John Bock. Totem glissade dans la sueur perlée des aisselles. Photo dr
Conférence
L’abandon de la logique du développement formel, même si celle-ci était en réalité surtout une fiction pieuse, paraît à bien des égards déroutant. L’historienne de l’art Sylvie Lagnier questionne les enjeux de l’expression esthétique à l’occasion des expositions présentées à la Panacée. Désormais le médium compte moins que le message…
La Panacée propose un cycle de cours sur l’art contemporain conçu et animé par Sylvie Lagnier, docteur en histoire de l’art. Les thématiques, issues des expositions présentées, posent un regard sur les pratiques artistiques de notre époque, entre histoire et actualité. À partir des lieux communs de l’art contemporain – c’est n’importe quoi ; c’est élitiste?; qu’est-ce que ça représente ?- nous questionnerons les enjeux esthétiques et le sens de l’art afin de comprendre qu’une certaine permanence est à l’œuvre inscrivant bien nos contemporains dans une histoire de l’art.
Œuvre transdisciplinaire
Héritier des avant-gardes européennes des années 1910-1920 qui décloisonnèrent les disciplines, des actionnistes Viennois et de Fluxus, John Bock crée une œuvre transdisciplinaire où l’artiste est à la fois sculpteur, cinéaste, acteur et poète. Ce premier point, que nous nommons aussi la rupture des catégories artistiques, explique les raisons pour lesquelles nous éprouvons parfois des difficultés à reconnaître l’art. L’œuvre n’a plus « l’évidence » du tableau ou de la sculpture. Sa forme, qu’elle nous paraisse trop simple ou trop complexe, échappe à une définition ou à une classification à laquelle nous ont habitués les encyclopédies.
L’œuvre de John Bock est une action d’ordre performative mêlant commentaires scientifiques, sociaux et politiques à une interprétation quasi théâtrale jouant ou se jouant des éléments du quotidien. Les termes se multiplient, les questions aussi. S’agit-il de sculpture ? Qu’est-ce qu’une installation ? Est-ce du cinéma ? Est-ce du théâtre ou de la performance ? Un second point interroge depuis cent ans la valeur artistique?: l’usage des matériaux de récupération dans l’art. Des objets, des fragments, des restes considérés comme des éléments déclassés, rejetés car déchets ou débris.
John Bock a recours à ce processus depuis les années 1990 lui permettant de construire ses espaces scéniques. L’œuvre, privée de la noblesse de son matériau et avec elle de la technique, est-elle d’essence artistique ? Un troisième point touche à ce que nous appellerons le sérieux de l’art en raison des valeurs morales, sacrées ou spirituelles que nous lui avons assujetties. John Bock puise dans l’absurde et l’ironie, désordonne les sens, use de la satire et du délire. Et si l’art n’était rien d’autre qu’un défi permanent aux logiques définies et à nos présupposés ?
La conférence se tient ce soir à 18h30 Auditorium de la Panacée. Entrée libre.
Dans le milieu de la culture, il faut laisser de l’autonomie liée à l’identité du fonctionnement
Entretien Montpellier terre de toutes les cultures, c’est le défi que lance le maire et président de la Métropole Philippe Saurel qui s’en explique ici.
Montpellier et sa Métropole bénéficient d’une croissance démographique soutenue, d’une densité universitaire et d’une mobilité internationale importante sur un territoire qui rencontre des difficultés socio-économiques. Sur quoi repose votre vision de la politique culturelle ?
Il faut bâtir le hashtag #MontpellierDestination Culture. Pour y parvenir nous avons les ingrédients que vous avez cités, la croissance de la ville, sa jeunesse, le caractère universitaire « d’une ville monde ». C’est-à-dire une ville dans laquelle se reflètent tous les visages de la planète.
Parmi les faits nouveaux vous affirmez la volonté de développer les arts plastiques…
Nous mettons l’accent sur l’art contemporain. Un maillon de la chaîne qui était un peu défaillant et que nous allons traiter de manière originale. Nicolas Bourriaud en assure la direction artistique à la tête d’un EPPC qui comprendra la Panacée, à laquelle viendra s’ajouter le MoKo un nouveau Centre d’Art. Ces deux lieux seront liés à l’école des Beaux Arts. Ce triptyque doit maintenant s’ adosser à une fondation pour faire venir les collections et éventuellement financer des projets. Nous sommes en cours de réflexion pour trouver la personne idoine qui présidera l’EPPC, comme Aurélie Filippetti préside le Cinemed et donne son éclat au festival du cinéma Méditerranéen. La notion d’enseignement avec les Beaux Arts pourrait s’étendre à l’Ecole nationale d’architecture, et la Faculté des lettres et sciences humaines. Nous travaillons actuellement à la rédaction d’un protocole d’accord sur la culture entre La Métropole et Montpellier 3.
