La région Languedoc-Roussillon pôle national de l’immigration

455443-558024Histoire. Susana Dukic compose un récit passionnant sur l’Histoire des hommes et des femmes migrants en s’intéressant aux modes de vie qui composent notre identité collective.

Susana Dukic historienne chercheuse coopérante à l’ISCRA méditerranée signe la synthèse historique  « L’immigration en Languedoc-Roussillon du XIXe siècle à nos jour ».

A partir de quelle matière avez-vous effectué vos recherches ?

Je me suis appuyée sur une masse de connaissances disponibles sur l’immigration dans la région provenant de bases de données comme celle de la Bnf, de bibliothèques universitaires ainsi que de travaux non publiés.

Ce qui permet de faire immerger des aspects oubliés comme celui des femmes ?

Oui, on a longtemps cru que l’immigration était une histoire d’hommes venus pour vendre leur force de travail face à un appareil productif qui en avait besoin ; une forme de recours rapide, efficace, moins cher et souple pour les employeurs et les pouvoirs publics. En réalité il y a toujours eu plus ou moins 40% de femmes qui pèsent sur la trajectoire de leur mari ou de leur frère mais sont restées un point aveugle de l’historiographie.

On assimile souvent la population étrangère à une main-d’œuvre complémentaire comment définissez vous l’immigration ?

Ce peut être une situation qui correspond au déplacement d’une personne qui franchit une frontière mais dans le cas des déplacements coloniaux par exemple cela ne fonctionne plus. Les descendants d’immigrés représentent  en France un habitant sur quatre. Le terme immigré revêt des définitions variables selon à qui on l’applique. Je pense qu’un immigré est avant tout quelqu’un perçu comme tel. On est immigré dans le regard de l’autre.

Comment avez-vous abordé les nationalités concernées sur deux siècles d’Histoire ?

On est pour l’essentiel sur une immigration de voisinage avec des flux importants en provenance de d’Espagne liés aux soubresauts politiques de la monarchie puis la guerre civile et d’Italie liés à la dépression agricole. Les vagues migratoires arrivent différemment dans la Région. L’Histoire de l’immigration est liée à l’économie de production comme la viticulture ou l’exploitation minières dans le Gard ou portuaire à Sète. L’immigration est également favorisée par les crises démographiques comme à la fin de la Première guerre mondiale. Au lendemain de la Seconde guerre, on assiste à de nouvelles vagues d’immigration en provenance d’Espagne et du Portugal mais aussi des pays en voie de décolonisation. L’Algérie et le Maroc, renouvellent la composition de la population régionale.

Vous évoquez aussi les tentions xénophobes parfois attisées par la presse…

A la fin du XIXe, le sentiment national français s’est développé et l’immigration se pose comme une question politique. Dans le même moment, la presse s’en saisit. Le phénomène resurgit avec la crise des années 30 puis dans les années 90 dans le contexte mis en œuvre par la politique d’intégration.

Quels sont les enjeux de mémoire de l’immigration au niveau régional ?

Les pouvoirs publics se sont saisis tardivement des histoires de l’immigration. La commémoration de la Retirada par la Région il y a quelques années a renvoyé l’image d’une vague migratoire méritante et très bien reçu par la  communauté concernée mais ce n’est pas sans danger car cela peut renvoyer aux autres qu’ils ne font pas suffisamment d’efforts alors que le contexte n’est pas le même.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Immigrés espagnols. Photo Paul Lancrenon  Susana Dukic. Photo Rédouane Anfoussi

Deux siècles d’immigration en L-R

Dans l’optique d’ouverture de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration, les pouvoirs publics avaient lancé un programme de recherche coordonné par Gérard Noiriel pour réaliser une synthèse historique régionale de l’immigration. Le projet a été gelé mais l’historienne Susana Dukic l’a mené à terme. En 2011, la DRAC L-R et le Conseil Régional ont eu l’heureuse idée de soutenir le projet de publication de cette synthèse historique.
L’immigration en Languedoc-Roussillon est un ouvrage qui retrace l’Histoire de centaines de milliers d’immigrants qui se sont succédé de façon temporaire ou définitive dans la région sur plus de deux siècles.

