Au Japon, les enjeux cachés des législatives


4539502_6_4e6f_discours-de-campagne-du-candidat-hirotaka_c0487db096887dee25b89b3a14f559bfFocalisée sur l’économie, la campagne pour les élections législatives du dimanche 14 décembre au Japon a éludé bien des sujets controversés, qu’il s’agisse de la révision de la Constitution, de la relance du nucléaire, de la politique de défense ou encore de la protection des secrets d’Etat. Le premier ministre Shinzo Abe a réussi à transformer ce scrutin en référendum sur les « Abenomics », les mesures de relance adoptées depuis son retour au pouvoir en 2012. « Pour le redressement économique, il n’y a que cette voie à suivre », tel fut le message martelé par le chef de gouvernement et ses troupes pendant les deux semaines passées à arpenter l’Archipel.

Surpris par l’annonce des élections anticipées, les autres partis ont tenté de suivre, essayant de capitaliser sur les limites des « Abenomics », en particulier sur le pouvoir d’achat. En vain, faute de pouvoir offrir une alternative crédible. Le 12 décembre, les sondages prédisaient une large victoire de M. Abe et de sa formation, le Parti libéral démocrate (PLD), qui pourrait obtenir plus de 300 des 475 sièges en jeu. Un tel succès restaurerait la popularité du premier ministre, affectée par la démission en octobre de deux ministres et par l’annonce en novembre de l’entrée en récession du Japon.

Absence de débats

Mais les sujets escamotés pourraient revenir dans l’actualité sitôt le scrutin passé. « Une fois réélu, il y a des chances que M. Abe oublie les Abenomics. Il pourrait concentrer son capital électoral sur les sujets qui lui tiennent à cœur, comme la défense ou la Constitution », estime Koichi Nakano, professeur de sciences politiques à l’université Sophia. « Il est compliqué de faire des réformes structurelles comme celles des Abenomics, confirme Michael Cucek, de l’Institut d’études asiatiques comparées de l’université Temple. Cela demande beaucoup d’énergie et peut créer des divisions. »

Le PLD a évité de parler des questions épineuses, aidé par une opposition qui n’a pas su en faire des sujets majeurs. D’après un sondage dévoilé le 11 décembre par le quotidien de centre gauche Mainichi, 49 % des sondés s’opposent à la loi sur les secrets d’Etat, contre 30 % qui la soutiennent. 51 % rejettent le droit à l’autodéfense collective, contre 35 % qui l’approuvent. L’absence de débats sur ces sujets peut aussi s’expliquer par la priorité donnée par les Japonais aux questions des retraites, de la sécurité sociale ou de l’éducation.

La loi sur la protection des secrets d’Etat, adoptée fin 2013 sur fond de vive contestation et entrée en vigueur le 10 décembre, est critiquée pour le flou de sa formulation. Elle prévoit dix années de prison pour une personne révélant une information classifiée et cinq ans pour ceux – journalistes ou militants par exemple – qui inciteraient à en révéler.

M. Abe y voit un moyen d’assurer la sécurité et de protéger l’intérêt national. Mais son application inquiète. Le quotidien de centre gauche Asahi a déploré la « faiblesse de la supervision des modalités du classement des informations ». L’organisation étudiante SASPL (« étudiants contre la loi de protection des secrets ») a manifesté les 9 et 10 décembre devant le bureau du premier ministre.

« Faire taire la population »

Pour le Congrès des journalistes du Japon, le texte est « un moyen de fermer les yeux et les oreilles de la population, et de la faire taire, tout en usurpant la liberté de la presse et d’expression ». Son adoption a déjà fait perdre au Japon six places dans le classement des pays sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), où il est désormais en 59e position sur 180 pays. « La loi restreint de manière inappropriée le droit de savoir de la population », regrette de son côté le syndicat japonais des libertés civiles, qui réunit des professionnels du droit.

Autre sujet évité pendant la campagne : l’énergie et la relance du nucléaire, trois ans après la catastrophe de la centrale de Fukushima. Sous la pression de l’industrie nucléaire et des compagnies d’électricité, Shinzo Abe souhaite redémarrer les réacteurs de l’Archipel, qui pourraient être relancés dès le mois de février.

La réforme de la Constitution et plus précisément la révision de l’article 9, par lequel le Japon avait renoncé à la guerre après la défaite de 1945, n’ont pas non plus été abordés par les candidats. Ce débat « a été occulté pendant la campagne, regrettait un éditorial publié le 11 décembre par Mainichi. C’est le PLD qui porte la responsabilité de l’inquiétant silence qui entoure cette question. » Connu pour ses positions nationalistes, M. Abe a toujours souhaité réviser la Constitution. La mouvance nationaliste nippone rejette cet article 9, qu’elle estime « imposé » par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale.

