Perceptions et réalités de l’autoritarisme dans le Sud-Est asiatique

 Heri Dono. – « Shock Therapy for Political Leader » (Thérapie de choc pour dirigeant politique), 2004. Photo : Agung Sukindra - Mizuma Gallery, Singapour, Tokyo


Heri Dono. – « Shock Therapy for Political Leader » (Thérapie de choc pour dirigeant politique), 2004.
Photo : Agung Sukindra – Mizuma Gallery, Singapour, Tokyo

Des sociétés tiraillées entre demande d’ordre et aspiration à l’ouverture

Quoi de commun entre l’icône birmane Aung San Suu Kyi et le sulfureux président philippin Rodrigo Duterte ? Leur présentation caricaturale dans les médias, notamment occidentaux, prompts à prendre parti au nom de considérations morales. Les peuples d’Asie du Sud-Est s’avèrent souvent moins sensibles aux accusations d’autoritarisme qu’aux résultats qu’ils escomptent de l’action de leurs élus.

En Asie du Sud-Est (1), c’est souvent la même histoire. Au départ, les médias bruissent de rumeurs enthousiasmantes à l’endroit des candidats libéraux. Colportées par les élites nationales cultivées et connectées, elles sont relayées par l’Occident, qui s’enflamme volontiers. Il en est allé ainsi en Indonésie en 2014, quand M. Joko Widodo, surnommé Jokowi, a fait souffler un vent nouveau sur la vie politique du pays, sclérosée par de vieux clans. La campagne de ce néophyte de la politique nationale, au mode de gouvernement si innovateur, fut portée par la haute classe sociale de Djakarta — dont il était le gouverneur — et par des universitaires de tous bords, jusqu’en Australie.

De la même manière, la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en Birmanie en novembre 2015 a semblé sonner la fin d’une époque dominée par les militaires. Certes, bloquée par la Constitution, Mme Aung San Suu Kyi n’était pas en mesure de prendre la présidence ; mais l’un de ses proches, M. Htin Kyaw, a été élu à ce poste le 15 mars dernier. Quant à la « dame de Rangoun », en tant que ministre des affaires étrangères, elle peut siéger au Conseil national de défense et de sécurité. Elle est aussi devenue conseillère d’État — une fonction créée pour elle.

Selon un principe symétrique, il arrive que les représentants non élus des élites tombent à bras raccourcis sur les pouvoirs en place — et que l’Occident soit tenté de suivre le mouvement. C’est ainsi qu’à Singapour, lors de l’été 2015, à la veille du scrutin du 11 septembre, les réseaux sociaux espéraient transformer l’essai des élections de 2011 qui avaient envoyé au Parlement six députés d’opposition sur quatre-vingt-sept — un record. Le père fondateur de la cité-État, Lee Kuan Yew, était décédé quelques mois plus tôt ; le temps semblait venu de tourner la page.

À la même époque, le premier ministre malaisien Najib Razak était accusé d’avoir détourné 700 millions de dollars du fonds d’investissement public 1MDB (1 Malaysia Development Berhad) vers ses comptes personnels — ce qu’il a toujours nié. Aussitôt, le mouvement Bersih (« propre »), devenu célèbre après son premier rassemblement de protestation en 2007, reprenait la rue. Il recevait le soutien inédit de l’ancien premier ministre Mahathir Mohamad, hier mentor de M. Najib et aujourd’hui son opposant. Les jours du chef du gouvernement semblaient comptés.

Dernier cas, celui du président philippin Rodrigo Duterte, dont les propos comme candidat ont régulièrement heurté l’intelligentsia occidentale. Il a rapidement été comparé au républicain américain Donald Trump du fait de ses déclarations macho-populo-polémiques. Non content d’avoir averti, en campagne, qu’il n’hésiterait pas à abattre des dizaines de milliers de criminels, il a, une fois élu, encouragé ses concitoyens à éliminer physiquement des trafiquants de drogue. À écouter le président investi le 30 juin 2016, les journalistes ne seraient pas à l’abri d’un tel traitement s’ils se révélaient être « des fils de p… », selon ses propres mots. Ces menaces à peine voilées ont aussitôt suscité une mise en garde de l’Organisation des Nations unies (ONU) (2). M. Duterte a de nouveau utilisé la vulgaire expression dont il est coutumier pour qualifier M. Barack Obama début septembre ; ce dernier a aussitôt annulé la rencontre bilatérale prévue, malgré les excuses de son homologue philippin, avant de lui serrer la main dans un couloir en marge du sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Puis M. Duterte a annoncé qu’il voulait chasser les forces spéciales américaines du sud du pays…

En résumé, on accordait peu de crédit et guère de perspectives aux dirigeants singapourien, malaisien et philippin, ce qui contrastait avec l’enthousiasme généré par les candidats d’Indonésie et de Birmanie.