En matière d’immigration le Languedoc-Roussillon présente un certain nombre de singularités : alors qu’au niveau national, le recours à la main-d’œuvre étrangère est calqué sur les rythmes de la production industrielle, l’immigration en Languedoc-Roussillon est liée au travail de la terre en général et de la vigne en particulier. La région constitue un des pôles nationaux de l’immigration au XXe siècle, en particulier durant l’entre de deux guerre. Elle se singularise enfin par la prépondérance de l’immigration d’outre-méditerranée durant près de 150 ans, et, plus récemment par le poids de l’immigration marocaine.

L’ouvrage conclut sur le poids des discriminations, que des enquêtes sociologiques conduites dans la région ont démontré dès le début des années 1990, et questionne le sens des projets d’action culturelle en lien avec les mémoires des immigrations régionales qui s’y sont multipliées ces dernières années. Un ouvrage de référence qui propose un état des connaissances dans un style accessible aux étudiants, aux professionnels et plus largement à tous les citoyens que la question intéresse.

Disponible aux éditions Trabucaire au prix de 15 euros.

Source : L’Hérault du Jour :

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Les grands auteurs classiques ibériques

don-quichotte-1957-1972-01-gRencontres littéraires. Une proposition de Cœur de livres en préambule de la
Comédie du livre qui célèbrera en 2015 les littératures espagnoles et portugaises.

Du 29 au 31 mai 2015, la  Comédie du livre fêtera ses 30 ans. Cette édition exceptionnelle aura pour invitée la littérature ibérique. Fidèle à sa vocation de promouvoir le livre et la lecture dans la ville et à la vitalité des libraires associées à cette démarche, l’association Cœur de livres propose au grand public un cycle de rencontres littéraires mensuelles.

L’occasion de redécouvrir les auteurs classiques des pays mis à l’honneur (Espagne et Portugal en 2015) lors de la manifestation. Ces rencontres sont une opportunité pour appréhender le patrimoine littéraire des pays invités. Elles permettent en outre de se familiariser avec le corpus littéraire dans lequel les auteurs contemporains invités à Montpellier ont baigné. Après un tour vers le grand Nord l’an dernier, 2015 sonne donc le retour vers la Méditerranée.

Les littératures espagnoles -?basques, castillanes, catalanes, galiciennes?- et portugaises sont  ainsi mises à l’honneur à travers cinq rencontres, à partir de janvier et jusqu’à la Comédie du livre. Chaque rencontre donne lieu à un dialogue entre un intervenant en lien avec l’auteur classique mis en avant et un modérateur.

En préambule de chaque rencontre, le public pourra trouver, dans les librairies partenaires de l’événement, une brochure d’une dizaine de pages présentant l’auteur classique dont il sera question et les différents auteurs présents lors de cette rencontre à travers leurs biographies, accompagnées de l’extrait d’une œuvre lu par des comédiens pendant la rencontre.

Partenaire de l’événement, L’Hérault du Jour consacre une page  pour présenter chaque rencontre également enregistrée par Radio Campus Montpellier.

Au programme 2015
Jeudi 22 janvier : Miguel de Cervantès avec Olivier Weber. Jeudi 26 février : José Saramago avec Carmen Castillo. Jeudi 26 mars :  Luis de Camoes avec Sébastien Lapaque. Jeudi 30 avril : Fernando Pessoa avec Stanislas Grassian. Vendredi 29 mai : Federico Garcia Lorca avec Serge Mestre. Salle Pétrarque à 19h. Entrée libre.