Budget de la défense en hausse

Dans le domaine de la défense, la révision le 1er juillet dernier de l’interprétation de la Constitution pour permettre aux forces d’autodéfense (FAD) de participer à des systèmes de défense collective oblige le gouvernement à modifier la législation en cours. Les nouveaux textes devraient être finalisés en 2015. De même, alors que le Japon se débat avec une dette qui devrait atteindre 245 % du PIB, le budget de la défense devrait augmenter en 2015 pour la troisième année consécutive, en raison, explique le gouvernement, des risques liés à la menace chinoise.

Pour le professeur Nakano, Shinzo Abe pourrait « se rendre à nouveau à Yasukuni ». Ce sanctuaire shinto rend hommage, depuis la fin du XIXe siècle, aux soldats japonais morts à la guerre et qui se sont sacrifiés pour leur pays. Parmi eux, des criminels de guerre nippons de la seconde guerre mondiale. Il est devenu le symbole du militarisme des nationalistes nippons et chaque visite de premier ministre – la dernière fut celle de Shinzo Abe le 26 décembre 2013 – suscite l’indignation en Chine et en Corée du Sud. Pour Michael Cucek, M. Abe pourrait être tenté par une nouvelle visite, surtout si la présidente sud-coréenne Park Geun-hye persiste dans son refus de le rencontrer et si le numéro un chinois Xi Jinping maintient une attitude distante. Les contentieux historiques du Japon avec ses voisins pourraient être ravivés à l’occasion du 70anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, en 2015.

Cependant, souligne M. Cucek, « compte tenu de l’abstention attendue le 14 décembre, Shinzo Abe pourrait être élu par seulement un cinquième des inscrits. C’est peu même s’il a tous les pouvoirs au Parlement. » Dans ce contexte, renchérit Koichi Nakano, « la moindre difficulté sur l’économie ou sur des sujets impopulaires pourrait faire plonger sa popularité ».

Philippe Mesmer

Source Le Monde 12/12/2014
Les Japonais renouvellent leur confiance au conservateur Shinzo Abe

moody-s-abaisse-la-note-souveraine-du-japonLa coalition conservatrice sortante remporte une large victoire aux élections législatives de dimanche au Japon.

 Elle obtient d’après les premières projections 327 sièges sur 475 à la Chambre des représentants, la chambre basse du parlement japonais, où elle conserve sa majorité des deux tiers. Le Parti libéral démocrate (PLD) d’Abe n’obtient cependant pas à lui seul cette « super majorité » des deux tiers.

Les électeurs japonais étaient conviés dimanche à des législatives anticipées décidées en novembre par le Premier ministre sortant, Shinzo Abe. Ce dernier, âgé de 60 ans, voulait par ce scrutin obtenir un nouveau mandat pour conforter sa politique économique (surnommée « Abenomics »), après sa décision de reporter une nouvelle hausse du taux de TVA. La première hausse, qui a vu ce taux passer de 5 % à 8 % en avril dernier, a provoqué un recul de l’activité.

« Le taux de chômage a baissé, les salaires ont commencé d’augmenter, pensez-vous qu’il faille que l’on arrête, ou faut-il continuer », avait fait mine d’interroger Shinzo Abe tout au long de ses nombreux discours de rue. « Les abenomics (cocktail de mesures économiques) sont la seule voie », répondait-il.

 Le Parti démocrate rate son objectif

Selon les projections, le Parti démocrate (PDJ), la principale force d’opposition, obtiendrait 73 sièges à la chambre basse. D’après les estimations de la chaîne publique NHK, le PDJ (centre gauche), deuxième formation du pays, ne recueillerait qu’entre 61 et 87 sièges, ratant la barre des 100 espérée. D’après la NHK, le Parti Libéral Démocrate (PLD, droite) aurait obtenu entre 275 et 306 des 475 sièges en jeu et pourrait conserver les deux tiers de la chambre basse avec son allié centriste Nouveau Komeito, qui aurait obtenu entre 31 et 36 sièges, contre 31 députés sortants.

Près de 105 millions de Japonais étaient convoqués dans les écoles, mairies et autres lieux publics pour voter, mais la participation a été faible tout au long de la journée en raison du manque d’enjeu et d’une météo défavorable dans une partie du pays.

Le PLD de Shinzo Abe avait 295 sièges et le Komeito, son partenaire de coalition, 31 à la Chambre des représentants quand elle a été dissoute pour ces élections anticipées. Le PDJ, lui, en avait 62. Cinq sièges ont été supprimés dans le cadre d’une réforme électorale. 18H00 (09H00 GMT), elle n’était que de 34,98 %, en recul de 6,79 points par rapport à celle du scrutin du 16 décembre 2012 où le nombre de votants était déjà historiquement faible.

Source : La Tribune.fr 14/12/2014

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