Cependant, la vérité des urnes n’est pas celle de la médiasphère. Si les villes disposent de grosses caisses de résonance, les campagnes restent prépondérantes au moment du décompte — le taux d’urbanisation en Asie du Sud-Est n’atteignait que 47 % en 2015. Et leurs priorités ne sont pas forcément celles des élites urbaines : c’est plutôt le paternalisme qui domine le système socio-politique, et caractérise la région.

En Indonésie, même si Jokowi a été élu président en juillet 2014, il n’a finalement pas largement dominé la campagne comme escompté, et les élections législatives du 9 avril 2014 l’ont privé d’une majorité au Parlement (lire les « Repères »). Il a même durci son discours pour s’appuyer sur les forces conservatrices et séduire la frange de l’électorat qui avait soutenu son rival nationaliste Prabowo Subianto. Il a autorisé les exécutions, au terme de procès légaux, de trafiquants de drogue (la dernière en juillet), ainsi qu’une traque des pêcheurs illégaux (quelque 210 navires ont été coulés depuis fin 2014) ; il s’est refusé à reconnaître clairement les massacres de masse de 1965-1966 contre les communistes (3). Et on le dit intéressé par la sanglante campagne antidrogue menée par M. Duterte.

Les Malais derrière leur gouvernement

De même, bien qu’ayant remporté les élections, la LND en Birmanie s’est fait attendre sur la question des minorités ethniques, à commencer par les Rohingyas musulmans (4), dont le sort est toujours loin d’être réglé — M. Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU, a atterri dans l’ouest du pays début septembre en espérant aider à régler la crise. Comme l’expliquent des chercheurs du Peace Research Institute of Oslo (PRIO), les élections n’ont pas seulement évincé les militaires, elles ont aussi marginalisé les partis ethniques : bien que représentant 40 % de la population, ils n’ont obtenu que 6 % des sièges, la LND profitant d’un mode de scrutin largement à son avantage. Fin 2015, certains de ces groupes ethniques, comme les Kachins, n’ont pas manqué de faire part de leur pessimisme ; ils ont admis avoir cherché l’efficacité en accordant leur voix à la Ligue, non pour la soutenir mais pour s’opposer au parti de l’ancienne junte.

Dans le cas de Singapour, point de monde rural, mais une « majorité silencieuse » composée de fonctionnaires et d’une population âgée, toujours plus confiante dans le Parti d’action populaire (PAP), au pouvoir depuis 1959. Les électeurs ont voté en 2015 à 70 % pour les candidats du gouvernement, en leur accordant 83 sièges sur 89, à l’opposé de ce que laissait supposer l’intense activité sur les réseaux sociaux. La tendance a été confirmée lors d’une élection partielle au printemps 2016 (5).

En Malaisie, alors qu’on les imaginait au plus bas à cause des scandales de corruption en chaîne, le premier ministre Najib et son parti ont remporté en mai et juin 2016 plusieurs scrutins : un à la tête d’un des États de la fédération et deux législatives partielles. M. Najib « se tient plus haut que jamais, reconnaissait même l’Agence France-Presse (AFP). Son destin électoral n’a jamais paru si favorable (6)  ». Sur sa lancée, il s’est permis d’adopter de nouvelles lois liberticides, renforçant notamment le contrôle d’Internet, tandis que l’ancien chef de file de l’opposition, M. Anwar Ibrahim, est en prison depuis février 2015 à cause d’accusations de sodomie, interdite en Malaisie.

Enfin, aux Philippines, malgré le portrait peu élogieux de M. Duterte dressé par la presse internationale, ce dernier a remporté l’élection présidentielle à un tour en mai dernier avec 39 % des voix, soit cinq millions de bulletins de plus que son dauphin (7). Une fois dépassé le choc — heureux ou pas — des résultats, voire des premières mesures, l’art du compromis et le souci du consensus ont bien semblé reprendre le dessus.

Comme souvent sur la scène internationale du Sud-Est asiatique, où les chancelleries oscillent entre Chine et États-Unis, les gouvernements reviennent à un équilibre prudent. C’est ainsi qu’après avoir cherché ses marques, le président indonésien a décidé de tourner peu à peu le dos à quelques bourgeois-bohèmes du Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P), de jeunes intellectuels souvent aisés, parfois formés à Singapour ou en Occident, qui l’avaient soutenu lors de la campagne. L’emprise de Mme Megawati Sukarnoputri, fille du premier président Sukarno, sur ce parti nationaliste et de centre gauche ne lui laisse en effet guère de marges de manœuvre, notamment dans les nominations. Le président profite par ailleurs de l’implosion de la coalition d’opposition au Parlement. Beaucoup de partis anciennement proches de M. Prabowo ont finalement préféré rejoindre le camp présidentiel. À présent, Jokowi aurait trouvé son cap en privilégiant une entente avec le Golkar, l’un des principaux partis, assez modéré et fervent défenseur du pancasila — cette philosophie de l’État indonésien résumée en cinq principes, dont la démocratie, la « justice sociale » ou encore l’obligation de croire en un dieu, sans autre précision.