Source : L’Hérault du Jour 30/12/2014

Cynthia Fleury: «Il y a du Narcisse blessé dans le pessimisme français»

Cynthia FleuryPhoto Dr

Cynthia FleuryPhoto Dr

Pour la philosophe Cynthia Fleury, le manque de collectif empêche le raffermissement de la confiance.

Pour Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, les Français redécouvrent aujourd’hui la nécessité d’un récit collectif.

Critiques à l’extrême, pessimistes en diable, les Français donnent le sentiment de ne plus s’aimer. Une forme de dépression collective ?

La France déprime, c’est certain. Déprime-t-elle parce qu’elle ne s’aime pas ou parce qu’elle s’aime trop ? Je pense qu’il y a du Narcisse blessé dans ce pessimisme, donc plutôt la preuve d’une passion pour soi-même qui ne s’assume pas, et surtout qui n’a plus les moyens de s’assumer comme telle. Et puis l’autodénigrement chez les Français, c’est presqu’une affaire de style.

Que voulez-vous dire ?

Ceux qu’Antoine Compagnon a appelés les «antimodernes» ont gagné la bataille du style. Ce qui s’est démocratisé dans la doxa française, après le XIXe siècle, c’est le spleen, le désenchantement, la mélancolie intelligente. En fait, on pourrait même considérer que cela remonte à plus tôt. Nous sommes certes les enfants des Lumières et du XVIIIe siècle mais nous demeurons étrangement ceux du XVIIe et du jansénisme (incarné par La Rochefoucauld) qui porte un regard âpre sur le genre humain. Hugo était l’héritier des Lumières. Qui aujourd’hui est l’héritier de Hugo ? Regardez les XXe et XXIe siècles : Céline et Houellebecq, ce n’est pas vraiment la générosité solaire d’un Hugo. Et puis le jansénisme s’est parodié, cette haine de soi est d’une telle complaisance qu’elle en devient suspecte.

N’oubliez-vous pas l’aspiration universaliste matérialisée par la Révolution ?

Sur ce sujet, l’historien Timothy Tackett a émis une hypothèse intéressante : considérer que l’événement majeur de la Révolution, c’est Varennes et la trahison du roi. Autrement dit, la Révolution s’inaugure sur un traumatisme indépassable, la trahison de celui qui représente la nation, non pas seulement la trahison de l’extérieur mais aussi celle de l’intérieur. Résultat, la paranoïa est sans doute devenue dans l’inconscient collectif le meilleur rempart contre les menaces. Qui sait si le sentiment actuel de trahison des élites n’est pas une énième réminiscence de cette trahison originelle ? Phénomène aggravant, la trahison est, chaque jour, étayée par les chiffres, rendue transparente, hypervisible.

La mondialisation n’a-t-elle pas aussi contribué au sentiment de relégation ?

Le tropisme des Français pour le statut (professionnel et social) résiste mal aux déstabilisations provoquées par la mondialisation. Déchus dans leur statut, ils ont le sentiment d’être déclassés, menacés dans leur mode de vie. La précarisation sociale, bien réelle, n’arrange rien. Pour l’heure, comme personne ne sait ni de quoi est fait le nouveau charisme français ni comment l’exprimer, l’impression dominante c’est la déperdition de soi.

Cela explique selon vous la poussée des partis antisystème ?

Nous sommes dans la queue de comète de la défiance, dans la mesure où sa verbalisation a commencé il y a quinze ans. Il n’est pas rare d’entendre maintenant une forme d’autorisation nouvelle chez les citoyens : l’alternance traditionnelle n’a plus le monopole du changement, voire est identifiée au non-changement. Partant, certains qualifient le FN de «vote utile». Au sens où lui seul serait susceptible de «casser» quelque chose.

Est-il possible de reconstruire un récit collectif ?

