Dossier. Théâtre en péril, fin d’un modèle à Montpellier et dans l’Hérault ?

""Les choses paraissent fragiles mais, en fait, c'est toute la vie qui est fragile" Patrick Neu

«  »Les choses paraissent fragiles mais, en fait, c’est toute la vie qui est fragile » Patrick Neu

Déjà sous pression budgétaire, la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !

Dossier Réalisé Par JMDH Source La Marseillaise 12/10/2016

 

 

 

 

Beziers : sortieOuest dissolution imminente de  l’association     

4602945_3_42fb_le-chapiteau-theatre-sur-le-domaine-de_8a80da1b9d2301c1d82328f8476cb8deLe lieu culturel populaire et parfaitement compatible avec les questionnements contemporains est menacé. Le Conseil départemental programme la fin de l’association, les spectateurs se mobilisent jeudi à 16h, jour du Conseil d’Administration.

 

Montpellier. Départ de Rodrigo Garcia

Le président de la Métropole Philippe Saurel botte en touche.

201504281637-full«  Il a porté à ma connaissance par courrier qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat. J’entretiens d’excellentes relations avec le directeur du CDN de Montpellier, Rodrigo Garcia. J’ai négocié avec beaucoup de doigté. Nous avons déjeuné ensemble. Il propose une programmation de qualité. C’est vrai que c’est un théâtre peut-être pas à la portée de tous les publics. Je l’ai soutenu. Dans les moments de crise, j’ai pris le parti de dire que le homard n’est pas un animal de compagnie. »

Nomination. Aurelie Filippetti s’adapte.
aurelie-filippetti-ministre-aux-ordres,M93849L’ancienne ministre de la culture qui avait nommé Rodrigo Garcia à la tête du CDN assure aujourd’hui la présidence du festival montpelliérain CINEMED. « Pour les artistes c’est toujours délicat. On a souvent le cas de personnes qui ne veulent jamais lâcher leur mandat , cette fois c’est le contraire. C’est lui qui annonce son départ

 

 

 

 

VIE ARTISTIQUE

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Déjà sous pression budgétaire,  la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !

Depuis toujours, le théâtre se passionne pour le quotidien ordinaire des hommes et des femmes. Face à la crise planétaire que traverse l’humanité, il doit faire face aujourd’hui à la barbarie d’une radicalisation religieuse, politique, sociale et économique qui se présente sous les traits d’une violence aux multiples facettes. A Montpellier, dans la Région et au-delà, cette violence quotidienne questionne les artistes et les acteurs culturels de façon aiguë. Comment l’éducation à la consommation qui va de concert avec la paupérisation des connaissances et la montée de la violence pourrait-elle ne pas peser de tout son poids sur les politiques culturelles et plus particulièrement le théâtre ?

Le théâtre est un art politique, non par son contenu idéologique, mais à travers la progression régulière de l’action qui fonde l’intensité dramatique, politique aussi, à travers la contestation des valeurs données comme intangibles. Certains artistes, c’est le cas de Rodrigo Garcia, annonçant vendredi qu’il ne briguera pas un second contrat à la direction du CDN de Montpellier, ont fait du consumérisme le tremplin d’une mutation des formes dramatiques et scéniques. Ils proposent un travail artistique affirmé plein d’ambivalence. Et le désordre s’empare du plateau, parce que le quotidien qui se présente résiste à toute forme de sens. La scène devient le lieu où se renouvelle l’espace.

Le public jeune perçoit l’expression d’une rupture 

« Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle », formulait ily a peu, le directeur d’hTh.

Le public cultivé traditionnel ne voit pas dans «l’insignifiance» enchanteresse un moyen de relever le défi. Il peut éprouver dans cette transgression le sentiment d’un espace qu’on lui retire. A l’inverse, le public nouveau, plus jeune, perçoit  dans cette inquiétante étrangeté l’expression d’une rupture liée à la violence de l’histoire contemporaine. Une alternative aussi à la culture high-tech que lui propose la société de consommation.

Le CDN hTh occupé en avril 2016

Le CDN hTh occupé en avril 2016

Le projet hTh se caractérise par un esprit d’ouverture sans frou-frou. Le hall du théâtre est devenu lieu de création et d’échanges tous azimuts.  Rodrigo Garcia n’a jamais revendiqué le statut d’artiste engagé politiquement. Il a eu maille à partir avec le conflit des intermittents du spectacle. En 2014, il annule les représentations de Golgota Picnic au Printemps des Comédiens. S’il affirme à l’époque son soutien aux intermittents et précaires en lutte,  il se fend d’une lettre où il fait référence aux artistes étrangers victimes de la grève. «Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qui se passe autour d’eux.»  En avril dernier, alors que le CDN est occupé il déclare «Je partage le point de vue des travailleurs. Perdre des droits correspond à un retour en arrière.» Cette fois, les spectacles se poursuivent et le combat trouvera une issue favorable.

Au-delà de la représentation esthétique, force est de constater que le communiqué de Rodrigo Garcia ne focalise pas sur le contenu de ses propositions mais sur l’étroitesse financière de son budget artistique, 350 000 euros, que l’on peut mettre en regard avec le budget d’une ZAT  (Zone artistique temporaire), 500 000 euros pour deux jours. Le directeur du CDN hTh pointe notamment le refus de la Métropole de mettre à disposition un bus pour accéder au Domaine de Grammont qui n’est pas desservi par les transports en commun.

Enfin le projet de transfert du CDN au Domaine d’O proposé par le maire de Montpellier et président de la Métropole, Philippe  Saurel, apparaît comme un élément majeur dans la décision de Rodrigo Garcia de ne pas prolonger son mandat. «Pour ce qui nous concerne, nous ne refuserons jamais de grandir. Toute initiative qui viserait à faire du CDN un projet plus important, j’y serai favorable »,  indiquait-il en avril dernier.

