais pour faire cesser une surveillance la majorité absolue des membres doit se prononcer. En dernier ressort, l’exécutif est libre d’autoriser la mesure, et en cas d’urgence les services peuvent même se passer de tout accord et n’obtenir l’autorisation qu’ensuite.

Contrairement à ce qu’affirme Manuel Valls, ces mesures de surveillance ne sont pas réservées à la prévention du terrorisme et de la criminalité organisée. Pire la liste des motifs habituellement admis a encore été étendue. On y trouve la toujours très floue « sécurité nationale », « les intérêts économiques et scientifiques essentiels » mais aussi , « les intérêts essentiels de la politique étrangère », « la prévention de la délinquance organisée » et « la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». L’OLN s’en inquiète, voyant dans ce dernier item une volonté de contrôler les mouvements de contestation sociale. Il n’est pas le seul. Le Conseil National du numérique (CNNum) parle d’ « une extension significative du périmètre de la surveillance ». Pour lui « la prévention des violences collectives ou encore la défense des intérêts de la politique étrangère sont deux champs dont les contours flous ne permettent pas de définir avec rigueur le champ d’intervention légal du renseignement ».

Quant aux nouvelles techniques strictement réservées (pour le moment) à la lutte contre le terrorisme, elles font l’unanimité contre elles. La première, déjà prévue dans la loi de programmation militaire consiste à aspirer en temps réel sur les réseaux des fournisseurs d’accès et de services les informations et documents concernant des personnes suspectées d’activités terroristes. Des « écoutes ciblées » à la carte sans même avoir à les demander ! La seconde consiste à obliger les mêmes fournisseurs à installer un algorithme capable de détecter une succession suspecte de données de connexion. Les données précise-t-on sont anonymes et l’anonymat n’est levé qu’en cas de confirmation d’une menace terroriste. Ca ne vous rappelle pas le Patriot Act, ses collectes massives de données, ensuite fouillées pour trouver des séquences modèles ?

L’ARCEP s’est pudiquement inquiété de l’ «  impact sur l »intégrité et la disponibilité des réseaux ou sur la qualité des services de communications électroniques  » de tels processus. La CNIL a obtenu que les « correspondances » soient exclues mais souligne que les informations ainsi collectées restent identifiantes et s’interroge sur le devenir des traitements de données ainsi constitués. Elle a aussi, comme d’autres organisations, fait remarqué que manquait à cette loi les habituelles exceptions protégeant magistrats, avocats ou journalistes d’intrusions dans leurs communications. Le juge anti-terroriste MarcTrévidic, lui, évoque des « pouvoirs exorbitants ». « Ne mentons pas aux Français en présentant ce projet comme une loi antiterroriste. Il ouvre la voie à la généralisation de méthodes intrusives, hors du contrôle des juges judiciaires, pourtant garants des libertés individuelles dans notre pays ». Même le syndicat CGT Police a demandé l’abandon du texte en l’état et suggère au gouvernement de lé recentrer sur le terrorisme et d’y introduire « des garde-fous beaucoup plus importants  ».

Christine Tréguier

Source Blog Politis De quel droit ? 26/03/2015

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Jean Ziegler : La conscience humaine est une force révolutionnaire

Jean Ziegler "La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace " © Hermance Triay

Jean Ziegler « La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace. »
© Hermance Triay

Dans Retournez vos fusils ! le sociologue suisse choisit clairement son camp et livre des éléments d’analyse concrets pour comprendre et résister à la barbarie libérale.

Rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, aujourd’hui vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler est professeur émérite de sociologie à l’université de Genève. Son dernier essai apporte des clés pour comprendre notre situation et indique les voies d’action pour sa transformation.

Retournez les fusils ! Choisir son camp : vous n’y allez pas par quatre chemins…

La dictature du capital financier globalisé qui asservit aujourd’hui l’humanité non plus… Nous vivons dans un ordre cannibale du monde : toutes les cinq secondes un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim, presque 1 milliard d’êtres humains sont mutilés par une sous-alimentation grave et permanente, alors que d’immenses richesses s’accumulent dans les mains d’une mince oligarchie quasi toute puissante.

Selon la Banque mondiale, en 2014, les 500 plus puissantes sociétés privées transcontinentales, tous secteurs confondus, ont contrôlé 52,8% du produit mondial brut, Ces « gigantesques personnes immortelles », comme les appelle Noam Chomsky, échappent à tout contrôle étatique, syndical, social, etc. Elles fonctionnent selon un seul principe : celui de la maximalisation du profit dans le temps le plus court.

Contre cet ordre absurde et meurtrier, les Etats eux-mêmes, surdéterminés par les oligarchies du capital financier, sont impuissants. Les faits sont accablants, les risques encourus énormes. Les fusils dont il est question dans le titre de mon livre sont les droits démocratiques dont nous disposons dans les pays dominateurs.

