Nora Fraisse, la mère de Marion Fraisse, au tribunal, à Paris, le 14 novembre 2013. FRED DUFOUR / AFP
Les investigations ont confirmé « des infractions pénales imputables » notamment au principal du collège et à des membres de son équipe.
Victime de harcèlement dans son collège de l’Essonne, il y a quatre ans, la jeune Marion Fraisse, 13 ans, s’était donnée la mort chez elle par pendaison. Dans un jugement du 26 janvier, révélé jeudi 2 février, le tribunal administratif de Versailles a reconnu l’Etat partiellement responsable du drame. En conséquence, l’Etat a été condamné à verser 18 000 euros de dommages et intérêts à la famille de l’adolescente.
L’Etat est reconnu coupable de n’avoir pas détecté ni empêché le harcèlement de la jeune fille par certains de ses camarades de classe. Il lui est également reproché de n’avoir pas entendu les multiples appels à l’aide lancés par sa mère auprès du personnel enseignant et de la direction du collège Jean-Monnet de Briis-sous-Forges. Le tribunal considère notamment que :
« L’absence de réaction appropriée à des événements et des échanges hostiles entre élèves qui se déroulaient pour partie sur les lieux et pendant les temps scolaires caractérise un défaut d’organisation du service public de l’enseignement de nature à engager la responsabilité de l’administration ».
« Véritable désorganisation » au sein du collège
Le tribunal souligne cependant qu’une grande partie des menaces et insultes proférées à l’égard de l’adolescente ont transité par moyens électroniques, notamment sur Facebook, et donc ont échappé au contrôle du personnel éducatif, atténuant ainsi la part de responsabilité de l’administration.
Les investigations diligentées ont confirmé « des infractions pénales imputables » notamment au principal du collège et à des membres de son équipe d’encadrement, avait fait savoir l’avocat de la famille, Me David Père, en mars 2016.
D’après Me Père, « le collège souffrait d’une véritable désorganisation, au sein de laquelle plusieurs élèves faisaient l’objet de comportements violents en toute impunité ». « Les obligations incombant aux personnels de l’éducation nationale, notamment en matière de prévention et de sécurité des élèves, n’ont pu être respectées », avait-il déploré.
Le sociologue Philippe Bataille figure parmi les 60 témoins, dont l’ancien ministre Jean Leonetti, pionnier de la loi sur la fin de vie, cités au procès aux Assises à Pau du Dr Nicolas Bonnemaison, accusé d’avoir donné la mort à sept malades. Ce spécialiste de l’éthique du soin analyse les problématiques de ce procès qui doit se poursuivre jusqu’au 27 juin.
Vous êtes appelé par la défense à comparaître le 19 juin. Pour quelles raisons avez-vous signé la pétition en faveur du docteur Nicolas Bonnemaison ?
Je crains qu’il soit dans une situation somme toute banale faisant que des médecins se retrouvent dans les services d’urgence face à des patients qu’ils ne connaissent pas forcément et qui ont commencé des processus agoniques, dont les effets sont connus par tous, les équipes, les familles et parfois par les malades s’ils sont encore conscients. Il est très classique alors qu’il y ait la possibilité d’aider ces patients à mourir.
En quoi cette affaire interroge-t-elle notre société ?
Elle l’interroge par rapport au décalage qu’il y a entre la loi qui est au service des Français et celle de 2005 dite Leonetti. Cette loi sur la fin de vie en fait n’aborde pas ces questions, ou du moins ne leur offre aucune issue. Nous avons bien aujourd’hui un problème sociologique entre l’état des mœurs et la réalité des pratiques. Les moyens mis en œuvre dans des services qui pourraient être adaptés à l’accompagnement sont dérisoires. Face à l’évolution des mentalités, il y a ce retard considérable des dispositions législatives. François Hollande candidat à la Présidentielle en 2012, avait d’ailleurs formulé la proposition 21. Cette promesse était très engagée, notamment au niveau du programme, sur sa capacité à pouvoir retoucher ou refondre la loi Leonetti.
Ce procès est-il le procès d’un homme, celui de l’euthanasie, de la médecine ou de cette législation inadaptée ?