Votre champ opérationnel s’est élargi avec le transfert de compétences du Département …
En effet, par le truchement du transfert de compétences, nous avons reçu en legs le Domaine D’O, le Printemps des Comédiens, Folie d’O et Arabesques. Trois grands festivals qui viennent compléter le dispositif prestigieux dont nous disposions déjà.
Qu’en est-il pour le festival jeune public Saperlipopette ?
Je pense que Saperlipopette devrait rester sous l’égide départementale. Si ce n’était pas le cas on le conservera. C’est un très bon festival.
Les 25 agents transférés doivent-ils s’attendre à un changement de culture ?
Le transfert s’est opéré à partir de la signature début janvier 2017. A ce jour, on ne voit toujours pas le logo de la Métropole sur le Théâtre Jean-Claude Carrière. Nous nous sommes donnés un an pour faire le transfert et discuter avec tous les acteurs. En 2017 c’est le Département qui reste maître d’ouvrage sur la programmation et le financement du Théâtre d’O.
Quelles perspectives à moyen terme?
D’après la délibération jointe à la signature du contrat, tant que nous gardons le festival, le Département s’engage à le financer. Il n’y a donc aucun problème sur la pérennité des festivals.
Quelle est votre vision de la construction de la coopération concernant les structures et les hommes ?
Parlons des hommes. Je leur laisse une totale liberté. Jean-Paul Montanari, Valérie Chevalier, Nicolas Bourriaud, font ce qu’ils veulent.
Il peut apparaître des contradictions entre une vision internationale et une programmation culturelle qui répond aux attentes. Cela s’est illustré avec Rodrigo Garcia.
Je n’ai eu aucun problème avec Rodrigo Garcia. Sa programmation artistique est magnifique. Elle ne concerne pas tous les publics mais je l’ai défendue. Nicolas Bourriaud peut répondre à la contradiction que vous soulevez. Le projet qu’il conduit dispose des deux dimensions. Il a collé au ventre, la soif de montrer que Paris est contournable et que l’on peut développer une programmation internationale à Montpellier. Il faut que l’art décape !
Prenez-vous en compte la singularité des domaines artistiques ? Le théâtre par exemple en tant qu’art politique…
Le théâtre est à la fois le plus incisif et le plus fragile des secteurs artistiques. Dans les sociétés totalitaires, les régimes politiques durs ont toujours combattu en priorité, le théâtre et le livre. En même temps le théâtre est un vase d’expansion des fresques carnavalesques en passant par le théâtre de rue de Molière. Pendant la guerre en Allemagne et ailleurs, les pièces qui ont commencé à être données sur le ton de la dérision ont rapidement été interdites. C’est un domaine artistique très subtil.
Dans la problématique financière liée aux deux orchestres nationaux métropolitains Montpellier licencie et Toulouse embauche ce qui semble annoncer la fin du lyrique à Montpellier ?
Non, aujourd’hui un expert a été nommé par l’Etat pour rendre un rapport dans les deux mois, sur la situation réelle des finances de l’OONM. En fonction de ce rapport, avec le Drac j’inviterai les actionnaires pour évoquer la situation.
Porter cette réflexion sur la seule dimension financière résume la situation…
C’est le problème principal parce que des dépense non prévues ont fait jour à la fin de l’année. La Métropole est le premier financeur avec 13 M d’euros. Il nous revient de trouver une issue à cette situation.
Comment miser sur la culture au niveau international et abandonner l’Orchestre ?
Je ne vise pas à l’abandon de l’Orchestre tout au contraire. Mais pour garder l’Orchestre, il faut peut-être revoir un certain nombre de ses fonctionnements internes à l’aune du rapport qui sera rendu. Il faut d’abord sauver l’OONM et après le booster.
Au chapitre de la nouvelle donne de la décentralisation entre Marseille et Toulouse comment envisagez vous les relations inter-métropolitaines coopération ou concurrence ?