Après avoir accumulé les postures — défenseur de l’ordre face aux trafiquants de drogue, protecteur du pays en réponse aux incursions chinoises en juin dernier, pionnier de la nation en relançant la politique maritime de l’archipel —, le président Jokowi veut lutter contre le déficit budgétaire. Pour s’y attaquer, il a rappelé de la Banque mondiale Mme Sri Mulyani Indrawati, très appréciée de la communauté des affaires, lors du remaniement de cet été. L’ex-général Luhut Binsar Pandjaitan, ancien du Golkar et proche conseiller du président, confirme son statut d’homme fort du gouvernement comme ministre coordinateur des affaires maritimes ; il garde la main sur les sujets sensibles : mer de Chine méridionale, infrastructures, énergie et tourisme. La question papoue illustre les louvoiements de Jokowi. Il a certes apporté des aides, amélioré les routes. Mais, parallèlement, la militarisation se poursuit, et la nomination du général Wiranto au poste de ministre coordinateur des affaires politiques, légales et sécuritaires inquiète à cause de son passif, notamment au Timor-Leste (8).

Tous les généraux n’ont pas désarmé

De son côté, l’équipe victorieuse en Birmanie a su reprendre le cap initialement fixé en travaillant sur un projet fédéral afin de régler la question des minorités ethniques. M. Romain Caillaud, analyste et consultant à Singapour, précise que « beaucoup d’électeurs issus des minorités ont voté pour le parti [de Mme Aung San Suu Kyi] dans un objectif d’union nationale et d’efficacité des réformes ». En octobre 2015, un cessez-le-feu avait été signé entre le gouvernement et seulement huit partis représentant les minorités. Un an plus tard, début septembre, la conférence de Panglong du XXIe siècle — en référence à celle de 1947, réunie par le père de Mme Aung San Suu Kyi et alors présentée comme la première étape vers une République birmane unifiée — a réuni tous les groupes à l’exception d’un interlocuteur de poids, l’Armée unie de l’État wa (UWSA) : un « premier pas » dans la réconciliation nationale, selon le Myanmar Times. Une autre conférence devrait suivre dans six mois.

En ce qui concerne les partis forts, historiques ou nationalistes (re)conduits au pouvoir, leur politique apparaît plus nuancée que ne le laissaient penser les inquiétudes initiales. À Singapour, par exemple, le gouvernement a tenté de renouveler ses élites et de se concentrer sur des politiques sociales. Il a donc multiplié aussi bien les instances de dialogue que les efforts de redistribution à travers des hausses de salaires (infirmières, policiers) et l’augmentation des aides à la génération des « pionniers » (les seniors). En septembre 2014, une commission constitutionnelle avait également rendu ses conclusions pour veiller à la représentation des minorités ethniques (malaise, indienne ou eurasienne) face à la majorité chinoise à l’occasion de l’élection présidentielle.

En Malaisie, le premier ministre a remanié son gouvernement fin juin. Objectifs ? Témoigner sa reconnaissance à ses alliés potentiels, par le biais de nominations et promotions, mais aussi, selon ses termes, affirmer les « priorités du gouvernement : la santé économique, le bien-être social et la sécurité de tous les Malaisiens ». C’est ici un point capital et une erreur de jugement classique au sein des mouvements d’opposition, de Singapour à Kuala Lumpur (et ailleurs) : sauf régime dictatorial, les discours droits-de-l’hommistes trouvent souvent peu d’écho dans l’électorat, à la différence des considérations plus terre à terre, telles que le pouvoir d’achat. La coalition d’opposition se montrera-t-elle capable de se rassembler ? Pourra-t-elle mobiliser l’opinion autour de son combat contre le projet de loi sur l’état d’urgence, qui donnerait davantage de pouvoir au premier ministre ? Pour l’heure, les forces partisanes semblent dispersées, tandis que la récente rencontre entre Mahathir Mohamad et son vieil ennemi Anwar Ibrahim, exceptionnellement autorisé à sortir de prison pour contester une loi à la Cour suprême, a de quoi déstabiliser les observateurs.

Reste le cas de l’avocat Duterte. Sa lutte contre les trafics et les cartels de la drogue version philippine est éminemment condamnable : depuis son arrivée au pouvoir jusqu’à mi-septembre, 3 426 personnes ont été tuées, 1 491 par la police et les autres par des civils. Mais, pour l’heure, on ne peut parler de dictature, et il existe quelques garde-fous constitutionnels, telles l’impossibilité de se présenter pour un second mandat au-delà de quatre années passées au pouvoir ou encore la procédure de destitution, plus facile à mettre en place qu’aux États-Unis (9). Surtout, le programme de M. Duterte peut séduire le plus grand nombre : il cherche à se détacher des clans familiaux qui sont à la manœuvre essentiellement depuis Manille, où il n’est allé qu’une seule fois entre sa victoire et son investiture. Il a même snobé la proclamation solennelle des résultats au Congrès. Dans cette lignée, il prône un fédéralisme susceptible d’apporter la paix dans les îles du Sud en proie au sécessionnisme, même si le pari est risqué. Fort de sa trentaine d’années d’expérience en tant que maire de Davao, dans le Sud longtemps instable, il pourrait être le mieux placé pour enfin y régler le conflit entre séparatistes musulmans et pouvoir central — sans oublier les rebelles communistes également actifs dans les zones rurales.