C’est le procès de la confiance en la médecine. Les situations dont on parle sont des situations qui engagent un médecin, une équipe et qu’il faut appréhender en ayant des protocoles. Tout cela devra être revu. Mais une fois que l’on a dit cela, que fait-on ? Le vide législatif ne permet pas au médecin d’accompagner les malades. Et de fait, les patients perdent confiance en la manière dont peuvent se dérouler leurs derniers jours. On compte plus de 2000 suicides par an pour des raisons de maladie ou de handicap sans issue. De la même manière, on voit se développer le suicide de couples âgés en proie à des inquiétudes profondes. Celles de devoir abandonner l’autre alors qu’il y a un engagement, une parole conjugale et amoureuse. On n’a alors pas envie de voir partir l’autre dans les mains d’une médecine qui ne sait pas s’arrêter. Cette situation existe car aujourd’hui rien ne permet de réaliser une aide active à mourir alors que les processus agoniques ont commencé. On sait depuis des années que la loi Leonetti ne répond pas aux besoins. Tout le monde le dit. Y compris les déplacements de l’ex-ministre pour venir expliquer sa loi jusque dans un procès d’assises le démontrent.
Dans votre dernier ouvrage « A la vie, à la mort : Euthanasie, le grand malentendu », vous avez mené une enquête au sein d’unités de soins palliatifs. Quelle est la réalité de la fin de vie au sein de ces services ?
Elle est contrastée. On a des situations d’accompagnement avec l’idéal de retrouver à la fin de la maladie, à la fin de l’âge, souvent les deux combinés, une mort naturelle que l’on peut proposer à des patients lorsqu’ils se présentent assez tôt dans ces unités de soins palliatifs. Ils vont y passer entre deux et trois semaines avant que la mort ne les emporte. Eventuellement, les derniers jours, ils disposeront d’un sédatif, pour être dans un état d’inconscience au moment de mourir. On aimerait tous tendre vers ce schéma : une mort douce précédée de quelques jours soulagé de toute souffrance. C’est ce que l’on offre, et même si cela existe pour certains, en vérité, cela ne marche pas. J’ai vu dans des services de soins palliatifs des patients arriver assez tôt pour bénéficier d’une telle prise en charge mais qui finissent par demander à leurs proches de ne plus venir les voir. Après deux, voire trois adieux à la famille, la situation perdure et devient profondément inconfortable, jusqu’au moment où surgit un épisode aigu et qu’effectivement la mort les emporte ou qu’une sédation leur soit proposée. On rencontre dans ces services des histoires magnifiques, des accompagnements extraordinaires d’une humanité débordante et en même temps, des patients à qui cela ne correspond pas. Soit parce qu’ils sont fatigués d’y rester aussi longtemps, soit parce qu’ils n’y accèdent pas. Ce qui représente la grande majorité. Et ce n’est pas seulement une question de moyens, d’égalité des territoires, de rareté des services ou des lits. C’est aussi en raison du refus de ces services eux-mêmes d’accueillir des patients au seuil de la mort. L’activité palliative veut offrir un accompagnement long vers une mort naturelle alors que les Français dénoncent et craignent l’agonie.
Quelles sont les pistes à explorer pour parvenir à supporter les contradictions ou du moins une grande partie d’entre elles que nourrit cette problématique ?
Il faut sortir de l’imaginaire fou de la représentation sociale qui dessert la médecine. S’extraire de cette idée qu’il est impératif de protéger les malades de l’acharnement thérapeutique. Les médecins ne sont pas là non plus pour tuer des patients. C’est d’ailleurs un des éléments qui pèsent sur le procès Bonnemaison : on a attrapé un médecin qui pratique des euthanasies clandestines. Or, cela ne correspond en rien à la réalité. Les médecins font ce qu’ils peuvent au mieux et bien souvent en s’engageant personnellement dans leur conduite médicale. Il y a d’une part cette idée que la médecine est dangereuse et de l’autre, celle selon laquelle les individus réclament la mort. Soit le médecin tue, soit le patient veut se faire tuer. Il est quand même assez incroyable de construire des lois sur des représentations sociales fausses et décalées des réalités. La loi Leonetti est une loi de l’interdit. Elle tend à pénaliser toute aide médicale à mourir qu’un médecin pratiquerait. Or je crois qu’on a besoin de cette aide médicale à mourir dans des conditions qui doivent être celles de la collégialité. Comme cela se fait déjà d’ailleurs. Mais cette demande d’abréger des souffrances doit être entendue.
