La mémoire et l’histoire de l’esclavage sont des affaires sérieuses ! S’il faut encore le rappeler de façon si péremptoire, c’est que la vigilance doit être soutenue, encore et toujours, pour que les luttes des esclaves qui ont participés à la construction de la République et des valeurs qui nous rassemblent, ne disparaissent pas sous l’effet du souffle de la méconnaissance ou de l’idéologie nocive sur l’inégalité des acteurs de l’Histoire. La loi du 21 mai 2001, première loi Taubira, a déclaré l’esclavage et la traite dans l’Atlantique et l’Océan Indien comme crime comme l’humanité et aussi inscrit dans son article 2, que leur enseignement était obligatoire. Les programmes en ont tenu compte … sept ans plus tard, en 2008, pour le collège et le lycée mais il a fallut toute la ténacité du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage pour que la question ne disparaisse pas des nouveaux programmes du primaire et du collège. Les contempteurs de cette histoire arguent que finalement ce phénomène historique n’était pas si important ni au niveau de la France, ni au niveau du monde, simplement treize millions de personnes africaines déportées vers les Amériques et un million vers l’Océan Indien.
Outre le mépris que ce jugement manifeste vis-à-vis de ces personnes, ces chiffres ne disent rien de l’importance de l’histoire de l’esclavage dans l’histoire de France, surtout dans ce moment fondateur du récit national qu’est la Révolution française. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et surtout Saint-Domingue (futur Haïti) ont cru pleinement au combat pour les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité et l’ont porté si haut que la Convention nationale a aboli l’esclavage pour la première fois, le 4 février 1794 dans l’ensemble des colonies françaises de l’époque. Pendant la bataille de La-Crête-à-Pierrot menée lors de la tentative de rétablissement de l’esclavage par Napoléon, autant les esclaves de Saint-Domingue que les troupes françaises qui s’affrontaient, chantaient la Marseillaise ! Plus de cinquante ans plus tard, le 27 avril 1848, la deuxième République abolissait pour la seconde fois l’esclavage, cette fois-ci définitivement pour les colonies de l’Atlantique et de l’Océan Indien. La France célèbre chaque 10 mai la « Journée nationale des mémoires des traites, de l’esclavage et de leur abolitions » en hommage aux esclaves et aux abolitionnistes.
En effet, les esclaves qui s’étaient révoltés continuellement depuis le XVe siècle mais encore plus depuis la fin du XVIIIe siècle et qui, par leurs soulèvements contre le pouvoir colonial, avaient nourri la réflexion abolitionniste sur l’égalité du genre humain, ont accueilli l’émancipation légale au cris de « Vive la République ». Les esclaves n’avaient jamais renoncé à leur humanité, même au sein du cadre contraint et violent de l’esclavage. Ils l’ont imposée par la force ou par la résistance quotidienne. Ils croyaient à l’égalité, ils la réclamaient, et ce d’autant plus qu’au sein des sociétés coloniales esclavagistes de l’Atlantique se sont construites ces équivalences de termes entre noirs/esclaves et blancs/maîtres. Avant cette expérience, il n’y avait pas de « Blanc » (ce qualificatif utilisé dans les colonies atlantiques devait être expliqué au public européen) et pas de hiérarchies socio/raciales en Europe. C’est bien dans ces colonies de sucre, de café et de coton que la « race » n’a plus été le marqueur d’une appartenance familiale ou lignagère mais s’est transmuée en élément biologique qui, par le sang, transmettait un statut.