À en croire Richard Javad Heydarian, professeur à l’université De La Salle à Manille, M. Duterte n’a rien d’un « Trump de l’Est ». Le chercheur le qualifie au contraire d’acteur « sophistiqué et nuancé », comme l’illustre sa « géopolitique de la mer de Chine méridionale », à savoir sa vision du conflit territorial, sa diplomatie régionale et sa porte ouverte à Pékin sur ce dossier sensible. Et M. Caillaud de préciser qu’il serait également « bien entouré » pour les dossiers économiques.

En revanche, des acteurs risquent de troubler les jeux en cours dans la région. En premier lieu, le facteur islamiste ne peut être négligé alors qu’un bataillon de Malais a été constitué au sein de l’Organisation de l’État islamique (OEI) au Proche-Orient. La Malaisie a été frappée par un attentat le 28 juin 2016, après celui de Djakarta en janvier où l’on a déploré sept morts, dont cinq assaillants. Une province du « califat » se mettrait en place aux Philippines, d’après des analystes jamais avares en éléments de dramatisation propices au bon financement de leurs instituts. Car, tout comme il avait été question de « second front de la terreur » dans les années 2000, marquées par l’âge d’or d’Al-Qaida — une allégation jamais confirmée —, l’OEI est aujourd’hui servie à toutes les sauces sud-est-asiatiques.

C’est le cas aux Philippines, alors qu’avec la Syrie les liens y sont bien moins évidents qu’avec le grand banditisme. C’est également le cas en Indonésie, où les autorités auraient déjoué début août, sur l’île de Batam, une attaque au lance-roquettes planifiée contre Singapour. L’affaire est prise très au sérieux dans la cité-État, toujours à la recherche d’ennemis pour cimenter son pacte social. Mais elle suscite le scepticisme en Indonésie, où l’affaire est qualifiée d’opaque… De même, le profil des quelques personnes arrêtées pour radicalisation et djihadisme à Singapour ne semble pas correspondre à celui des auteurs d’attentats en Europe, souvent moins amateurs, plus radicalisés et davantage connectés à la Syrie. Enfin, les travaux du Pr Duncan McCargo, politiste spécialiste de la région, avaient déjà permis de mettre en relief le poids de la politique locale — et non des nébuleuses islamistes transnationales — dans le conflit du sud de la Thaïlande entre Malais musulmans et Thaïs bouddhistes (10). Là encore, des attaques en août dernier dans les provinces du Sud n’ont pas complètement livré leurs secrets : sont montrés du doigt tantôt les insurgés malais du Sud, tantôt les opposants politiques à la junte.

Faut-il alors davantage s’inquiéter des armées ? En Thaïlande justement, sous prétexte de stabilisation du pays, les généraux ont, en 2014, confisqué le pouvoir autour duquel s’écharpaient libéraux et nationalistes, élites et peuple, urbains et ruraux, « chemises jaunes » et « chemises rouges ». La junte a organisé un référendum le 7 août dernier sur un projet de Constitution guère démocratique. Le général Prayuth Chan-o-cha, premier ministre, s’est félicité de la victoire du « oui » (autour de 61 %), l’objectif étant certes la tenue d’élections générales en 2017 mais aussi de contrôler un Sénat qui ne serait plus élu mais nommé par le pouvoir militaire. La population se serait-elle fait une raison, à moins qu’elle ne courbe le dos jusqu’au prochain scrutin ?

La transition sera-t-elle plus douce en Birmanie ? Mme Suu Kyi doit encore composer avec ce qu’elle appelle « l’armée de son père ». Celle-ci dispose de 25 % des sièges au Parlement, sachant que 75 % des voix sont requises pour modifier la Constitution. À charge pour la LND de trouver les dosages subtils afin de concéder le minimum à un acteur encore incontournable à court terme. Ce fut particulièrement notable lors de la conférence de Panglong : les officiers des forces armées (Tatmadaw) ont clairement marqué leur territoire en rejetant vigoureusement les demandes d’autonomie administrative des Was et des Shans, tout en interdisant à d’autres groupes combattants de participer à la rencontre historique.

Quant à l’armée indonésienne, elle ne reste pas non plus inactive. Son Livre blanc de la défense publié au printemps dernier relance très vaguement l’idée d’infiltrations étrangères et de « défense totale » impliquant toutes les composantes de la société. En sus, le fait terroriste donne lieu à une concurrence entre la police et l’armée, qui y voit une occasion de s’affirmer davantage sur le territoire sous prétexte de protection. Mais le ministre de la défense manque trop de charisme pour rivaliser avec MM. Jokowi et Luhut. Ces derniers semblent encore tenir les rênes. Toutefois, ici — dans une moindre mesure — comme en Thaïlande, en Birmanie et de façon discrète à Singapour, où bien des ministres sont généraux ou amiraux, les officiers veillent, un pied dans la porte du jeu démocratique.

