Thomas Piketty animera la séance inaugurale ce soir au rectorat. Photo DR
Festival de Radio France. L’hypothèse joyeuse combat le discours de la déploration aux 29e Rencontres de Pétrarque qui débutent ce soir au Rectorat et se poursuivront jusqu’au 18 juillet.
Dans le cadre du festival Radio France, les 29e Rencontres de Pétrarque* débutent aujourd’hui à Montpellier. Elles se tiendront jusqu’au 18 juillet sur le thème « De beaux Lendemains ? Ensemble, repensons le progrès ».
Lundi, Thomas Piketty ouvrira le bal des neurones au rectorat avec une attendue leçon inaugurale. L’économiste est cette année le lauréat du Prix Pétrarque de l’Essai France Culture Le Monde pour son livre Le Capital au XXIème siècle paru au Seuil. Un ouvrage qui porte sur le retour en force des inégalités dans lequel Thomas Piketty émet l’idée que supprimer la catégorie des rentiers, peu active économiquement, mais dominant pourtant la hiérarchie, permettrait de dynamiser la croissance économique.
Ces rencontres interrogeront la notion de progrès sous l’angle du politique. La soirée du mardi 15 juillet a pour thème « La politique peut-elle se passer de l’idée de progrès » ou en d’autres termes l’idée répandue d’un peuple de gauche progressiste dans l’âme et d’un peuple de droite conservateur par nature ayant vécu, comment mobiliser l’imaginaire collectif ?
Elle réunira Cécile Duflot et la philosophe Blandine Kriegel, ex députée communiste devenue conseillère de Jacques Chirac et ex membre du Comité consultatif national d’éthique. Les lumières du physicien Etienne Klein spécialiste de la physique quantique seront peut être utiles à ce débat.
Mercredi les Rencontres se proposent de répondre à la question
« La révolution technologique nous promet-elle un monde meilleur ? »
Jeudi, il s’agira du déclin de l’occident et de la ré-émergence du progrès en provenance d’autres latitudes, l’Inde, la Chine, l’Afrique. Mais il sera vraisemblablement difficile de contourner l’ethnocentrisme vu que trois des quatre invités sont des intellectuels français reconnus.
Retour à la finance vendredi 18 avec un débat sur le thème : « Peut-on remettre l’économie au service du progrès ? » où l’on guettera l’intervention de l’économiste Gérard Dumenil, auteur de La Grande bifurcation (La Découverte) dans lequel il défend l’idée d’une structure de classes tripolaire comprenant capitalistes, cadres et classes populaires, et conçoit la réouverture des voies du progrès dans de nouvelles coalitions.
Jean-Marie Dinh
* Du 14 au 18 juillet de 17h30 à 19h30 Rectorat, rue de l’université à Montpellier.
Entretien avec Sandrine Treiner, directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial.
Sandrine Treiner. Photo France Culture
« De beaux Lendemains ? » « Ensemble, repensons le progrès ». Comment décrypter cette thématique à tiroir ?
Depuis plusieurs années nous nous étions positionnés sur des thématiques un peu pessimistes comme La crise démocratique ou Guerre et Paix l’année dernière, quand nous avions été rattrapés par l’actu. En préparant cette édition, nous nous sommes dit que nous nous laissions un peu porter par l’état d’esprit de la France et qu’il serait temps de proposer à nos invités de faire l’effort d’envisager l’avenir de manière positive et dynamique.
La notion de progrès porte interrogation. Elle nous renvoie une dimension idéologique qui est aujourd’hui totalement bouleversée…
Le terme progrès est en effet porteur d’une idéologie qui semble en panne. Sur ce point la question se pose à droite comme à gauche. Nous allons tenter de travailler ce que veut dire l’idée de progrès aujourd’hui en déclinant notre sujet à partir de grands thèmes qui remettent en cause l’idée de l’avenir comme la révolution technologique, le déclin de l’occident, l’orientation des politiques économiques…
Comment se porte France Culture ?
Très bien, je pense que les gens sont de plus en plus demandeurs de sens et que nous répondons à notre mission qui est à la fois de réinventer et d’éclairer le monde sur une base d’ouverture et de connaissances. En quatre ans notre audience a évolué de 22% passant de 1,6 à 2,1%. Nous avons passé la barre d’un million d’auditeurs/jour. En conservant notre public d’aficionados et en élargissant notre audience à des personnes qui ne pensaient pas que France Culture pouvait s’adresser à elles.
Quelle seront les innovations de la grille de rentrée ?
La grille sera assez stable dans l’ensemble. Il n’y aura pas de grand changement dans les fondamentaux, parce que ça marche bien et que nous avons déjà opéré beaucoup de modifications depuis quatre ans. Denis Podalydès, sera une nouvelle voix quotidienne pour la littérature.
Le changement le plus important n’est pas forcément visible. Il a consisté à rendre la grille lisible. Nous avions beaucoup d’émissions thématiques éparpillées. Nous avons reclassé un peu comme on reclasse sa bibliothèque. Nous avons aussi rajeuni et féminisé l’équipe. Enfin on a réchauffé l’actu en proposant beaucoup plus de directs.
Craignez-vous des réductions budgétaires ?
Nous en avons déjà connu l’an dernier et sommes parvenus à faire des économies en évitant d’impacter les productions. Pour cette année notre budget ne sera pas en augmentation mais rien ne dit qu’il sera une nouvelle fois revu à la baisse.
C’est le secret le mieux gardé de la République : il n’y a plus de gouvernement. Mais y a-t-il encore un président ? L’affaire de la vraie fausse démission d’Arnaud Montebourg n’est pas un nouveau couac suivi d’un démenti de plus. Elle dit la lutte pour le pouvoir qui s’intensifie dans le vide laissé par la gestion erratique de François Hollande.