L’origine de l’idéologie raciale et du racisme
Ce récit sur les sociétés esclavagistes n’est pas simple détour, il souligne l’origine de l’idéologie raciale et du racisme. Les mémoires -définies comme expériences sociales du passé dans le contemporain- se sont précisément opposées – parfois, souvent – à la jauge de l’expérience du racisme produite par les événements de violence extrême de l’histoire. Alors que faire ? Si l’urgence actuelle de créer du collectif dans l’égalité des droits et des devoirs est bien réelle, les conditions doivent en être posées. Elles ne passent pas, me semble-t-il, par des combats auto-déclarés comme « anti-racistes » -dont le pluriel est suspect et qui sont parfois aporétiques- mais bien par la reconnaissance mutuelle des phénomènes historiques qui ont engendré des faits de racisme (mise en discours, idéologie, de l’exclusion et de la dépréciation de l’autre). Les mémoires ne doivent pas se croiser mais faire « causes communes » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicole Lapierre ou mieux encore « Histoire commune ». Peut-être alors pourrait-on sortir de la « race » comme totalitarisme c’est-à-dire d’un système où la « race » et conséquemment le racisme ne peuvent être dénoncés et combattus qu’en utilisant les propres catégories qui les créent. C’est faire ici le pari de la connaissance et de l’enseignement, de la recherche universitaire, d’une certaine exigence de la pensée qui se partage.
C’est aussi celui que font de nombreuses associations de citoyens qui souhaitent fermement dépasser la mémoire pour aller vers l’histoire. Quoiqu’on cherche à la leur imposer, certaines d’entre elles ne se reconnaissent pas dans des identités sans espoir comme celle de « victimes de l’esclavage colonial ». Elles veulent avoir leur place dans le monde, à égalité…
* Myriam Cottias est directrice de recherche au CNRS, présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage
Laurence Engel, actuellement médiatrice du livre, a été nommée à la tête de la Bibliothèque nationale de France pour succéder à Bruno Racine. Laurence Engel a été précédemment conseillère de Catherine Tasca, directrice des affaires culturelles de la Mairie de Paris et directrice du cabinet d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture. Laurence Engel, 49 ans, est la première femme nommée à la tête de la BnF, plus important établissement culturel de l’hexagone. Nommée pour un mandat de cinq ans, elle succède à Bruno Racine. Largement pressentie pour ce poste, Laurence Engel a parcouru toute sa carrière dans l’administration de la culture jusqu’à son dernier poste de « Médiatrice du livre ».
Elargissement des publics et enjeu numérique
La nomination d’un nouveau président de la BnF était particulièrement attendue alors que Bruno Racine a officiellement quitté ses fonctions le 1er avril. Il s’agit d’ailleurs de l’une des premières nominations depuis l’arrivée d’Audrey Azoulay à la Culture, en février. « Première femme nommée à ce poste, Laurence Engel aura pour mission première de proposer une politique des publics ambitieuse, à la fois attentive aux étudiants et chercheurs français et étrangers, mais aussi résolument tournée vers une population plus jeune et parfois éloignée de la culture », souligne le communiqué du ministère de la Culture annonçant son arrivée à la tête de la BnF.
Autre défi que devra poursuivre Laurence Engel à la tête de la Bnf : le numérique. La présidente, poursuit le communiqué, devra définir « les grandes lignes d’une stratégie numérique audacieuse, poursuivant le déploiement de la Bibliothèque numérique Gallica, portée par Bruno Racine ces dernières années et qui lui vautaujourd’hui le statut de première bibliothèque numérique francophone dans le monde ».
Normalienne, diplômée de Sciences Po, énarque, conseillère maître à la Cour des comptes, Laurence Engel a déjà été directrice du cabinet de Jérôme Clément, président d’Arte et de La Cinquième quand elle entre au ministère de la Culture en 2000 comme conseillère de Catherine Tasca sur l’audiovisuel et le cinéma. Devenue conseillère pour la culture auprès de Bertrand Delanoë, elle prend la tête des Affaires Culturelles de la Ville de Paris à partir de 2008.
Ancienne directrice de cabinet d’Aurélie Filippetti
Avec l’arrivée de François Hollande aux affaires, Laurence Engel devient directrice du cabinet d’Aurélie Filippetti ministre de la Culture. Un poste qui lui est presque « naturellement » attribué compte tenu de son parcours, mais qu’on a vite fait d’associer, dans les médias, à l’arrivée à l’Elysée de son compagnon Aquilino Morelle, comme conseiller de François Hollande. Et son départ, en 2014, à celui du conseiller du président, alors que Laurence Engel affirme l’avoir elle-même décidé et programmé.
