Et si l’abstention était un signe de vitalité politique ?

 Anne Muxel. © ABRAHAM/NECO/SIPA

Entretien. La sociologue Anne Muxel revient sur l’abstention record aux dernières élections municipales. Elle y voit un signe d’exigence de la part des citoyens. Et surtout de la jeunesse.

L’abstention a battu des records aux dernières élections municipales. 37,8% au second tour, contre 34,8 en 2008. Et même 41% dans les villes de plus de 10 000 habitants. Que signifie cette désaffection pour les urnes ? Usure de notre démocratie ou signe paradoxal de vitalité politique ? Entretien avec Anne Muxel, sociologue, directrice de recherche au CNRS (Cevipof-Sciences-Po), spécialiste des comportements électoraux.

Comment analysez-vous ce record d’abstention ?

Si l’on s’en tient aux élections municipales, le taux d’abstention que nous venons de constater est effectivement le plus élevé de la Ve République. En 45 ans, au premier tour, il a augmenté de 11 points. Mais il faut replacer ces chiffres dans un contexte plus général. L’augmentation de l’abstention est un mouvement de long terme, amorcé à la fin des années 1980, qui concerne l’ensemble des élections. L’abstention est de plus en plus utilisée par les Français pour exprimer leur mécontentement ou le fait qu’ils ne se reconnaissent pas dans l’offre politique qui leur est proposée. Elle s’inscrit dans un contexte durable de défiance à l’égard de la politique.

La dernière vague du Baromètre de confiance politique du Cevipof, publiée en janvier dernier, a montré que 60% des Français ne font confiance ni à la droite, ni à la gauche pour gouverner. Les dernières élections municipales traduisent ainsi le divorce qui s’est installé dans le paysage politique français entre les citoyens et leurs représentants. D’un point de vue conjoncturel, les récentes affaires politico-judiciaires, la forte impopularité de l’exécutif, la désillusion des électeurs de gauche par rapport aux promesses du candidat Hollande en 2012, ont sans doute encore renforcé ce mouvement de fond.

Qui sont les abstentionnistes ?

Ils se répartissent en deux grandes catégories. Ceux qui sont « hors jeu » politiquement, qui se tiennent toujours en retrait des élections. Ces électeurs restent en dehors de la décision électorale d’abord pour des raisons d’ordre sociologique, liées aux conditions de leur insertion dans la société : appartenance aux couches populaires, faible niveau d’instruction, moindre insertion sociale. Cette catégorie est relativement stable, elle concerne à peu près le même volant d’individus d’une élection à l’autre. La seconde catégorie est différente. Ceux qui la constituent sont « dans le jeu » politique, souvent diplômés, mieux insérés socialement, ils se disent intéressés par la politique. Ceux-là utilisent l’abstention pour envoyer un message politique et ce sont eux qui contribuent, depuis une trentaine d’années, à la dynamique de l’abstention : ils font un usage alterné du vote et du non-vote et leur nombre augmente régulièrement.

Que révèle cette montée des électeurs « intermittents » ?
Un affaiblissement de la norme civique attachée au vote. Aujourd’hui celui-ci est considéré comme un droit plutôt que comme un devoir. En particulier par les jeunes générations. Et c’est le signe d’un profond renouvellement du modèle de citoyenneté. Les jeunes entrent en politique dans ce contexte de défiance à l’égard de la politique et de ses représentants, et de banalisation de l’abstention. Il est fort probable que l’intermittence du vote devienne pour eux la norme et une norme durable. De tous temps, les jeunes ont été un peu plus en retrait de la vie électorale, mais il est certain qu’affranchis du devoir de voter, ils sont plus abstentionnistes aujourd’hui que ne l’étaient leurs aînés au même âge. Ils votent par intermittence, en fonction de l’enjeu, de sa clarté, de son urgence. A l’occasion de la dernière élection présidentielle, ils étaient 30% à ne pas voter. Cette fois-ci, 56% d’entre eux ne se sont pas déplacés pour ces municipales. Et ils seront probablement encore plus nombreux aux européennes. 7 jeunes sur 10 s’étaient abstenus aux précédentes élections européennes.