Il ne s’est rien passé depuis, qu’une stérile lutte de pouvoir sans l’ombre d’un projet artistique. Jean Varela directeur de sortieOuest et grand défenseur de l’action publique l’a dit d’un autre endroit : « La seule question est de savoir comment les politiques conçoivent un service public de qualité. »

Jean-Marie Dinh

 

PRODUCTION hTh 2016
Markus Ohrn  s’attaque à l’ancien testament

markus-1168x350Rodrigo Garcia l’a souligné, il remplira son contrat. Et qu’on se le dise, la saison hTh 2016/2017 mérite le détour. Elle se compose d’une succession de propositions internationales, mais pas seulement, parfaitement décoiffantes. Le coup d’envoi a été donné avec To Walk the Infernal Field, une création post bourgeoise, de l’artiste visuel suédois Markus Ohrn en collaboration avec le dramaturge Pär Thörn, qui s’inspire librement de l’Ancien Testament relu au gré d’un univers Hard metal.

Un retour à la genèse reposant sous la forme d’une série de 70 épisodes en 10 chapitres. L’aventure, pour le moins risquée, a débuté à Montpellier où les trois premières soirées ont été données du 5 au 7 octobre. L’inventivité débridée et le principe performatif adapté à celui de la série produisent pour beaucoup un effet addictif. Qu’ils se rassurent, le chapitre 2 se tiendra à hTh du 1er au 3 décembre. Pour les suivants, il faudra surveiller les programmations des théâtres et festivals des grandes villes européennes.

To walk the infernal fields donne une interprétation des Livres de Moïse en tant que doctrine d’économie politique, construction d’une identité nationale et des lois terrestres autant que religieuses. « Je trouve pertinent de procéder à un examen de la Bible dans une époque au cours de laquelle tout le monde est obsédé par l’interprétation du Coran », indique Markus Ohrn.

Autre parti pris radical exprimé par l’auteur face au public après l’une de ses représentations « Je ne veux pas créer une performance qui puisse être envisagée comme un produit à vendre ou à acheter. Je veux  que l’expérience soit réellement ressentie comme l’ici et maintenant. C’est pourquoi, il n’y aura pas d’autre opportunité de la voir ensuite, car elle disparaîtra

Dans le public, auquel on a fourni à l’entrée des boules-Quies afin qu’il préserve son audition, une dame interroge le metteur en scène « Moi j’ai 80 ans, et je me demande si vous pensez au public quand vous faites vos spectacles ?                                                   – Oui bien-sûr, répond l’artiste, je considère que c’est un don que je vous fais.»

Cette dame reviendra le jour suivant et répondra à l’invitation faite à l’ensemble de la salle d’investir le plateau…

PROGRAMMATION : CDN hTh

 

 

ECRITURES

La Baignoire : Elément indispensable au paysage artistique

Béla Czuppon capitaine de  La Baignoire , 7 rue Brueys à Montpellier

Béla Czuppon capitaine de La Baignoire , 7 rue Brueys à Montpellier


La Baignoire débute sa saison. Le petit laboratoire montpelliérain  consacré aux écritures contemporaines résiste modestement au tsunami qui ravage la création en Région.

Elle n’est pas insubmersible mais tient son cap, comme une petite bête d’eau qui se propulse sans raison apparente à la surface des eaux pas très claires, dans la bassine du mondillo culturel. Chaque saison, la Baignoire accueille des artistes, des auteurs et des compagnies.

« Chaque année la situation s’empire et les demandes s’accroissent, constate le capitaine Béla Czuppon qui sait de quoi il parle puisqu’il est aussi  comédien et metteur en scène.   Nous participons au glissement général. L’adaptabilité  qui encode les solutions aux problèmes nous fait devenir coproducteurs en proposant des résidences dotées de 2 000 ou 3 000 euros » évoque-t-il avec dépit.

Ce lieu, il le  tient, avec un budget de fortune, par passion, par goût, et aussi nécessité, celle d’offrir un lieu de travail et de découverte. A la Baignoire, les propositions et les formes sont diverses mais toujours qualitatives.

Lydie Parisse ouvre la saison avec L’Opposante (voir ci-dessous). La Comédienne et metteur en scène Marion Coutarel prendra le relais  avec Si ce n’est toi, une sortie de chantier du 17 au 19 nov avant une création programmée au Périscope à Nîmes. Une virée poétique d’Andréa d’Urso sera conduite par le collectif marseillais Muerto Coco accueilli le 24 nov en partenariat avec la Cave Poésie à Toulouse. A découvrir aussi l’installation sonore immersive La Claustra de Marc Cals qui fait causer les meubles, et les micro-concerts de l’Oreille Electrique qui rythmeront la saison, ainsi que les lectures-déjeuners proposées par Hélène de Bissy qui feront la part belle aux nouvelles.

La Baignoire reste un lieu essentiel à l’écosystème du travail artistique local, les artistes et le public le savent déjà, il y aurait-il d’autres personnes à convaincre ?
Rens 06 01 71 56 27

PROGRAMMATION : La Baignoire

 

SPECTACLE

Baignoire.  L’opposante mise en scène par Lydie Parisse et Yves Goumelon

Lydie_LightC’est à partir d’une histoire réelle que l’auteure a élaboré le récit de cette femme – morte à 97 ans – qui a enfoui dans le secret de son âme un amour interdit. Elle a aimé un Allemand durant la seconde guerre mondiale avant d’en être séparée, sans jamais l’avoir oublié. Depuis le jour de sa mort elle se met à parler pour un compte à rebours avant de s’enfoncer à jamais dans la brume. Lydie Parisse signe un texte saisissant de liberté, celle d’une femme morte un dimanche, jour où la France entre en guerre au Mali. Rapport de la petite histoire à la grande, rapport à une guerre du silence qui forge le destin de l’opposante. La pièce met en lumière une vie  sous forme de confidences emportées. La simplicité intense et sincère d’Yves Gourmelon porte l’interprétation à un niveau de sensibilité rare. Le texte est touchant, drôle et jubilatoire quand il bouscule les tabous et les simagrées commémoratives. Pour ceux qui restent, la mort est un grand théâtre. La mise en scène présentée à Avignon, accueille le public dans une quasi-obscurité permettant aux spectateurs d’entrer dans un espace d’entre deux mondes où l’acuité s’aiguise. « C’est comme ça et pas autrement. »