C’est le secret le mieux gardé de la République. Il n’y a plus de gouvernement. Bien sûr, il y a encore des ministres qui se rendent à l’Élysée chaque mercredi. Il y a toujours un premier ministre qui s’efforce de conserver sa majorité à l’Assemblée. Mais il n’y a plus de gouvernement. Serait-ce, comme l’écrivait François Mitterrand dans Le Coup d’État permanent, que sous la Ve République « seul le président de la République ordonne et décide » ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, y a-t-il encore un président à l’Élysée ?
La question n’est plus taboue dans les coulisses du pouvoir. Le doute s’insinue jusque chez ses plus fidèles collaborateurs. Pour certains, nous sommes à la veille d’une crise de régime qui pourrait emprunter les chemins de la dissolution. Pour d’autres, le temps d’une recomposition de la gauche a commencé sur les ruines du vieux parti socialiste. Pour d’autres enfin, l’« après hollandisme » a commencé.
« Hollande le Bref » ou l’obsolescence programmée de la fonction présidentielle. Aux partisans d’une VIe République, il offrirait à la fois le déclin du régime présidentiel et une reparlementarisation de la vie politique sans même changer de Constitution. C’est une stratégie que certains au gouvernement pratiquent déjà ouvertement, comme ce fut le cas en mars lorsqu’ils décidèrent de mettre sous tension la fonction présidentielle en imposant au président de la République le choix de Valls comme premier ministre, une prérogative qui est pourtant un marqueur de la Ve République.
L’affaire de la démission annoncée d’Arnaud Montebourg, explicitée cette semaine dansLe Nouvel Observateur et aussitôt démentie par l’intéressé, vient s’ajouter à la longue liste des couacs, coups de gueule et autres escarmouches qui nourrissent depuis deux ans la chronique de la cacophonie gouvernementale. Du renvoi de Nicole Bricq du ministère de l’écologie un mois après sa nomination, au limogeage brutal de Delphine Batho avant l’été 2013 pour crime de lèse budget ; de la démission annoncée puis abandonnée d’Arnaud Montebourg, désavoué publiquement par Matignon à propos de Florange, à la démission forcée de Jérôme Cahuzac, coupable d’avoir menti aux plus hautes autorités de l’État, le casting gouvernemental est soumis à rude épreuve.
Comment l’interpréter ? Jusque-là, on l’imputait au défaut de leadership de Jean-Marc Ayrault. Avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, la guéguerre a pourtant redoublé d’intensité entre tribus socialistes. Depuis le mois de mars, elle a gagné les bancs de l’Assemblée où les opposants au gouvernement se comptent : ils étaient 11 conjurés au début, lors du discours de politique générale de Manuel Valls ; plus de 40 à s’abstenir sur le plan de 50 milliards d’économies des dépenses publiques, et voilà qu’ils lancent l’« Appel des cent ». Mais si on les interrogeait sous couvert d’anonymat, me dit un député socialiste, les deux tiers du groupe socialiste seraient d’accord avec les frondeurs.
À Solférino, on réclame un chef, capable de livrer bataille. Le parterre s’impatiente. Quand la bataille des idées s’éteint, que les projets de transformation cèdent la place aux calculs des comptables, le vieux bonapartisme renaît de ses cendres. Déjà Valls perce sous Hollande. Il a entamé sa marche sur Rome ; « sa marche sur les Roms », rectifie un député frondeur !
Ainsi va la France « personnalisée », écrivait Mitterrand…« Je connais des Français qui s’en émerveillent, qui ne sont pas choqués de voir leur patrie réduite aux dimensions d’un homme… Ils ont du vague à l’âme dès qu’ils sont privés du frisson que leur procure le meilleur artiste de la télévision, le dernier des monstres sacrés… Ils ont hâte de voir une tête dépasser le rang et d’obéir à la vieille musique du droit divin tirée de la mythologie du moment. » Ces lignes ont été écrites par François Mitterrand il y a un demi-siècle et elles n’ont rien perdu de leur actualité.
C’est que rien n’a changé ! Nous sommes sous le même régime dont les effets de personnalisation ont été aggravés par l’apparition des chaînes d’info en continu. Depuis trente ans, alors que la vie politique médiatique se concentre de plus en plus sur la conquête du pouvoir présidentiel – l’élection au suffrage universel devenant non seulement le moment clé de la vie démocratique, mais l’élément qui surdétermine entre deux élections toutes les stratégies des acteurs –, les attributions du président se dissipent, se dispersent. Les enjeux nationaux se réduisent à l’élection ou la réélection d’un homme. La Nation réduite aux dimensions d’un homme…
Cette personnalisation s’accompagne d’une « virilisation » de la politique. Triomphe des postures martiales et des coups de menton. Cécile Duflot souligne à ce propos un paradoxe intéressant : « Plus l’exercice du pouvoir se révèle difficile dans un monde mouvant et complexe, plus les caractéristiques que l’on attend d’un homme politique se durcissent, se virilisent : mâchoire carrée, menton en avant, discours martial. Cela crée une sorte de dissonance cognitive entre l’idéal type du mec autoritaire et le fait qu’on voit bien qu’il ne tient rien. »
Plus l’État est désarmé, plus il doit afficher son volontarisme. La posture du « volontarisme » néolibéral est la forme que prend la volonté politique lorsque le pouvoir est privé de ses moyens d’agir. Mais sa crédibilité est gagée sur la puissance effective de l’État. Si cette volonté affichée n’est pas suivie d’effets, le volontarisme est démasqué comme une posture. Il faut donc qu’il redouble d’intensité, qu’il s’affiche avec plus de force pour se recrédibiliser, démonstration qui va accentuer encore le sentiment d’impuissance de l’État.