Est-il vrai que, lors de ces municipales, ce sont les électeurs de gauche qui ont gonflé les chiffres de l’abstention ?

C’est exact, une enquête Ipsos montre une mobilisation différentielle entre électeurs de gauche et électeurs de droite. Les élections municipales sont des élections intermédiaires, où s’exprime un vote d’opinion plus qu’un vote d’adhésion. Le camp au pouvoir est généralement sanctionné s’il a déçu, moins en votant pour le camp adverse qu’en s’abstenant. Le même phénomène s’était produit en 2008, quand une partie de l’électorat de Nicolas Sarkozy, qui l’avait triomphalement élu à peine un an plus tôt, avait boudé les urnes.

Cette montée de l’abstention est-elle le signe d’une usure de la démocratie ou au contraire de sa vitalité ?

Gardons nous de nous en tenir à la conclusion hâtive d’un déficit démocratique, d’une apathie politique qui gagnerait l’ensemble de la population et mettrait ainsi en péril nos institutions. Dès l’instant où l’abstentionnisme demeure intermittent, où les citoyens continuent de faire un usage du vote et de l’abstention à des fins politiques, pour envoyer des messages, je considère qu’il s’agit d’un signe de vitalité, qui traduit une vigilance, une exigence de la part des citoyens. C’est le signe qu’ils veulent des résultats, qu’ils veulent que les promesses soient tenues, qu’ils sont exigeants sur l’offre politique et sur la qualité des gouvernants.

L’abstention peut ainsi être considérée comme un aiguillon démocratique. Mais il ne faudrait pas que la défiance vis-à-vis de la politique finisse par déboucher sur une coupure entre les citoyens et leurs représentants. Si la représentation politique n’a plus de légitimité, le risque serait alors grand d’une rupture du pacte démocratique lui-même. Et d’un retour à d’autres formes de régimes politiques, autoritaires, dictatoriaux. Il y a donc urgence à recrédibiliser l’action politique.

Sinon, le risque d’une régression démocratique ne peut être écarté. La montée des votes populistes, comme expression du malaise et du mécontentement, dans toute l’Europe, en donne la mesure. La dernière vague du Baromètre de confiance politique du Cevipof montre que la moitié des Français pensent que ce pourrait être une bonne solution d’avoir « à la tête de l’Etat un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections ». Dans le même temps, heureusement, une très large majorité (88%) demeure attachée au système démocratique. Mais il y a tension entre ces deux réponses antagonistes : nous sommes dans une situation critique, notre système politiques est mis à l’épreuve, et les politiques doivent en prendre conscience.

Parallèlement à la montée de l’abstention, on observe de nouvelles formes de participation à la vie politique…

Une majorité de Français souhaite qu’entrent au gouvernement des personnalités de la vie civile. Ils voudraient que leurs représentants ne soient pas seulement des professionnels de la politique. Ils s’expriment de plus en plus directement, en participant à des actions de type protestataire, des manifestations de rue, la signature de pétitions ; ils se mobilisent aussi au travers des réseaux sociaux, sur Internet. La participation à des conseils citoyens, à des assemblées délibératives consultatives a le vent en poupe. Cela montre bien qu’il n’y a pas de désinvestissement, mais au contraire des attentes fortes à l’égard de l’action politique.

Entre demande d’expression directe et nécessité d’organiser la représentation politique, nos systèmes démocratiques doivent innover et offrir de nouvelles perspectives à l’action politique comme à l’implication des citoyens. L’aggravation de l’abstention est un symptôme, sinon d’un déficit de démocratie, en tout cas d’un malaise démocratique. De nouveaux équilibres sont à trouver, de nouveaux espaces d’échanges et d’interventions entre gouvernés et gouvernants sont à instaurer. Il y a urgence à trouver comment mieux tisser les liens entre démocratie participative et démocratie représentative pour impulser le retour d’une confiance politique solide, et donc favorable au maintien et à la durabilité du pacte démocratique.

