Au Japon, les enjeux cachés des législatives


4539502_6_4e6f_discours-de-campagne-du-candidat-hirotaka_c0487db096887dee25b89b3a14f559bfFocalisée sur l’économie, la campagne pour les élections législatives du dimanche 14 décembre au Japon a éludé bien des sujets controversés, qu’il s’agisse de la révision de la Constitution, de la relance du nucléaire, de la politique de défense ou encore de la protection des secrets d’Etat. Le premier ministre Shinzo Abe a réussi à transformer ce scrutin en référendum sur les « Abenomics », les mesures de relance adoptées depuis son retour au pouvoir en 2012. « Pour le redressement économique, il n’y a que cette voie à suivre », tel fut le message martelé par le chef de gouvernement et ses troupes pendant les deux semaines passées à arpenter l’Archipel.

Surpris par l’annonce des élections anticipées, les autres partis ont tenté de suivre, essayant de capitaliser sur les limites des « Abenomics », en particulier sur le pouvoir d’achat. En vain, faute de pouvoir offrir une alternative crédible. Le 12 décembre, les sondages prédisaient une large victoire de M. Abe et de sa formation, le Parti libéral démocrate (PLD), qui pourrait obtenir plus de 300 des 475 sièges en jeu. Un tel succès restaurerait la popularité du premier ministre, affectée par la démission en octobre de deux ministres et par l’annonce en novembre de l’entrée en récession du Japon.

Absence de débats

Mais les sujets escamotés pourraient revenir dans l’actualité sitôt le scrutin passé. « Une fois réélu, il y a des chances que M. Abe oublie les Abenomics. Il pourrait concentrer son capital électoral sur les sujets qui lui tiennent à cœur, comme la défense ou la Constitution », estime Koichi Nakano, professeur de sciences politiques à l’université Sophia. « Il est compliqué de faire des réformes structurelles comme celles des Abenomics, confirme Michael Cucek, de l’Institut d’études asiatiques comparées de l’université Temple. Cela demande beaucoup d’énergie et peut créer des divisions. »

Le PLD a évité de parler des questions épineuses, aidé par une opposition qui n’a pas su en faire des sujets majeurs. D’après un sondage dévoilé le 11 décembre par le quotidien de centre gauche Mainichi, 49 % des sondés s’opposent à la loi sur les secrets d’Etat, contre 30 % qui la soutiennent. 51 % rejettent le droit à l’autodéfense collective, contre 35 % qui l’approuvent. L’absence de débats sur ces sujets peut aussi s’expliquer par la priorité donnée par les Japonais aux questions des retraites, de la sécurité sociale ou de l’éducation.

La loi sur la protection des secrets d’Etat, adoptée fin 2013 sur fond de vive contestation et entrée en vigueur le 10 décembre, est critiquée pour le flou de sa formulation. Elle prévoit dix années de prison pour une personne révélant une information classifiée et cinq ans pour ceux – journalistes ou militants par exemple – qui inciteraient à en révéler.

M. Abe y voit un moyen d’assurer la sécurité et de protéger l’intérêt national. Mais son application inquiète. Le quotidien de centre gauche Asahi a déploré la « faiblesse de la supervision des modalités du classement des informations ». L’organisation étudiante SASPL (« étudiants contre la loi de protection des secrets ») a manifesté les 9 et 10 décembre devant le bureau du premier ministre.

« Faire taire la population »

Pour le Congrès des journalistes du Japon, le texte est « un moyen de fermer les yeux et les oreilles de la population, et de la faire taire, tout en usurpant la liberté de la presse et d’expression ». Son adoption a déjà fait perdre au Japon six places dans le classement des pays sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), où il est désormais en 59e position sur 180 pays. « La loi restreint de manière inappropriée le droit de savoir de la population », regrette de son côté le syndicat japonais des libertés civiles, qui réunit des professionnels du droit.

Autre sujet évité pendant la campagne : l’énergie et la relance du nucléaire, trois ans après la catastrophe de la centrale de Fukushima. Sous la pression de l’industrie nucléaire et des compagnies d’électricité, Shinzo Abe souhaite redémarrer les réacteurs de l’Archipel, qui pourraient être relancés dès le mois de février.

La réforme de la Constitution et plus précisément la révision de l’article 9, par lequel le Japon avait renoncé à la guerre après la défaite de 1945, n’ont pas non plus été abordés par les candidats. Ce débat « a été occulté pendant la campagne, regrettait un éditorial publié le 11 décembre par Mainichi. C’est le PLD qui porte la responsabilité de l’inquiétant silence qui entoure cette question. » Connu pour ses positions nationalistes, M. Abe a toujours souhaité réviser la Constitution. La mouvance nationaliste nippone rejette cet article 9, qu’elle estime « imposé » par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale.

Budget de la défense en hausse

Dans le domaine de la défense, la révision le 1er juillet dernier de l’interprétation de la Constitution pour permettre aux forces d’autodéfense (FAD) de participer à des systèmes de défense collective oblige le gouvernement à modifier la législation en cours. Les nouveaux textes devraient être finalisés en 2015. De même, alors que le Japon se débat avec une dette qui devrait atteindre 245 % du PIB, le budget de la défense devrait augmenter en 2015 pour la troisième année consécutive, en raison, explique le gouvernement, des risques liés à la menace chinoise.

Pour le professeur Nakano, Shinzo Abe pourrait « se rendre à nouveau à Yasukuni ». Ce sanctuaire shinto rend hommage, depuis la fin du XIXe siècle, aux soldats japonais morts à la guerre et qui se sont sacrifiés pour leur pays. Parmi eux, des criminels de guerre nippons de la seconde guerre mondiale. Il est devenu le symbole du militarisme des nationalistes nippons et chaque visite de premier ministre – la dernière fut celle de Shinzo Abe le 26 décembre 2013 – suscite l’indignation en Chine et en Corée du Sud. Pour Michael Cucek, M. Abe pourrait être tenté par une nouvelle visite, surtout si la présidente sud-coréenne Park Geun-hye persiste dans son refus de le rencontrer et si le numéro un chinois Xi Jinping maintient une attitude distante. Les contentieux historiques du Japon avec ses voisins pourraient être ravivés à l’occasion du 70anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, en 2015.