Cette personnalisation s’accompagne d’une « virilisation » de la politique. Triomphe des postures martiales et des coups de menton. Cécile Duflot souligne à ce propos un paradoxe intéressant : « Plus l’exercice du pouvoir se révèle difficile dans un monde mouvant et complexe, plus les caractéristiques que l’on attend d’un homme politique se durcissent, se virilisent : mâchoire carrée, menton en avant, discours martial. Cela crée une sorte de dissonance cognitive entre l’idéal type du mec autoritaire et le fait qu’on voit bien qu’il ne tient rien. »
Plus l’État est désarmé, plus il doit afficher son volontarisme. La posture du « volontarisme » néolibéral est la forme que prend la volonté politique lorsque le pouvoir est privé de ses moyens d’agir. Mais sa crédibilité est gagée sur la puissance effective de l’État. Si cette volonté affichée n’est pas suivie d’effets, le volontarisme est démasqué comme une posture. Il faut donc qu’il redouble d’intensité, qu’il s’affiche avec plus de force pour se recrédibiliser, démonstration qui va accentuer encore le sentiment d’impuissance de l’État.
La « dorsale libérale »
C’est la spirale de la perte de légitimité. Et c’est ce que n’a cessé de faire François Hollande depuis deux ans. « Je suis en ordre de bataille. Je suis le chef de cette bataille. J’avance », affirmait-il, bravache, au début de son mandat, essayant de recycler ses galons de chef de guerre obtenus au Mali dans la bataille pour l’emploi. Il allait renégocier le traité européen, réveiller la croissance, redonner confiance aux investisseurs et, comme Hercule retournant Lichas, inverser la courbe du chômage.
Il décréta la pause fiscale qui ne vint jamais, déclara prématurément la guerre en Syrie, stoppée par le veto de Washington, et se vit obligé de rappeler Leonarda que son ministre de l’intérieur avait expulsée, mais sans ses parents…
L’histoire de Florange est exemplaire, me confie un ex-ministre : « Le président a laissé prospérer deux solutions opposées au lieu de mettre tout le monde autour de la table et de faire converger les points de vue. Il a laissé diverger les deux options et il a tranché quand c’était trop tard. » Quels que soient les sujets : Florange, mariage pour tous, droit de vote des étrangers, transition énergétique, réforme pénale, « il a tranché la où il fallait rassembler et il a tenté de rassembler là où il fallait trancher ».
La chronique du hollandisme n’est qu’une suite de couacs, d’annonces démenties et de décisions non suivies d’effets. « Mépriser les hauts et repriser les bas », disait Chirac. Hollande se contente de la seconde partie du programme. « Reprise » est la devise de son quinquennat. C’est la partition du hollandisme. Hollande n’exerce pas le pouvoir, il l’interprète.
Depuis deux ans, il donne de la fonction présidentielle une interprétation toute en nuances, composant par petites touches l’autoportrait d’un prince paradoxal, soumis aux injonctions contradictoires de l’austérité et de la croissance, du désendettement et du redressement. Un président à souveraineté limitée, conforme à la situation des États européens, contenue par le corset étroit des règlements qu’a tissés l’Union européenne depuis le traité de Maastricht, soumis à la tutelle des marchés et des agences de notation. Un conseiller de Bercy constate amèrement : « On mobilise plus d’efforts diplomatiques pour défendre la BNP aux États-Unis qu’on ne l’a fait pour défendre les marges budgétaires et la réorientation de l’Europe. »
« En juin 2012, me confie un ex-ministre, François Hollande est allé à Bruxelles pour renégocier le traité européen. Nous savons maintenant qu’il ne l’a pas fait. Il a demandé deux années de non-application du traité contre l’abandon de sa politique de croissance. Il a demandé du temps. Ce n’est pas une négociation ça. Il a demandé deux ans pour appliquer un traité alors qu’il avait été élu pour le renégocier. »
Un ex-conseiller de Bercy ne mâche pas ses mots : « Ce qui manque à cette équipe, c’est une architecture intellectuelle solide, capable d’opposer à la logique ordo-libérale allemande une stratégie et une alternative. Tout cela s’explique non pas par la mauvaise foi, mais par la foi justement, la croyance collective dans la performativité des normes juridiques contenues dans les traités. C’est la foi des comptables du Trésor, des juristes, des hauts fonctionnaires, très compétents en matière de normes mais qui ne sont pas économistes… Tout cela a eu pour effet de déporter l’analyse de la conduite des affaires, de l’intelligence des mécanismes de base et des lois économiques vers le juridisme des négociations diplomatiques inter-européennes. Les leçons de l’histoire économique sont oubliées au profit de rituels d’obéissance et de sacrifices. À la connaissance des lois économiques, on préfère les invocations empruntées à la novlangue européenne (restaurer la confiance, rembourser, efforts, sérieux)… qui percole dans les élites. Une grammaire du renoncement… »
Le nouveau gouvernement a ancré toute sa politique dans la négociation inter-européenne en acceptant le cadre et les présupposés (les 3 %, l’euro fort, le Code du travail)… La peur des marchés, qui a pris la forme d’une véritable paranoïa dans les premiers mois du quinquennat, l’a conduit à sous-estimer la capacité de la BCE à agir sur les taux par exemple, et à permettre des politiques de court terme pour relancer la croissance, qui seule permet de réduire la dette.