                                                                                                                                                                   L’opposante à La Baignoire les 14 et 15 oct

 

 LIEU MENACÉ

sortieOuest dans la tourmente

 

Le poumon culturel du Biterrois en proie aux intrigues  politiciennes  dr

Le poumon culturel du Biterrois en proie aux intrigues politiciennes dr

Créée il y a dix ans par le Conseil départemental et cultivée par son directeur Jean Varela et son équipe, sortieOuest  est devenue  un espace de diffusion pluridisciplinaire, un lieu privilégié d’élaboration de projets culturels pensés en collaboration avec les acteurs locaux. Une réussite totale remise aujourd’hui en question...
Après le quasi-avis de décès du festival la Terrasse et del Catet, c’est au tour des spectateurs-amis de sortieOuest, qui viennent de se monter en association, de manifester une vive inquiétude quant à l’avenir de leur théâtre « attaqué sur ses missions de service public de la culture par sa propre tutelle : le conseil départemental de l’Hérault

Victime des dégâts collatéraux  liés au bras de fer qui oppose  le Conseil départemental de l’Hérault  à la Métropole de Montpellier à propos de la compétence culturelle métropolitaine, le lieu a vu sa présentation de saison repoussée, puis annulée. Aucun programme n’a été édité, ce qui renforce l’inquiétude du public fidélisé autour d’une programmation accessible de grande qualité.

Le directeur artistique Jean Varela, par ailleurs directeur du Printemps des Comédiens garde le silence. Il avait évoqué lors de la présentation à la presse de la saison d’hiver du Domaine D’o « l’impatience du public biterrois» et les répercutions néfastes de la loi NOTRe sur les territoires ruraux : « cette loi pose la question des politiques en milieu rural. Le populisme est partout…»

Depuis la situation n’a pas évolué, des spectacles programmés ont été annulés et rien ne s’éclaircit si ce n’est que l’équipe qui compte dix salariés ne peut plus faire son travail. SortieOuest est en théorie à l’abri du conflit impliquant la Métropole Montpelliéraine mais se retrouve concernée dans un projet alambiqué notamment défendu par le président de la structure Philippe Vidal, qui consisterait à élargir l’Epic du Domaine d’O à d’autre structures dont sortieOuest.

Dans cette perspective, le Conseil départemental a annoncé la dissolution de l’association. Un Conseil d’administration de l’association se tiendra demain à Béziers, précédé d’un rassemblement du public qui s’est approprié la démarche artistique et la convivialité de ce lieu incontournable. Le flou n’est cette fois pas artistique mais bien politique.

PROGRAMMATION : sortieOuest

 

THÉATRE UNIVERSITÉ
Au coeur de la fac La Vignette consolide sa mission

GetAttachmentThumbnailLes problèmes du théâtre seraient-ils inhérents au marasme politique ? La question mérite d’être posée si l’on se réfère à la bonne santé du Théâtre universitaire montpelliérain La Vignette, qui évolue partiellement hors de cette arène.

L’université Paul Valéry a bien compris l’intérêt d’assumer pleinement sa mission culturelle figurant au cahier des charges de toutes les universités françaises. Elle dispose d’un Centre culturel très actif et d’un théâtre qui développe les échanges intra-universitaires et inter-universitaires tout en restant ouvert au public extérieur.

Douze ans après sa création La Vignette est devenue une scène conventionnée pour l’émergence et la diversité. «Cette année, Patrick Gilli, le nouveau président est venu approuver  la place du théâtre en tant que lieu d’échanges et de recherches, se félicite le Directeur Nicolas Dubourg, le théâtre s’est affirmé comme un outil de rayonnement sur le territoire, nous poursuivons maintenant  sur la voie de la professionnalisation en tissant des liens qui favorisent l’insertion des étudiants dans le monde actif.»

Le Théâtre s’inscrit  par ailleurs comme partenaire du nouveau Master Création Spectacle Vivant du département Cinéma&Théâtre en participant à la formation des étudiants en études théâtrales. En tant que représentant régional du Syndeac, Nicolas Dubourg n’est pas insensible à la crise actuelle.

«Les attaques contre la liberté de programmation par les maires  ou par le public via des débats participatifs tronqués se multiplient, il faut que la profession se mobilise. Ici nous ne sommes pas concernés car notre théâtre n’est pas un simple lieu de diffusion. Il y a une  différence entre programmer un spectacle et voir ce qui se passe avant et après, pour nous le spectacle n’est pas un événement mais un parcours où interviennent professionnels, chercheurs, étudiants et public.»

La programmation de cette saison réserve de très bonnes surprises ; elle se décline cette année autour de l’engagement et de l’intention de réaffirmer un théâtre de texte contemporain.

PROGRAMMATION : Théâtre La Vignette

 

 

SORTIR ENCORE

 Théâtre.  Sélection de trois spectacles qui ouvrent les esprits sur le monde

L’offre théâtrale montpelliéraine de cette saison demeure globalement qualitative à l’instar de ces trois spectacles à découvrir prochainement. Les spectateurs citoyens doivent se manifester s’ils ne veulent pas mesurer les répercutions du désastre qui s’annonce dans les années à venir.

 

142-illustration-hearing-amir-reza-koohestani_1-1450362282Hearing texte et mise en scène de l’artiste iranien Amir Reza Koohestani qui conçoit ses récits comme des jeux de miroirs pour évoquer le rapport aux autres et la distance entre les individus. Proposé par le Théâtre La Vignette les 15 et 16  novembre prochain.

portfolio_pleine_hd02marc-ginotPleine Texte et mise en scène de Marion Pellissier par la cie montpelliéraine La Raffinerie. Une femme qui n’accouche pas, une sage-femme et un médecin inquiétants, un foetus qui observe la vie de l’intérieur…Spectacle proposé par le Domaine d’O du 13 au 15 oct.

