Comment la cocaïne nous a sauvés de la crise financière

Colombia: 7 tonnes of cocaine confiscated in a port of Cartagena

Colombia: 7 tonnes of cocaine confiscated in a port of Cartagena

Condamné à mort par la Camorra napolitaine, il vit depuis neuf ans en citoyen clandestin. Victime et prisonnier de son succès médiatique, paria dans sa propre société, l’auteur de «Gomorra» est protégé jour et nuit par un groupe de carabiniers, d’autant plus sur le qui vive qu’il témoignera le 10 novembre à Naples lors du procès des deux parrains qui ont lancé le contrat sur sa tête.

Pour Roberto Saviano, écrire, c’est résister. Avec son nouveau livre, «Extra pure», il nous plonge dans l’économie de la cocaïne et au coeur de ses réseaux criminels. Un voyage stupéfiant sur tous les continents  du Mexique à la Russie, de la Colombie au Nigeria en passant par les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne et la France. Une enquête tout-terrain pour laquelle, paradoxalement, les liens privilégiés de Saviano avec la police et la justice lui ont permis d’accéder à des sources et des témoignages rares.

Le narcotrafic représente aujourd’hui la première industrie au monde. La carte de la planète est dessinée par le pétrole, mais aussi par le «pétrole blanc», comme l’appellent les parrains nigérians. Or noir, or blanc. A double titre: blancheur de la poudre et blanchiment de l’argent.

Car les liquidités colossales de la drogue sont recyclées par les banques américaines et européennes, là même où se trouvent les plus gros marchés de consommateurs. «Nul marché et nul investissement ne rapportent autant que la coke», va jusqu’à écrire l’auteur. Ce sont les centaines de milliards de dollars du narcotrafic qui ont, selon lui, sauvé en partie les banques lors de la crise des subprimes de 2008.

Pour Roberto Saviano, la coke est à la fois miroir et révélateur du capitalisme mondialisé. Le journaliste et écrivain démonte les rouages de cette économie parallèle où les distributeurs ont pris l’ascendant sur les producteurs, où les cartels mexicains, en privatisant le marché de la drogue et en l’ouvrant à une concurrence féroce, ont dépassé de loin les horreurs des producteurs colombiens. Et où l’Afrique est devenue une nouvelle plaque tournante à destination d’une Europe toujours plus en manque. Car, depuis que la crise fait rage, la consommation de coke, «drogue de la performance», s’est littéralement envolée. Rencontre avec un auteur sous haute surveillance.

Roberto Saviano 'ZeroZeroZero' book presentation, Naples, Italy - 15 Apr 2013

©AGF s.r.l. / Rex Featur/REX/SIPA

Le Nouvel Observateur Vous écrivez que la carte du monde est aujourd’hui dessinée par le pétrole et la cocaïne, le carburant des moteurs et celui des corps. Quelle est l’importance du trafic de la cocaïne dans le monde?

Roberto Saviano La demande de pétrole est toujours forte, et celle de la coke explose. Mais la cocaïne reste le marché le plus profitable du monde. On estime sa production entre 788 tonnes et 1060 tonnes par an et le marché à 352 milliards de dollars. Vous pouvez rencontrer de grosses difficultés pour vendre des diamants de contrebande, mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n’arrive pas à vendre de la coke. Si je veux faire un investissement, disons de 1000 euros, dans une action d’Apple, au bout d’un an je gagnerai 1300 ou 1400 euros. Si je fais le même investissement en cocaïne, au bout d’un an, je gagnerai 180.000 ou 200.000 euros. Il n’y a rien qui va vous faire gagner autant. Et la violence du business est à la mesure de ce chiffre d’affaires.

La cocaïne a-t-elle supplanté l’héroïne ?

Le marché de l’héroïne est inférieur même s’il faut bien dire qu’on a très peu de données sur deux très grands marchés, ceux de la Chine et de l’Iran. L’héroïne a toujours été importante dans les pays d’Europe de l’Est, car elle ne coûte rien. En Russie, avec 3 euros, tu peux te faire un shoot. Mais en Italie ou en France, même aux Etats-Unis, elle connaît une phase de crise. L’héro a une mauvaise image. L’aiguille fait encore plus peur depuis les années sida. Personne ne veut se sentir un zombie toxicomane.