Cependant, souligne M. Cucek, « compte tenu de l’abstention attendue le 14 décembre, Shinzo Abe pourrait être élu par seulement un cinquième des inscrits. C’est peu même s’il a tous les pouvoirs au Parlement. » Dans ce contexte, renchérit Koichi Nakano, « la moindre difficulté sur l’économie ou sur des sujets impopulaires pourrait faire plonger sa popularité ».

Philippe Mesmer

Source Le Monde 12/12/2014
Les Japonais renouvellent leur confiance au conservateur Shinzo Abe

moody-s-abaisse-la-note-souveraine-du-japonLa coalition conservatrice sortante remporte une large victoire aux élections législatives de dimanche au Japon.

 Elle obtient d’après les premières projections 327 sièges sur 475 à la Chambre des représentants, la chambre basse du parlement japonais, où elle conserve sa majorité des deux tiers. Le Parti libéral démocrate (PLD) d’Abe n’obtient cependant pas à lui seul cette « super majorité » des deux tiers.

Les électeurs japonais étaient conviés dimanche à des législatives anticipées décidées en novembre par le Premier ministre sortant, Shinzo Abe. Ce dernier, âgé de 60 ans, voulait par ce scrutin obtenir un nouveau mandat pour conforter sa politique économique (surnommée « Abenomics »), après sa décision de reporter une nouvelle hausse du taux de TVA. La première hausse, qui a vu ce taux passer de 5 % à 8 % en avril dernier, a provoqué un recul de l’activité.

« Le taux de chômage a baissé, les salaires ont commencé d’augmenter, pensez-vous qu’il faille que l’on arrête, ou faut-il continuer », avait fait mine d’interroger Shinzo Abe tout au long de ses nombreux discours de rue. « Les abenomics (cocktail de mesures économiques) sont la seule voie », répondait-il.

 Le Parti démocrate rate son objectif

Selon les projections, le Parti démocrate (PDJ), la principale force d’opposition, obtiendrait 73 sièges à la chambre basse. D’après les estimations de la chaîne publique NHK, le PDJ (centre gauche), deuxième formation du pays, ne recueillerait qu’entre 61 et 87 sièges, ratant la barre des 100 espérée. D’après la NHK, le Parti Libéral Démocrate (PLD, droite) aurait obtenu entre 275 et 306 des 475 sièges en jeu et pourrait conserver les deux tiers de la chambre basse avec son allié centriste Nouveau Komeito, qui aurait obtenu entre 31 et 36 sièges, contre 31 députés sortants.

Près de 105 millions de Japonais étaient convoqués dans les écoles, mairies et autres lieux publics pour voter, mais la participation a été faible tout au long de la journée en raison du manque d’enjeu et d’une météo défavorable dans une partie du pays.

Le PLD de Shinzo Abe avait 295 sièges et le Komeito, son partenaire de coalition, 31 à la Chambre des représentants quand elle a été dissoute pour ces élections anticipées. Le PDJ, lui, en avait 62. Cinq sièges ont été supprimés dans le cadre d’une réforme électorale. 18H00 (09H00 GMT), elle n’était que de 34,98 %, en recul de 6,79 points par rapport à celle du scrutin du 16 décembre 2012 où le nombre de votants était déjà historiquement faible.

Source : La Tribune.fr 14/12/2014

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Asie, rubrique Japon Il est plus important de limiter les radiations que l’information, On Line, Le Japon revient au nucléaire ,

Afrique : émergence dans l’insécurité ?

L'Afrique dans la géopolitique mondiale de 1945 à nos jours. source http://www.xaviermartin.fr/index.php?post/2010/12/28/L-Afrique-dans-la-g%C3%A9opolitique-mondiale-de-1945-%C3%A0-nos-jours

Par Pierre ABOMO*, le 2 décembre 2014

La croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente-t-elle à un leurre ? Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante.

AU COURS des 3 à 4 dernières années, l’Afrique a légèrement changé la perception que l’on avait d’elle au niveau international. Pendant de longues décennies l’Afrique a été décrite comme une terre d’espoir perdu, de misère et de calamités. Même si dans une certaine mesure cette perception n’était pas correcte, elle comportait néanmoins une part de vérité. Cependant, le discours ambiant aujourd’hui a radicalement changé. On parle de « temps de l’Afrique » [1], de « continent d’espérance » [2] avec à l’appui de nombreux superlatifs. Ce changement de discours est nourri par une embellie économique liée à de forts taux de croissance qui font envie à certaines parties du monde. Ainsi, l’Angola, le Nigeria, l’Ethiopie, le Tchad, le Mozambique et le Rwanda figuraient parmi les dix économies ayant obtenu les meilleurs taux de croissance dans le monde en 2012.

Toutefois, à côté de ces classements flatteurs, on a aussi une actualité peut reluisante qui met en évidence la hausse d’attentats terroristes, la percée des rebellions et des actes de défiance à l’Etat qui ruinent les vies et les libertés des africains. Du nord Mali au Sud Soudan, en passant par le Nigéria, le Cameroun, la Centrafrique, l’est de la République Démocratique du Congo, les actes de violences et la menace de l’insécurité sont devenus une hantise au quotidien pour les habitants de ces régions. On pourrait valablement soutenir que l’Afrique ne fait point exception à ce niveau, et que le terrorisme est une menace globale qui menace tous les Etats. Cependant, cette lecture habile du problème constitue une fuite en avant et tend à éluder un problème réel irrésolu depuis les indépendances africaines, à savoir l’échec dans la construction d’Etats capables de répondre à la première des libertés qu’est la sécurité, le manque de leadership visionnaire et prévoyant. Aussi, comme le souligne à juste titre Rick Rowden [3], la croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente à un leurre. C’est en quelque sorte un grand arbre qui cache une forêt (1) et qui éclipse à tort le préalable de la sécurité et la stabilité, véritable baromètres de l’affirmation étatique (2).