Depuis cette date, Laurence Engel était présidente du conseil d’administration de l’Institut national d’Histoire de l’Art, présidente de la commission financière de l’AFP et surtout « Médiatrice du livre », autorité administrative indépendante chargée de la conciliation des litiges portant sur l’application de la législation autour du livre et de l’édition, et notamment au prix du livre.
L’engouement quasi unanime des responsables politiques pour la « guerre » traduit une grave méconnaissance de la réalité du terrain. Décidé durant l’été 2014, l’engagement militaire occidental ajoute une cinquième strate à une superposition de conflits qui embrasent l’aire arabo-islamique.
En 1979, la révolution iranienne mettait en place le premier régime politique officiellement « islamique », mais en réalité exclusivement chiite. Elle revivifiait ainsi le conflit ancestral entre sunnites et chiites, qui représente la première strate d’une lente sédimentation. Quand, après sa prise du pouvoir à Téhéran, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny demande une gestion collective des lieux saints de l’islam, le défi apparaît insupportable pour l’Arabie saoudite. Un an avant de trouver la mort près de Lyon à la suite des attentats de 1995 en France, le jeune djihadiste Khaled Kelkal déclarait au sociologue allemand qui l’interrogeait : « Le chiisme a été inventé par les juifs pour diviser l’islam » (1). Les wahhabites saoudiens ont la vieille habitude de massacrer des chiites, comme en témoignait dès 1802 la prise de Kerbala (aujourd’hui en Irak), qui se traduisit par la destruction de sanctuaires et de tombeaux, dont celui de l’imam Hussein, et le meurtre de nombreux habitants.
Cette « guerre de religion » déchire aujourd’hui sept pays de la région : Afghanistan, Irak, Syrie, Pakistan, Liban, Yémen et Bahreïn. Elle surgit sporadiquement au Koweït et en Arabie saoudite. En Malaisie, le chiisme est officiellement banni. A l’échelle de la planète, les attentats les plus aveugles, comme ceux commis durant des pèlerinages, tuent dix fois plus de musulmans que de non-musulmans, les trois pays les plus frappés étant l’Afghanistan, l’Irak et le Pakistan. L’oumma, la communauté des croyants, que les salafistes djihadistes prétendent défendre, recouvre aujourd’hui un gigantesque espace d’affrontements religieux. Dans ce contexte, on comprend pourquoi Riyad mobilise beaucoup plus facilement ses avions et ses troupes contre les houthistes du Yémen, assimilés aux chiites, que pour porter secours au régime prochiite de Bagdad. On voit mal pourquoi les Occidentaux devraient prendre position dans cette guerre, et avec quelle légitimité.
La deuxième guerre est celle que mènent les Kurdes pour se rendre maîtres de leur destin, en particulier contre l’Etat turc. Elle est née en 1923, dans les décombres de l’Empire ottoman, avec le traité de Lausanne, qui divisait le Kurdistan entre les quatre pays de la région : Turquie, Syrie, Irak et Iran. Les nombreuses révoltes qui ont secoué le Kurdistan turc entre 1925 et 1939 ont toutes été écrasées par Mustafa Kemal Atatürk. Depuis les années 1960, tous les soulèvements, en Turquie, en Irak ou en Iran, ont été noyés dans le sang, dans l’indifférence de la communauté internationale. Depuis 1984, cette guerre a causé plus de 40 000 morts en Turquie, où 3 000 villages kurdes ont été détruits, pour un coût estimé à quelque 84 milliards de dollars (2).
Nul ne devrait être surpris qu’Ankara ait laissé affluer les candidats djihadistes vers les deux principales forces dans lesquelles ils se reconnaissent, le Front Al-Nosra et l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), puisqu’elles combattent les Kurdes d’Irak et surtout de Syrie, très proches de ceux de Turquie. Principale menace pour Ankara, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) reste classé comme groupe terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis, et ne peut recevoir d’aide militaire occidentale. Seul pays de la région à appartenir à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et à avoir la capacité de modifier la situation militaire sur le terrain, la Turquie a fini par rejoindre la coalition. Mais elle concentre ses moyens sur la reprise des affrontements avec le PKK et voit d’un mauvais œil les Kurdes d’Irak et de Syrie gagner une indépendance de fait.