Nous sommes à un moment inédit de l’histoire : jamais les individus n’ont, à juste titre, autant revendiqué l’autonomisation de leurs désirs. Et, en même temps, ils redécouvrent enfin la nécessité des récits collectifs. Je crois qu’il y a, dans le geste constituant, la matrice d’une restauration de la confiance que l’on a tort de laisser en friches. Le traumatisme du référendum de 2005 est encore très présent. Une nouvelle république, construite avec les citoyens, permettrait aux Français de renouer avec leur tradition universaliste et pionnière. Le «made in France», ce n’est pas la tradition ou le vintage, c’est la vertu pionnière. Le fait que la France soit le premier territoire européen en termes de Fab Labs (et donc d’open innovation) me dit que, peut-être, les Français vont se ressaisir de ce talent.

Renouer avec l’optimisme est-il envisageable dans un avenir proche ?

Le désenchantement est souvent corollaire du sentiment d’isolement. Or, il est possible aujourd’hui de repérer des individus et des réseaux avec lesquels s’associer et inventer les modes socio-économiques de demain. Le dénigrement systématique de l’existant, c’est bon pour ceux qui s’intéressent à la conquête du pouvoir. Mais pour les autres, qui ont déconstruit la notion de pouvoir, ils savent que la politique et le pouvoir ne se recoupent pas, que la première est bien plus vaste et moins illusoire que le second. Résultat, ils n’attendent plus les politiques pour transformer le monde.

 Recueilli par Nathalie RAULIN

Source Libération 23/12/2014

Voir aussi : Rubrique PhilosophieMichela Marzano « Pas de confiance sans coopération », PolitiqueEt si l’abstention était un signe de vitalité politique ?Société civile, rubrique Société Citoyenneté, rubrique Sciences Humaines, rubrique Science Politique, rubrique Histoire,

Fred Vargas:  » C’est Viviane Hamy qui m’a quittée  »

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Fred Vargas publiera son prochain polar chez Flammarion, après avoir été éditée pendant vingt ans par la petite maison indépendante de Viviane Hamy.

Pas question de quitter Viviane Hamy, qui l’édite depuis 1994, assurait Fred Vargas l’année dernière dans les colonnes de L’Express:  » Mon éditrice me soutient depuis des années malgré mes débuts laborieux. Me barrer Ce serait d’une ingratitude crasse! Et pour de la thune Au secours !  » Et la romancière aux millions d’exemplaires vendus de balayer la rumeur persistante selon laquelle son agent, le très influent François Samuelson, chargé de négocier les droits audiovisuels de ses deux derniers romans, l’inciterait à céder aux offres de la concurrence. « J’ai choisi Samuelson non pas pour l’argent, mais pour me décharger, insistait alors la créatrice du flic Adamsberg. L’idée de parler fric, pourcentages, de discuter un contrat me rendait malade. Il s’entend avec Viviane, elle sait que je ne partirai pas. »

Quelle surprise, donc, lorsque Livres Hebdo annonce ce 2 décembre que le prochain polar de Fred Vargas paraîtra en mars chez Flammarion sous le titre Temps glaciaires – une information officieuse glanée dans les couloirs de la dite-maison. Que s’est-il passé ? « Je n’ai pas trahi, soutient aujourd’hui la romancière. C’est Viviane Hamy qui m’a virée, c’est elle qui m’a quittée. Je l’ai appris par une lettre du 29 janvier 2014 : Viviane me faisait savoir qu’elle ne voulait plus travailler avec mon agent. « Dès l’instant où tu garderas François Samuelson, les conclusions sont imparables« , m’écrit-elle.

« Mes livres représentent 85% de son CA »

Je n’y comprends rien : Sam est un homme attentif, sensible, il lui envoyait des fleurs et n’est pas le tueur que certains dépeignent. Je réponds à Viviane le lendemain, nous échangeons plusieurs mails. Mais elle ne veut rien savoir. « Tu as voulu rentrer dans la norme », m’écrit-elle encore. Cette lettre m’a assommée. A ce moment-là, j’avais commencé un nouveau polar sans en parler à quiconque, exceptés mon fils et ma soeur. Pour convaincre Viviane Hamy de revenir sur sa décision, je l’informe que j’ai déjà écrit 90 000 signes de mon prochain livre. Ca n’a rien changé pour elle, alors que mes livres représentent environ 85% de son chiffre d’affaires.