Personnellement, je n’ai jamais essayé ni héroïne ni cocaïne, pour une question morale, et aussi parce que j’ai grandi dans une région où il était très difficile de se droguer: la Camorra ne vendait pas de drogue sur son propre territoire. Sur la base des témoignages que j’ai entendus, l’héroïne est la reine des drogues pour procurer la même sensation qu’un orgasme pendant quinze minutes.

Avec la cocaïne, c’est exactement le contraire : ce n’est pas une phase de quelques minutes, c’est un état beaucoup plus long pendant lequel il y a une hyperperception des choses. Si je suis sous l’effet de la cocaïne, je n’ai pas une déformation de la réalité, mais j’en éprouve mille fois plus la sensation. Ça épouse pleinement notre temps, où tout est communication. Plus le monde accélère, plus il y a de coke; moins on a de temps pour des relations stables et des échanges réels, plus il y a de coke.

Quelle est la nouvelle carte du monde de la cocaïne aujourd’hui?

Le centre du monde, pour ce qui concerne le narcotrafic en tant que pouvoir criminel, c’est le Mexique, frontalier des Etats-Unis. Pour arriver en Europe – le marché européen de la coke a presque rejoint celui de l’Amérique -, la cocaïne passe à travers l’Afrique (francophone, notamment) équatoriale. Et puis elle arrive en Europe à travers l’Espagne ou les pays d’Europe de l’Est. Le premier pays producteur au cours de ces derniers mois, c’est le Pérou, ce n’est plus la Colombie qui est devenue le deuxième. Et la cocaïne de meilleure qualité, c’est la cocaïne bolivienne.

C’est au Mexique qu’a eu lieu la première révolution dans le trafic de la cocaïne.

Le grand tournant a eu lieu dans les années 1980 quand les Mexicains se positionnèrent en véritables distributeurs, et non plus en simples transporteurs. Cela se passe comme dans la grande distribution : le distributeur devient souvent le principal concurrent du producteur et bientôt le dépasse en profits.

Le mot «cartel» fait partie du vocabulaire économique et désigne les producteurs qui fixent d’un commun accord les prix et les quantités, qui décident comment, où et quand commercialiser un bien. Ce qui est valable pour l’économie légale l’est pour l’économie illégale.

La révolution s’est produite quand Pablo Escobar dit «El Magico», le parrain colombien de Medellín, passa un accord avec Félix Gallardo surnommé « El Padrino», ancien de la police judiciaire fédérale du Mexique. C’est Félix Gallardo qui créa les cartels mexicains en structurant le territoire en zones et en établissant un modèle de cohabitation entre cartels.

Depuis, les règles du jeu ont changé. On a assisté à une escalade dans l’horreur. Au Mexique, la guerre de la coke a fait des dizaines de milliers de morts (plus de 50.000 morts entre 2006 et 2012). C’est l’emballement des nouveaux cartels: des structures plus flexibles, une grande familiarité avec la technologie, des massacres spectaculaires, d’obscures philosophies pseudo-religieuses liées à une fascination pour les films violents et les émissions de télé-réalité. Et une furie meurtrière à faire pâlir tous ceux qui les ont précédés. Les acteurs se multiplient. Les Zetas et la Familia, assassins sanguinaires, ont pris le pire des corps paramilitaires, le pire de la Mafia et le pire des narcotrafiquants.

Et en Colombie ?

La guerre contre les cartels a été en partie gagnée. Et pourtant, après des décennies d’effort pour éliminer les narcos colombiens et la fin du Cartel de Cali, la part de marché que le pays a perdue est bien inférieure à ce qu’on pourrait imaginer. Les hommes passent, les armées se démobilisent, mais la coca reste.

Après des années de politique de terre brûlée, au sens littéral, la cocaïne colombienne représente encore presque la moitié de toute celle consommée dans le monde. L’histoire du trafic de drogue en Colombie est une histoire de vides, et de transformations. Une histoire capitaliste. Si la Colombie n’est plus un narco-Etat, ce vide s’est rempli de micro-trafiquants par centaines.

Comment l’Afrique est-elle devenue une plaque tournante?