Troisième guerre en cours : celle qui déchire les islamistes entre eux depuis la guerre du Golfe (1990-1991) et plus encore depuis les révoltes arabes. La rivalité la mieux connue oppose les Frères musulmans, soutenus par le Qatar, et les salafistes, soutenus par l’Arabie saoudite, en Egypte, en Libye ou en Tunisie. Plus nouvelle est la concurrence entre, d’une part, Al-Qaida et ses franchisés et, d’autre part, les affidés de M. Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’OEI. Au cours des premiers mois de 2014, ces derniers ont pris le pas sur le Front Al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaida en Syrie, au prix de plus de 6 000 morts (3). La proclamation du « califat » a suscité de nombreux ralliements. Les combattants étrangers de l’OEI proviennent d’une centaine de pays. En désignant M. Al-Baghdadi comme leur ennemi principal, les pays occidentaux orientent de façon décisive la mobilisation des djihadistes à ses côtés.
Enfin, l’une des guerres les plus meurtrières, qui a fait près de 250 000 morts et des millions de réfugiés, est celle que mène le président syrien Bachar Al-Assad contre tous ses opposants.
Riyad envoie une quinzaine d’avions de combat en Irak, contre une centaine au Yémen
La bataille que livrent les Occidentaux apparaît, elle, comme un nouvel épisode d’une guerre beaucoup plus ancienne, avec une autojustification historique insupportable pour les populations de la région. Faut-il remonter aux accords Sykes-Picot, ce partage colonial de la région entre la France et le Royaume-Uni sur les ruines de l’Empire ottoman ? Faut-il remonter à Winston Churchill, alors secrétaire à la guerre du Royaume-Uni, faisant raser des villes et des villages kurdes — bombardés au gaz chimique ypérite — et tuer les deux tiers de la population de la ville kurde de Souleimaniyé, ou réprimant violemment les chiites irakiens entre 1921 et 1925 ? Comment oublier la guerre Iran-Irak (1980-1988), dans laquelle Occidentaux et Soviétiques soutinrent l’agresseur (Bagdad) et mirent sous embargo l’agressé (Téhéran) ? M. Barack Obama est le quatrième président américain à envoyer des bombardiers en Irak, pays déjà meurtri par vingt-trois ans de frappes militaires occidentales. Après l’invasion américaine, entre 2003 et 2011, près de 120 000 civils ont été tués (4). En 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès imputables à cette guerre à 655 000, cette catastrophe démographique s’ajoutant aux 500 000 morts causés par l’embargo international entre 1991 et 2002. Aux dires de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright, le 12 mai 1996 sur CBS, cela en « valait la peine ».
Aujourd’hui, pourquoi les Occidentaux interviennent-ils contre l’OEI ? Pour défendre des principes humanistes ? Il est permis d’en douter lorsqu’on constate que trois pays de l’alliance continuent à pratiquer la décapitation, la lapidation et à couper les mains des voleurs : le Qatar, les Emirats arabes unis et — très loin devant les deux premiers — l’Arabie saoudite. La liberté religieuse ? Personne n’ose l’exiger de Riyad, où une cour d’appel vient de condamner à mort un poète palestinien pour apostasie (5). S’agit-il alors d’empêcher les massacres ? L’opinion arabe a du mal à le croire quand, deux mois après les 1 900 morts des bombardements israéliens sur Gaza, qui avaient laissé les capitales occidentales étrangement amorphes, la décapitation de trois Occidentaux a suffi pour les décider à bombarder le nord de l’Irak. « Mille morts à Gaza, on ne fait rien ; trois Occidentaux égorgés, on envoie l’armée ! », dénonçait un site salafiste francophone.