I. L’émergence économique actuelle, un arbre qui cache la forêt

Derrière les prouesses économiques de l’Afrique, on note aussi la persistance d’une instabilité chronique. Beaucoup d’Etats africains, y compris ceux occupant le podium du succès économique, sont encore incapables d’assurer la mission fondamentale autour de laquelle se structure l’Etat, en l’occurrence la sécurité et la préservation des citoyens contre la violence.

Prenant le cas du Nigéria, « épicentre de la violence maritime dans le Golfe de Guinée » [4], le pays est débordé sur son flanc nord par la secte islamiste Bokam Haram et sur son flanc sud par les pirates du Delta du Niger. Malgré de bons résultats économiques et de solides perspectives de croissance démographique et économique, il continue à présenter de nombreuses faiblesses structurelles au plan politique intérieur et sécuritaire. La mal gouvernance des ressources maritimes et pétrolières, l’absorption de la masse de jeunes ployant sous le joug du chômage et de la pauvreté, sont autant de défis structurels qui handicapent le Nigéria. Ainsi, « les 20 pour cent les plus pauvres ne touchent que 4 pour cent du revenu national, tandis que les 20 pour cent les plus riches en encaissent 53 pour cent ». [5] Cette jeunesse, selon l’attitude qui sera adoptée par les dirigeants pourra être une chance ou une véritable menace à la stabilité du pays.

On pourrait en dire autant sur d’autres champions de la croissance économique africaine des années récentes tels que l’Angola ou la Guinée équatoriale, où la stabilité politique n’est point garantie à moyen et long terme. Ceci non seulement en raison de la longévité au pouvoir de leur dirigeant et de l’absence d’un système de transition prévisible et démocratique, mais également à cause du modèle d’organisation politico-institutionnel quasi familial où une minorité de proches occupent les premières places de l’appareil gouvernemental et tirent les principaux bénéfices de la croissance économique. Très peu d’Etats africains on en effet pu objectiver une vision transcendantale de l’Etat qui privilégie la raison d’Etat et la construction d’institutions fortes et inclusives au détriment du népotisme, du clientélisme, de la corruption ou du favoritisme. Ce sont là des ingrédients qui alimentent l’instabilité et la menace permanente d’insécurité malgré le succès économique. Ainsi, une zone d’ombre demeure, une inquiétude persiste et amène à plus de réserve quant au concept largement répandu d’émergence de l’Afrique. De fait, l’incapacité actuelle des entités politiques africaines à créer des Etats véritables capables de répondre aux défis de la sécurité et de la stabilité politique de longue durée donnent malheureusement des raisons de tempérer cet élan d’optimisme, voire de douter du concept même d’émergence en Afrique.

II. L’émergence véritable de l’Afrique, une nécessité subordonnée au préalable de la stabilité politique et sécuritaire

Certes, l’Afrique a fait des progrès en terme de hausse de la scolarisation, baisse de la mortalité infantile, amélioration de l’IDH et expansion du champ démocratique…Elle connait par ailleurs une forte croissance démographique et une augmentation des investissements directs étrangers, et donc son intégration à l’économie mondiale. Mais pour autant, doit-on nécessairement y voir l’annonce d’un développement futur et la fin des empêchements dirimants qui amenuisent les chances d’éclosion du continent en tant que pôle autonome de croissance et de développement ? En effet, peut-on réellement parler d’émergence de l’Afrique en minorant la question de l’insécurité et l’instabilité politique latentes qui planent comme une épée de Damoclès sur la plupart des pays, y compris les champions de taux de croissance à deux chiffres ?

A l’observation, on note une sorte d’emballement médiatique, un empressement à dire autre chose sur l’Afrique que ce qui a toujours été dit et écrit. Cependant, au risque de faire de l’incantation, cette lecture du développement économique de l’Afrique à l’aune du seul facteur économique s’avère simpliste et insatisfaisante. Elle procède comme s’il suffisait de faire de la croissance économique pour s’affirmer comme un Etat, comme si l’histoire du développement économique des Etats s’apparentait à celle d’une entreprise où la réalisation d’un meilleur chiffre d’affaires, d’une bonne croissance d’une année à l’autre suffisait à pérenniser son modèle économique.

L’Etat c’est malheureusement [ou heureusement d’ailleurs] aussi, voire d’abord une collectivité humaine qui a besoin de sécurité et de stabilité politique. C’est une entité qui a besoin d’un territoire sécurisé, avec à sa tête des institutions stables et indépendantes, dont la survie ne dépend pas de la magnanimité ou de la bienveillance d’un seul homme, fut-ce-t-il fort et illuminé. L’Etat doit pouvoir survivre et transcender la vie éphémère de ses pères fondateurs. Et cette dimension transcendantale n’est accomplie que lorsque des institutions fortes et inclusives énoncent et assurent les conditions essentielles de stabilité politique, de sécurité, de développement économique et social. L’Etat c’est donc un phénomène social total qui va bien au-delà de l’affirmation économique. L’analyse de son succès ou de ses perspectives d’avenir doit procéder d’une démarche holistique qui intègre non seulement l’économique, mais préalablement le politique, le sécuritaire et le social. Or à s’en tenir à ces variables essentielles, on est bien loin du compte concernant l’Afrique.

En conclusion, le problème de l’Afrique n’est pas tant qu’elle ne réunit pas encore les conditions de l’affirmation étatique, mais bien qu’elle semble ne pas en avoir conscience, et se complait à l’autosatisfaction, sans que les bases essentielles de son développement soient posées. Elle semble mettre la charrue avant les bœufs et pense que la bataille essentielle qu’elle doit remporter est celle de l’amélioration de ses indicateurs macro-économiques. Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante. En réalité, il sera plus indiqué de parler d’émergence en Afrique une fois que le continent aura bravé cette première étape qui conditionne toutes les autres, à savoir la sécurité et la stabilité politique, couplée à la mise en place d’institutions et d’une vision de développement inclusive qui se moque des ethnies, des clans et des fanatismes religieux.