Éric Frécon

Enseignant-chercheur à l’École navale, chercheur associé à Asia Centre, auteur de Chez les pirates d’Indonésie, Fayard, Paris, 2011.
Source Le Monde Diplomatique Octobre 2016

Indonésie: le gouverneur chrétien de Jakarta battu par son rival musulman

 Basuki Tjahaja Purnama, alias Ahok, battu au second de l'élection du gouverneur de Jakarta (19 avril 2017). © Reuters


Basuki Tjahaja Purnama, alias Ahok, battu au second de l’élection du gouverneur de Jakarta (19 avril 2017). © Reuters

Le gouverneur chrétien sortant de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama, alias Ahok, en procès pour insulte à l’islam, a été nettement battu par son rival musulman le 19 avril 2017 à l’issue d’un scrutin marqué par de fortes tensions religieuses en Indonésie, pays musulman le plus peuplé au monde.

Ahok a recueilli 42% des suffrages contre 58% pour l’ancien ministre de l’Education musulman Anies Baswedan, selon des estimations provisoires d’instituts de sondage basées sur le décompte de 100% des bulletins de vote.

Cette élection met en exergue l’influence croissante de musulmans conservateurs partisans d’une ligne dure dans ce pays de 255 millions d’habitants pratiquant en grande majorité une forme d’islam modéré. Des islamistes radicaux ont organisé ces derniers mois des manifestations de masse contre le candidat chrétien jugé pour blasphème.

Le scrutin était aussi un terrain d’affrontement entre grands acteurs politiques du pays qui considèrent l’influent poste de gouverneur de la capitale de 10 millions d’habitants comme un tremplin pour l’élection présidentielle de 2019.

Ahok était en ballotage. Au premier tour, le gouverneur sorta,t a recueilli 43% des suffrages, devant  Anies Baswedan, soutenu par l’ex-général Prabowo Subianto (candidat à la présidentielle de 2014), crédité de 40%, et Agus Yudhoyono (17%), fils aîné de l’ancien président Yudhoyono.

La cote de popularité de Basuki Tjahaja Purnama s’est effondrée dans les études d’opinion. Longtemps favori des sondages, Ahok a été désavoué dans les urnes après une affaire de blasphème qui a éclaté fin 2016 et provoqué des manifestations ayant réuni des centaines de milliers de participants dans la capitale. Ils étaient encore plus de 100.000 le 11 février à la grande mosquée de Jakarta, pour appeler à voter en faveur d’un candidat musulman.

Retour sur les manifestations
Le 2 décembre 2016, au moins 200.000 Indonésiens avaient défilé à Jakarta. Ils réclamaient la condamnation du gouverneur de la ville qui, selon eux, a insulté le Coran. Basuki Tjahaja Purnama était alors en campagne pour un 2e mandat.

Si cette dernière manifestation à l’appel d’organisations islamiques concervatrices se voulait pacifiste – de nombreux manifestants étaient vêtus de blanc –, les précédentes l’étaient moins (des centaines de blessés le 4 novembre 2016). Les grandes organisations islamiques, elles, se sont désolidarisées du mouvement, appelant pour certaines à ne pas participer à la manifestation.

Les fondamentalistes musulmans, qui défient le pouvoir depuis octobre 2016, réclament la tête de Basuki Tjahaja Purnama, qu’ils accusent d’avoir insulté l’islam.

Depuis quelques années, ces derniers ont gagné en influence en Indonésie, où les tenants d’une ligne dure ont favorisé une montée de l’intolérance. Un groupe indonésien affilié au Jabhat Fatah al-Cham (anciennement Front al-Nosra) en Syrie a même appelé sur les réseaux sociaux, début novembre, à punir Ahok, ou «nous le ferons avec des balles».

La Constitution indonésienne reconnaît officiellement six religions, mais la majorité des 255 millions d’habitants sont des musulmans qui pratiquent un islam modéré.

Les causes de la polémique
Dans la course pour un deuxième mandat de gouverneur le 15 février 2017, Ahok, chrétien d’origine chinoise qui caracolait en tête des sondages il y a quelques mois, s’est attiré en septembre 2016 l’ire de cette frange dure.

Lors d’un meeting de campagne, il a reproché à ses deux challengers musulmans l’utilisation du Coran pour tenter de convaincre les électeurs. Et déclaré erronée l’interprétation par certains oulémas d’un verset (al-Maidah 51) du Coran selon laquelle un musulman ne devrait élire qu’un dirigeant musulman.

La suite ? Ahok a dû faire des excuses publiques, mais la polémique a continué d’enfler, alimentée par les islamistes radicaux. Ceux-là mêmes qui avaient déjà tenté d’empêcher sa nomination en 2014, au motif qu’il était un infidèle. «Au lieu de prétendre qu’Ahok ne devrait pas être gouverneur parce qu’il est chrétien, ce qui n’a pas fonctionné, ils tentent de le présenter comme un blasphémateur qui a violé la loi», explique Marcus Mietzner, spécialiste australien de l’Indonésie, dans le New York Times.