 

ATMEN-5159 Time’s Journey Through a Room scénario et mise en scène de la japonaise Toshiki Okada reconnue comme une figure majeure des arts de la scène.  Les 18 et 19 oct à hTh.

Voir aussi : Rubrique Théâtre, hTh 2017 Libre saison de bruit et de fureur, SortieOuest archivesBéziers, le débat déconstruit la mystification, Sortieouest. Des spectacles vraiment vivants ! , Un théâtre de toile et d’étoiles reconnu et défendu, rubrique Politique, Politique culturelleDernière saison d’hiver au Domaine d’O ?, Politique Locale, rubrique Danse,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre, Rodrigo Garcia : «Vivre joyeusement dans un monde détestable»,

Pluie de critiques après l’embauche de Barroso par Goldman Sachs

Le « pantouflage » de l’ancien président de la Commission européenne ne passe pas auprès d’une partie de la presse et de la classe politique, en France comme au Portugal. AP / Geert Vanden Wijngaert

Le « pantouflage » de l’ancien président de la Commission européenne ne passe pas auprès d’une partie de la presse et de la classe politique, en France comme au Portugal. AP / Geert Vanden Wijngaert

« Sans honte », « indécent », un « bras d’honneur » : une pluie de critiques s’est abattue samedi 9 juillet en France et au Portugal sur l’ex-président de la Commission européenne, José Manuel Barroso qui va rejoindre la banque d’affaires américaine Goldman Sachs.

En France, plusieurs voix de gauche, jusqu’au sein du gouvernement, ont protesté contre son embauche par une banque à la réputation sulfureuse, notamment en raison de son rôle dans la crise des subprimes en 2008 et parce qu’elle avait aidé, au début des années 2000, l’Etat grec à masquer ses déficits pour rester dans l’euro.

Le secrétaire d’Etat français au commerce extérieur, le socialiste Matthias Fekl, a qualifié, dans un tweet, le Portugais de « représentant indécent d’une vieille Europe que notre génération va changer ».

Les eurodéputés PS français ont eux jugé « scandaleux » ce « nouveau pantouflage, qui ressemble fort à un conflit d’intérêt ». « Nous exigeons une révision des règles pour empêcher de tels recrutements d’anciens Commissaires européens », ont-ils écrit dans un communiqué.

La présidente du parti d’extrême droite Front national, Marine Le Pen, a d’ailleurs estimé sur Twitter que la nouvelle n’avait « rien d’étonnant pour ceux qui savent que l’UE ne sert pas les peuples mais la grande finance ».

Indignation au Portugal

Même indignation à Lisbonne, dans les rangs du parti socialiste au pouvoir et de ses alliés de la gauche radicale. « Cette nomination montre que l’élite européenne dont fait partie Barroso n’a aucune honte », a ainsi réagi Pedro Filipe Soares, chef de file parlementaire du Bloc de gauche.

Premier ministre du Portugal de 2002 à 2004, M. Barroso a occupé la présidence de la Commission européenne de 2004 à 2014, période durant laquelle l’Europe, secouée par la crise financière de 2008, a été perçue comme libérale et sans grand dessein. La banque Goldman Sachs a annoncé vendredi l’avoir engagé pour la conseiller, alors que la sortie du Royaume-Uni de l’UE devrait avoir des impacts sur le monde financier.

« Après avoir passé plus de trente ans dans la politique et le service public, c’est un défi intéressant et stimulant qui me permet d’utiliser mes compétences dans une institution financière mondiale », a expliqué M. Barroso à l’hebdomadaire portugais Expresso.

« Si l’on reste dans la vie politique, on est critiqué pour vivre aux crochets de l’Etat, si l’on va dans le privé, on est critiqué pour tirer profit de l’expérience acquise dans la politique », a-t-il ajouté, balayant tous les reproches.

Mais la presse française estime que cette nomination tombe au plus mal. « L’image de l’Union européenne qui n’est pas folichonne en ce moment, n’avait pas besoin de cela », écrit samedi L’Obs..

« C’est, au pire moment, un symbole désastreux pour l’Union et une aubaine pour les europhobes », renchérit le quotidien de gauche Libération, qui dénonce sur son site internet un « bras d’honneur à l’Europe ». « Cette nomination est particulièrement mal venue et pourrait avoir un effet désastreux » juge l’hebdomadaire économique La Tribune.

José Manuel Barroso n’a enfreint aucune règle, puisque au-delà de 18 mois après la fin de leur mandat, rien n’oblige les anciens membres de la Commission à rendre des comptes, a pour sa part souligné cette institution.

Le Monde et AFP 10/07/16

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique UE, Portugal, Rubrique Finance, rubrique Politique, Affaires, Politique Internationale, rubrique Economie, On Line, José Manuel Barroso recruté par Goldman Sachs

Réglementation du travail. Une attaque généralisée en Europe

C'est contre les reculs sociaux de la loi Peeters que les Belges descendent dans la rue. Ici, à Bruxelles, le 24 mai dernier. Photo : Reuters

Par Paul Fourier, conseiller confédéral de la CGT, Nadia Rosa, déléguée syndicale CGIL,  Marc Goblet, secrétaire général de Fédération générale des travailleurs de Belgique (FGTB), Bernd Riexinger, coprésident de Die Linke,  Keith Ewing, professeur de droit au King’s College de Londres et John Hendy, avocat au Barreau de Paris.