* Pierre Abomo. UNESCO, Consultant – Project Manager. Sciences Po Paris, Master en Affaires internationales (Conception et évaluation des politiques publiques & stratégies de développement économique et social ; Management interculturel et négociations internationales).

Copyright Décembre 2014-Abomo/Diploweb.com

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique, Géopolitique,

Vers un retour du politique aux forceps

6a00d83451b56c69e201b7c71b5390970b-500wiLe Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, a préféré prendre les devants en annonçant que le « consortium international de journalistes d’investigation » s’apprêtait à révéler un « Luxleaks II » sur les pratiques d’optimisation fiscale (type « tax ruling » ou rescrit fiscal) auxquelles se livre le Grand Duché afin d’attirer des entreprises étrangères. Jean-Claude Juncker, qui a dirigé ce pays entre 1995 et 2013, afin de prendre, le 1er novembre, la présidence de la Commission européenne, est directement visé par ces révélations en cascade. En exclusivité pour Libération, il répond à ses détracteurs. Au delà, il explique comment la Commission entend relancer l’économie de l’Union, condition sine qua non pour que les citoyens adhèrent à nouveau à l’idée européenne.

Le Luxleaks vous affaiblit-il ?

Subjectivement parlant, je n’ai rien de plus à me reprocher que ce que d’autres auraient à se reprocher. Je note d’ailleurs que les gouvernements européens n’ont rien dit à la suite de ces articles. Mais, objectivement parlant, je suis affaibli, car le Luxleaks laisse croire j’aurai participé à des manoeuvres ne répondant pas aux règles élémentaires de l’éthique et de la morale. Il y a beaucoup de doutes dans l’esprit de nombreux européens ce dont je suis profondément triste. Il est clair désormais que, malgré le caractère euro-oeucuménique de ces décisions fiscales anticipées, elles posent un problème dont nous avons tort, nous les gouvernements européens, de ne pas nous occuper avec plus d’intensité. J’ai essayé de le faire en 1997 lorsque j’ai fait adopter par le Conseil des ministres des finances, que je présidais alors, un code de bonne conduite contre la concurrence fiscale déloyale. J’ai bien essayé d’aller plus loin en proposant une directive contraignante, mais certains pays s’y sont opposés.

Jean-Claude Juncker, premier ministre, n’ayant pas lutté contre l’évasion fiscale dans son propre pays, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, est-il le mieux à même d’y mettre fin ?

 Je ne voudrais pas qu’on me traite d’une façon isolée, détachée des agissements des autres. Ce n’est pas une excuse noble à vrai dire, mais tout le monde fut fautif, car nous n’avons pas réagi à la disparité des normes fiscales nationales qui permettent aux sociétés multinationales de trouver une chambre noire où agir. J’ai dit, lors de la campagne électorale, puis lors de mon discours d’investiture du 15 juillet devant le Parlement européen et enfin lors du vote d’investiture de l’ensemble de la Commission en octobre que je comptais agir contre l’évasion et la fraude fiscale : cela fait parti de mes dix priorités et ce n’est pas à la suite du Luxleaks que j’ai soudain découvert la nécessité d’agir. On a cru à ma sincérité, maintenant on me croit moins, mais je vais prouver que ceux qui me croient ont raison.

En matière fiscale, c’est la règle du vote à l’unanimité qui s’applique d’où le blocage de l’harmonisation fiscale…

L’atmosphère a changé depuis 20 ans. Les opinions publiques et plus particulièrement les victimes des politiques d’austérité ou de rigueur n’acceptent plus, à raison, la nonchalance avec laquelle d’autres acteurs de la vie économique et sociale sont traités. Et comme les gouvernements affirment qu’il faut lutter contre l’évasion et la fraude fiscale, j’ose croire que personne ne sera opposé à ce que l’on adopte des instruments qui nous permettront de faire en sorte que ce qu’on dit corresponde à ce qu’on fait. On peut agir, mais il faut le faire rapidement. Ainsi, une directive sur l’échange automatique d’informations sur les décisions fiscales anticipées sera présentée au cours du 1er semestre 2015. On verra à l’autopsie qui s’y opposera…

Entre les citoyens et le projet communautaire, il y a un désamour profond. Souvent, l’Union est identifiée aux cures de rigueur ou d’austérité. Comment en est-on arrivé là ?

Ce fossé entre les opinions publiques et l’Europe n’est pas l’invention des populistes et des eurosceptiques. On peut les accuser de tirer profit de la situation, mais pas de l’avoir créé. Il faut donc moins s’occuper des eurosceptiques que du phénomène en soi. Nous avons toujours expliqué l’Europe par les nécessités d’hier, la guerre, la paix. Bien que la Yougoslavie ou l’Ukraine viennent nous rappeler que la guerre n’est pas un phénomène étranger au continent européen, il faut redonner du sens au projet européen, expliquer pourquoi il est nécessaire de s’unir davantage à l’avenir. Nous devons prendre conscience que l’Europe perd en importance chaque année : déjà, géographiquement, nous sommes le plus petit continent de la planète. Ensuite, toute puissance politique est la conjugaison de la géographie et de la démographie : or, les Européens qui représentaient 20 % de la population mondiale au début du XXème siècle, ne pèseront plus que 4 % à la fin du siècle. Enfin, en terme de PIB mondial, nous sommes en perte continue. D’ici 20 ou 30 ans, nous serons toujours le plus petit continent, démographiquement nous aurons presque disparu et économiquement nous compterons moins. Voulons-nous vivre dans un monde où l’Europe et ses valeurs ne compteront plus ? Le seul moyen est d’unir nos forces et non pas retomber dans le petit étatisme : nous avons des choses à dire à l’humanité ! Les femmes et les hommes de mon âge ont un devoir, l’ardente obligation de défendre l’héritage qui nous fut légué par ceux qui ont fait la guerre. Dans 20 ans, nos sociétés seront animées par des gens qui ne connaitront même pas un témoin direct des grandes catastrophes séculaires européennes. Il ne faut pas inventer un autre narratif, mais compléter notre narratif qui venait du passé.