Au-delà des accusations visant Basuki Tjahaja Purnama, c’est le pouvoir du président Joko Widodo, son soutien de longue date, qui serait visé. Ce dernier, soutien d’Ahok qui fut son adjoint quand lui-même était gouverneur de la mégapole, voit dans cette affaire une manipulation politique pour l’affaiblir.

Le président accuse certains «acteurs politiques» d’avoir «exploité la situation». Avant la manifestation du 2 décembre, huit personnes ont été arrêtées, dont Rachmawati Sukarnoputri, sœur de l’ancienne présidente Megawati Sukarnopruti et fille de Sukarno, premier président d’Indonésie après l’indépendance en 1945.

Comme le disait Géopolis en octobre 2014, «la dictature Suharto a tenu l’Indonésie de 1967 à 1998. Par la suite, l’élite politique est restée liée à ce mouvement. D’ailleurs, l’adversaire de Widodo (à la présidentielle, NDLR), Prabowo Subiento, est l’ex-gendre du dictateur Suharto».

Apprécié pour son travail
Ahok, premier gouverneur non musulman de la capitale depuis 50 ans et premier Indonésien d’origine chinoise à accéder à ce poste, a succédé à Joko Widodo à la tête de Jakarta.

Jusqu’à cette affaire, il était très apprécié par ses concitoyens pour son efficacité dans la gestion de la mégapole de 10 millions d’âmes, luttant contre la bureaucratie et la corruption des fonctionnaires. Et pour ses actions en faveur d’un salaire minimum, de la gratuité de l’éducation et de la santé ou contre la congestion du trafic automobile.

Alors que les autorités craignent de s’opposer aux islamistes radicaux, ces derniers ferraillent devant les tribunaux. Non seulement Basuki Tjahaja Purnama pourrait perdre dans cette affaire un poste de gouverneur mais encore écoper de 5 ans de prison ferme. Il le saura le 20 avril, au lendemain du second tour de l’élection.

Catherine Le Brech

Source Géopolis 05/12/2016 à 17H49, mis à jour le 19/04/2017

Voir aussi : rubrique Actualité Internationale, rubrique Asie, Indonésie, Joko Widodo prend la tête de l’une des principales économies d’Asie, rubrique Politique,

Qu’est-ce qui oppose les sunnites et les chiites ?

Chiite et Sunnite dans le monde musulman

Chiite et Sunnite dans le monde musulman

La rupture par l’Arabie saoudite de ses relations diplomatiques avec l’Iran, dimanche 3 janvier, a creusé la cassure confessionnelle entre chiites et sunnites au Moyen-Orient. Cette montée des tensions entre les deux puissances rivales de la région est trop rapidement réduite à un conflit confessionnel entre sunnites et chiites. Pour y voir plus clair, voici un résumé de ce qui lie, différencie et oppose ces deux grandes familles de l’islam.

Une division historique

La division entre sunnisme et chiisme est historiquement le fruit d’un conflit de succession, après la mort du prophète, en 632 à Médine, dans l’actuelle Arabie saoudite. Les compagnons du prophète choisissent l’un d’entre eux, Abou Bakr, en conclave selon la tradition tribale. Selon les chiites, le pouvoir légitime revenait en droit aux descendants directs du prophète, par sa fille Fatima et son gendre Ali. Ecarté du pouvoir, ce dernier deviendra, vingt-cinq ans plus tard, le quatrième calife. Son règne, contesté par Mouawiya, un proche du troisième calife, Osman, assassiné, se termine dans la confusion et il meurt tué par d’anciens partisans devenus dissidents, les kharidjites.

Hussein, le fils d’Ali, qui se soulève contre l’autorité du calife Mouawiya, installé à Damas, sera tué lors de la bataille de Kerbala, en 680. Les chiites révèrent Ali, ses descendants et successeurs comme les « douze imams », persécutés, qui servent d’intermédiaires entre les croyants et Dieu. L’islam sunnite, lui, se voit comme la continuité des premiers califes de l’islam, qui ont conservé intacts et fait observer les commandements de Mahomet.

Une différence de doctrine

Le sunnisme, qui rassemble environ 85 % des musulmans, tend à se définir par opposition aux sectes qui ont parcouru l’histoire de l’islam, en premier lieu le chiisme, et revendique un idéal de consensus. Il se veut fidèle aux origines et pur d’influences étrangères, bien qu’il comprenne une grande variété d’interprétations et de traditions.

Il se définit par l’acceptation du Coran, parole de Dieu, et des enseignements et exemples donnés par le prophète, transmis sous forme de récits et d’informations (« ?adith » et « khabar »). Il opère un constant retour à ces textes.