Aujourd’hui, « faire ce qu’on veut et vouloir ce qu’on fait est devenu quasiment impossible » soulignez-vous. Ce regard critique réconforte, en quoi peut-il porter remède à ce monde malade ?

Connaître l’ennemi, combattre l’ennemi », telle était l’injonction de Jean-Paul Sartre. C’est la tâche de l’intellectuel, mais aussi de tout démocrate : faire l’effort d’étudier le capitalisme financier globalisé dans ses moindres stratégies, confronter celles-ci à l’intérêt général, choisir son camp, rallier les mouvements sociaux. Mon livre veut être une arme pour l’insurrection des consciences à venir.

Vous évoquez l’utilité des intellectuels. Faut-il mettre en regard leur rôle avec la régression de l’histoire des idées depuis plus de trois décennies ?

Ces trente ans écoulés ont vu l’effondrement du bloc soviétique, dont l’influence couvrait la moitié de la planète, l’unification économique du monde, le tsunami du néolibéralisme qui a dévasté l’idée de l’État-providence, privatisé le monde, tenté d’anéantir les politiques publiques, d’enchaîner les pays dépendants de l’hémisphère sud. Le triomphe de l’idéologie néolibérale correspond à une véritable contre-révolution qui a aussi ravagé les intellectuels.

En vertu des « lois naturelles » de l’économie, dites-vous, le but de toute politique est la libéralisation complète des mouvements de capitaux, marchandises et services. Le reste serait une histoire d’emballage ?

Oui, c’est le grand succès de l’idéologie néolibérale que de réussir à faire croire que l’économie obéit à des «lois naturelles», que la privatisation et la libéralisation, autrement dit la suppression de toute forme de contrôle public, crée le terrain favorable à l’expansion de l’économie, que la pauvreté des uns et l’extrême richesse des autres découlent d’une fatalité contre laquelle toute résistance serait vaine, que c’est à l’apogée de l’expansion que se fait « naturellement » la redistribution

En Europe, on commence à se rendre compte du danger mortel de cet « emballage » idéologique. On réalise progressivement qu’il soumet les gouvernements et les citoyens à ces forces économiques aveugles.

L’idéologie néolibérale est-elle le socle du retour du racisme et de la    xénophobie ?

Le désespoir qu’il provoque, oui. Racisme et xénophobie d’un côté, sentiment d’exclusion et d’apartheid de l’autre. En France, la droite française connaît une scission importante entre son courant gaulliste en train de disparaître et son aile néoconservatrice qui s’aligne sur la montée de l’extrême droite en Europe.

Dans ce contexte, l’unité républicaine prend-elle sens ?

Oui, toute unité républicaine vaut mieux que l’extrême-droite au pouvoir. Mais elle ne peut pas durer sans changement profond de la société, de l’économie, de la politique, sans retour de la souveraineté populaire. Sinon la République, la nation, l’héritage formidables de la Révolution française, seront bientôt des coquilles vides.

Comment la gauche de gouvernement qui adopte le langage néolibéral pourrait-elle produire un récit alternatif ?

Telle qu’elle est jusqu’à ce jour, c’est sans espoir. Il faudrait un sursaut gigantesque au PS, je ne l’en crois pas capable.

Que vous évoque les attentats terroristes survenus à Charlie Hebdo et dans le supermarché casher ?

Un antisémitisme nauséabond monte en France. Mais aussi dangereux, au moins à égalité, est l’anti-islamisme. Entre le gouvernement soi-disant socialiste et un grand nombre de Français d’obédience musulmane, le contrat social, le lien de confiance sont fragilisés. C’est sur le terreau de la misère que prospère le monstre djihadiste.

Alors que peut, que doit faire le gouvernement français ? Essayer, par des investissements sociaux massifs, de briser l’isolement et la misère économique des millions d’habitants des banlieues sordides, dont une importante partie sont des musulmans. Prendre enfin sur la tragédie du peuple martyr de Palestine une position officielle claire : non à la colonisation et au terrorisme d’Etat du gouvernement Netanyhaou, oui à la création d’un Etat palestinien souverain.

Où situez-vous la relève ?

La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace. Elle est composée par une myriade de mouvements sociaux, locaux ou transcontinentaux : tels Via Campesina, qui organise, du Honduras jusqu’en Indonésie, 141 millions de petits paysans, métayers, éleveurs nomades, travailleurs migrants, ATTAC, qui tente de maîtriser le capital spéculatif, Greenpeace, Amnesty international, les mouvements de femmes, etc.