Mais cela ne suffira pas à combler ce fossé préoccupant…

 Il faut reconnaître que l’Union s’est occupée de trop de choses. Nous avons pensé que chaque problème qui existait en Europe était un problème pour l’Union européenne. Ce fut une lourde erreur parce que les peuples, les nations, n’acceptent plus l’ingérence des instances européennes dans leur quotidien. Il faut être grand sur les grandes ambitions et modeste sur les aspects qui n’ont pas une importance évidente. C’est pour cela que j’ai nommé un premier vice-président chargé de lutter contre les charges administratives et l’hyper réglementation. C’est aussi pour cela que j’ai lancé un plan d’investissement de 315 milliards d’euros : il faut mettre en place un triangle vertueux entre la consolidation budgétaire, les réformes structurelles et l’investissement. Il faudra aussi que nous insistions davantage sur la dimension sociale européenne qui est restée une pièce vide : c’est certes une compétence essentiellement nationale, mais c’est aussi une ambition européenne, même si elle est déclinée nationalement. Il faudra aussi mieux expliquer l’Europe. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux commissaires de voyager à travers l’Europe, de visiter les Parlements et pas seulement les leurs, d’être en contact avec les sociétés civiles et pas seulement les leurs, de parler non seulement de leur dossier, mais de l’ensemble de l’action politique de la Commission. On a 5 ans pour réussir. Je suis impressionné par l’ampleur de la tâche : j’aiparfois peur de prendre une mauvaise décision, je suis un type angoissé, car on ne sait pas tout. Je ne veux pas qu’il se passe des choses dans cette maison sans que je sois au courant : j’ai d’ailleurs dit à la réunion du dernier collège que je ne veux plus découvrir dans les journaux ce que la commission a décidé la veille, je veux le savoir avant que la décision ne soit prise.

Depuis la crise de la zone euro, le discours européen s’est réduit aux coupes budgétaires et aux réformes structurelles qui riment souvent avec régression sociale. L’Europe, devenu une sorte de père fouettard, ne fait plus rêver.

Il fut un temps où réforme rimait avec progrès social. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de « réformes structurelles », une expression fourre-tout, tout le monde entend punition, réduction des acquis sociaux, insécurité. Et il est vrai que lorsqu’on voit ce qui a été fait dans certains pays, c’est bien à cela qu’on a abouti. Je sais ce que cela veut dire : si mon père avait eu un CDD, je n’aurais jamais vu une fac de l’intérieur. L’action publique est désormais perçue comme une volonté de réduire les droits que des générations ont conquis de haute lutte. C’est pour cela qu’il faut rééquilibrer notre politique économique afin de relancer la croissance et créer les emplois de demain. J’ai donc lancé ce plan européen de 315 milliards d’euros sur la période 2015-2017 : l’Europe est en panne d’investissement et il est de notre devoir d’y remédier. Pour autant, je considère que la rigueur budgétaire reste nécessaire, car on ne pas vivre au dépend des générations montantes, et que les réformes doivent être faites pour augmenter le potentiel de croissance au bénéfice des générations futures, et non pas pour punir ceux qui sont là. Je veux mettre en place un triangle vertueux entre consolidation budgétaire, réformes structurelles et investissement

Ce plan de 315 milliards d’euros est-il suffisant ?

Ceux qui disent qu’il faudrait 1000 milliards d’euros n’ont pas entièrement tort, mais je n’ai pas cette somme. Je propose donc de faire un usage plus intelligent des sommes qui sont à notre disposition. Jusqu’à présent, le budget européen payait directement des subventions pour réaliser des projets dans les pays membres. Demain, une partie de ces sommes sera transformée en montants financiers qui permettront d’ériger un socle de garantie (la « garantie de première perte ») afin que le capital privé s’investisse en Europe. Car l’argent est là, mais il n’est pas investi, il dort dans les banques. L’accueil a été généralement bon dans les Etats. Et ceux qui estiment que le capital de départ est trop modeste auront la possibilité de contribuer directement à la garantie. Ils ont même intérêt à le faire, puisque cet apport sera neutre du point de vue de l’application du Pacte de stabilité. Deux milliards d’euros de plus, ce sera trente milliards de plus au service de l’économie grâce à l’effet de levier.

Cet effet de levier n’est-il pas surestimé ?

La Banque européenne d’investissement (BEI) a vu son capital augmenter de dix milliards en 2012 et cela a permis de financer des investissements de l’ordre de 200 milliards. C’est un effet de levier compris entre 18 et 20. Celui que nous prévoyons pour notre fonds d’investissement est de 15, ce qui correspond à une moyenne historique. Notre fonds permettra de financer des investissements à haut risque contrairement à la BEI. Comme nous avons cette garantie de première perte, le capital privé sera attiré par ce mécanisme.

Quels sont les Etats qui vont le plus profiter de cette manne ?

Mon but est de sortir de cette logique du juste retour. Le choix des projets ne sera pas politique : il reviendra aux investisseurs, qui connaissent l’économie réelle, de choisir ce qu’ils veulent financer dans une gamme de projets que la Commission et la BEI auront sélectionné. Car ce qui est bon pour la croissance en Espagne, sera bénéfique à la croissance française, etc. Il faut se défaire de cette idée qu’on n’investit que dans sa propre poche.

C’est un premier pas vers l’utilisation d’une partie du budget européen pour aller sur les marchés afin de lever des fonds plus importants.

Dans les prochaines perspectives financières, après 2020, il est très probable que l’exercice sera répété si notre entreprise est couronnée de succès. On envisage d’ailleurs de ne pas limiter cette opération à la période 2015-2017, mais de la prolonger pour 2018-2020.

Est-ce un moyen de contourner le véto allemand à tout emprunt européen ? Car, au fond, vous utilisez le budget de l’Union pour emprunter sur les marchés…

Attention : c’est la BEI qui va emprunter pas l’Union. Je reste favorable aux obligations européennes, mais cela n’a aucun sens de répéter une idée qui rencontre de farouches oppositions.