Tout le champ de la politique a été laissé au néolibéralisme anglo-saxon (dérégulation, intervention de l’État, financiarisation) et à l’ordo-libéralisme allemand rigide (empire de la norme, la faute de l’endettement, la rigueur budgétaire réparatrice…). Les contradictions entre le FMI et la politique européenne menée sous influence allemande s’expliquent par l’opposition de ces deux libéralismes…
« La dorsale libérale de ce gouvernement a adopté tous les thèmes bruxellois, s’emporte un actuel conseiller de Bercy, forteresse de l’économie désormais occupée par Arnaud Montebourg. Pendant que le ministre s’égosillait sur l’euro, sur les comportements de la commission de Bruxelles, eux jouaient aux bons élèves de la classe européenne. Sur les affaires budgétaires, on est les caniches, les toutous de la commission de Bruxelles qui elle-même est contestée par le monde entier, du FMI à l’OCDE et jusqu’au gouvernement américain… Depuis deux ans, nous plaidons au sein de ce gouvernement pour une politique alternative ; deux années d’isolement, de combat intérieur, de désolation et de défaite morale. »
« Florange est la victoire de Mittal qui paye son endettement personnel avec les bijoux de famille industriels de la France, renchérit un autre conseiller du ministère de l’économie. La loi bancaire a réjoui les banquiers et, quand un banquier est content, c’est inquiétant. Kron, le PDG d’Alstom, c’est la trahison des clercs. Il s’est essuyé les pieds sur le pouvoir politique. Il a dit aux Américains : “Vous me sauvez des accusations de corruption et je vous donne Alstom.” »
La forme ultime de l’insouveraineté
Toutes sortes de raisons (erreurs de communication, absence d’un récit cohérent, amateurisme dans la conduite du gouvernement) ont été invoquées par les médias pour expliquer cette « gestion » erratique du pouvoir. En réalité, aucune ne permet de saisir la logique à l’œuvre : une perte de souveraineté qui affecte toutes les instances du pouvoir, et au premier chef la fonction présidentielle. « Le Titanic avait un problème d’iceberg. Pas un problème de communication », twittait récemment Paul Begala, qui fut l’un des architectes de la victoire de Bill Clinton en 1992. C’est la même chose pour François Hollande ; il n’a pas un problème de communication, il a un problème de souveraineté.
« C’est une énigme simple et une équation complexe à deux variables : les institutions + la personnalité, me confie un député. Marx parle, dans Les Luttes de classe en France, du crétinisme parlementaire. Là, on est face au crétinisme présidentiel. Le président n’étaye pas sa pensée. Il refuse le débat interministériel, méprise l’expertise sous forme d’anti-intellectualisme, tout en affichant l’arrogance de la technocratie omnisciente… »
L’homme réputé le plus puissant de la nation est un homme qui doit négocier ses marges de manœuvre avec la commission de Bruxelles ou la chancellerie à Berlin. Le monarque républicain est un homme fragile, malmené par les médias, humilié par les sondages d’opinion, dont la politique ou la moindre déclaration est soumise à la surveillance des marchés et des agences de notation. C’est un souverain sans monnaie ni frontières. Un souverain sans souveraineté.
De la fonction présidentielle ne subsistent que le rituel, le décorum, les huissiers avec leurs chaînes, les hôtels particuliers du Monopoly auquel s’adonne et se distrait l’élite politico-médiatique. Faute de puissance d’agir, reste la mise en scène de la souveraineté perdue ; c’est ce qui donne à l’exercice du pouvoir par François Hollande son côté spectral, crépusculaire, et pas seulement spectaculaire.
Du coup, l’exercice du pouvoir politique est frappé de soupçon ; ce qui donne à la scène politique son aspect de farce insupportable, de comédie des erreurs. Peut-être y a-t-il une forme de lucidité dans le fait d’avoir porté au pouvoir un blagueur. « Gouverner, c’est pleuvoir », a-t-il l’habitude de plaisanter pour relativiser son impuissance. La bonhomie de François Hollande est peut-être un signe des temps. La bulle de blagues dans laquelle il s’enferme le protège du réel qui ne cesse pourtant de frapper à la porte de son palais.
Ces retours du réel constituent une chaîne de démentis. Démenti des chiffres (du chômage, de la croissance). Démenti des événements. Désaveu des électeurs. Un seul désaveu en trois personnes : Mittal, Cahuzac, Le Pen. La crise de la Ve République est une crise de l’action politique, c’est-à-dire une crise des « enchaînements » qui permettent aux gouvernants de réagir par des décisions effectives aux situations qui mettent en péril leur pouvoir (dévaluation, levée de l’impôt, mobilisation, déclaration de guerre, etc.)
C’est peut-être la raison cachée « ironique » du choix de François Hollande par les Français. Nicolas Sarkozy se débattait encore avec une fonction présidentielle affaiblie par le quinquennat, surjouant la familiarité avec les grands de ce monde, traitant son premier ministre de collaborateur, humiliant ses ministres pour tenter de rehausser la fonction. Le candidat normal incarne mieux que quiconque la figure de l’insouverain. François Hollande l’assume sans état d’âme, avec une forme d’abnégation et de bonhomie, en pédagogue, en artisan de l’impuissance. Moi, Président ?, semblait-il s’interroger à l’avance dans sa célèbre anaphore du débat présidentiel de 2012. Son mandat restera comme une école du renoncement.
Car le hold-up initial achève de se retourner contre ses auteurs. Après avoir ravi au gouvernement tous ses pouvoirs, en 1958, le président de la République s’est fait voler son butin au cours d’une série de casses audacieux, avalisés par une série de traités, depuis le traité de Maastricht, en 1992, jusqu’au traité de Lisbonne, en 2007. C’est le moment clé du retournement de la monarchie élective voulue par de Gaulle. En concentrant au sommet de l’État tous les pouvoirs de l’exécutif, la Constitution de la VeRépublique a facilité la tâche des cambrioleurs ; c’était un jeu d’enfant de s’emparer de la souveraineté étatique ! Ces hold-up successifs constituent le véritable coup d’État permanent, un coup d’État contre la souveraineté nationale. Mais, contrairement à celui dénoncé par Mitterrand en 1964, celui-là a été opéré au nez et à la barbe des Français et contre leur volonté explicite exprimée en 2005.
Les ultimes scrupules (ou maladresses) de Jacques Chirac, qui décida d’organiser en 2005 le référendum constitutionnel, n’y ont rien changé. On s’essuya les pieds sur la volonté populaire. Sans doute le processus inauguré à Maastricht était-il trop avancé. Sans doute les classes dirigeantes du pays avaient-elles confondu les bonnes pratiques européennes et les mauvaises habitudes françaises, les choix difficiles et les solutions de facilité, chaque fois qu’il s’est agi de désarmer l’État. On parla de construction européenne quand il eût fallu dire « déconstruction » du cadre de la souveraineté populaire. On fit miroiter les États-Unis d’Europe pendant que l’on démontait la République. On évoqua l’élargissement de l’Europe quand c’était le cadre national qui s’étiolait.