Le chiisme partage ces sources fondamentales. Il est, lui aussi, très diversifié. Sa branche principale (« duodécimaine ») est caractérisée par le culte des douze imams et l’attente du retour du dernier d’entre eux, Al-Mahdi, « occulté » en 874 aux yeux des hommes mais toujours vivant, qui doit réapparaître à la fin des temps. En son absence, le clergé est investi d’une autorité particulière : il permet une médiation de l’autorité divine. Les religieux chiites sont structurés en une véritable hiérarchie cléricale, à la différence des oulémas (théologiens) sunnites.

Quelle répartition géographique ?

Le sunnisme est majoritaire au Maghreb et en Afrique noire, en Libye et en Egypte, en Turquie, en Arabie saoudite et dans le Golfe, en Syrie, en Afghanistan et au Pakistan, en Inde et en Indonésie. Les chiites sont majoritaires en Iran, en Irak, à Bahreïn et en Azerbaïdjan, et significativement présents au Liban, au Yémen et en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan et en Inde.

  • Voir aussi : Carte interactive : où vivent chiites et sunnites au Moyen-Orient
  • Des rivalités exacerbées par les luttes politiques
  • Les divisions entre sunnites et chiites fluctuent à travers l’Histoire, selon les luttes politiques. Au XVIe siècle, la dynastie safavide, qui impose le chiisme en Iran, combat ainsi la Turquie ottomane, sunnite, même si la religion n’explique qu’en partie leur différend.
  • A l’époque moderne, en 1979, la révolution islamique iranienne polarise le Moyen-Orient. La volonté iranienne d’exporter sa révolution et sa politique de soutien à des groupes armés chiites, en premier lieu le Hezbollah, au Liban, mais aussi au Koweït, cristallisent les rivalités avec les pays arabes sunnites de la région, qui soutiennent Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Au même moment l’Arabie saoudite, où le wahhabisme, un courant du sunnisme ultrarigoriste et antichiite, est religion d’Etat, soutient le djihad antisoviétique en Afghanistan. Al-Qaida s’y forgera.En 2003, l’invasion américaine de l’Irak déclenche une guerre civile entre chiites et sunnites irakiens. La branche irakienne d’Al-Qaida y développe un djihad spécifiquement antichiite, et forme, avec le renfort d’anciens cadres du régime de Saddam Hussein, la matrice de l’actuelle organisation Etat islamique (EI). Celle-ci profite aujourd’hui du ressentiment des populations sunnites d’Irak contre le gouvernement dominé par les partis chiites, et sous influence iranienne. L’EI a par ailleurs mené des attentats terroristes contre des communautés chiites loin de ses lignes de front d’Irak et de Syrie, jusqu’en Arabie saoudite, au Koweït, au Yémen et au Liban.

    En 2011, dans la foulée des « printemps arabes », la Syrie bascule dans la guerre civile. La répression du régime, tenu par la minorité alaouite (une branche du chiisme) à laquelle appartient la famille Assad, a favorisé la montée en puissance d’un extrémisme sunnite, communauté dont est issue la quasi-totalité de la rébellion anti-Assad. Par la suite, le régime a libéré des prisonniers djihadistes sunnites, dont certains ont rejoint l’EI, le Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) et des groupes radicaux, afin de diviser et discréditer l’opposition comme la rébellion.

  • Une rivalité mise en scène par l’Iran et l’Arabie saoudite
  • Le conflit syrien est devenu un terrain d’affrontement, par alliés interposés, entre l’Iran, dont les forces et les milices chiites internationales (Liban, Irak, Afghanistan) combattent aux côtés des troupes régulières et de la Russie, et les puissances sunnites que sont l’Arabie saoudite, la Turquie et les monarchies du Golfe, qui appuient des groupes rebelles.

    Arrivé au pouvoir en janvier 2015 en Arabie saoudite, le roi Salmane a adopté une stratégie agressive pour contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient. Ce raidissement s’est matérialisé par l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, en mars 2015. Le royaume saoudien, qui a formé une coalition de neuf pays arabes sunnites, cherchait à empêcher la rébellion des houthistes, de confession zaïdite (une branche du chiisme), alliés à l’Iran, de s’emparer de son voisin du Sud.

  • Louis Imbert

Source : Le Monde.fr 08/01/2016

Face au ralentissement chinois, l’exception vietnamienne

Le Vietnam se distingue par sa vitalité, qu’il doit à ses exportations, au développement de ses services, mais aussi à sa capacité à attirer les investissements étrangers - Shutterstock

Les pays d’Asie du Sud-Est sont diversement affectés par le coup de frein chinois.

Le ralentissement de l’économie chinoise ne cesse de se confirmer et pèse sur toute la région. «  Certains secteurs de l’économie chinoise sont en train d’atterrir durement, comme le bâtiment et l’industrie, mais les services se développent correctement. Il y a néanmoins une très forte volatilité de la politique économique. Ce sera un atterrissage cahoteux », estime Michala Marcussen, chef économiste de la Société Générale.