L’Europe est au bord de la déflation. Pensez-vous que votre plan d’investissement permettra de l’éviter ?

Il faut tout faire pour l’éviter. Heureusement, l’environnement économique s’est fortement amélioré : baisse du prix du pétrole, de l’euro, des taux d’intérêt, inflation basse, etc.

Avec les risques de déflation, ne faudrait-il pas faire une pause dans les politiques de consolidation budgétaire ?

Ce que nous avons fait à l’égard de la France et de l’Italie montre que la Commission n’a pas uniquement une approche chiffrée des questions budgétaires. Nous avons adopté une nouvelle lecture plus politique : il s’agit de mettre l’accent sur les réformes structurelles qui auront pour résultat d’améliorer la compétitivité de l’économie européenne. En janvier, nous ferons d’ailleurs une communication sur la flexibilité dans le Pacte de stabilité.

Vous n’aviez pas envie de devenir président de la Commission, mais plutôt président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, un travail moins contraignant.

Je suis retombé amoureux de l’Europe au cours de la campagne électorale. J’ai parcouru 22 pays en six semaines, un voyage enthousiasmant ! Cela a été un vrai bain de jouvence ! Je suis très heureux d’être où je suis : j’ai cinq ans pour redonner envie d’Europe aux citoyens qui seraient désabusés.

Envisagez-vous un second mandat ?

Comme premier ministre, on ne peut pas dire que l’on ne sera plus candidat, sinon on est mort. Pas comme président de Commission : cinq ans, ça suffit !

Photo: Reuters

N.B.: version longue de l’interview paru dans Libération daté du 10 décembre

Voir aussi : Rubrique AffairesJean-Claude Juncker (archives), Rapport SREL, rubrique UE, Luxembourg, Commission la finance aux manettes, rubrique Médias,

L’Allemagne: bancale, en équilibre instable ?

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La Chancelière a tonitrué comme jamais à l’occasion d’interviews programmatiques: les budgets doivent être équilibrés, les latins doivent comprendre ce que « équilibrer » veut dire en Allemand. En tout cas, cela ne peut pas vouloir signifier « remettre à demain ». Équilibrer, c’est tout de suite, avec conviction et volonté. C’est faire comme les Allemands des réformes Schroeder. C’est creuser profond pour renforcer les fondations même s’il faut envoyer des petites mains mal payées, sans SMIC et sans protection sociale avec des contrats de travail gentiment traficotés pour pouvoir se débarrasser sans trop de difficultés des insuffisants ou du manpower en surplus. L’Allemagne n’a-t-elle pas enfin, après des années de travail sur elle-même, trouvé cette équilibre budgétaire qui fait les bonnes dépenses publiques et qui donne le sentiment à la masse des imposables que l’argent versé est bien utilisé?

Les saines fondations du Bunker…

Il est fermement établi et accroché dans le sol. Il ne risque pas d’être emporté comme une vulgaire digue néerlandaise ou submergé comme des centrales nucléaires japonaises?

C’est un fait que l’Allemagne a su d’année en année en venir enfin à un budget équilibré. Le mot « enfin » a un sens fort car pendant de nombreuses années les Allemands ont connu la même dérive des dépenses publiques que la France, au point qu’en 2011, Claude Junker pouvait s’exclamer que les pays les plus endettés n’étaient pas ceux qu’on croyait et que l’Allemagne qui avait atteint un niveau impressionnant de dettes accumulées pour financer ses déficits faisait jeu égal avec la France. A cette époque, l’Allemagne était le troisième pays le plus endetté du monde. Si cette information n’était pas venue d’Eurostat, si l’Allemagne de l’Est avait encore existé, on aurait dit qu’il y avait là une manœuvre fétide destinée à saboter le modèle allemand! D’évidence ce n’était pas le cas, les déficits budgétaires qu’il avait fallu re-financer étaient les fautifs comme en France, comme aux Etats-Unis etc. En particulier, se trouvaient en cause les plans de relance sur financement publics pour éviter que 2008 se transforme en clone de 1929. Ainsi, entre 2007 et 2010, la dette publique allemande avait bondi de 64,9% du PIB à 83,2%. Quant à la France, elle passait de 63,9% à 81,7%!!!! Un comble: le taux d’endettement de l’Allemagne était supérieur à celui de la France.

Mais ça c’est le passé. Un passé douloureux, certes, que ce demi-siècle de budget déséquilibré. En 2014, le gouvernement allemand a tranché sur ses mauvaises habitudes. Le projet de budget est à l’équilibre. Une première depuis 1969. Jouent à plein dans ce rééquilibrage du budget, la fin de la prise en charge de l’Allemagne de l’Est, la fin du désarmement de fait de l’Allemagne, résultat de l’effondrement de l’Union Soviétique, la diminution de la prise en charges sociales, dont, en particulier, celle du chômage et enfin, la compression violente des dépenses publiques en infrastructures, équipements publics, hôpitaux etc. Après avoir été présentée comme l’homme malade de l’Europe, l’Allemagne a pu capitaliser sur tous ces efforts, dont ceux qui venaient directement des mesures dites « loi Hartz ». L’Allemagne récolterait donc maintenant le double effort qu’elle a mené sur elle-même, effort sur l’organisation du travail et celle du non-travail, d’une part, effort, d’autre part, sur les dépenses exposées pour le « confort de la société », éducation, santé, infrastructures routières etc.

Le bunker est installé sur du sable

Si on veut vraiment descendre dans les tréfonds, un peu plus bas que la cave, vers les quelques tonnes de béton qu’on a insufflé pour que le bunker tienne bien, on devrait s’inquiéter: ce rééquilibrage fait plus bidouille qu’efforts créatifs. Si on prend la régression du chômage tel que comptabilisé dans les statistiques allemandes, on invoquera, si on est optimiste, la bonne gestion des dépenses « sociales », le retour au travail des paresseux (il y en aurait même en Allemagne) et la croissance allemande; si on est pessimiste, on dira qu’il n’est pas bien difficile de réduire les dépenses relatives au chômage des jeunes par exemple quand on sait qu’en matière de jeunes, l’Allemagne est plutôt en fort déclin et que la remise à plat des structures du marché du travail et de dépenses sociales dans les dix années qui ont précédé la crise, ont largement profité de la croissance de l’ensemble de l’Union Européenne.