J’ai donc continué à écrire, sans me soucier de trouver un éditeur. Or je connais Teresa Cremisi [PDG de Flammarion] depuis longtemps, et tout le service de distribution qui est aussi celui de Viviane Hamy, les commerciaux de J’ai Lu [filiale de Flammarion] qui m’édite en poche. Ca s’est fait naturellement. J’ai dit à Viviane que c’était triste mais je ne voulais pas céder à son chantage. Comme il me paraissait discourtois d’aller chez un autre éditeur sans la prévenir, je l’ai fait en la remerciant, dès que le contrat a été signé avec Flammarion. Aucune réponse de sa part« . Et Fred Vargas de conclure, visiblement émue : « Je ne suis pas partie comme une voleuse. Je ne suis pas devenue une femme d’argent, il n’y a rien de plus faux. Je n’ai pas changé et je veux pas qu’on me mette tout sur le dos. De moi-même, je n’aurais jamais quitté Viviane Hamy, je sais ce que je lui dois. » Sollicitée par L’Express, l’éditrice n’a pas donné suite. Son attachée de presse, Sylvie Pereira, a évoqué pour sa part « une décision purement professionnelle de ne plus accepter d’intermédiaires entre nous et nos auteurs.« 

Source L’Express 05/12/2014

Voir aussi ; Rubrique Edition, rubrique Livre, Roman noir, rubrique Rencontre, Fred VargasRespect, tendresse et compréhension tacite…

Susan George : « La ratification du Tafta serait un coup d’État… »

«?Les usurpateurs pénètrent souvent sur invitation dans les institutions.?» Photo Astrid di Crollalanza -

Invitée dans le cadre des grands débats à Montpellier, Susan George évoque dans son dernier livre « Les Usurpateurs » (Seuil) la prise de pouvoir des transnationales.

Franco-américaine, présidente d’honneur d’Attac-France, et présidente du conseil du Transnational Institute (Amsterdam), Susan George s’est engagée depuis longtemps dans les combats internationaux contre les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste.

Votre ouvrage pose ouvertement la question du pouvoir illégitime des entreprises qui mine les fondements de notre démocratie représentative. Sur quels constats?

Tout le monde est conscient de l’action des entreprises auprès de tous ceux qui font les lois pour défendre leurs intérêts. Mon livre donne des détails sur ces lobbys et lobbyistes « classiques » mais s’intéresse bien plus à leur capacité à se regrouper par branche – agro-alimentaire, chimie, pharmaceutique etc. – dans des institutions aux noms bien anodins comme les conseils, fondations ou instituts. Ces organisations sont beaucoup plus subtiles dans leurs techniques de communication et de persuasion. Elles parviennent à biaiser la législation dans la santé publique, l’environnement ou la consommation. Je consacre une grande partie du livre à ces usurpateurs qui pénètrent, souvent sur invitation, dans les institutions nationales et supranationales comme les Nations-Unies.

Comment évaluer l’ampleur actuelle du lobbying ?

Le Congrès des USA dispose d’un registre assez complet et plutôt contraignant. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, vient d’annoncer que l’enregistrement sera aussi obligatoire auprès des institutions de l’UE. C’est tout à son crédit et déjà les plus grandes banques internationales comme Goldman Sachs ou HSBC s’enregistrent. On trouve aussi de bons outils d’information sur Internet. Mon livre en donne un résumé aussi complet que possible. Il s’adresse au lecteur dit généraliste, ce pourquoi j’ai souhaité privilégier l’urgence et non pas faire quelque chose d’universel. Je donne des pistes pour continuer ce travail de dévoilement.