Propos recueillis par Michel Abescat

Source Télérama

Voir aussi : Rubrique PolitiqueSociété civile, rubrique Société Citoyenneté, rubrique Sciences Humaines, rubrique Science Politique,

Un vote qui traduit un vif désir de politique en France

imagesPour un premier tour de municipales, l’abstention a atteint un niveau record, nourrissant l’idée d’un recul continu du sens civique. Pourtant, à bien y regarder, les votes exprimés et l’abstention de ce dimanche sont des prises de position très politiques.

La sous-performance des candidats socialistes au niveau local est exceptionnelle, entre dix et vingt points perdus en fonction des territoires. C’est le résultat direct d’une abstention asymétrique : à gauche on a boudé les urnes tandis qu’à droite on a davantage voté qu’en 2008, lors des précédentes municipales. Ces résultats décevants ont conduit certains candidats à se désolidariser de la politique du gouvernement. C’est une incompréhension et une erreur. En effet, les candidats de gauche ne sont pas tant sanctionnés pour les décisions prises par le gouvernement que par l’incapacité de ce gouvernement à donner du sens à ses actions. Lorsque l’inversion de la courbe du chômage devient l’alpha et l’oméga de toute action, que l’ambition de réenchanter le rêve français s’évanouit au profit du pilotage d’instruments statistiques, la politique disparaît. Cela se répercute à toutes les échelles. C’est vrai au niveau des régions, où les outils de gestion ont pris le pas sur la construction de projets partagés pour des territoires bouleversés par les logiques de métropolisation.

C’est encore plus vrai au niveau des villes où la difficulté des élus socialistes à donner un sens politique à leur action se traduit dans des projets techniquement aboutis mais qui ne semblent pas répondre aux enjeux auxquels la société française est confrontée. L’« effet national » n’est donc pas la sanction locale de mauvais résultats économiques et sociaux nationaux, c’est la déclinaison locale de la crise nationale d’une famille politique incapable d’inscrire ses politiques dans une vision renouvelée du monde.

NE PAS OPPOSER LOCAL ET NATIONAL

Pour les socialistes, le pire des diagnostics serait de ramener encore le scrutin de dimanche à des enjeux ultra-locaux quand les Français attendent au contraire qu’on leur parle de leur territoire dans la France, l’Europe et le monde. C’est d’ailleurs dans les villes où l’électorat est très politisé (Paris) ou celles dans lesquelles le débat politique est intense et où le candidat est porteur d’un projet en lien direct avec son territoire (Argenteuil, Dieppe ou Dijon) que la gauche résiste le mieux.

Dans un tel contexte, le succès d’Alain Juppé à Bordeaux témoigne de la force d’un élu quand il incarne des valeurs et des repères stables : à l’image des socialistes dans l’Ouest il y a vingt ans, il articule un projet urbain et une vision des enjeux auxquels la société française est confrontée. De la même manière, la réussite du Front national et, ponctuellement, des Verts ou du Front de gauche souligne cette attente. Les géographes ne cessent de souligner que la caractéristique du monde dans lequel nous vivons est l’interpénétration constante de toutes les échelles. De manière assez naturelle, les électeurs s’inscrivent dans ce nouveau système mondial : ils ne pensent pas les élections comme autant de tranches de compétences à distribuer à des gestionnaires efficaces, ils abordent chaque scrutin comme des citoyens concernés par la façon dont les candidats répondent à leurs attentes.
Le cas de Béziers est à ce titre éloquent. Robert Ménard marque des points non lorsqu’il dénonce la faillite du gouvernement, mais quand il note la nécessité de redonner de la fierté aux Biterrois. Il pointe les craintes et humiliations d’une ville qui ne trouve plus sa place et ne compte plus autant qu’auparavant, il s’attaque à la résignation des politiques traditionnels à lutter contre un monde qui échappe à tous. Localement, il exploite au profit d’idées détestables le même sentiment de déclin exprimé par d’autres au niveau national.

Cette irruption de la société dans le monde politique est le deuxième enseignement de ce scrutin. Les deux forces politiques qui en sortent renforcées, le Front national et l’UDI, incarnent chacune à leur manière une façon de recomposer l’offre politique.