L’évolution de la population active fournit des informations intéressantes sur le caractère très approximatif du bel équilibre allemand. En France, sur la période 1991-2013, la population active a cru de 15,7%. En Allemagne, 8,5%. Écart « en faveur » de la France: 400.000. Même constatation pour les emplois qui sont en progression de 13,7% en France contre 8,7% en Allemagne. Décidément, si les Allemands sont très forts pour le fameux marché de l’emploi, cela pourrait bien tenir à ce qu’il s’y trouve de moins en moins de « travailleurs »!

La preuve par un calcul « absurde »: imaginons que l’Allemagne ait « fait » aussi bien que la France, imaginons que la progression de la population active allemande se soit calquée sur la vitesse de progression de la France: résultat, l’Allemagne aurait eu 5 millions de chômeurs en plus!!! Soit le même taux que la France!!! et sachant qu’on « oublie » ici que les calculs du chômage en Allemagne tiennent compte des curieux contrats « un euro » qui permettent de sortir un nombre important de chômeurs des listes des demandeurs d’emploi.

L’équilibre au présent sacrifie le futur

Les fissures dans les fondements ont parfois quelques agréments: l’Allemagne, comme la plupart des pays en régression démographique, a la chance d’économiser des masses considérables d’argent. On apportera une autre preuve par l’absurde sur ce point en imaginant que les Allemands aient connu le même taux de progression démographique que les Français entre 2000 et 2013: le résultat aurait été impressionnant, la population allemande aurait progressé de 6.5 millions d’habitants. En 2013, les charmants bambins n’ont pas encore contribué à faire progresser le revenu national. En revanche, ils pèsent sur les revenus de leurs parents et coûtent à leur gouvernement (c’est-à-dire à leurs parents à nouveau).

En faisant un calcul simpliste c’est-à-dire en s’appuyant sur la dépense publique par habitant selon le budget 2015, soit environ 4 100 euros par an, on conclurait que le surcoût de ce dynamisme démographique se situerait à environ 26 milliards d’euros soit des dépenses publiques 2015 supplémentaires de 8%… Autant dire que le Budget serait plus déséquilibré encore que le budget anglais, qui a le singulier privilège de pulvériser le déficit français! Encore est-on ici dans une mesure approximative car, une population « jeune » progressant à cette vitesse, comme en France, induit des dépenses sociales, santé, éducation, soins maternels et infantiles, supérieures à ce qui est nécessaire à une population largement constituée de personnes entre 18 et 65 ans. Le budget moyen par habitant en serait naturellement impacté. Au surplus, on n’a pas mesuré la demande d’investissements en logements et son impact en infrastructures. Donc, les 26 milliards sont la zone incompressible à la baisse. 40 milliards seraient plus justes en tenant compte de la profonde modification de la structure économique allemande globale en raison de ce rééquilibrage démographique drastique.

L’insuffisance démographique conduit à un besoin accru en main d’œuvre étrangère? Eh bien voilà qui est simple, les 40 milliards ont été financés par les voisins!!! C’est la forme budgétaire de la stratégie du coucou.

Complétons dans la recherche des fissures ou des malfaçons caricaturales qui fragilisent les fondations du bunker: il manque à l’Allemagne des têtes et des bras. Prenons simplement les têtes, c’est-à-dire les ingénieurs, les techniciens, les diplômés en tous genres qui constituent cette classe de salariés supérieurs. 200.000 par an serait le besoin annoncé: or, les études internationales montrent qu’un diplômé de l’enseignement supérieur « coûte » 100.000 euros par an pendant quatre ans. L’importation, gratuite, de cette denrée rare représente donc une sérieuse économie pour le budget allemand: 20 milliards! Décidément, si l’Allemagne avait une démographie « à la française », le coût finirait par en être exorbitant! Elle ressemblerait à un vrai pays latin!

Et les fissures deviennent des lézardes

Faut-il compléter? On ne dira rien sur l’effondrement des dépenses d’investissement public: après tout, les voitures allemandes sont d’une qualité telle que les nids de poule sur les autoroutes ne sont que des taupinières face des panzers!!! Peut-être, si les Allemands avaient plus de jeunes, que la demande de culture serait plus importante. On n’en parlera pas, c’est trop français, et ça sent trop l’exception culturelle. Ce n’est pas une obsession allemande. On a évoqué les Panzers? L’Allemagne combien de divisions? De moins en moins, peut-être à cause de la démographie, sûrement à cause des dépenses militaires aussi effondrées que le mur de Berlin.

En prenant ici, en prenant là, par exemple, le refus de soutenir les idées et valeurs de l’Europe en Afrique ou au Moyen-Orient, ce sont des petits milliards qui s’ajoutent aux petites centaines de millions qui font toucher du doigt que le bunker n’est pas si solidement posé, il serait tout de guingois, il vacillerait aussi. Son équilibre est mal assuré dans le court terme va devenir douteux dans la longue durée. Sans compter que la troupe qui le tient est en voie de réduction et, qui plus est, de moins en moins satisfaite et de moins rassurée.

Ancien dirigeant de la banque HSBC
Source : Huffington Post 10/12/2014
Voir aussi : Rubrique Economie, UE, Allemagne,

Susan George : « La ratification du Tafta serait un coup d’État… »

«?Les usurpateurs pénètrent souvent sur invitation dans les institutions.?» Photo Astrid di Crollalanza -

Invitée dans le cadre des grands débats à Montpellier, Susan George évoque dans son dernier livre « Les Usurpateurs » (Seuil) la prise de pouvoir des transnationales.

Franco-américaine, présidente d’honneur d’Attac-France, et présidente du conseil du Transnational Institute (Amsterdam), Susan George s’est engagée depuis longtemps dans les combats internationaux contre les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste.