J’entretiens d’excellentes relations avec Toulouse notre capitale régionale. Cela n’empêche pas que le maire de Toulouse joue pour sa ville et le maire de Montpellier également, mais on est capables de se parler et de travailler ensemble. Avec Jean-Claude Gaudin nous avons évoqué le fait de tisser des liens entre les opéras de Marseille et Montpellier. Nous pourrions aussi faire des échanges de musiciens avec l’Opéra de Palerme.
En matière de coopération décentralisée souhaitez-vous raffermir la notion d’identité méditerranéenne ?
De civilisation méditerranéenne, cette idée il est important de la faire ressurgir parce qu’elle génère une forme d’apaisement. Il suffit que l’on visite à Palerme le Palais des Normands pour constater que le plafond de cette chapelle palatine est décoré avec des sourates du Coran.
Privilégiez-vous la gestion particulière des différents lieux ou une gestion commune ?
Dans le milieu de la culture, il faut laisser de l’autonomie liée à l’identité du fonctionnement. En revanche, au niveau des services de la Métropole et de la Ville nous allons créer une direction mutualisée de la culture. Et les organigrammes feront état de fonctions mutualisées ou pas.
Envisagez-vous l’apport de financements privés ?
J’y suis favorable sous toutes ses formes à une seule condition. Que la gouvernance de la logistique liée à l’exercice de la compétence reste à la Métropole
Quelle place prend la culture dans votre vie quotidienne ?
La culture est omniprésente. Je ne peut pas séparer la culture de la décision politique.
Nicolas Fenouillat ou le retour des héros contemporains. photo dr
Exposition L’artiste Nicolas Fenouillat investit le CRAC avec trois propositions où l’art contemporain agrège l’univers musical. Loin très loin de nous laisser dans l’indifférence.
« J’ai fait le conservatoire où je me suis formé à la percussion contemporaine puis les Beaux-arts. Au sortir de ma formation, on m’a demandé de me situer. Je suis resté entre les deux », résume Nicolas Fenouillat à Sète où il présente deux oeuvres vidéo et une installation. Trois tentatives qui transportent le questionnement artistique et son vocabulaire dans l’univers immensément sensible de la musique.
Retour aux sources avec Silence inspiré par4’33’’un morceau composé par John Cage pour décrire le silence. Nicolas Fenouillat fait appel à un dialogue tourné à l’Ircam entre deux sourds-muets qui interrogent non sans humour les résonances et significations du vide auditif.
Totem, est un long travelling à travers des rangées de pierres tombales sans inscription au pied desquels 100 métronomes marquent la mesure dans une temporalité différente. L’artiste semble vouloir donner la mesure du monde sans ego ou signe religieux. Une forme d’hommage à la paix et au temps débarrassé du superflu.
Avec Iron man lives again ! l’artiste réussit l’exploit de déplacer les traces de sa performance donnée au Louvre sans performer. Conçu comme une partition, le dispositif retrace son interprétation à la batterie du morceau culte de Black Sabbath dans une amure du XVe siècle. Une réflexion sur l’utilité des héros en temps de crise.
« Marvel n’a jamais autant marché qu’en ce moment », commente l’artiste qui prépare une performance au Musée Picasso.
JMDH
Jusqu’au 26 février. L’expo La traversée de Johan Creten est prolongée jusqu’au 17 avril, au CRAC à Sète, 26 quai Aspirant Herber. 04 67 74 94 37.
Expo Comme suite et contrepoint à l’exposition Hervé Di Rosa et les arts modestes à la maison rouge, le Miam présente En toute modestie/Archipel Di Rosa.
Le verbe haut et fleuri de l’homme du sud qui assume tant ses origines modestes que ses convictions, toujours entre un ici et des ailleurs, artiste connu et/ou artiste reconnu, mais qui est donc Hervé Di Rosa ?
Vigilant contre toute forme d’enfermement et de classification, à commencer par la Figuration libre dont il fut l’un des leaders, Hervé Di Rosa crée le Musée International des Arts Modestes en 2000.
Proposition alors incomprise de ses confrères artistes comme des professionnels de l’art et des musées, qui, pour la plupart, ignorent que cela fait déjà une décennie qu’il court le monde à la recherche de la différence, à la rencontre de l’autre.
Cette exposition avec toute la richesse créative réaffirme que le Miam, fruit de cette quête, est d’abord un projet d’artiste.