 

  • La doxa bruxelloise par Paul Fourier, conseiller confédéral de la CGT

42570.HRLa politique économique de la France s’inscrit dans la feuille de route libérale centralisée au niveau de l’Europe. Celle-ci est théorisée par les idéologues libéraux et hors sol de la direction générale des finances de la Commission européenne, et elle est appliquée dans le cadre de la « gouvernance économique de l’Union ». Elle s’articule autour des principes de lutte contre les déficits, de concurrence, de libéralisation, de compétitivité et de « coût du travail ». Le droit du travail est donc particulièrement dans le collimateur, tant sur les conditions de travail, les contrats de travail, la hiérarchie des normes ou la protection sociale. Par exemple, les recommandations de la Commission à la France en 2014 donnent la feuille de route générique de la loi Macron qui sortira dans l’année suivante. C’est la même chose pour l’actuelle loi El Khomri dont le cap est fixé dans la recommandation européenne numéro 4 sortie en mai 2015. On peut en dire autant pour toutes les réformes gouvernementales récentes?: pacte de responsabilité, loi santé, réformes des retraites et de l’assurance chômage, réforme territoriale, etc.

On voit donc que cela se traduit dans des lois, mais également dans des politiques nationales ou régionales ou des feuilles de route de négociations interprofessionnelles. Mais il est impropre pour autant de penser que la Commission européenne est la seule responsable de cette politique libérale. D’abord le Conseil européen (donc les chefs d’État et de gouvernement) entérinent chaque année, à la virgule près, les recommandations de la Commission. D’autre part, les fameuses « recommandations » faites à la France font l’objet, pendant des mois, d’un dialogue complice avec les acteurs nationaux, dont le gouvernement. Celles-ci sont donc le résultat d’un compromis entre la Commission, le gouvernement et même le patronat.

Rappelons que la France, grand pays de l’Union, pourrait, et pouvait à tout moment, remettre en cause la doxa bruxelloise. Cameron l’a bien fait, dans un sens encore plus libéral, avec sa menace de Brexit. Hollande aurait pu notamment remettre en cause l’application des stupides critères de Maastricht, dont le respect des déficits en dessous de 3 %, qui justifie la baisse des dépenses de l’État et l’affaiblissement de la Sécurité sociale. En période de crise, cela était totalement justifié. Il ne l’a pas fait ! Bien sûr, la lutte contre les idéologues bruxellois et les tenants de l’ordo-libéralisme (notamment allemands) n’est pas chose facile. Mais c’était plus facile pour la France de Hollande que pour Tsipras – alors que la Grèce est soumise à une pression considérable –, qui pourtant n’est pas resté inactif.

Il est donc un peu facile et totalement hypocrite de dire que c’est exclusivement la faute de Bruxelles. Les gouvernements libéraux s’accommodent fort bien d’avoir une feuille de route libérale qu’ils appliquent assez fidèlement pour déstructurer le droit du travail. La Commission européenne, représentée notamment, rappelons-le, par Pierre Moscovici, et des gouvernements comme celui de Manuel Valls visent les mêmes objectifs.

Cette politique européenne globale et l’hypocrisie des gouvernements nourrissent par ailleurs la montée des nationalismes et des extrêmes droites, dont la dialectique est bâtie sur la lutte contre cet État supranational devant lequel les peuples seraient impuissants. Cette politique est donc non absolument une machine de guerre contre les droits des salariés et des retraités. Elle est inefficace et affaiblit l’Europe des salariés et des citoyens. Elle est également dangereuse en termes de démocratie.

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Le Jobs Act n’a pas marché par Nadia Rosa, déléguée syndicale CGIL

42571.HRLa modification des conditions précédentes en vigueur pour les contrats à durée déterminée, la libéralisation à l’extrême des « bons de travail » (l’équivalent des chèques emploi service universels en France), la modification d’importants articles du statut des travailleurs (article 4 et article 13), la dilution des responsabilités dans le secteur des appels d’offres, la possibilité de licencier en absence d’une « cause juste », n’ont pas apporté à l’Italie les bénéfices promis par le premier ministre, Matteo Renzi. Pis.

Même si le Jobs Act a aujourd’hui seulement partiellement montré ses effets, je peux affirmer avec certitude que, au moins à l’heure qu’il est, l’axiome à la base de cette réforme (« le marché se régule lui-même, moins de règles entraînent plus de développement, plus d’investisseurs qui accourront en Italie ») s’est révélé erroné : en Italie, les multinationales n’arriveront pas et celles qui sont présentes réduisent leur présence, en licenciant ou en fermant. En outre, les nouvelles typologies de contrat n’ont pas entraîné une croissance des contrats à durée indéterminée. La majorité des nouveaux contrats a consisté en la transformation d’un type de contrat en un autre. Il s’agirait d’une donnée potentiellement positive, si ces contrats à durée indéterminée duraient au-delà de la période où prendront fin les aides d’État. Une hypothèse peu probable, au vu de la tendance au premier trimestre 2016. Nous gardons toutefois à l’esprit que les embauches avec le « contrat à protections croissantes » perçoivent un salaire mensuel de 1,4 % plus bas que celui des personnes embauchées avant le Jobs Act. L’échec du Jobs Act est signalé aussi par l’augmentation du nombre des inactifs. Les données d’Eurostat indiquent un passage considérable de personnes du chômage vers l’inactivité et des chiffres plus bas que la moyenne européenne pour la transition entre chômage et emploi. En d’autres termes : il y a plus de gens qui arrêtent de chercher du travail qu’ailleurs en Europe et il y a moins de gens qui trouvent du travail qu’ailleurs en Europe. En termes de relance de l’emploi donc, on n’a probablement pas besoin de nouvelles règles mais d’une autre politique économique et industrielle.

La loi, comme le montrent les récentes données de l’Istat (Institut italien de statistiques), a pour effet de réduire le taux de chômage des travailleurs les plus âgés, alors que le taux d’occupation des jeunes reste à un niveau très bas – 15,1 % à la fin du deuxième trimestre 2015. Et la majorité des nouveaux emplois se trouvent dans le secteur des services à faible qualification.

Par certains aspects, nous estimons que cette loi est inconstitutionnelle. En tout état de cause, la Confédération générale italienne du travail (CGIL) est déjà en mouvement. Non seulement par des manifestations et des grèves dans certaines des plus importantes catégories confédérales, mais aussi par la collecte de signatures, dans le but de promouvoir un référendum à même de désarticuler l’ensemble des mesures, de manière à les rendre moins dangereuses.