Il y a des victimes collatérales : Hong Kong, la Mongolie et Singapour pâtissent le plus de la faiblesse de ce puissant voisin, souligne une récente étude de Coface. « Le risque se diffuse des grands émergents vers les petits via les canaux des matières premières, du commerce et des transferts. Beaucoup de devises émergentes se sont dépréciées depuis le mois d’août par rapport au dollar », observe Julien Marcilly, économiste en chef de Coface. Hong Kong comme Singapour sont affectés parce qu’ils sont très intégrés commercialement avec la Chine, mais aussi par leurs marchés financiers. La Mongolie est encore plus dépendante puisque 90 % de ses exportations, essentiellement des matières premières, sont à destination de la Chine.

Si la Malaisie et l’Indonésie souffrent également de leurs liens commerciaux avec Pékin, il existe – en plus de l’Inde – une exception notable dans la région : le Vietnam. Avec une croissance de 6,81 % au troisième trimestre, le pays se distingue par sa vitalité. Il la doit à ses exportations (+ 9,6 % sur neuf mois par rapport à un an plus tôt) et au développement de ses services, mais aussi à sa capacité à attirer les investissements étrangers. « Il y a une population qualifiée au Vietnam, des infrastructures de qualité et des niveaux de salaires inférieurs à ceux de la Chine », explique Charlie Carré, économiste Asie chez Coface.

Des constructeurs automobiles comme des fournisseurs de produits technologiques (Samsung, notamment) y ont délocalisé leurs usines. Un autre atout : en plus du textile, le Vietnam fait de plus en plus d’assemblages qu’il exporte d’abord vers les Etats-Unis et la zone euro . Une inflation en baisse (autour de 1 %), grâce à la chute des prix énergétiques, galvanise aussi la consommation des ménages et la création d’entreprises (+29 % cette année). De la même manière, « l’Inde et les pays de l’Asean n’ont pas tant besoin que cela des exportations pour croître. La consommation intérieure et la demande d’investissement sont des moteurs plus importants que les exportations », constate pour sa part Elke Speidel-Walz, chef économiste pour les marchés émergents chez Deutsche Asset & Wealth Management. Mais, pour susciter les investissements, il faut accélérer les réformes. C’est ce que tente l’Indonésie, qui affiche des manques en termes tant de gouvernance que d’éducation ou d’infrastructures. Elle vient d’annoncer des procédures accélérées pour créer des sociétés dans les parcs industriels et des incitations fiscales pour que les bénéfices restent dans le pays.

C’est aussi ce que doit faire le Vietnam, qui reste un «  pays avec une économie “duale” fragilisée par de nombreuses entreprises publiques peu rentables, un secteur bancaire faible car trop connecté à ces entreprises et un Etat très endetté », observe Charlie Carré.

Virginie Robert

Source Les Echos 29/09/2015

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Festival International du documentaire. Un autre regard sur l’actualité et sur l’histoire

urlCinéma. La 14e édition du Festival International du documentaire en Cévennes bat son plein jusqu’à ce soir. Rendez-vous à Lasalle pour refaire le monde.

A Lasalle rendue célèbre par le film Bien de chez nous réalisé par son maire Henri de Latour, les membres de l’association Champ contre champ ont planché cette année autour du thème C’est pour quand ? Tout pourrait rester autour du point d’interrogation mais il n’en est rien, car les soixante films programmés cette année sont autant d’éléments de réponse.

Dans ce village d’irréductibles de 1100 habitants chacun des auteurs est considéré comme un citoyen actif et donc comme porteur de solution. A l’occasion du festival les amoureux du documentaire double la population. « L’année dernière nous avons fait 5 900 entrées, indique Jacques Monteil durant le festival nous aménageons quatre salles de projection. Durant l’année la population désormais cinéphile bénéficie d’une scéance par semaine grâce à un dispositif de cinéma itinérant qui circule dans les Cévennes.

La décentralisation figure parmi les innovations de cette édition puisque le festival embrasse plusieurs vallées du Parc national ce qui lui permet de se diffuser sur l’Hérault, le Gard et la Lozère dont ont espère bien obtenir un soutien du conseil départemental l’année prochaine. Autre nouveauté, l’émergence de la catégorie de web documentaire.

Trois films seront montés en ligne avec une participation scénographique des internautes. Parmi les temps fort, on découvrira neuf films québécois dont les sujets proposent une vision très mondialisée. A ne pas manquer le coup de projecteur sur le travail du réalisateur indonésien Joshua Oppenheimer avec la diffusion de son dyptique : The act of Killing suivi  de The look of silence autour de la tragédie indonésienne de 1965 perpétrée par l’armée du général Suharto qui fit 500 000 victimes avec la bénédiction des Etats-Unis.

Son travail transforme les codes du documentaire de manière provocatrice en unissant réalité et fiction. Une mise en abîme de la culpabilité des assassins et peut être des voyeurs que nous sommes. Ces projections seront complétées par une conférence avec Amnesty International A propos du rapport à l’actualité, Jacques Monteil précise : « Dans le choix de son sujet, le documentariste exprime ce qui lui paraît urgent pour faire contre poids aux grands médias. Ils use de sa caméra pour écrire sa vision, interroge les gens et fait lien.»

JMDH

Source La Marseillaise : 16//2015

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