Regard multidimensionnel
Hervé Di Rosa a confié l’espace du Musée international des arts modestes (Miam) à la critique d’art et commissaire d’exposition Julie Crenn « pour y déployer ce qu’il nommait au départ son musée imaginaire. […] En tant qu’historienne de l’art, critique d’art et commissaire d’exposition, il s’agissait alors pour moi de non seulement surprendre Hervé Di Rosa, insatiable curieux et découvreur, mais aussi de m’immiscer dans son projet de mise en lumière et de déploiement du vaste courant que constitue l’art modeste. »
Il s’agit d’explorer un territoire sans frontière qui s’étend de l’art contemporain jusqu’aux figurines publicitaires, en passant par l’art brut, l’art sacré, l’artisanat, la musique punk et toutes les pratiques issues de l’underground et des contre-cultures.
En toute modestie/Archipel Di Rosa au Miam, jusqu’au 17 septembre.
L’univers lynchien de Montpellier par le photographe toulousain Yohann Gozard.
Exposition
A la Panacée débute le premier cycle d’expositions présentées sous la direction de Nicolas Bourriaud en charge du futur Centre d’art contemporain, nouvelle génération attendu pour 2019. Sous le titre Retour sur Mulholland Drive une vingtaine d’artistes rendent compte des tendances actuelles de l’art contemporain.
En attendant le MoCo, futur navire amiral de Montpellier Contemporain, La Panacée se recentre sur l’art contemporain après quelques errements autour de la création numérique. Non que l’art numérique soit inintéressant dans les formes de langage qu’il a mis à jour, mais plutôt qu’il était peu opportun d’axer les lignes programmatiques du lieu sur un terme aussi générique. On a senti le moment où la notion d’art elle-même se trouvait en souffrance face à sa particule numérique. La page s’est tournée avec l’arrivée de Nicolas Bourriaud nous évitant peut-être la chasse aux Pokémons tendances, dans les couloirs de la Panacée sponsorisée par SFR.
L’arrivée de cet historien et critique d’art contemporain n’est pas pour autant un gage de confort pour le visiteur. Exit les balises pédagogiques, et place à l’émotion, aux interrogations, au malaise parfois qui peuvent émaner des oeuvres contemporaines. La proposition d’exposition autour du film de David Lynch Mulholland Drive en témoigne.
Etre dérangé en trois fragments « L’art d’aujourd’hui ne relève pas d’une esthétique unique. On ne peut pas tout résumer par un point de vue ou un regard, explique Nicolas Bourriaud, le cycle d’expositions à la Panacée s’ouvre à tous les médiums et toutes les disciplines.» Une manière de répondre à la masse de propositions artistiques en provenance des quatre coins de la planète et de préfigurer le modèle nouveau du futur MoCo en connexion avec le monde.
Conception basée sur le constat que Paris n’est plus l’instance de validation. La proposition qui s’ouvre aujourd’hui se découpe en trois expositions distinctes. Solo show de l’artiste iranienne Tala Madani, jamais exposée en France, propose un univers grotesque et critique centré sur une représentation masculine où s’agitent des hommes décervelés. Mus par leurs instincts sexuel primaires, ces personnages semblent désigner un recul certain de la conscience dans tout ce qui existe.
Tala Madani opère un détournement de l’usage de la lumière spirituelle qui exprime la vibration énergétique par laquelle les choses deviennent visibles ou sont éclairées. Les représentations de l’artiste opèrent une forme de redistribution du sacré et du moi intérieur dégénéré qui met à niveau la lumière cosmique, avec celle d’un d’orifice ou d’excréments.
Intérims, l’art contre emploi, présente neuf artistes qui prennent le monde du travail comme matériau et explorent les mécanismes du salariat avec un regard militant ou ironique. Cette seconde exposition fait lien avec le concept Exform – forme saisie par les artistes autour des enjeux d’exclusion, culturels, sociaux ou politiques, et territoire traversé par des mécanismes de rejet et de réhabilitation – au coeur des dernières recherches de Nicolas Bourriaud.
Intitulée Retour sur Mulholland drive, la troisième proposition explore l’univers lynchien à partir des travaux d’une vingtaine d’artistes et plus particulièrement du film sorti en 2001 qui a marqué une génération de créateurs par la force de son esthétisme et l’ambivalence du rapport à la réalité. Les travaux exposés ont pour dénominateur commun d’utiliser des objets du quotidien pour y insuffler une puissance d’évocation singulière. Les formes proposées sont empruntes d’une gravité à la hauteur du vertige lié à la perte d’identité sans pour autant s’inscrire comme forme de contre-pouvoir.