RÉDUIRE LA DISTANCE ENTRE ÉLUS ET HABITANTS

Dans une logique d’union nationale déclinée localement, l’UDI se pose comme un pivot de rassemblement des personnes de droite et de gauche intéressées à l’avenir de leur territoire, souvent, d’ailleurs, sur la base de listes « sans étiquette » même si l’essentiel des listes vient de la droite classique. C’est sur cette base que les succès de Brétigny, Niort ou Juvisy ont été construits. Surtout, l’instabilité des cadres politiques dans ces partis du centre ouvre un espace permettant à de nouveaux entrants (jeunes, entrepreneurs, enfants de l’immigration) de se faire une place. Ces élections municipales ont constitué un appel d’air pour des citoyens qui refusent le jeu des partis classiques, où ils sont obligés de passer sous les fourches Caudines des appareils politiques et de s’inscrire dans une « carrière » s’ils veulent jouer un rôle. C’est au même désir de renouvellement que le Front national répond, en proposant, lui, de renverser la table et en stigmatisant la distance entre les élus et les habitants.

Pourquoi le FN apparaît-il plus proche des habitants ? C’est en grande partie parce qu’il l’est véritablement. Pourquoi le PS paraît-il coupé des habitants ? En grande partie parce qu’il l’est vraiment. Les nombreux travaux en géographie et en sociologie électorale ont montré depuis des années la façon dont le Front national travaille à faire vivre une action militante au plus près du terrain. Symétriquement, on ne compte plus les travaux menés sur la professionnalisation des élites politiques.

En dehors du contenu des programmes et de la démagogie sur laquelle surfe le parti d’extrême droite, il n’est plus possible pour les grands partis républicains de rester sourds à ce que les résultats disent de leurs pratiques militantes, et de leurs façons d’élaborer les listes et de gérer les velléités d’engagement de leurs sympathisants.

Car les citoyens ont mûri, et l’exemple de ce premier tour à Grenoble est emblématique du fait qu’au-delà de l’orientation des projets, la façon de les faire vivre est devenue clivante. La différence fondamentale entre la liste socialiste et la liste EELV porte sur la façon de renouveler l’appareil politique et sur la place des citoyens dans le projet de la ville et son animation.

DES QUESTIONS PLUS QUE DES RÉPONSES

Ce premier tour n’apporte donc pas de réponses mais pose des questions qui doivent interpeller toutes les forces politiques. La droite peut difficilement s’abstraire d’un examen de conscience. Le PS peut dire qu’il a entendu le message et appeler aux urnes mais il a déjà dit cela en 1993 et en 2002. Les Français ont massivement dit : « Il y a une crise politique », et ces enjeux ne seront pas réglés par l’élection. Compte tenu du niveau de l’abstention, même les candidats élus au premier tour et dont les succès ont été salués ne sont choisis que par 30 % des électeurs… Quelle place faire aux 70 % restants ?

La capacité des prochaines équipes municipales à faire vivre leur territoire, à porter un projet, dépendra directement de leur aptitude à répondre de manière durable aux causes profondes de cette crise politique que la France et l’Europe traversent depuis plusieurs années : alors que leur mandat s’annonce placé sous les auspices des restrictions budgétaires en tout genre, il leur revient de s’attaquer en priorité à la question démocratique. C’est localement, dans les villes et les partis politiques, que cet enjeu national trouvera un début de solution.

Frédéric Gilli*

Le Monde 25/03/2014

*Frédéric Gilli est Chercheur à Sciences Po et directeur associé de l’agence CampanaElebSablic, auteur de « Grand Paris, l’émergence d’une métropole » (Presses de Sciences Po))

Voir aussi : Rubrique Actualité France, rubrique Politique, Politique locale, Rubrique ScienceScience politique,

La Place Beauvau face à la colère des « sans étiquette »

 Une urne à Toulouse en mars 2010. Une urne à Toulouse en mars 2010. | AFP Remy Gabalda

Une urne à Toulouse en mars 2010. Une urne à Toulouse en mars 2010. | AFP Remy Gabalda

Le ministère de l’intérieur voulait de la nuance, il se retrouve face à de nombreux candidats en colère. Depuis la publication des listes inscrites aux municipales le 11 mars, les préfectures doivent répondre à de nombreux courriers et coups de téléphone de candidats énervés par la couleur politique qui leur a été attribuée. « Le traitement des demandes est en cours et l’essentiel de la vague est passée. Mais on se doutait qu’avec le changement de règles, il y aurait une hausse des réclamations », confie un conseiller Place Beauvau.