 

  • La locomotive qui fera bouger les choses par Marc Goblet, secrétaire général de Fédération générale des travailleurs de Belgique  (FGTB)

42572.HRQue ce soit avec la loi El Khomri en France ou la loi Peeters chez nous en Belgique, on voit bien que partout en Europe les gouvernements tentent d’imposer de graves reculs sociaux. On est en train de mettre à mal tout ce qui a été conquis en 1936, chez nous comme en France. On crée partout de plus en plus de précarité et d’injustice sociale. Ces offensives contre les travailleurs et leurs droits, contre le bien-être de leurs familles, sont concomitantes dans toute l’Europe. On veut nous obliger à travailler plus longtemps, en allongeant la durée du travail et en reculant l’âge de la retraite. La directive européenne qui met la semaine de travail à 48 heures date de 2000. Et, depuis, tous les gouvernements de l’UE essaient de l’appliquer : logique, puisque ce sont eux qui l’ont décidée ! La loi Peeters, comme la loi El Khomri, utilise pour cela les mesures de flexibilité. En Belgique, on peut déjà aller jusqu’à 47,5 voire 50 heures pour le travail en équipe, jusqu’à 70 heures en feu continu et jusqu’à 7 jours sur 8. À cela s’ajoute une démolition concertée des services publics qui sont, pour les travailleurs, du salaire différé : en Belgique, les coûts de fonctionnement sont réduits de 20 % et les frais de personnel de 10 %, on ne remplace plus ceux et celles qui partent en retraite. La SNCB est en grève contre la suppression de 6?000 emplois et les menaces sur le statut. La diminution de 10 % par an du nombre de gardiens de prison ne permet plus d’assurer la dignité des détenus. La justice ne fonctionne plus faute de moyens. Partout l’État fait des économies en prétendant que c’est la Commission qui le demande alors que ce sont les dirigeants européens qui l’ont décidé. J’en veux pour preuve la directive de Marianne Thyssen sur les travailleurs détachés, qui tâchait de faire mieux respecter leurs droits et que 14 États sur 28 ont rejetée.

Il est clair que ce qu’il faudrait faire, c’est s’organiser au niveau de la Confédération européenne des syndicats, la CES, pour dire à la Commission que cela suffit, qu’il faut cesser de protéger les fuites de capitaux et les banques, le capitalisme financier, au détriment de ceux qui vivent de leur travail. Une coordination syndicale est nécessaire. Mais elle est rendue difficile par le fait que tous n’ont pas la même conception que nous de la lutte syndicale. La nôtre se rapproche de celle de la CGT ou de FO. Or une partie des syndicats sont des « syndicats maison ». Ceux des pays de l’Est, nouveaux venus dans l’UE, bénéficient plus du dumping social organisé qu’ils n’en souffrent. La Grande-Bretagne a son système à part, où le syndicat est organiquement lié au Parti travailliste, ce qui n’est pas étranger à la victoire de Corbyn. Les pays scandinaves ont un modèle spécifique de concertation et un taux de chômage plus bas que les pays latins. La Belgique, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ont plus ou moins la même conception, celle d’un syndicalisme de lutte?: à nous d’être la locomotive pour faire bouger les choses.

 

  • Les seuls bénéficiaires sont les actionnaires par Bernd Riexinger, coprésident de Die Linke

42573.HRJ’observe avec beaucoup de sympathie l’actuel mouvement français contre les atteintes au Code du travail. En France, d’aucuns présentent souvent les contre-réformes mises en œuvre en Allemagne par Gerhard Schröder au début de la dernière décennie comme un facteur de modernisation auquel il faudrait se résoudre. Je voudrais alerter sur l’imposture que constitue une telle présentation. J’ai pu mesurer en tant que syndicaliste puis en tant que dirigeant du parti Die Linke combien ces réformes ont profondément ébranlé la société, mis à mal le lien social et provoqué en l’espace de quelques années une terrible polarisation au sein de la société allemande, qui est devenue l’une des plus inégalitaires d’Europe. Un quart des salariés allemands vivent désormais dans des conditions très précaires dans un « secteur à bas salaires » très cloisonné, dont vous éprouvez les plus grandes peines à vous sortir quand il vous a happé.

Les réformes inscrites à l’agenda 2010 de l’ex-chancelier, comme les lois Hartz, n’ont pas seulement spolié les chômeurs en réduisant leurs droits, elles ont aussi sapé les acquis et les protections des salariés. Elles ont stimulé l’apparition de mini-jobs à 400 euros ou de ces dizaines de milliers de contrats d’ouvrage (Werkverträge), conclus aujourd’hui avec une microsociété, voire une autoentreprise. De plus, de multiples clauses d’exemption et autres conditions tarifaires « maison » sont devenues possibles. Résultat?: une minorité de salariés est désormais « couverte » par de vrais accords tarifaires (conventions collectives de branche). Le bilan de ces attaques contre le droit du travail, c’est que, sur douze ans, les rémunérations réelles ont stagné ou ont même baissé dans les catégories inférieures et intermédiaires. Les seules bénéficiaires des réformes furent les actionnaires des grands groupes exportateurs. Ils ont pu accroître leurs profits et leurs excédents commerciaux grâce à l’écrasement de la masse salariale alors que la productivité augmentait.

C’est donc un mensonge que d’affirmer que l’économie allemande se porte mieux grâce à ces réformes. Si l’on établit une moyenne sur les quinze dernières années, l’Allemagne affiche une croissance molle, guère plus élevée que celle d’un pays comme la France. Avoir tout misé sur les exportations en organisant la déflation des dépenses salariales et sociales, cela a plombé pendant des années le marché intérieur, qui frémit aujourd’hui uniquement grâce au salutaire regain de combativité des salariés.

