Un an après sa nomination pour constituer le futur Centre d’Art contemporain de Montpellier (MoCo) et favoriser la propulsion de la ville au rang de capitale culturelle internationale, l’historien, critique d’art et fondateur du Palais de Tokyo Nicolas Bourriaud dresse un premier bilan d’étape.
Il ne vous a pas échappé que Montpellier n’a jamais décollé en matière d’arts plastiques ?
Cela faisait partie du challenge. Il est vrai que la réussite dans le domaine des arts plastiques n’est pas vraiment assise, mais en voyant l’ascension qu’a pu prendre Montpellier, notamment dans le domaine de la danse, j’avais aussi la certitude que ça pouvait fonctionner. C’est simplement une question de volonté politique. Il se trouve que j’ai trouvé la volonté politique dont ce type de projet à besoin.
Comment avez-vous appréhendé le territoire de cette ville métropole qui a perdu son statut de capitale régionale ?
A travers de multiples possibles. C’est depuis de Sète, où j’ai fait deux expositions au Frac que j’ai pu avoir une expérience de ce territoire qui m’apparaît d’une immense richesse. Il y a un autre aspect important, quasiment géopolitique, qui a participé à ma démarche. Dans la mesure où la France est, avec le Mexique, le seul pays au monde qui se pense dans une opposition entre la capitale et reste du pays. Cela m’a toujours semblé d’un anachronisme et d’une arriération absolument terrifiante. Cette division mental a tellement été intégrée par les Français qu’eux même n’arrivent plus du tout à envisager un autre type d’organisation du territoire. Je me suis attaché à un autre type de tension, beaucoup plus productif, qui serait une tension culturelle entre le Nord et le Sud.
Cette division se reproduit. D’autre grandes villes se pensent comme le centre du monde, dans le Sud, c’est le cas de Marseille…
C’est vrai, mais je pense que Montpellier a davantage d’atouts que Marseille pour devenir un pôle sudiste et une capitale culturelle. Parce qu’il y a ici une volonté politique affirmée et une véritable entente entre les acteurs culturels, ce qui n’est pas le cas à Marseille que je connais un peu. Il y a une vraie singularité à Montpellier que je trouve fort intéressante, c’est le côté déterritorialisé. C’est une ville de brassage, avec une immense population étudiante et des allers-retours permanents qui m’apparaissent comme une qualité cruciale au XXIe siècle.
Le pendant moins positif réside dans la difficulté à développer des projets dans la durée…
Il faut penser cette mobilité au départ du projet. En arrivant ici, je me suis tout de suite dit qu’il fallait proposer une construction horizontale et collaborative. D’abord dans la construction administrative il s’agissait d’éviter toute verticalité. Ces 20 ou 30 dernières années la recette pour monter un centre d’art contemporain reposait sur un appel fait à un grand architecte pour construire un bâtiment « marque » qui fasse image. Notre parti pris esthétique a rejoint une volonté politique. L’idée avec le MoCo était de savoir comment aménager et resituer les bâtiments existants. Ce qui me paraît beaucoup plus intéressant plutôt que faire la part belle à l’architecture nous allons donner la part belle à l’art. Ce sont les artistes qui contribueront à la requalification esthétique des bâtiment. Je suis convaincu qu’il faut aujourd’hui disposer d’institutions qui ressemblent à leur territoire, qui répondent à l’imaginaire ambiant. Je n’essaie pas de répéter ce qui se fait à Paris mais d’inventer quelque chose qui corresponde à l’imaginaire local.
Comment se sont produits les échanges avec les acteurs culturels montpelliérains ?
J’avais perdu un peu ce sens à Paris, où la compétition est tellement forte qu’elle finit par oblitérer l’idée de coopération, de collaboration, voire même de solidarité. J’ai eu ici des rapports très fructueux avec Christian Rizzo, Jean-Paul Montanari, Rodrigo Garcia, Numa Hambursin, Gilles Mora… C’est à mon sens une vraie qualité de la vie culturelle montpelliéraine parce que nous allons tous vers la même direction. Il en va de même avec l’Ecole des beaux-arts mais de manière différente puisque nous seront engagés dans le même bateau. Nous avons donc à repenser complètement ce que pourrait être une école d’arts en lien avec un lieu d’exposition.
N’en n’aviez-vous pas un trop mauvais souvenir après votre expérience parisienne ?
Ce ne sont pas les Ecoles d’Arts qui m’ont laissé un mauvais souvenir. Ce sont les réactionnaires, les corporatistes, et les paresseux qui peuvent parfois les peupler. Sinon, pour moi, la transmission de l’art est fondamentale : j’ai été professeur à l’âge de 23 ans et cela a toujours été une passion importante dans ma vie.
Une démarche que vous poursuivez à travers votre activité d’auteur. Sur quelle voie menez-vous vos lecteurs dans votre dernier livre The Exform pas encore disponible en français ?
C’est une réflexion sur la manière dont l’art depuis le début du XIXe siècle – les origines de la modernité picturale – concerne le déchet, le rejeté, le laissé pour compte. Je parle de Courbet notamment, qui fonde le réalisme quasiment sur cette question là comme un acte politique qui consiste à déhiéarchiser les sujets. Puis, cela devient une réflexion plus philosophique centrée sur Althuser et Walter Benjamin, sur cette notion que j’appelle l’exform qui est une forme prise dans un processus d’exclusion inclusion. Exclusion par la société, volonté d’inclusion par la représentation comme Manet qui peint des asperges ou Le Déjeuner sur l’herbe. Ce que justement la société ne voulait pas voir. J’essaie de faire une recherche généalogique pour comprendre comment se fait-il que l’art sublime le détritus, le rejeté.
Ce qui revient quelque part aux fondements ?
Oui, j’aime bien ça. Toujours le retour aux sources pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
L’ouverture du MoCo est prévue pour 2019. D’ici là, la Panacée ouvre un cycle d’expos, quels en sont les axes ?
Les axes de cette programmation vise à rendre compte des différentes lignes esthétiques qui émergent dans l’art contemporain. Il ne s’agit pas de proposer des thèmes autour d’une esthétique dominante mais, un peu comme Monet, de s’intéresser à la globalisation culturelle, de rendre compte de ses multiples problématiques. La chute du mur de Berlin marque la fin de l’underground. Maintenant tout est overground et même ce qui échappe à ça, trouve un moyen de se faire connaître. Cela implique de convoquer des capacités de navigation inédites pour s’adapter.
La première expo débute le 27 janvier. Elle s’intitule Retour à Mulholland Drive et propose d’explorer l’influence esthétique de l’univers lynchien sur les artistes contemporains internationaux. C’est un film énigmatique qui ouvre sur l’éruption du merveilleux.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Source ; La Marseillaise 21/01/2017
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