On parla de projet, d’horizon, de dessein quand l’action politique se bornait de plus en plus à faire accepter et appliquer les injonctions venues de Bruxelles. On parla de changement quand il ne s’agissait plus que d’imposer le statu quo des traités européens.
On euphémisa les abandons de souveraineté en les qualifiant de transferts de compétences. François Mitterrand ne se payait pas de mots, lui, quand il déplorait l’attitude du premier ministre sous la Ve République « qui, plutôt que de déplaire à l’hôte de l’Élysée, se dépouille lui-même peu à peu des prérogatives que lui confère la Constitution ». Il parlait de « strip-tease ». Aujourd’hui, ce n’est plus seulement le premier ministre qui se dépouille de ses pouvoirs constitutionnels pour les céder au monarque républicain, c’est le monarque républicain lui-même, depuis Maastricht, qui abandonne un à un ses attributs et ses pouvoirs pour le plus grand plaisir de l’élite néolibérale. Un strip-tease.
La République enlève le haut et le roi est nu. C’est le paradoxe terminal de la VeRépublique. François Hollande est l’enfant d’un paradoxe. Il n’en est pas la cause. Tout au plus une circonstance aggravante. La Ve République finissante lui a laissé ce rôle de composition : une présidence de bas régime. Il est la forme ultime de l’insouveraineté.
Le pouvoir politique en France est d’essence volatile, instable. Ôtez-lui ses gigantesques condensateurs que sont les institutions, et il se disperse, se déverse dans les rues, se répand dans les airs et les esprits. C’est la chimie de la démocratie française, avec ses matériaux inflammables et ses refroidisseurs, avec son lyrisme des rues et sa langue d’État, avec ses brusques révolutions et ses mornes restaurations, avec ses classes dangereuses et ses élites défaitistes, avec ses vagues d’immigration et ses ressacs identitaires, son anarchisme, son irrédentisme et ses reprises en main brutales et parfois sanglantes, Versailles et Valmy.
Les constitutions s’essaient à réguler ces courants contraires. Ce sont des constructions fragiles, des composés chimiques dont la stabilité est faite pour un peuple et une époque donnés. Leur légitimité dépend de leur capacité effective à mobiliser les moyens de l’État à des fins collectives. Cette capacité fonde la croyance en la possibilité d’agir sur le monde et de s’y orienter librement. Les régimes tombent quand ils ne sont plus capables d’assurer cette croyance légitime…
C’est ce qui est en train d’arriver à la Ve République.
Le sociologue Philippe Bataille figure parmi les 60 témoins, dont l’ancien ministre Jean Leonetti, pionnier de la loi sur la fin de vie, cités au procès aux Assises à Pau du Dr Nicolas Bonnemaison, accusé d’avoir donné la mort à sept malades. Ce spécialiste de l’éthique du soin analyse les problématiques de ce procès qui doit se poursuivre jusqu’au 27 juin.
Vous êtes appelé par la défense à comparaître le 19 juin. Pour quelles raisons avez-vous signé la pétition en faveur du docteur Nicolas Bonnemaison ?
Je crains qu’il soit dans une situation somme toute banale faisant que des médecins se retrouvent dans les services d’urgence face à des patients qu’ils ne connaissent pas forcément et qui ont commencé des processus agoniques, dont les effets sont connus par tous, les équipes, les familles et parfois par les malades s’ils sont encore conscients. Il est très classique alors qu’il y ait la possibilité d’aider ces patients à mourir.
En quoi cette affaire interroge-t-elle notre société ?
Elle l’interroge par rapport au décalage qu’il y a entre la loi qui est au service des Français et celle de 2005 dite Leonetti. Cette loi sur la fin de vie en fait n’aborde pas ces questions, ou du moins ne leur offre aucune issue. Nous avons bien aujourd’hui un problème sociologique entre l’état des mœurs et la réalité des pratiques. Les moyens mis en œuvre dans des services qui pourraient être adaptés à l’accompagnement sont dérisoires. Face à l’évolution des mentalités, il y a ce retard considérable des dispositions législatives. François Hollande candidat à la Présidentielle en 2012, avait d’ailleurs formulé la proposition 21. Cette promesse était très engagée, notamment au niveau du programme, sur sa capacité à pouvoir retoucher ou refondre la loi Leonetti.
Ce procès est-il le procès d’un homme, celui de l’euthanasie, de la médecine ou de cette législation inadaptée ?
C’est le procès de la confiance en la médecine. Les situations dont on parle sont des situations qui engagent un médecin, une équipe et qu’il faut appréhender en ayant des protocoles. Tout cela devra être revu. Mais une fois que l’on a dit cela, que fait-on ? Le vide législatif ne permet pas au médecin d’accompagner les malades. Et de fait, les patients perdent confiance en la manière dont peuvent se dérouler leurs derniers jours. On compte plus de 2000 suicides par an pour des raisons de maladie ou de handicap sans issue. De la même manière, on voit se développer le suicide de couples âgés en proie à des inquiétudes profondes. Celles de devoir abandonner l’autre alors qu’il y a un engagement, une parole conjugale et amoureuse. On n’a alors pas envie de voir partir l’autre dans les mains d’une médecine qui ne sait pas s’arrêter. Cette situation existe car aujourd’hui rien ne permet de réaliser une aide active à mourir alors que les processus agoniques ont commencé. On sait depuis des années que la loi Leonetti ne répond pas aux besoins. Tout le monde le dit. Y compris les déplacements de l’ex-ministre pour venir expliquer sa loi jusque dans un procès d’assises le démontrent.
Dans votre dernier ouvrage « A la vie, à la mort : Euthanasie, le grand malentendu », vous avez mené une enquête au sein d’unités de soins palliatifs. Quelle est la réalité de la fin de vie au sein de ces services ?