Les effets pervers des réformes se font sentir de plus en plus fortement. L’explosion des inégalités est telle qu’elle inquiète jusqu’à certains économistes « orthodoxes ». La pauvreté au travail, qui s’est considérablement étendue, commence en effet à avoir des effets rédhibitoires sur l’organisation des entreprises et sur la qualité de certaines de leurs productions. Autre bombe à retardement du torpillage du Code du travail à l’allemande?: la pauvreté des seniors va devenir le problème majeur de ces prochaines années. Compte tenu de la multiplication des contrats précaires exonérés de « charges » sociales, bon nombre de personnes vont en effet voir leurs revenus divisés au moins par deux et amputés le plus souvent encore davantage quand elles atteindront l’âge de la retraite. Le phénomène a déjà pris une dimension dramatique et il ne va cesser de s’étendre.

Les salariés français auraient tout à perdre à copier l’exemple allemand. Leur combat est salutaire pour l’Europe. C’est l’Allemagne qu’il faut libérer de ce « modèle ».

 

  • Dérégulation et insécurité par Keith Ewing, professeur de droit au King’s College de Londres et John Hendy, avocat au Barreau de Paris

Les travailleurs français sont engagés dans un combat historique pour la défense de leurs droits. La lutte est internationale. Les travailleurs et les syndicats affrontent l’assaut néolibéral qui revient sur les réalisations des générations précédentes. C’est la honte éternelle des socialistes français que de s’être revêtus du manteau discrédité que Tony Blair avait pris des épaules de Madame Thatcher. Mais c’est la mode à Bruxelles, comme dans les autres capitales, d’Europe ou d’ailleurs. S’il se trouve des travailleurs français qui ont des doutes sur ce qui est en jeu, ils devraient regarder ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Nous aussi, nous avions un État social dont nous pouvions être fiers, avec des syndicats pleinement intégrés. À la veille de la révolution de Blair et Thatcher, 60 % des travailleurs britanniques étaient syndiqués, et 82 % d’entre eux étaient protégés par des conventions collectives. Le droit de grève faisait l’objet d’une ample protection. Sous Thatcher, cette structure a été dépouillée quand l’État social est devenu État néolibéral, servant les intérêts du patronat plutôt que du travail. Les grèves ont été déclenchées, la police a été militarisée pour écraser la résistance et la loi a changé. La syndicalisation a chuté et la couverture par la négociation collective s’est effondrée à environ 20 % aujourd’hui. Moins de travailleurs britanniques sont désormais protégés par une convention collective qu’avant la Première Guerre mondiale. Comparés aux autres travailleurs européens, ils bénéficient moins de l’éducation et de la formation, et – du fait du manque d’investissement des employeurs – leur productivité est moindre. Ils disposent de moins de congés payés. Une grande partie d’entre eux sont dans la pauvreté, avec des bas salaires subventionnés par l’État. Bienvenue dans notre monde de dérégulation, décentralisation et insécurité ! En Grande-Bretagne, une forte proportion de la population active est dans une situation de soi-disant « travail autonome », de travail en agence, de travail temporaire ou de contrat à zéro heure. Elle compte davantage de travailleurs à temps partiel que dans les autres pays européens. Les travailleurs britanniques ont moins droit aux indemnités de licenciement, aux congés pour maladie ou de maternité, tandis que leurs droits liés aux démissions injustes et aux discriminations sont pratiquement inaccessibles du fait de l’imposition de forts tarifs pour pouvoir les défendre devant un tribunal. Nous sommes le paradigme pour le capitalisme moderne. Des syndicats faibles, des négociations collectives limitées à l’entreprise et un droit de grève réduit à la portion congrue. C’est le modèle états-unien pour l’Europe, que les institutions de l’UE souhaitent imposer à tous les États membres au travers de la combinaison des changements vers l’austérité imposés par la troïka?, des nouvelles règles de gouvernance économique introduites par les bureaucrates de Bruxelles et des accords commerciaux avec les États-Unis et d’autres.

Il est important que les travailleurs français soient conscients de ce qui se joue. Une fois que commence le voyage vers la dérégulation, il ne prend jamais fin. L’attaque est constante et implacable, et la récente législation imposant de nouvelles restrictions au droit de grève est claire. Nous regardons la France comme une source d’inspiration, pour démontrer que les lois sur le travail peuvent encore être un instrument de participation et de protection, qu’elles peuvent encore être sous-tendues par la liberté, l’égalité et la fraternité. Nous vous souhaitons le meilleur : notre combat est notre combat ; votre combat est un combat mondial.

Source L’Humanité 01/06/2016

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique Société, Travail, Mouvements sociaux, Intermittents retour au front, Négociations explosives,  rubrique Politique, Politique Economique, On line Loi travail : quelle est cette « inversion de la hiérarchie des normes » qui fait débat ?  ,

L’hypnotique déraison de Marlène Monteiros Freitas fait vibrer les sens

Paradis hTh ce vendredi soir à 20h co-accueilli avec Montpellier Danse. Photodr

Après l’époustouflant Jaguar, Marlène Monteiros Freitas  nous accompagne au Paradis ce vendredi 08 mars à hTh.

Même si vous n’êtes pas très en forme, ce qui peut se comprendre par les temps qui courent, lâchez vos antalgiques pour allez voir Marlène Monteiros Freitas. On vous le prescrit sans ordonnance. Révélation de la scène chorégraphique actuelle, la chorégraphe finit son escale montpelliéraine ce soir. Elle vous libérera de tous vos encombrements et autres tracasseries morales ou économiques. Née au Cap-Vert, Marlène Monteiros Freitas vit à Lisbonne. Son parcours s’appuie sur les figures du grotesque et de la transgression derrière lesquelles perce une sensibilité qui transperce les murs.

En début de semaine, elle a présenté son dernier opus, Jaguar, au Théâtre La Vignette. Un duo de choc avec Andreas Merk de près de deux heures, vertigineux et bouleversant. « Jaguar est une scène de chasse hantée » indique la chorégraphe.