Depuis la modification des règles électorales introduite par les lois organique et ordinaire du 17 mai 2013, le mode de scrutin des villes de 1 000 à 3 500 habitants est calqué sur ce qui était en vigueur pour les communes de plus de 3 500 habitants. 6 559 communes sont concernées par ce changement, qui oblige les listes candidates à respecter la parité mais aussi à déposer en préfecture une déclaration de candidature où il leur est demandé d’inscrire leur couleur politique ou nuance politique, en choisissant dans une liste qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par l’Union de la gauche. Cette obligation avait déjà provoqué la colère de Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, qui avait écrit à Manuel Valls« Le nuançage des candidats (…) permet d’apporter à nos concitoyens un éclairage et une information lisible sur les résultats issus des urnes », lui avait répondu le ministre de l’intérieur, qui évoquait une pratique ancienne.

DES DIZAINES D’E-MAILS COURROUCÉS

La colère vient des attributions « de force » des préfectures, qui classent des listes lorsque celles-ci n’ont pas donné leur nuance ou s’en sont attribué une « de mauvaise foi ». Le Monde a ainsi reçu des dizaines de courriels et de coups de fil de candidats courroucés par la couleur politique qui leur avait été attribuée dans nos pages sur les résultats à venir. Exemples :

« Nous avons remarqué que vous présentez notre liste sous l’étiquette Divers droite. Or, notre liste est composée de citoyens et citoyennes de tous horizons politiques sans adhésion à quelque parti politique. »« Il s’agit avant tout d’une liste citoyenne, avec certes une tête de liste Front de gauche, mais avec également des colistiers de sensibilités différentes et aussi des non encartés ! »

LES EXPLICATIONS DU MINISTÈRE

La Place Beauvau reconnaît des « approximations ». « Sur les 9 734 communes concernées par cette règle, il y a forcément des approximations. Les candidats qui ne sont pas contents ont jusqu’à vendredi soir pour déposer un recours en préfecture », tempère le ministère de l’intérieur, qui dit ne pas centraliser toutes les demandes de modification et est donc incapable de donner le nombre total de réclamations mais admet une « modification quantitative » des recours par rapport à 2008.

Avec 6 559 communes supplémentaires concernées par la règle, les préfectures, qui sont en première ligne sur ce sujet, semblent parfois débordées. Il leur a fallu d’abord reclasser certaines listes. Et le ministère de citer l’exemple d’un député UMP dont la liste a été classée UMP alors qu’il souhaitait être « Divers ». « Les préfectures peuvent faire ce travail car elles connaissent bien les politiques locaux », défend l’intérieur.

Ensuite, les préfectures doivent aussi attribuer une nuance aux listes qui n’ont pas souhaité en donner ou qui ont eu peur de se retrouver aux côtés du Parti pirate ou du Parti d’en rire dans la nuance « Divers ». Sauf que ce travail de classement paraît plus compliqué, voire hasardeux, quand le candidat et ses colistiers sont peu connus par les services de la préfecture. « Dans ce travail, il y a une inégalité des préfectures. Dans certaines, des agents gardent une bonne mémoire locale de la politique. Dans d’autres moins… », admet le ministère, qui explique que cette mémoire politique locale a beaucoup perdu avec la «  fin des renseignements généraux ». Vérifier les couleurs politiques demande aussi du personnel et les suppressions de poste en préfecture ont pu rendre ce travail plus compliqué. « En tout cas, ne voyez aucune malice à ces reclassements », conclut la place Beauvau.