Pour le pétrole, alors ? L’essentiel des hydrocarbures de la région s’en va vers les pays d’Asie, totalement absents de la coalition. Pour tarir le flot des réfugiés ? Mais, dans ce cas, comment accepter que les richissimes Etats du Golfe n’en accueillent aucun ? Pour protéger les « droits de l’homme » en défendant l’Arabie saoudite ? Riyad vient d’en démontrer sa conception novatrice en condamnant M. Ali Al-Nimr, un jeune manifestant chiite, à être décapité puis crucifié avant que son corps soit exposé publiquement jusqu’au pourrissement (6).
Sur le plan militaire, les contradictions sont plus évidentes encore. Aujourd’hui, seuls les avions occidentaux bombardent réellement l’OEI. Les Etats-Unis en déploient près de 400, et la France une quarantaine, dans le cadre de l’opération « Chammal », avec l’arrivée du porte-avions Charles- de-Gaulle (7). L’Arabie saoudite dispose d’environ 400 avions de combat, mais elle n’en engage qu’une quinzaine en Irak, soit autant que les Pays-Bas et le Danemark réunis. En revanche, au Yémen, près d’une centaine d’avions saoudiens participent aux bombardements de la coalition des dix pays arabes sunnites contre les houthistes (chiites), menée par Riyad. Dix pays arabes contre les chiites du Yémen, cinq contre l’OEI : étrange déséquilibre ! C’est bien contre les houthistes que Riyad mobilise toutes ses forces, et non contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), dont se revendiquait Chérif Kouachi, auteur des attentats contre Charlie Hebdo à Paris. Cette organisation que l’ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) David Petraeus qualifiait de « branche la plus dangereuse » de la nébuleuse Al-Qaida a pris le contrôle d’Aden, la deuxième ville du Yémen.
Désormais, l’OEI a atteint trois objectifs stratégiques. Tout d’abord, elle apparaît comme le défenseur des sunnites opprimés en Syrie et en Irak. Ses victimes sont à 90 % des musulmans. En Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Pakistan, les victimes des attentats sont d’abord des chiites, ensuite de « mauvais musulmans » — en particulier des soufis —, puis des représentants des régimes arabes et, en dernier lieu seulement, des membres de minorités religieuses ou des Occidentaux.
Par ailleurs, l’OEI est parvenue à délégitimer Al-Qaida et sa branche locale en Syrie, le Front Al-Nosra. Les appels du successeur d’Oussama Ben Laden, M. Ayman Al-Zawahiri, mettant en demeure M. Al-Baghdadi de se placer sous son autorité, traduisent une impuissance pathétique. La somme des défections au sein des groupes djihadistes montre la dynamique nouvelle créée par l’OEI.
A terme, le « calife » Al-Baghdadi devra défier l’Arabie saoudite
Enfin, l’OEI est devenue l’ennemi numéro un de l’Occident. Celui-ci a déclenché contre elle une « croisade » qui ne dit pas son nom, mais qui peut facilement être présentée comme telle par les propagandistes du djihad. L’opération américaine « Inherent Resolve » (« Détermination absolue ») regroupe principalement douze pays de l’OTAN (plus l’Australie), et l’alliance retrouvée avec la Russie renforcera encore plus le caractère de « front chrétien » que la propagande sur Internet sait si bien utiliser. Selon une pétition en ligne signée par 53 membres du clergé saoudien, les frappes aériennes russes ont visé des « combattants de la guerre sainte en Syrie » qui « défendent la nation musulmane dans son ensemble ». Et, si ces combattants sont vaincus, « les pays de l’islam sunnite tomberont tous, les uns après les autres » (8).