IMG_1444Dans la pièce, les corps des danseurs se font marionnettes et se laissent emporter par le rythme entraînant du carnaval capverdien. « J’aime la contradiction du laid et du beau que l’on trouve dans le carnaval. Je me souviens des cortèges funèbres qui passaient dans l’île. De cette coexistence entre les choses tristes et joyeuses, funèbres et érotiques ». Jaguar doit aussi beaucoup à l’oeuvre du Suisse Adolf Wölfli un héros fou et criminel emprisonné en hôpital psychiatrique à la fin du XIXe. «Je l’ai découvert en tombant sur un de ses dessins complètement saturé. Wölfli s’est réinventé une nouvelle vie. Il a aussi produit des peintures qui donnent le vertige.» Avec des serviettes éponge pour seuls outils, les deux danseurs enchaînent une séries de métamorphoses qui nous font changer de monde. « L’idée de la métamorphose traduit toujours un désir d’échange avec les autres, explique Marlène Monteiros Freitas. Elle permet d’instaurer une autre relation parce qu’un déplacement s’opère y compris chez celui qui regarde. La transformation se situe à un niveau collectif. Je travaille pour trouver des hybrides soit hétérogènes soit contradictoires, une énergie de la contradiction ».

Le paradis selon Marlène

Pour Paradis collection privée la seconde pièce présentée vendredi 8 mars au CDN, la chorégraphe s’inspire des Jardins d’Eden de Bosh ou de Cranach et des mosaïques de Santa Maria Assunta de l’île de Torcello. Ces mondes inquiétants et fantasmés, ambivalents, qui rendent poreuse la frontière entre le bien et le mal. « Mon envie de paradis se rapporte à une fiction, à un imaginaire totalement libre et pas à une idée au service de la morale. Le paradis est une idée inventée et réinventée dans l’histoire qui offre d’immenses possibilités artistiques. Le paradis est une porte possible qui s’ouvre sur un lieu où tout est permis. Chacun peut se faire son idée de ce lieu, ce qui est un danger, mais personne ne sait ce que c’est.»

Le travail de Marlène Monteiros Freitas pose un climat émotionnel, une forme d’engagement au détriment du sens qui mobilise l’ énergie première des souffrances et délices de l’enfance.

JMDH

Source : La Marseillaise 08/04/2016

Paradis https://youtu.be/upyS58TCob4

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Montpellier, rubrique Rencontre,

Attirance magnétique

791906-antoine-et-cleopatreLes comédiens Sofia Dias et Vitor Roriz ,  grandeur et subtilité . Photo dr

Antoine et Cléopâtre mis en scène par Tiago Rodrigues.  Shakespeare est mort, vive Shakespeare…

Antoine et Cléopâtre, la pièce montée par Tiago Rodrigues, a été créée en mémoire à la tragédie de Shakespeare. « L’érosion du temps et du langage condamne la mémoire à l’incomplétude et, pour cela même, ouvre la porte à notre contribution personnelle », indique le jeune directeur du Théâtre National D. Maria à Lisbonne, invité par Rodrigo Garçia au CDN de Montpellier hTh. Les sources de la mise en scène empruntent à Plutarque comme l’avait fait lui-même le dramaturge dont on célèbre cette année les 400 ans de sa disparition.

Tiago Rodrigues change les valeurs relatives des incidences et des personnages secondaires, tire sur un fil de conscience, s’émancipe du texte pour se concentrer sur le couple prestigieux et donner toute la force au thème central de la pièce. L’histoire du couple Antoine et Cléopâtre qui assume les valeurs mythiques de leur passion dans les rapports avec l’histoire extérieure qui déterminera leur destin.

L’oeuvre en elle-même poussait à cet acte transgressif. Elle ne figure pas sur le podium des tragédies de Shakespeare en raison de sa structure construite sur une série de dichotomies?:  Orient et Occident, raison et sentiments, masculin féminin, sexe et politique… Autant d’appels à la liberté dont Tiago Rodrigues et son équipe se saisissent en réduisant la distribution pharaonique à un duo intense.

Dans un corps étranger
Suivant la trame de Plutarque selon laquelle «l’âme d’un amant vit dans un corps étranger», dans  ce spectacle, Antoine et Cléopâtre assurent et précisent la possibilité d’une transcendance des passions humaines au sein même de la corruption et du désespoir et en face de la mort. «Il est important de dire qu’étranger ne signifie pas éloigné, précise Tiago Rodrigues. Bien au contraire. Cette collaboration est née de la reconnaissance de l’affinité artistique à ce corps étranger. Bien qu’il soit étranger, nous pourrions l’imaginer nôtre.» Le propos fait écho à l’actualité, tout comme cette pièce complexe où la richesse et l’expérience humaine et poétique s’enchevêtrent. A cet endroit, Shakespeare n’infléchit pas la tragédie vers le drame politique.

Loin des contingences
Il est question d’une tragédie personnelle, dans le cadre d’une lutte gigantesque au cours de laquelle, malgré leur statut, les amants seront écrasés. Mais qu’importe, l’autre, l’étranger, ouvre sur une renaissance, sur les vastes perspectives d’un monde  où l’homme pourrait se réconcilier avec ses passions.

Cléopâtre parle obsessionnellement d’un Antoine et Antoine parle avec la même minutie de Cléopâtre. L’amante décrit tous les faits et gestes de son amant vivant dans une mise en scène imaginaire. Et vice et versa. Le procédé offre des passages d’une grande beauté. La passion est traitée au présent de manière pleine et entière. Elle ne craint pas le passage du temps. Chacun garde sa personnalité et l’infléchit chez l’autre.

Toutes les épreuves contingence, absence, infidélité, tentation de puissance, honte de la défaite, n’ont d’autre effet  que de renforcer l’emprise de l’amour, jusqu’au dépassement final.

L’espace scénique et la création lumière jouent sur l’instabilité et le mouvement permanent renforçant l’exaltation, la sensualité et la puissance des comédiens qui transmettent une énergie vitale.

JMDH

Ce soir et demain à 20h. Domaine de Grammont. Montpellier (34).
04 67 99 25 00  ou http://www.humaintrophumain.fr/web

Source : La Marseillaise 23/03/2015

Voir aussi : Rubrique  Théâtre, rubrique Montpellier,