Matthieu Goar et Manon Rescan

Source Le Monde 18/03/2014

 

LES ACCUSATIONS POLITIQUES DE JEAN-LUC MÉLENCHON

imagesPlus que de la malice, Jean-Luc Mélenchon accuse Manuel Valls de « bidouilles » pour « camoufler la défaite à venir du PS ». Sur son blog, le coprésident du Parti de gauche estime que le ministre a manipulé les nuances pour que certaines listes socialistes soient classées « Union de la gauche » et celles du Front de gauche soient éparpillées entre « liste Front de gauche », « liste Parti de gauche », « liste Communiste », « liste Divers gauche », etc. A Montauban, la liste FDG-EELV-NPA est nuancée liste « DVG » (Divers gauche) alors qu’à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), la liste de la maire Front de gauche est classée liste « Front de gauche », selon M. Mélenchon.

Dans sa circulaire du 15 janvier qui établit les nuances, le ministère de l’intérieur a décidé de classer « Front de gauche » les listes investies par le Parti de gauche et le PC. Ce qui exclut de cette appellation les listes seulement investies par le parti de Jean-Luc Mélenchon. La Place Beauvau estime que M. Mélenchon accuse le « thermomètre » mais que le ministère n’est pas responsable des situations politiques et des alliances dans les communes.

Voir aussi : Rubrique Politique, Science Politique, rubrique Actualité France, On LineMunicipales : des couacs dans l’étiquetage des « sans étiquettes »

Jospin et le bonapartisme: l’aveugle et le paralytique.

images-1

 Par Paul Alliès

L’ancien Premier ministre vient de publier un ouvrage au titre prometteur: « Le Mal Napoléonien » (Le Seuil) qui se veut une contribution à la démystification de cette figure tutélaire de l’histoire politique française. Une entreprise ô combien opportune mais hélas complètement ratée sur le double registre du caractère populaire du bonapartisme et de sa reproduction dans l’essence même de la V° République.

D’abord, l’Histoire. Lionel Jospin est comme fasciné par elle au point que son opus est un long récit qui court sur deux siècles, allant jusqu’à des détails parfois inutiles à la démonstration. Mais quelle démonstration ? Chercher « simplement à estimer si une telle épopée a servi les intérêts de la France. La réponse est clairement non » (p.129). Réponse quelque peu tirée par les cheveux pour ce qui est de la « Constitution administrative »  toujours en place pour l’essentiel (les lois de Pluviose et Ventose de l’An VIII précédant de plusieurs mois le coup d’Etat et la Constitution politique « courte et obscure » du 25 décembre 1799). La critique est  plus convaincante pour mesurer les désastres de la guerre en Europe que l’Empire mena au détriment du printemps des peuples. Le problème est que cette question manque l’objectif de la compréhension du bonapartisme comme culture politique installée durablement en France et exportée de par le monde, de l’Egypte de Nasser à l’Argentine de Péron (plus sérieusement que dans les « populismes » actuels qui tracassent l’auteur). Les détails de l’histoire diplomatique sont de peu d’intérêt pour analyser le mystère social du bonapartisme comme genre (une question posée de manière inaugurale par Marx dans « Le 18 Brumaire » que Jospin ne cite même pas dans sa bibliographie par ailleurs assez étrange). Son enracinement populaire est ainsi complètement escamoté.  Exemple:  l’armée comme base du système. L. Jospin ne mentionne les « deux millions d’hommes » mobilisés (bien plus en réalité) que pour mieux dénoncer un « chef peu soucieux de ses hommes (…) le soldat napoléonien étant constamment mal nourri, mal vêtu, mal soigné et même mal armé ».(p. 74). Certes, mais l’essentiel est ailleurs: dans la capacité d’intégration sociale de l’armée la plus moderne de son temps au recrutement plébéien, machine de guerre contre l’aristocratie de la base au sommet. Elle produit 20% de la noblesse d’Empire d’origine populaire; le salaire d’un général est cinq fois plus élevé que celui d’un Préfet; la hiérarchie est basée sur le mérite et on peut facilement devenir sergent-chef si on sait lire les cartes. Lié à l’invention d’un nouvel art de la guerre, cette « organisation totale » permet à Napoléon de lancer au Conseil d’Etat le 4 mai 1802 cette phrase: « Ce n’est pas comme Général que je gouverne, c’est parce que la Nation croit que j’ai les qualités civiles propres au Gouvernement ».  Bon résumé de cette construction de l’homme providentiel (qui aurait pu servir à L. Jospin pour comprendre le gaullisme) qui consacre par les plébiscites à répétition sa « royauté républicaine ».  Car il y a bien dans cette histoire, un bonapartisme populaire que révèleront les Cent Jours (expédiés en quelques pages dans l’ouvrage) quand Napoleon au  retour de l’ile d’Elbe en 1815 reprend le pouvoir en trois semaines contre la totalité du personnel politique et la plupart des généraux qui lui avaient imposé la déchéance. Ce n’est pas une simple opération de communication, oeuvre de « propagateurs efficaces, de colporteurs, de demi-soldes, d’écrivains romantiques » (dixit Jospin p. 148). L’image du défenseur du peuple, des conquêtes de 89, de l’honneur national et de la victime de la double trahison des élites et des cours d’Europe va renforcer durablement le mythe napoléonien parmi les ouvriers et les paysans, ce qu’exploitera parfaitement le petit neveu (Napoleon III) en 1851. Comme le dira justement René Rémond, «  Napoléon est tombé à gauche » , du côté de cet ensemble composite de petits bourgeois et d’hommes du peuple unis dans leur fidélité au patriotisme révolutionnaire, dans la détestation d’une bourgeoisie libérale, conservatrice et défaitiste. Bref,  Guizot, l’homme de la Monarchie de Juillet semble avoir mieux compris Bonaparte que Jospin quand il disait: « C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité ». Comprendre ce phénomène rare en politique est essentiel pour résoudre la crise démocratique aujourd’hui.