Où situez-vous l’urgence ?

Le plus urgent c’est le Traité entre les Etats-unis et l’UE dit TAFTA ou TTIP. Ce traité est actuellement négocié à huis-clos. Si nous n’arrivons pas à l’arrêter avant qu’il soit ratifié, ce sera un véritable coup d’État contre la démocratie et contre les citoyens qui sera perpétré. C’est la raison pour laquelle je traite le sujet sur le plan international. Actuellement les entreprises des deux cotés de l’Atlantique s’unissent pour obtenir gain de cause.

De quels moyens dispose la justice face à des personnes qui gouvernent sans gouvernement ?

Si le TAFTA passe, la justice aura de moins en moins de moyens.  Avec le système de règlement des différends dit « de l’investisseur à Etat », l’entreprise pourra porter plainte contre un gouvernement dont une mesure quelconque aura entamé ses profits actuels ou même futurs. Le texte prévoit le jugement par un tribunal privé composé de trois arbitres issus des très grands cabinets d’avocats d’affaires internationaux, sans appel et à huis-clos.

Pourquoi le noyautage des institutions politiques internationales, nationales, régionales ne provoque-t-il pas une réaction de la sphère politique légitime ?

Excellente question ! La réponse est : « Je ne sais pas ». Comment se fait-il que nos gouvernements à tous les niveaux soient si ouverts, si complaisants à l’égard des Transnationales ? Ce ne sont même pas elles qui fournissent les emplois. Les gouvernements prétendent chercher « l’emploi » à tous les coins de rue mais les vrais leviers en Europe sont les PME qui produisent environ 85% des emplois. Celles-ci sont négligées, laissées à la portion congrue. Les banques refusent de leur faire crédit et les États continuent à faire les yeux doux aux entreprises géantes qui réduisent leur personnel chaque fois qu’elles le peuvent pour satisfaire leurs actionnaires.

Sur quels fondements philosophiques et éthiques les citoyens dont la légitimité est bafouée peuvent-ils asseoir leurs revendications ?

Il faut baser notre éthique du refus et de la revendication sur ce que l’Europe a fait de mieux dans son Histoire plutôt salie par les guerres, la colonisation, la Shoah, j’en passe et des meilleurs… Avec les Etats-unis, elle est le berceau des Lumières, des révolutions contre le pouvoir, de l’invention de la démocratie et de la justice en tant qu’institution. C’est un travail toujours à recommencer et aujourd’hui plus que jamais. Je commence mon livre en rappelant ce qui donne sa légitimité au pouvoir, à commencer par le consentement des gouvernés et l’État de droit. Cela, les transnationales s’en fichent comme d’une guigne.

La référence à l’héritage des Lumières n’est-elle pas en partie partagée par les néolibéraux ?

Oui, dans le sens où les néolibéraux ne tiennent pas à gouverner directement. Il y a des subalternes pour ça ! du moment qu’ils peuvent dicter le contenu des politiques, ça leur suffit. Cela nécessite tout de même des lois qui, du point de vue du citoyen – ou de la nature si elle avait les moyens de s’exprimer – sont de très mauvaises lois. Le TAFTA serait un exemple achevé de la manière qu’ont les grandes entreprises de diriger en laissant le sale boulot, les négociations proprement dites, aux fonctionnaires politiques.

Il ne suffit pas de renverser les dictateurs mais d’opposer une résistance constante dites-vous...

Eh oui ! J’espère que mon livre donnera aux citoyens de meilleurs moyens pour résister et exiger de profonds changements. Ceux qui lisent ces lignes peuvent commencer par joindre leur signature* aux centaines de milliers d’autres qui refusent le TAFTA.

Recueilli par jean-Marie Dinh

Pétition TAFTA

Les Usurpateurs Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir. Ed du Seuil 2014 17 euros

Source : La Marseillaise/L’Hérault du Jour 08/12/2014

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