Tous ces mouvements organisent patiemment le front planétaire du refus. Je suis persuadé qu’en Europe aussi l’insurrection des consciences est proche. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La conscience de l’identité entre tous les hommes est une force révolutionnaire. La nouvelle société civile planétaire n’obéit ni à un comité central ni à une ligne de parti. L’impératif catégorique du respect de la dignité humaine de chacun est son unique, mais puissant moteur.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Retournez les fusils ! Choisir son camp, Ed. du Seuil, 2014.

Source : La Marseillaise 16/02/2015

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Terrorisme: l’UE confirme son refus d’un Patriot Act…

Photo Reuter.

Photo Reuter.

Par Jean Quatremer correspondant de Libération

L’Ukraine et la Grèce ont quelque peu éclipsé, lors du Sommet européen de jeudi, à Bruxelles, la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, un mois tout juste après les attentats de Paris, les 28 chefs d’État et de gouvernement ont affiché leur détermination à « combattre » les « ennemis de nos valeurs » en adoptant un plan d’action qui se concentre surtout sur l’aspect préventif (identification et contrôle des suspects, lutte contre la propagande extrémiste sur le net et la radicalisation dans les prisons, contre-propagande, échanges systématiques d’informations entre les services via Europol et Eurojust, lutte contre le trafic d’armes et le financement du terrorisme, etc.), l’aspect répressif ayant déjà été largement traité au lendemain du 11 septembre 2001 (mandat d’arrêt européen, harmonisation de la répression du terrorisme, lutte contre le blanchiment d’argent, etc.). Pour l’Union, il s’agit d’éviter de porter atteinte à ses libertés fondamentales en sombrant dans le tout répressif, ce qui serait tomber dans le piège des terroristes.

 En dépit de cette volonté affichée, il n’est pas du tout certain qu’elle y parvienne, comme le montre le projet de fichier « PNR » (passenger name record) destiné à centraliser les renseignements recueillis par les compagnies aériennes sur leurs passagers (nom, prénom, adresse, téléphone, courriel, moyen de paiement, bagages, programme de fidélité, etc.). Selon la Commission et les États membres, il est censé permettre l’identification de suspects jusqu’alors inconnus en fonction de leur profil voyageur, les fichiers européens existants (Système d’information Schengen, Système d’information sur les visas et Système d’entrée/sortie des non-ressortissants communautaires) ne concernant que des personnes identifiées. Créé aux Etats-Unis à la suite du 11 septembre, ce fichier n’a toujours pas vu le jour dans l’Union à cause de l’opposition d’une majorité du Parlement européen (gauche radicale, verts, socialistes et libéraux) qui s’inquiète des atteintes aux libertés individuelles.

De fait, il recensera tous les passagers, européens ou non, empruntant des vols nationaux, intra-européens et internationaux, alors que PNR américain ne s’intéresse qu’aux vols internationaux. Pour l’eurodéputée écologiste Éva Joly, ce fichier instituera « une surveillance généralisée qui ne préviendra pas les actes terroristes (mais) engendrera des démocraties fragiles qui pourraient être tentées par des dérives ». Surtout, les eurodéputés ne sont pas du tout convaincus de son utilité, les auteurs des attentats de Paris étant parfaitement connus des services français…

Au minimum, le Parlement exige de fortes garanties qui ne se trouvent pas dans le texte actuel déposé en 2011 : « pour être acceptable à nos yeux, la solution retenue doit (…) être conforme au droit et au principe de proportionnalité et prévoir des mesures vigoureuses pour la protection de nos droits fondamentaux », a rappelé, jeudi, devant les Vingt-huit, Martin Schulz, le président de l’europarlement. Les chefs d’État et de gouvernement se sont dits prêts à accepter des « garanties solides en matière de protection des données », ce qu’ils refusaient jusqu’à présent. Pour un diplomate français, il s’agira d’adapter le texte « à la marge », par exemple en précisant mieux qui aura accès aux données ou en prévoyant une formation de ceux qui y auront accès…

Un second dossier, tout aussi emblématique, est celui de l’espace de libre circulation Schengen, que certains voudraient remettre en cause. « Si on veut garder Schengen, il faut que la frontière extérieure soit un moyen de contrôler qui vient et qui part », a prévenu François Hollande, le chef de l’État français. De fait, actuellement, les contrôles des citoyens européens qui rentrent dans l’espace Schengen ne sont pas systématiquement contrôlés, ce que les États voudraient changer. Mais la Commission, soucieuse de ne pas remettre en cause les droits des citoyens européens, n’y est guère favorable.

N.B. 1 : J’ai été interviewé sur France Culture sur ce sujet. C’est ici.

N.B. 2 : Version longue de mon article paru dans Libération du 14 février.

Source : Blog Coulisses de Bruxelles 15 février 2015

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