La contre-stratégie militaire des Saoud ne laisse planer aucune ambiguïté : elle est essentiellement axée sur la lutte contre les chiites. Riyad, comme les autres capitales du Conseil de coopération du Golfe, ne peut considérer l’OEI comme la principale menace, sous peine de se trouver contesté par sa propre société. L’intervention militaire saoudienne à Bahreïn en 2012 était destinée à briser le mouvement de contestation républicain, principalement chiite, qui menaçait la monarchie sunnite des Al-Khalifa. Au Yémen, l’opération « Tempête décisive » lancée en mars 2015 vise à rétablir le président Mansour Hadi, renversé par la révolte houthiste. Il n’est évidemment pas question pour Riyad d’envoyer ses fantassins contre l’OEI alors que 150 000 hommes sont déployés sur la frontière yéménite. Pourtant, le prochain objectif de l’OEI devrait être d’asseoir la légitimité religieuse de son « calife », qui s’est nommé lui-même Ibrahim (Abraham) Al-Muminim (« commandeur des croyants », titre de l’époque abbasside) Abou Bakr (nom du premier calife) Al-Baghdadi Al-Husseini Al-Qurashi (nom de la tribu du Prophète). Une véritable compétition est engagée avec l’autre puissance qui prétend prendre la tête de l’oumma et représenter l’islam : l’Arabie saoudite est dorénavant contestée sur le terrain. Pour l’emporter, M. Al-Baghdadi doit défier le « défenseur des lieux saints ». On peut donc penser qu’à terme, une fois réduites les zones chiites, le « calife » visera l’Arabie saoudite.
Quelles conséquences probables pour l’Europe ? Après les réfugiés afghans, irakiens et syriens, elle devrait rapidement voir arriver les réfugiés yéménites. Pays plus peuplé que la Syrie, le Yémen ne peut évacuer ses ressortissants vers les pays frontaliers, tous membres de la coalition qui le bombarde. Depuis 2004, la guerre a fait plus de 340 000 déplacés, dont 15 % vivaient dans des camps, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies. En outre, le Yémen accueillait 246 000 réfugiés, somaliens à 95 %. Les pays du Conseil de coopération du Golfe montreront le même égoïsme que lors de l’exode syrien, c’est-à-dire : aucune place offerte aux réfugiés. Reste donc l’Europe.
On comprend mieux pourquoi l’alliance mène une guerre pour laquelle elle ne peut fixer un objectif stratégique clair : chacun de ses alliés est en conflit avec un autre. Les interventions en Irak, en Syrie, au Mali ou en Afghanistan s’apparentent au traitement de métastases ; le cancer salafiste a son foyer dans les pays du Golfe, protégés par les forces occidentales. Peut-on détruire l’OEI sans renforcer d’autres mouvements djihadistes, le régime de M. Al-Assad ou Téhéran ? La guerre sera longue et impossible à gagner, car aucun des alliés régionaux n’enverra de troupes au sol, ce qui risquerait de menacer ses propres intérêts.
La stratégie occidentale fondée sur les bombardements et la formation de combattants locaux a échoué en Syrie et en Irak comme en Afghanistan. Européens et Américains poursuivent des objectifs qui ignorent les mécanismes des crises internes au monde arabo-musulman. Plus l’engagement militaire s’accentuera, plus le risque terroriste augmentera, avant l’affrontement prévisible et ravageur qui devrait finir par opposer l’OEI à l’Arabie saoudite. Est-ce « notre » guerre ?
Pierre Conesa
* Maître de conférences à Sciences Po Paris, ancien haut fonctionnaire au ministère de la défense. Auteur du rapport « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? », décembre 2014, et du Guide du petit djihadiste, à paraître en janvier 2016 aux éditions Fayard.
(7) Selon le ministère de la défense, l’opération mobilise 3 500 hommes, 38 avions de combat et divers moyens de logistique et de protection. « “Chammal” : point de situation au 19 novembre », Ministère de la défense.
Le verdict rendu par le Tribunal pénal des Nations unies établi à La Haye contre l’ancien dirigeant bosno-serbe Radovan Karadžic, reconnu coupable de génocide et d’autres crimes de droit international, représente un grand pas vers la justice pour les victimes du conflit armé en Bosnie-Herzégovine, a déclaré Amnesty International.
La Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a déclaré Radovan Karadžic coupable du chef de génocide, de cinq chefs de crimes contre l’humanité et de quatre chefs de crimes de guerre en raison du rôle qu’il a joué dans le conflit armé, à la fois pour sa responsabilité individuelle et pour sa participation à une entreprise criminelle conjointe.
Il a été condamné à 40 ans d’emprisonnement. Ses avocats ont déclaré qu’ils vont faire appel de ce jugement.