images-2

Or que nous dit Lionel Jospin ? Tout simplement qu’après que  le Maréchal Pétain eut incarné un « bonapartisme de la sénescence » (sic, p. 178), le « mal » aurait tout simplement disparu. De Gaulle ? : il « ne voulait sans doute pas être un nouveau Bonaparte. Il savait aussi qu’il ne le pouvait pas ». Tout le dernier chapitre est ainsi consacré à une révision du rôle du Général dans  la Résistance et l’histoire politique de l’après-guerre: le prophète technique qui défend les blindés contre la ligne Maginot, l’appel du 18 juin, la représentation des partis d’avant 40 dans le CNR, « Barres plus Michelet » (R. Rémond); rien de cela n’importe car « on ne trouve pas chez le général de Gaulle de référence au bonapartisme »  (p. 191). « Les questions institutionnelles, essentielles à ses yeux » , le discours de Bayeux du 16 juin 46 où il annonce les grands traits de la Constitution de 1958, le RPF de 47 « à la fois bourgeois et populaire » (p.201), rien ne peut être retenu contre De Gaulle puisque « éloigné du champ politique en 1953, on ne peut lui reprocher de s’être jamais comporté en imitateur des Bonaparte » (p. 202). Bouquet de ce feu d’artifices au sens premier du terme): la V° République. Si  » les conditions dans lesquelles De Gaulle obtient le pouvoir en mai 1958 s’apparentent sans conteste à la technique bonapartiste du coup de force (…) l’heure n’est pas au césarisme » (p. 205), Ben voyons ! « Ce qu’il y avait de bonapartiste en lui , fut tempéré et transmué par la puissance intégrative de la République » (p. 211). Tant d’approximations et de superficialité servent à justifier la performance d’institutions qui « sont devenues une sorte de patrimoine commun » (p.216) après que les socialistes les aient acceptées. A ce point de ce qui n’est plus ni un récit ni une démonstration, on mesure combien l’absence d’une définition théorique et politique de l’objet (le bonapartisme) autorise toutes les fantaisies. Et on ne peut qu’être atterré par la vision d’un dirigeant socialiste devenu Premier ministre qui  reste fasciné par l’élection du président de la République au suffrage universel  qu’il a si bien raté (après avoir inversé le calendrier des Législatives pour mieux la défendre), convaincu que le Quinquennat qu’il a instauré nous a « ramené à la norme démocratique européenne » (p. 216), persuadé que finalement « la démocratie est nécessairement représentative » (p. 220). Rien sur le présidentialisme ravageur de  ce régime, rien sur la démocratie participative qu’appelle le changement social.

