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L’Union européenne est décidément une étrange construction. Il est impératif d’être une démocratie pour y entrer. C’est même l’unique critère. Les élargissements hâtifs et désordonnés aux PECO (pays d’Europe centrale et orientale) opérés en 2004 et 2007 en furent une illustration. En revanche, une fois admis dans le club, requérir à son profit le respect des règles élémentaires de la démocratie est jugé avec sévérité, et donne le plus souvent lieu à des procès en «populisme».
Les menues imperfections antidémocratiques de l’édifice communautaire sont connues de tous les observateurs sincères. En revanche, jamais jusque-là un dirigeant européen n’avait eu le culot de les reconnaître. Jean-Claude Junker vient de s’en charger, sous le coup de la forte émotion qui s’est emparé des tous les défenseurs de l’Union lisbonno-mastrichienne après la large victoire de Syriza en Grèce le 25 janvier.
Certains ont eu de la fièvre et des suées. D’autres se sont mis à dire sans précaution tout ce qu’ils avaient vraiment dans la tête, à l’instar du président de la Commission européenne. Ce dernier est entré directement à la première place du «Top10» des propos les plus invraisemblables proférés la semaine dernière avec cette sortie: «dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités (…) Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens»
Pas de choix démocratique contre les traités européens…: pour un aveu, il est de taille! C’est d’ailleurs un authentique progrès pour un Jean-Claude Juncker dont on peut penser qu’il est en phase de rémission. Tous les psys le disent: pour expurger une névrose, il faut ver-ba-li-ser. Il serait donc très encourageant que le Luxembourgeois poursuive cette opération vérité. Et qu’il pousse l’audace jusqu’à concéder ceci: il n’y a pas vraiment de choix démocratique non plus pour les traités européens.
Cette réalité, encore faudrait-t-il que Junker accepte de la regarder en face. Peut-être peut-on l’y aider ? Rappelons-lui dès à présent quelques faits saillants ayant pris place dans un passé récent.
Au début des années 2000, l’Union européenne veut se doter du traité de Nice. L’Irlande, en vertu de ses institutions, doit convoquer ses électeurs aux urnes pour une ratification référendaire. Le référendum a lieu en juin 2001 et… 54% des votants irlandais rejettent le texte. On laisse alors passer un peu de temps Les peuples, c’est connu, sont oublieux. Un an et demi plus tard, le corps électoral irlandais est à nouveau mobilisé et, cette fois, il vote en faveur du traité de Nice. Du coup, puisque l’entourloupe a réussi une fois, pourquoi ne pas en abuser? Ce sera chose faite avec le traité de Lisbonne. En 2008, les Irlandais sont appelés à se prononcer sur celui-ci et répondent par la négative à 53% Un vote qui sera «corrigé» l’année d’après par un re-vote, afin que le «oui» l’emporte enfin.
Au Pays-Bas, on est moins téméraire. On ne sollicite pas deux fois les mal-votants car c’est dangereux: le peuple étant stupide, il arrive qu’il persiste dans la déviance. Là, quand les citoyens votent de travers, on recourt donc à leurs «représentants», qui acceptent de se transformer de bonne grâce en censeurs de leurs propres mandants. Ainsi, à la question «Êtes-vous pour ou contre l’approbation par les Pays-Bas du traité établissant une constitution pour l’Europe?», les Néerlandais avait répondu «contre» à plus de 61% en 2005. Trois ans plus tard, leur Parlement votait sans moufter le même texte, rebaptisé pour faire bien «traité de Lisbonne».
En France, nous eûmes la chance d’avoir les mêmes gros malins, pour nous écrire le même scénario. Ainsi, alors que le référendum sur le projet de traité constitutionnel organisé en mai 2005 avait placé le «non» à plus de 54 %, le Parlement adopta Lisbonne dans la joie et la bonne humeur dès 2008. Pour l’occasion, les parlementaires du Parti socialiste apportèrent un soutien touchant à leurs collègues de l’UMP, puisque 142 d’entre eux décidèrent de s’abstenir. N’écoutant que leur enthousiasme, trente environ allèrent jusqu’à voter pour. Un coup de pouce bien sympathique, qui permit à Nicolas Sarkozy d’obtenir la majorité des trois cinquièmes au Congrès dont il avait besoin pour nous glisser le traité. Après ça, il se trouve encore de braves ingénus pour s’étonner, des larmes plein les yeux, des scores mirobolants du Front national….
Bref, comme le dit Jean-Claude Junker, il n’y a pas de choix démocratique possible contre les traités européens déjà ratifiés. Mais, on vient de le voir, il n’y a pas non plus de choix qui permette qu’un traité européen ne soit pas ratifié. Or… s’il n’y a pas de choix possible quant à des textes de valeur quasi-constitutionnelle qui encadrent, dans de très nombreux domaines, la conduite des politiques nationales, peut-on nous dire ce qu’il reste, exactement, de la démocratie ?
Coralie Delaume
Coralie Delaume est journaliste. Elle a notamment publié «Europe. Les Etats désunis» (Michalon, 2014).
Source : Le Figaro vox 02/02/2015
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