Que la possibilité de permettre à un patient de s’éteindre au moment où il pense qu’il est arrivé à l’extrême de ses limites soit validée par ceux qui sont engagés dans l’acte soignant.
Clairement, c’est autoriser le geste létal ?
Oui. Ou en tout cas, une injection qui soit capable d’emporter un patient lorsque nous sommes dans des situations où le processus agonique a débuté.
La communauté médicale est-elle prête à l’accomplir ?
La loi Leonetti prévoit d’arrêter un acharnement thérapeutique qui va entraîner la mort. Ce dispositif autorise une intention médicale de faire mourir en retirant des éléments artificiels ou qui sont absolument nécessaires à la vie. Mais il est impératif de rentrer dans la reconnaissance de l’intention de mourir, dans la capacité de la médecine à faire mourir en certaines circonstances. Lorsque l’on est éloigné de la mort, on est effectivement dans des situations d’euthanasie interdites, à l’exception de la suspension de l’hydratation et de l’alimentation. En revanche, lorsque l’on est au seuil de la mort, je ne pense pas que l’on puisse parler d’euthanasie. C’est bien d’une aide médicale à partir dont il s’agit. Alors certains déclarent que l’on n’a pas besoin de ce moment d’assistance puisqu’il faut passer par les services de soins palliatifs. Mais tout le monde ne le souhaite pas.
Pensez-vous qu’il est nécessaire de rendre obligatoire les directives anticipées (*) ?
On peut toujours améliorer ce dispositif encore faut-il qu’il soit respecté ! Et puis, il n’est pas évident également que les gens aient envie de les rédiger. Le plus important est de rétablir la confiance entre les Français et leurs médecins, en arrêtant d’accuser ces derniers de l’intention de faire mourir et de faire une loi qui rappelle cet interdit. De la même manière qu’il faut entendre le patient. Faisons en sorte que l’on puisse s’arrêter sur chacun des cas.
D’où la nécessité de légiférer…
Aujourd’hui, il est affirmé une intention politique de faire un pas qui sortirait la France de l’impasse totale dans laquelle elle se trouve puisque tout y est interdit. Cependant, ce pas serait retenu au sens politique du terme, par la menace de la Manif pour Tous et la mobilisation des relais catholiques. Je n’y crois pas. L’Assemblée nationale et le Sénat sont très décidés sur cette question. Alors est-ce que cette activité parlementaire, qui devrait arriver dans un terme assez court, sera un saut qualitatif majeur faisant que le pays puisse s’ouvrir à ces questions en entendant les situations telles qu’elles se passent quotidiennement au sein de l’hôpital français ? Je le souhaite. L’écho sur le procès Bonnemaison est assez intéressant : le monde médical vient de comprendre que la loi Leonetti pouvait aussi se retourner contre lui.
Pour quelles raisons la fin de vie est-elle encore un sujet tabou ?
Il existe plusieurs raisons à cela. Il y a d’une part l’influence du catholicisme sur certaines spécialités médicales, dont les soins palliatifs. Et d’autre part subsiste encore un interdit moral : un héritage européen qui est le procès de Nuremberg et le procès fait à la médecine moderne dans son engagement dans la Shoah et le nazisme. Nuremberg a redéfini l’éthique médicale et a consolidé l’interdit de tuer. Cet héritage très fort renvoie soit à une espèce de valeur morale que la médecine doit faire sienne, soit à l’interdit produit d’une période historique dramatique qui est retravaillé par l’argument moral. Cependant, la médecine a évolué en faisant reculer toutes les frontières, y compris celles de la mort. La traduction heureuse de cela est le vieillissement de la population et cette possibilité d’arriver de manière consciente à certaines extrémités de son corps ou des traitements. Sans oublier enfin l’évolution sociologique sur le rapport au corps. Les patients voient qu’ils avancent vers la mort en raison de l’âge, de la maladie ou du handicap parfois évolutif. Et ils possèdent une capacité de nommer, de rechercher les dimensions personnelles avec ceux qui les entourent ou ceux qui les soignent. Et les malades et les proches expriment désormais le besoin de faire avancer la loi. L’objectif étant que la relation de confiance entre le patient et son médecin puisse faire en sorte que ce dernier ne se sente pas isolé, surveillé et accusé s’il a accompagné son patient dans les derniers moments de sa vie.