Elle est contrastée. On a des situations d’accompagnement avec l’idéal de retrouver à la fin de la maladie, à la fin de l’âge, souvent les deux combinés, une mort naturelle que l’on peut proposer à des patients lorsqu’ils se présentent assez tôt dans ces unités de soins palliatifs. Ils vont y passer entre deux et trois semaines avant que la mort ne les emporte. Eventuellement, les derniers jours, ils disposeront d’un sédatif, pour être dans un état d’inconscience au moment de mourir. On aimerait tous tendre vers ce schéma : une mort douce précédée de quelques jours soulagé de toute souffrance. C’est ce que l’on offre, et même si cela existe pour certains, en vérité, cela ne marche pas. J’ai vu dans des services de soins palliatifs des patients arriver assez tôt pour bénéficier d’une telle prise en charge mais qui finissent par demander à leurs proches de ne plus venir les voir. Après deux, voire trois adieux à la famille, la situation perdure et devient profondément inconfortable, jusqu’au moment où surgit un épisode aigu et qu’effectivement la mort les emporte ou qu’une sédation leur soit proposée. On rencontre dans ces services des histoires magnifiques, des accompagnements extraordinaires d’une humanité débordante et en même temps, des patients à qui cela ne correspond pas. Soit parce qu’ils sont fatigués d’y rester aussi longtemps, soit parce qu’ils n’y accèdent pas. Ce qui représente la grande majorité. Et ce n’est pas seulement une question de moyens, d’égalité des territoires, de rareté des services ou des lits. C’est aussi en raison du refus de ces services eux-mêmes d’accueillir des patients au seuil de la mort. L’activité palliative veut offrir un accompagnement long vers une mort naturelle alors que les Français dénoncent et craignent l’agonie.
Quelles sont les pistes à explorer pour parvenir à supporter les contradictions ou du moins une grande partie d’entre elles que nourrit cette problématique ?
Il faut sortir de l’imaginaire fou de la représentation sociale qui dessert la médecine. S’extraire de cette idée qu’il est impératif de protéger les malades de l’acharnement thérapeutique. Les médecins ne sont pas là non plus pour tuer des patients. C’est d’ailleurs un des éléments qui pèsent sur le procès Bonnemaison : on a attrapé un médecin qui pratique des euthanasies clandestines. Or, cela ne correspond en rien à la réalité. Les médecins font ce qu’ils peuvent au mieux et bien souvent en s’engageant personnellement dans leur conduite médicale. Il y a d’une part cette idée que la médecine est dangereuse et de l’autre, celle selon laquelle les individus réclament la mort. Soit le médecin tue, soit le patient veut se faire tuer. Il est quand même assez incroyable de construire des lois sur des représentations sociales fausses et décalées des réalités. La loi Leonetti est une loi de l’interdit. Elle tend à pénaliser toute aide médicale à mourir qu’un médecin pratiquerait. Or je crois qu’on a besoin de cette aide médicale à mourir dans des conditions qui doivent être celles de la collégialité. Comme cela se fait déjà d’ailleurs. Mais cette demande d’abréger des souffrances doit être entendue.
Que la possibilité de permettre à un patient de s’éteindre au moment où il pense qu’il est arrivé à l’extrême de ses limites soit validée par ceux qui sont engagés dans l’acte soignant.
Clairement, c’est autoriser le geste létal ?
Oui. Ou en tout cas, une injection qui soit capable d’emporter un patient lorsque nous sommes dans des situations où le processus agonique a débuté.
La communauté médicale est-elle prête à l’accomplir ?
La loi Leonetti prévoit d’arrêter un acharnement thérapeutique qui va entraîner la mort. Ce dispositif autorise une intention médicale de faire mourir en retirant des éléments artificiels ou qui sont absolument nécessaires à la vie. Mais il est impératif de rentrer dans la reconnaissance de l’intention de mourir, dans la capacité de la médecine à faire mourir en certaines circonstances. Lorsque l’on est éloigné de la mort, on est effectivement dans des situations d’euthanasie interdites, à l’exception de la suspension de l’hydratation et de l’alimentation. En revanche, lorsque l’on est au seuil de la mort, je ne pense pas que l’on puisse parler d’euthanasie. C’est bien d’une aide médicale à partir dont il s’agit. Alors certains déclarent que l’on n’a pas besoin de ce moment d’assistance puisqu’il faut passer par les services de soins palliatifs. Mais tout le monde ne le souhaite pas.
Pensez-vous qu’il est nécessaire de rendre obligatoire les directives anticipées (*) ?
On peut toujours améliorer ce dispositif encore faut-il qu’il soit respecté ! Et puis, il n’est pas évident également que les gens aient envie de les rédiger. Le plus important est de rétablir la confiance entre les Français et leurs médecins, en arrêtant d’accuser ces derniers de l’intention de faire mourir et de faire une loi qui rappelle cet interdit. De la même manière qu’il faut entendre le patient. Faisons en sorte que l’on puisse s’arrêter sur chacun des cas.
D’où la nécessité de légiférer…
Aujourd’hui, il est affirmé une intention politique de faire un pas qui sortirait la France de l’impasse totale dans laquelle elle se trouve puisque tout y est interdit. Cependant, ce pas serait retenu au sens politique du terme, par la menace de la Manif pour Tous et la mobilisation des relais catholiques. Je n’y crois pas. L’Assemblée nationale et le Sénat sont très décidés sur cette question. Alors est-ce que cette activité parlementaire, qui devrait arriver dans un terme assez court, sera un saut qualitatif majeur faisant que le pays puisse s’ouvrir à ces questions en entendant les situations telles qu’elles se passent quotidiennement au sein de l’hôpital français ? Je le souhaite. L’écho sur le procès Bonnemaison est assez intéressant : le monde médical vient de comprendre que la loi Leonetti pouvait aussi se retourner contre lui.
Pour quelles raisons la fin de vie est-elle encore un sujet tabou ?