« Ce jugement confirme que Radovan Karadžic a joué un rôle de commandement en ce qui concerne les crimes de droit international les plus graves perpétrés en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », a déclaré John Dalhuisen, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
Ce jugement confirme que Radovan Karadžic a joué un rôle de commandement en ce qui concerne les crimes de droit international les plus graves perpétrés en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le Tribunal a reconnu Radovan Karadžic coupable de génocide pour le massacre de Srebrenica, lors duquel plus de 7 000 hommes et garçons bosniaques ont été tués. Il l’a également déclaré coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris de tortures, de viols et de l’homicide de milliers détenus, perpétrés dans le but d’éliminer systématiquement en Bosnie les populations musulmanes et croates dans les territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie.
Le Tribunal a estimé que le rôle de Radovan Karadžic dans le siège de Sarajevo a été tellement important que sans lui il n’aurait pas eu lieu. Il a souligné que la population entière de Sarajevo était terrorisée et vivait dans un état de peu extrême notamment en raison des attaques menées sans discrimination entre 1992 et 1995.
Radovan Karadžic a été acquitté d’un chef de génocide lié à des crimes commis contre des Musulmans et des Croates de Bosnie dans sept communes en 1992.
Il a occupé plusieurs des plus hauts postes de commandement des Serbes de Bosnie durant les trois années de guerre entre ses forces et celles des Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie, et a dirigé des opérations menées tant contre des forces militaires que contre la population civile.
« C’est un jour très important pour la justice internationale et pour les victimes qui ont attendu pendant 13 ans l’arrestation de Radovan Karadžic et pendant huit ans supplémentaires le verdict rendu aujourd’hui, a déclaré John Dalhuisen.
« Nous ne devons toutefois pas oublier que plus de 20 ans après la guerre de Bosnie, des milliers de cas de disparition forcée restent non résolus, et qu’en raison d’un manque de volonté politique très troublant, les victimes ne peuvent toujours pas avoir accès à la justice, à la vérité et à des réparations. »
La guerre de Bosnie a fait près de 100 000 morts, dont quelque 38 000 civils, mais moins de 1 000 cas de crimes de guerre ont fait l’objet d’une enquête et donné lieu à des poursuites judiciaires au niveau national.
On ignore toujours tout du sort de milliers de personnes. Amnesty International exhorte les autorités de Bosnie-Herzégovine à s’engager réellement à résoudre les plus de 8 000 cas de disparition forcée survenus pendant la guerre et non résolus à ce jour, et à permettre aux familles de connaître la vérité et d’obtenir justice ainsi que des réparations.
Depuis sa création en 1993, le TPIY a mis en accusation 161 personnes pour des crimes de droit international perpétrés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.
La procédure judiciaire a été menée à terme pour les cas de 149 accusés, parmi lesquels figurent sept personnes reconnues coupables du génocide de Srebrenica. Des procédures sont encore en cours contre 12 personnes, notamment contre l’ancien chef militaire bosno-serbe Ratko Mladic.
Les passeurs artistiques Philippe Durand, Philippe Ramette, Olga Kisseleva et Emma Dusong partagent l’espace du centre d’art régional jusqu’au 29 mai 2016
La pertinence de la notion de passeur d’art, pourrait bien être celle de la délimitation de ses contours, des liens de passage où circulent les hommes et leurs émotions… L’artiste Philippe Durand développe une pratique photographique sur le mode de la déambulation, à la recherche de traces visibles dans l’espace public. En 2014, il décide d’explorer la vallée des Merveilles, situé dans le Parc National du Mercantour. Fasciné par cet espace naturel, il y découvre un patrimoine archéologique exceptionnel qui, selon lui, constitue «un autre espace public, évidemment non urbain mais balisé, marqué, transmis d’une personne à l’autre.» Considérant ce site comme un proto-musée en plein air, sans auteur, sans commissaire, sans public ni communication, l’artiste en fait un lieu de travail, dans une nouvelle dimension spatiale et temporelle.