Votre ouvrage pose ouvertement la question du pouvoir illégitime des entreprises qui mine les fondements de notre démocratie représentative. Sur quels constats?

Tout le monde est conscient de l’action des entreprises auprès de tous ceux qui font les lois pour défendre leurs intérêts. Mon livre donne des détails sur ces lobbys et lobbyistes « classiques » mais s’intéresse bien plus à leur capacité à se regrouper par branche – agro-alimentaire, chimie, pharmaceutique etc. – dans des institutions aux noms bien anodins comme les conseils, fondations ou instituts. Ces organisations sont beaucoup plus subtiles dans leurs techniques de communication et de persuasion. Elles parviennent à biaiser la législation dans la santé publique, l’environnement ou la consommation. Je consacre une grande partie du livre à ces usurpateurs qui pénètrent, souvent sur invitation, dans les institutions nationales et supranationales comme les Nations-Unies.

Comment évaluer l’ampleur actuelle du lobbying ?

Le Congrès des USA dispose d’un registre assez complet et plutôt contraignant. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, vient d’annoncer que l’enregistrement sera aussi obligatoire auprès des institutions de l’UE. C’est tout à son crédit et déjà les plus grandes banques internationales comme Goldman Sachs ou HSBC s’enregistrent. On trouve aussi de bons outils d’information sur Internet. Mon livre en donne un résumé aussi complet que possible. Il s’adresse au lecteur dit généraliste, ce pourquoi j’ai souhaité privilégier l’urgence et non pas faire quelque chose d’universel. Je donne des pistes pour continuer ce travail de dévoilement.

Où situez-vous l’urgence ?

Le plus urgent c’est le Traité entre les Etats-unis et l’UE dit TAFTA ou TTIP. Ce traité est actuellement négocié à huis-clos. Si nous n’arrivons pas à l’arrêter avant qu’il soit ratifié, ce sera un véritable coup d’État contre la démocratie et contre les citoyens qui sera perpétré. C’est la raison pour laquelle je traite le sujet sur le plan international. Actuellement les entreprises des deux cotés de l’Atlantique s’unissent pour obtenir gain de cause.

De quels moyens dispose la justice face à des personnes qui gouvernent sans gouvernement ?

Si le TAFTA passe, la justice aura de moins en moins de moyens.  Avec le système de règlement des différends dit « de l’investisseur à Etat », l’entreprise pourra porter plainte contre un gouvernement dont une mesure quelconque aura entamé ses profits actuels ou même futurs. Le texte prévoit le jugement par un tribunal privé composé de trois arbitres issus des très grands cabinets d’avocats d’affaires internationaux, sans appel et à huis-clos.

Pourquoi le noyautage des institutions politiques internationales, nationales, régionales ne provoque-t-il pas une réaction de la sphère politique légitime ?

Excellente question ! La réponse est : « Je ne sais pas ». Comment se fait-il que nos gouvernements à tous les niveaux soient si ouverts, si complaisants à l’égard des Transnationales ? Ce ne sont même pas elles qui fournissent les emplois. Les gouvernements prétendent chercher « l’emploi » à tous les coins de rue mais les vrais leviers en Europe sont les PME qui produisent environ 85% des emplois. Celles-ci sont négligées, laissées à la portion congrue. Les banques refusent de leur faire crédit et les États continuent à faire les yeux doux aux entreprises géantes qui réduisent leur personnel chaque fois qu’elles le peuvent pour satisfaire leurs actionnaires.

Sur quels fondements philosophiques et éthiques les citoyens dont la légitimité est bafouée peuvent-ils asseoir leurs revendications ?

Il faut baser notre éthique du refus et de la revendication sur ce que l’Europe a fait de mieux dans son Histoire plutôt salie par les guerres, la colonisation, la Shoah, j’en passe et des meilleurs… Avec les Etats-unis, elle est le berceau des Lumières, des révolutions contre le pouvoir, de l’invention de la démocratie et de la justice en tant qu’institution. C’est un travail toujours à recommencer et aujourd’hui plus que jamais. Je commence mon livre en rappelant ce qui donne sa légitimité au pouvoir, à commencer par le consentement des gouvernés et l’État de droit. Cela, les transnationales s’en fichent comme d’une guigne.

La référence à l’héritage des Lumières n’est-elle pas en partie partagée par les néolibéraux ?

Oui, dans le sens où les néolibéraux ne tiennent pas à gouverner directement. Il y a des subalternes pour ça ! du moment qu’ils peuvent dicter le contenu des politiques, ça leur suffit. Cela nécessite tout de même des lois qui, du point de vue du citoyen – ou de la nature si elle avait les moyens de s’exprimer – sont de très mauvaises lois. Le TAFTA serait un exemple achevé de la manière qu’ont les grandes entreprises de diriger en laissant le sale boulot, les négociations proprement dites, aux fonctionnaires politiques.

Il ne suffit pas de renverser les dictateurs mais d’opposer une résistance constante dites-vous...

Eh oui ! J’espère que mon livre donnera aux citoyens de meilleurs moyens pour résister et exiger de profonds changements. Ceux qui lisent ces lignes peuvent commencer par joindre leur signature* aux centaines de milliers d’autres qui refusent le TAFTA.

Recueilli par jean-Marie Dinh

Pétition TAFTA

Les Usurpateurs Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir. Ed du Seuil 2014 17 euros

Source : La Marseillaise/L’Hérault du Jour 08/12/2014

Voir aussi : Rubrique Rencontre, Jacques Généreux : « Le débat sur la compétitivité est insensé », rubrique UE, Commission la finance aux manettes, rubrique Economie, Aéroport de Toulouse les preuves du mensonge, Rubrique Politique, La France, mauvaise élève du lobbying, Manuel Valls dépose les armes de la gauche devant le Medef, Démocratie, Société civile, Politique économique, Rubrique Société, Le lobby de l’eau, Le lobby nucléaire, Citoyenneté, Justice, rubrique Livre, Susan George de l’évaporation à la régulation,