La situation actuelle est devenue intenable. Soit l’offre de soins palliatifs est inexistante. Soit elle ne répond pas aux appels des malades. Soit, enfin, elle ne correspond pas à ce que celui qui a lutté tant et tant veut à la toute fin de sa vie. Et là, les directives anticipées ont leur place. Mais nous devons revenir à cette relation particulière entre un médecin et un patient, encore plus lorsque le malade se trouve en extrême vulnérabilité et qu’il dépend totalement de l’autre, qu’il s’agisse de vivre ou de mourir.
C’est une façon de replacer le malade au cœur du débat…
Oui mais je n’oppose pas les droits de l’un contre les droits de l’autre. Les situations évoquées à travers le procès Bonnemaison sont des situations qu’on a largement le temps d’anticiper. Des milliers de personnes meurent dans des camions de pompiers au cours de leur transport. Lorsque les urgentistes sont appelés dans les Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), il est déjà trop tard. On arrive à des cas extrêmes qui font que la médecine elle-même est choquée, brutalisée et amenée à avoir des conduites si elles dérogent à la loi finissent par criminaliser le médecin. Je trouve catastrophique de voir évoluer à la fois les progrès, le confort, une capacité d’aller assez loin dans les traitements tout en gardant une certaine lucidité et en fin de vie une catastrophe totale. Un vide, un désarroi, une incompréhension et dans certains cas où les situations d’attente de la mort se prolongent, de la cruauté.
Entretien réalisé par Sandrine Guidon
Source La Marseillaise 17/06/2014
Philippe Bataille est directeur d’études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales et directeur du Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS), associé au CNRS. Dans le cadre de son enseignement à l’EHESS, il dirige un séminaire intitulé « Sociologie du sujet vulnérable » où il questionne l’éthique du soin et interroge les normes professionnelles à l’œuvre dans le champ sanitaire. Il est membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Il est l’auteur de « À la vie, à la mort. Euthanasie : le grand malentendu » (Autrement « Haut et Fort ».
(*) « Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, a?n de préciser ses souhaits quant à sa ?n de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté ».
REPERES
Ce procès qui s’est ouvert mercredi dernier à Pau, intervient en plein débat sur l’opportunité d’une réforme de la loi Leonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie. François Hollande promet depuis la campagne présidentielle de 2012 une nouvelle loi pour « compléter, améliorer » le texte. Il s’est toujours abstenu de prononcer le mot euthanasie (ou suicide assisté) et a appelé à un accord « large », « sans polémique, sans division » sur cette épineuse question. Il n’y a pas de calendrier précis pour le projet de loi mais il pourrait voir le jour d’ici la fin de l’année.
L’association Alliance Vita, proche de la Manif pour tous, a prévenu que « si le gouvernement prend le risque de bouleverser l’équilibre de la loi Leonetti » sur la fin de vie, il y aura « une vaste mobilisation unitaire dans la rue ».
L’affaire divise aussi le corps médical et une pétition en faveur de Nicolas Bonnemaison a recueilli 60.000 signatures. Selon une étude récente de l’Institut national d’études démographiques (INED), il y aurait chaque année en France quelque 3.000 cas d’euthanasie. En Belgique, où l’euthanasie est autorisée depuis 2002, 1.800 personnes ont opté pour cette fin de vie en 2013. Elles ont été 4.000 en 2012 au Pays-Bas, où la loi a été votée en 2001.
Poline Marion incarne une belle impossibilité de vivre. Photo Christian Vinh.