Aire initiatique archaïque
A la différence du monde de l’art contemporain, les aires culturelles sont rarement des champs clos. Elles subissent, le plus souvent au fil du temps des influences multiples. Influences restituées par les photographies de Philippe Durant qui documentent l’exposition. Les clichés de l’artiste mettent en scène le dialogue des échanges à première vue très inégaux qui s’instaurent entre les cultures à travers le temps. Des gravures anciennes telles les bêtes à cornes préhistoriques que nos lointains ancêtres gravaient dans la roche pour se mettre en contact avec la puissance chamanique de l’animal, côtoient des graffitis plus récents. Un type qui fume dessiné par un berger au début du XXe siècle, un Mickey déifié dans les années 80 ou un graff des twin towers localisé et daté au canif New York 2001. «C’est intéressant de voir que les premiers et les derniers dessins de l’histoire de l’humanité se ressemblent» souligne justement le critique Pacôme Tiellement.
Signes de l’engagement
Le travail de l’artiste se rapporte à l’histoire de l’art, à l’histoire d’un continent disparu, retrouvé et déplacé. L’exposition tente de recomposer une topographie du lieu. Comme une mise en abîme du gigantesque musée à ciel ouvert de la vallée des merveilles reconstitué au sein du Crac de Sète. Une immense photo murale du site sert de structure à l’exposition. Dans la première salle quelques éléments gonflables évoquent le chaos rocheux du paysage, leur dimension ludique emprunte au parc d’attraction en parfait contraste avec les vidéos qui invitent à une lecture méditative du site. On passe le mur de roche comme l’on traverse un miroir pour se retrouver dans la seconde salle en présence des photographies. A la croisée entre individu et société, l’installation La Vallée des Merveilles pose les signes de l’engagement dans la collectivité. Cette proposition artistique peut être perçue sous une forme individuelle et singulière ou/et comme une forme sociale et donc socialement partagée.
La force et l’émotion
Avec Suivre sa voix, la jeune Emma Dusong se situe sur le front des pionniers de l’émotion. Son installation Classe évoque les limites et les risques du système éducatif et l’espoir déchu face au désir d’apprendre librement. L’artiste suit les traces de l’intime dans la durée et la profondeur. La conversation avec sa grand-mère espagnole sétoise renvoie à la disparition, aux craintes qu’elle suscite, mais également à tout ou partie de l’histoire de l’enfance, de la famille, de l’amour. Elle transcende largement l’état affectif des individus pour les inscrire dans le paysage de l’art.
Solo exhibition Emma Dusong Suivre sa voix
Emma Dusong travaille avec la voix et le silence à travers divers médiums. Souvent déclenchées par des performances chantées (écrites et composées par l’artiste) ses pièces sonores proposent un univers de doute et de métamorphose.
Elle présente son travail en France et à l’étranger depuis les années 2000. En 2008, elle a reçu le prix agnes b. En 2008-2009, elle fut résidente au Pavillon de Tokyo et en 2010, elle est nominée au prix Audi Talents Awards à la FIAC.
«Je m’intéresse à la voix humaine, sa dimension vivante et évanescente, tellement présente, expressive et tactile. Je viens au départ de l’image et j’ai eu besoin à un moment donné d’un médium qui soit le plus vivant possible dans le prolongement de la respiration. Chanter était aussi ce qui me faisait le plus peur et me permettait donc de donner un renouveau à ma pratique. Ce qui me trouble dans la voie chantée est le côté vertigineux de la voix. La voix a cappella émise sans amplification lui permet d’être le plus suspendue possible, la plus vulnérable.»
Monographie Philippe Ramette questionne le réel
A l’occasion de cette exposition l’artiste Philippe Ramette réactive son travail photographique mis en sommeil depuis neuf ans et propose un portrait de l’artiste au fil de l’eau. « Ma démarche est une attitude contemplative. L’idée récurrente consiste à représenter un personnage qui porte un regard décalé sur le monde , sur la vie quotidienne. Dans mes photos, je ne vois pas d’attirance pour le vide, mais la possibilité d’acquérir un nouveau point de vue.»