Il existe plusieurs raisons à cela. Il y a d’une part l’influence du catholicisme sur certaines spécialités médicales, dont les soins palliatifs. Et d’autre part subsiste encore un interdit moral : un héritage européen qui est le procès de Nuremberg et le procès fait à la médecine moderne dans son engagement dans la Shoah et le nazisme. Nuremberg a redéfini l’éthique médicale et a consolidé l’interdit de tuer. Cet héritage très fort renvoie soit à une espèce de valeur morale que la médecine doit faire sienne, soit à l’interdit produit d’une période historique dramatique qui est retravaillé par l’argument moral. Cependant, la médecine a évolué en faisant reculer toutes les frontières, y compris celles de la mort. La traduction heureuse de cela est le vieillissement de la population et cette possibilité d’arriver de manière consciente à certaines extrémités de son corps ou des traitements. Sans oublier enfin l’évolution sociologique sur le rapport au corps. Les patients voient qu’ils avancent vers la mort en raison de l’âge, de la maladie ou du handicap parfois évolutif. Et ils possèdent une capacité de nommer, de rechercher les dimensions personnelles avec ceux qui les entourent ou ceux qui les soignent. Et les malades et les proches expriment désormais le besoin de faire avancer la loi. L’objectif étant que la relation de confiance entre le patient et son médecin puisse faire en sorte que ce dernier ne se sente pas isolé, surveillé et accusé s’il a accompagné son patient dans les derniers moments de sa vie.
La situation actuelle est devenue intenable. Soit l’offre de soins palliatifs est inexistante. Soit elle ne répond pas aux appels des malades. Soit, enfin, elle ne correspond pas à ce que celui qui a lutté tant et tant veut à la toute fin de sa vie. Et là, les directives anticipées ont leur place. Mais nous devons revenir à cette relation particulière entre un médecin et un patient, encore plus lorsque le malade se trouve en extrême vulnérabilité et qu’il dépend totalement de l’autre, qu’il s’agisse de vivre ou de mourir.
C’est une façon de replacer le malade au cœur du débat…
Oui mais je n’oppose pas les droits de l’un contre les droits de l’autre. Les situations évoquées à travers le procès Bonnemaison sont des situations qu’on a largement le temps d’anticiper. Des milliers de personnes meurent dans des camions de pompiers au cours de leur transport. Lorsque les urgentistes sont appelés dans les Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), il est déjà trop tard. On arrive à des cas extrêmes qui font que la médecine elle-même est choquée, brutalisée et amenée à avoir des conduites si elles dérogent à la loi finissent par criminaliser le médecin. Je trouve catastrophique de voir évoluer à la fois les progrès, le confort, une capacité d’aller assez loin dans les traitements tout en gardant une certaine lucidité et en fin de vie une catastrophe totale. Un vide, un désarroi, une incompréhension et dans certains cas où les situations d’attente de la mort se prolongent, de la cruauté.
Entretien réalisé par Sandrine Guidon
Source La Marseillaise 17/06/2014
Philippe Bataille est directeur d’études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales et directeur du Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS), associé au CNRS. Dans le cadre de son enseignement à l’EHESS, il dirige un séminaire intitulé « Sociologie du sujet vulnérable » où il questionne l’éthique du soin et interroge les normes professionnelles à l’œuvre dans le champ sanitaire. Il est membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Il est l’auteur de « À la vie, à la mort. Euthanasie : le grand malentendu » (Autrement « Haut et Fort ».
(*) « Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, a?n de préciser ses souhaits quant à sa ?n de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté ».
REPERES
Ce procès qui s’est ouvert mercredi dernier à Pau, intervient en plein débat sur l’opportunité d’une réforme de la loi Leonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie. François Hollande promet depuis la campagne présidentielle de 2012 une nouvelle loi pour « compléter, améliorer » le texte. Il s’est toujours abstenu de prononcer le mot euthanasie (ou suicide assisté) et a appelé à un accord « large », « sans polémique, sans division » sur cette épineuse question. Il n’y a pas de calendrier précis pour le projet de loi mais il pourrait voir le jour d’ici la fin de l’année.
L’association Alliance Vita, proche de la Manif pour tous, a prévenu que « si le gouvernement prend le risque de bouleverser l’équilibre de la loi Leonetti » sur la fin de vie, il y aura « une vaste mobilisation unitaire dans la rue ».
L’affaire divise aussi le corps médical et une pétition en faveur de Nicolas Bonnemaison a recueilli 60.000 signatures. Selon une étude récente de l’Institut national d’études démographiques (INED), il y aurait chaque année en France quelque 3.000 cas d’euthanasie. En Belgique, où l’euthanasie est autorisée depuis 2002, 1.800 personnes ont opté pour cette fin de vie en 2013. Elles ont été 4.000 en 2012 au Pays-Bas, où la loi a été votée en 2001.
ALAIN HAYOT. L’homme de culture appelle dans son essai « Face au FN, la contre offensive » à une reprise en main du politique face à la consolidation de la droite extrême dans le paysage français.
Docteur en sociologie et anthropologie, professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, délégué national à la culture au PCF, conseiller régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur (groupe Front de Gauche), ancien vice-président de la Région Paca délégué à la Culture et à la Recherche (1998 – 2010), Alain Hayot a été un acteur important du combat victorieux contre le couple Mégret à Vitrolles.
On assiste au retour de l’extrême droite qui, bien que n’ayant jamais disparue du paysage hexagonal, resurgit avec vigueur. A quoi doit on attribuer cette réémergence ?