On ne monte pas, 4.48 Psychose comme on monte Les femmes savantes. D’abord parce que l’œuvre posthume de Sarah Kane est considérée comme noire. Ce qui par les temps qui courent ne remplit pas les salles. Ensuite, parce que la pièce comme toute l’œuvre de Sarah Kane, qui en compte cinq, est basée sur le texte et fuit par essence la théâtralité. C’est donc une occasion de se frotter au répertoire contemporain déroutant de la dramaturge britannique que nous offre Sébastien Malmendier en montant cette pièce interprétée par la jeune comédienne Poline Marion.
L’œuvre parle lumineusement de la souffrance et du suicide. Sarah Kane s’est elle-même donnée la mort en février 1999 à l’âge de 28 ans. Elle livre une pièce qui semble s’être imposée à elle. Un personnage psychotique exprime un monologue poétique qui s’entrecoupe d’une conversation avec un psychiatre. La jeune femme projette de se suicider, à 4h 48.
L’espace réduit du Carré Rondelet s’avère propice à la proximité que requiert cette expérience. Evidemment, on part loin des fêtes publiques qui célèbrent les majorités politiques. On s’éloigne aussi des couleurs spectaculaires, comme des pages sans âme de faits divers qui alignent les trucidés. Ici, le noir qui nous est donné à voir est paradoxal. « J’écris pour les morts, pour ceux qui ne sont pas nés. » On retrouve dans ces mots desséchés une forme d’humanité, presque rassurante. Un espace bien réel qui s’ouvre dans la fiction hors de la majorité morale.
La jeunesse du personnage qui cohabite avec la mort, est un aspect non négligeable de l’expérience qui emplit la scène et la salle. Le texte, qui traverse le corps de la comédienne, résonne avec justesse dans les moments de colère, quand le personnage interpelle sa mère, son père et finalement Dieu : « Je t’emmerde parce que tu me fais aimer quelqu’un qui n’existe pas. » Mais aussi, dans le regard lucide et tragique. « Je ne désire pas la mort, tous les suicidés ne désirent pas la mort. »
L’écriture dit l’impensable. Face à ce défi lancé à la représentation, le parti pris de mise en scène de Sébastien Malmendier est simple et efficace. Il s’agit de donner à voir les mots et sur scène, psychose et littérature font bon ménage.
« (…) France Télécom a subi une transformation sans précédent. Elle est passée du statut d’administration en situation de monopole à celui de multinationale plongée dans une concurrence exacerbée. Elle a basculé d’une culture de service public à une culture de profit. Trop vite, sans accompagnement social adapté. Quand un salarié sur trois est frappé par les restructurations, ce ne sont pas seulement des milliers de métiers qu’on change, mais des habitudes de vie qu’on bouleverse, des repères qu’on bouscule, des souffrances qu’on occasionne. Il appartient au Pdg de France Télécom de réconcilier les salariés avec leur entreprise, de redonner un sens à ce qu’on appelle, qu’on avait fini par oublier, le capital humain. Après une période d’attentisme qui a pu s’apparenter à de l’indifférence, sinon un déni, il a semblé prendre la mesure du traumatisme, non sans avoir été convoqué par le ministre du Travail. Pour la première fois hier, il a reconnu officiellement le phénomène. Encore faudra-t-il s’attaquer aux causes et humaniser le management dans un contexte de crise anxiogène et une compétition économique qui, elle, ne changera pas. »
Source: Didier Louis, Le courrier Picard, 16 09 09
(…) Un suicide est toujours un accident intime, même lorsqu’il se répète à 23 reprises. Mais les cas extrêmes de France Télécom, après ceux de Peugeot et de Renault, sont si effrayants de banalité qu’ils ne peuvent être réduits à des erreurs de gestion. (…) Ce qui est en cause, c’est le glissement inexorable de tant d’entreprises, de toutes tailles et de toute nature, vers un fonctionnement de plus en plus déshumanisé. La compétition internationale, la concurrence, le développement, la crise, le combat pour la survie, parfois, ont eu bon dos. Toutes ces bonnes raisons ont justifié une rationalisation des méthodes faisant prévaloir des théories de la performance, jugées infaillibles, sur une organisation du travail reposant sur l’expérience, l’originalité, la personnalisation des approches, la dimension familiale des services. Le bonheur au travail ? Une vision romantique… »