Ce livre de Lionel Jospin est en quelque sorte un revival  de la célèbre fable de Florian, L’aveugle et le paralytique où deux malheureux unissent leur force et leur misère sans que cela suffise à les sauver. Aveugle sur le bonapartisme, Jospin est resté paralysé par ses effets contemporains et son actualité. Pourtant nous ne sortirons pas de la confusion politique où nous sommes tombés sans une juste compréhension de la part qu’y occupe l’assimilation populaire de cette histoire et de cette culture.

Le Mal Napoléonien, Le Seuil éditions

Source : Médiapart : 14/03/ 2014

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Science Politique, rubrique Livre,

25e anniversaire du Web: A quoi va ressembler Internet en 2025 ?

Photo.T.Ratcliff

Photo.T.Ratcliff

HIGH-TECH – Tout sera connecté: les hommes et les objets…

Jeudi, le World Wide Web a soufflé ses 25 bougies. A cette occasion, l’institut de sondage Pew Research a interrogé plus de 2.000 experts en leur demandant leurs prévisions pour le futur de la vie numérique à l’horizon 2025. Voici les six tendances principales.

1. Le monde entier connecté, Internet semblable à l’électricité

«On ne se connectera plus à Internet. Nous serons juste en ligne», en permanence, estime Joe Touch, chercheur à l’université USC. L’Internet des choses va devenir une réalité, et tous les objets de notre quotidien seront interconnectés. David Clark, du MIT, prévoit l’éclosion de réseaux sociaux d’objets intelligents qui pourront apprendre les uns des autres, notamment au niveau des infrastructures.

2. Le wearable et la réalité augmentée vont changer la société

Google Glass et les bracelets de fitness ne sont que le début. L’explosion des capteurs connectés mesurant nos signes vitaux et observant notre environnement va avoir un impact sur notre vie quotidienne. Selon Aron Roberts, ingénieur à Berkeley, «nous ajusterons notre style de vie heure par heure en fonction de l’analyse de ces données». Pour Daron Brabham, chercheur en communication à USC, «nous verrons le monde à travers plusieurs couches de données» et cela modifiera sur les interactions humaines, du dating au networking.

3. L’ignorance recule, la radicalité augmente

«L’impact le plus fort sera l’accès universel à tout le savoir humain», selon Hal Varian, chef économiste chez Google. L’impact de l’éducation en ligne comme celle de la Khan Academy devrait être particulièrement crucial dans des pays émergents, en Afrique, notamment. Mais si la plupart des experts s’attend à voir l’ignorance reculer et la démocratie progresser, certains mettent en garde contre les risques d’une hausse des mouvements radicaux qui s’influenceront les uns les autres.

Wearable tech will be everywhere by 2025

Wearable tech will be everywhere by 2025

4. La notion de frontière nationale diminue face au «big data»

Le monde est déjà plat, selon l’adage démocratisé par le journaliste américain Thomas Friedman. Selon le pionnier de l’Internet David Hughes, avec un monde entier connecté, «la capacité des Etats-nations à contrôler une population à l’intérieur d’une frontière géographique pourrait diminuer». Pour JP Rangaswami, scientifique en chef chez Salesforce, les défis globaux comme le changement climatique et la conservation de l’eau ne pourront trouver des réponses que dans l’analyse des données du «big data», hors de portée des gouvernements.

5. Une multitude de réseaux Internet

Internet n’a jamais été conçu pour être aussi gros ni répondre à autant de besoins à la fois. D’après trois experts, «plusieurs réseaux vont émerger». «Certains seront particulièrement sécurisés, d’autres protégeront la vie privée», estime Sean Mead, directeur stratégique à Interbrand.

6. Le débat sur la vie privée et la neutralité du Net va s’intensifier

L’effet «Edward Snowden» n’est pas près de s’estomper. Dans «l’âge du contexte», nous devrons faire des choix entre des services utiles et la protection de notre vie privée et de la neutralité du Net. Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web, a déjà demandé la mise en place d’une charte mondiale pour qu’Internet reste «libre, ouvert et neutre».

Philippe Berry

Source 20mn 13/03/2014

Voir aussi : Rubrique Internet, Rubrique Science,