La droite française a toujours était marquée par une radicalité sur son aile droite qui revient à différentes époques de son parcours, le boulangisme à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus, les années 30, la période de Vichy ou encore le poujadisme sont là pour le rappeler. C’est pourquoi je soutiens que la réémergence que vous évoquez est un peu facilement attribuée au contexte de crise que nous traversons. Si celle-ci touche une partie croissante de la population avec la peur du déclassement qui l’accompagne et nourrit les rangs de l’électorat frontiste, je pense que la réémergence de l’extrême droite ne relève pas seulement de la crise socio-économique. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une véritable crise de civilisation, une crise du sens qui concerne le devenir même de la société humaine. L’extrême droite s’engouffre dans cette crise du sens. Voter FN n’est pas un simple moyen d’exprimer son mécontentement. L’extrême droite se construit comme une alternative à la société, d’autant mieux que la sociale démocratie démontre son impuissance à incarner une alternative au néolibéralisme. La droite nationaliste est engagée dans la reconquête idéologique et culturelle. Elle est en capacité de s’inscrire durablement dans le paysage français.
Elle bénéficie pour cela d’un certain nombre d’éléments politiques et médiatiques qui assurent sa légitimation…
En effet, le processus de reconquête se voit légitimé par une forme d’hégémonie culturelle. Très vite une partie de la droite s’est mise à courir après les thèses de la droite extrême : Sarkozy, Copé, Fillon ont vu là un facteur de recomposition pour l’UMP en crise. A droite, on a assisté à une convergence idéologique qui a trouvé sa traduction électorale dans les urnes lors des dernières municipales. A gauche, depuis l’attitude purement tactique de Mitterrand qui prenait en compte la notion de « seuil de tolérance », le boomerang nous est revenu. On voit aujourd’hui que le FN ne divise plus la droite. Au PS, il y a eu aussi : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde » de Rocard, « Le FN pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses », de Fabius, Valls et les Roms… Je montre dans ce livre que le FN ne pose ni les bonnes questions ni n’apporte les bonnes réponses.
La diabolisation du FN ou le sempiternel pacte républicain comptent à vos yeux parmi les pièges à éviter pour combattre le FN…
La diabolisation est une pratique qui renoue exclusivement l’extrême droite au passé. Il faut garder l’histoire en mémoire, mais cela ne suffit pas parce que le FN a mis à jour sa pensée. L’extrême droite n’est plus une réplique du passé, elle tente de répondre aux enjeux actuels. Le national socialisme parle aux Français d’aujourd’hui et prétend apporter des solutions. Dans le cas du débat sur les Européennes, on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les libéraux et de l’autre les nationaux populistes anti-européens. Dans ce schéma simpliste, le FN apparaît comme une alternative crédible. Il prône le retour à un capitalisme national, protectionniste, chrétien et identitaire, ce qui s’avérerait dans les faits, un projet politique barbare. C’est une escroquerie intellectuelle qu’il faut dénoncer en expliquant vraiment de quoi il retourne.
Et en ce qui concerne la base d’un front républicain…
Je suis contre la mise en place d’un cordon sanitaire autour du FN. F comme fasciste, N comme nazi, ça fait trente ans que l’on entend ces thèmes. Le FN porte un projet qui s’inscrit dans l’histoire de la droite, pas en dehors du système capitaliste, il adopte une autre position que celle du libéralisme mondialisé qu’il faut combattre sur le terrain politique. Laisser penser que le FN est hors système permet au PS d’évacuer le débat de fond. Par ailleurs, il paraît difficile d’évoquer un pacte républicain dans une société qui exclut le peuple du champ de la politique. La réponse à la crise démocratique passe selon moi par la refondation d’un projet politique émancipateur du peuple et de l’individu. Aujourd’hui le pouvoir dépossède les citoyens de la décision. C’est la grande question posée au projet communiste qui a été porteur d’une émancipation collective mais pas individuelle. Le coeur du projet émancipateur aujourd’hui c’est la question de la démocratie, lieu d’émancipation collective et individuelle.
Sur quel terrain le combat doit-il se mener ?
L’extrême droite se réclame du peuple mais l’entraîne dans des voies contraires à ses intérêts. La contre offensive doit se mener sur le terrain social. Il faut relier, reconstruire des liens de solidarité entre les générations, entreprendre une reconquête idéologique et culturelle, rappeler que la nation est une construction historique qui ne se base pas sur l’exclusion, refonder la République laïque, penser l’exercice de la citoyenneté. Bref il faut oser la politique. Marine Le Pen, le PS et l’UMP gèrent le pays avec une boîte à outils, on gère un pays avec des idées, des valeurs.
Ces perspectives sont-elles applicables à l’ensemble de l’UE qui disposera très vraisemblablement d’un groupe d’extrême droite au sein de son Parlement ?
Ce qui se passe en Europe confirme globalement mon analyse. On assiste à une montée impressionnante des populismes qui sont déjà au pouvoir dans certain pays. En France, dans le grand Sud-Est, le Marinisme a de sérieuses chances d’arriver en tête. Il faudra bien se poser les questions que je pose dans mon bouquin…
Brève histoire du néolibéralisme retrace un processus de redistribution des richesses, une « accumulation par dépossession ». La financiarisation, l’extension de la concurrence, les privatisations et les politiques fiscales des États redirigent les richesses du bas vers le haut de la hiérarchie sociale. Les néolibéraux se moquent de l’enrichissement collectif. Ils lui préfèrent celui de quelques-uns, dont ils font partie. Le #néolibéralisme sert les intérêts d’une classe. Plaider en faveur d’un « socialisme libéral » n’a aucun sens. David Harvey s’en prend à certaines organisations non gouvernementales qui, en investissant l’espace laissé vacant par l’État, se donnent une raison d’être. Le néolibéralisme n’est pas une pensée du bien commun. Et pourtant, c’est de cette conception de l’action publique que nous sommes aujourd’hui à la fois héritiers et prisonniers. Le néolibéralisme s’est transformé en institutions. Ces dernières ont produit des dispositifs d’intervention publique, construits sur la durée, qui façonnent des manières d’agir et de penser. À commencer par cette quasi-règle de nos sociétés contemporaines, selon laquelle le marché serait le meilleur outil de satisfaction des besoins humains. Formulée de la sorte, la proposition étonne peut-être. Elle est pourtant le principal pilier de l’édifice. Celui que David Harvey nous invite, en priorité, à abattre.