« (…) La société de concurrence, par nature, implique l’élimination, hors du Loft, pour le symbole, mais aussi hors de l’économie réelle, cet autre cercle enchanté des vainqueurs. (…) C’est une culture globale qui est en cause, puisqu’on sait depuis Emile Durkheim que le suicide, tragédie intime, est aussi un phénomène social. Une culture créée par les forts, qui assimile l’économie à une forme de guerre, requérant la mobilisation générale, le patriotisme fervent et la sanction régulière des défaillances. Quand le management devient martial et l’entreprise une armée sans fusils, la métaphore se prolonge jusqu’au drame: chacun sait qu’à la guerre, il y a des morts. »
Source : Laurent Joffrin, Libération, 16 09 09
Dessin de Cardon Paru dans Le Canard Enchaîné
D’abord, il s’agit de drames personnels : un suicide, c’est forcément complexe et dû à la combinaison de plusieurs facteurs, non ? Ensuite, ce sont les médias qui exagèrent, car, c’est bien connu, les médias exagèrent toujours. D’ailleurs, comme le dit Olivier Barbelot DRH de France Télécom, lors d’une récente téléconférence avec les « manadgers » de l’entreprise : « C’est pas dramatique, j’ai vu pire que ça. Le nombre de suicides n’augmente pas : il y en aeu 28 en 2000 et 29 en 2002. » Tout va bien, donc : avec seulement 23 suicides en dix-huit mois, y a de la marge…
Source : Jean-Luc Porquet, Le Canard Enchaîné, 16 09 09
Didier Lombard, le PDG de France Télécom s’excuse !
Le PDG de France Télécom, Didier Lombard, s’est excusé mercredi des propos qu’il a tenu la veille évoquant une « mode du suicide » au sein de son entreprise.
« Hier , par erreur, j’ai utilisé le mot +mode+ qui était la traduction du mot « mood » (humeur ndlr) en anglais. Je m’excuse d’avoir fait ça », a déclaré M. Lombard sur RTL. « Je suis focalisé sur : arrêtez cette spirale infernale (du suicide) dans laquelle nous sommes », a-t-il ajouté.
Le PDG de France Telecom s’était engagé mardi à mettre un « point d’arrêt à cette mode du suicide qui évidemment choque tout le monde » lors d’une conférence de presse à l’issue de sa rencontre avec le ministre du Travail Xavier Darcos. Ses propos ont suscité une vive polémique alors que 23 salariés de France Télécom se sont suicidés ces 18 derniers mois.
Source : AFP 16 09 09
Il y a le dernier livre à la mode, le dernier film, le dernier chanteur, la dernière fringue… et les suicides à France Telecom. Une nouvelle mode, selon le très délicat PDG de l’entreprise (…) Bruno Gagne, syndicaliste CGT et salarié France Telecom à Montpellier, confirme : » Si aujourd’hui il y a une mode du suicide, c’est parce que les soldes du social sont entamées depuis longtemps. »
Source : Amélie Gourseau, L’Hérault du Jour, 17 09 09
Le changement de statut de la Poste rappelle quelques précédents
« Venant après l’affaire des suicides à France Télécom, le changement de statut de la Poste rappelle quelques précédents. France Télécom, puis GDF. « Y compris en cas d’augmentation de capital, l’Etat ne pourra pas descendre en dessous de 70% », promettait en 2004 Nicolas Sarkozy. Depuis la fusion avec Suez, la part de l’Etat n’atteint désormais plus que 35%. Fin du service public, place à l’actionnariat. Avec ses objectifs de rentabilité contradictoires à ceux du service public. Il y a des quartiers populaires où les bureaux seront supprimés, mais parce qu’ils ne sont pas rentables : les RMIstes qui viennent faire des retraits, ça ne rapporte pas… Même si les capitaux restaient 100% publics, ce serait l’Etat qui exigerait la rentabilité et des dividendes. De quoi montrer que les inquiétudes exprimées par les syndicats sont loin d’être illégitimes. »
Source : Jean-marcel Bouguereau La Republique des Pyrénées 22 09 09