Comme une épidémie, la cocaïne s’est répandue sur le continent africain à une vitesse effrayante. Le Sénégal, le Liberia, les îles du Cap-Vert, le Mali, la Guinée-Conakry, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, l’Angola sont touchés. L’Afrique est vulnérable car la vacance ou la faiblesse du pouvoir, la corruption d’un Etat qui a en face de lui une organisation proposant et incarnant l’ordre, favorisent le développement des mafias.

Au cours des années 2000, les narcotrafiquants américains, italiens, corses et des pays d’Europe de l’Est se sont rendu compte que l’Afrique pourrait être un immense dépôt de drogue. On a vu se développer des alliances entre Mexicains, Calabrais, et Corses qui ont des relations avec des politiques locaux et des militaires.

La seule mafia africaine, c’est la mafia nigériane. A part au Sénégal, au Burkina-Faso et au Ghana, où il y a bien évidemment de la corruption, mais où le narcotrafic n’a pas de grands alliés, je vois avec beaucoup de désespoir et sans illusion l’avenir des autres Etats, en particulier le Liberia ou la Guinée-Bissau. Ce ne sont que des narco-Etats où il est très facile de faire arriver la cocaïne, et très facile de la cacher aussi. Et ces pays sont en contact avec les pays du Maghreb, le Maroc par exemple.

La coke transite par le Maroc et passe du Maroc à l’Espagne…

Ou bien par les pays du Maghreb vers Gioia Tauro et Livourne en Italie, ou Rotterdam. Marseille, c’est l’affaire des Corses ou des organisations du Maghreb français qui sont devenues très puissantes en ce qui concerne la distribution. Au Maroc, les vieux narcotrafiquants marocains ne veulent absolument pas de la cocaïne mais du haschisch. Car ils savent que le trafic de haschisch est toléré d’une façon ou d’une autre. Mais les plus jeunes veulent justement développer un nouveau marché.

Au Maroc, Ceuta est une plaque tournante fondamentale, mais la Tunisie, aujourd’hui, qui est actuellement déstabilisée, prend de nouveaux relais. La chose intéressante, c’est que le terrorisme islamiste est en cheville avec les organisations criminelles mafieuses sur ces territoires. Les islamistes dénoncent l’usage de la drogue, tout en prenant une part active dans le trafic. La cocaïne est en train de changer la géographie et la géopolitique de l’Afrique.

Quel est le rôle de la mafia corse ?

J’ai trouvé beaucoup de difficultés, au cours des dernières années, à m’occuper véritablement des organisations criminelles françaises. Car en France, il n’y a aucune culture antimafia. Les gens pensent toujours que ce ne sont que des criminels, à traiter comme des criminels. Or ce sont des entrepreneurs en mesure d’influencer la politique française.

Les Corses ont beaucoup changé au fil des dernières années. Le FLNC a des contacts étroits avec la mafia corse dont la force a été de gérer le narcotrafic en Afrique. Quand Marseille a vu chuter la contrebande des cigarettes et le trafic d’héroïne, les Corses ont commencé à développer le narcotrafic de cocaïne. Et les Corses sont devenus les véritables gérants d’un joint-venture avec l’Afrique.

Selon votre enquête, l’immense majorité de l’argent de la drogue est recyclée par les banques américaines et européennes. Pis, vous écrivez que, lors de la crise des «subprimes», les milliards de dollars du narcotrafic ont sauvé les banques.

Avec l’argent de la coke, on achète d’abord les politiciens et les fonctionnaires, et ensuite un abri dans les banques. Blanchir est une opération gagnante. Il n’y a aucun employé ou dirigeant de banque qui ait dû voir l’intérieur d’une prison à cause de ça. Dans la seconde moitié de 2008, les liquidités sont devenues le principal problème des banques.

Comme l’a souligné Antonio Maria Costa, qui dirigeait le bureau drogue et crime à l’ONU, les organisations criminelles disposaient d’énormes quantités d’argent liquide à investir et à blanchir. Les gains du narcotrafic représentent plus d’un tiers de ce qu’a perdu le système bancaire en 2009, comme l’a dénoncé le FMI, et les liquidités des mafias ont permis au système financier de rester debout.

La majeure partie des 352 milliards de narcodollars estimés a été absorbée par l’économie légale. Quelques affaires en ont révélé l’ampleur. Plusieurs milliards de dollars ont transité par les caisses du Cartel de Sinaloa vers des comptes de la Wachovia Bank, qui fait partie du groupe financier Wells Fargo. Elle l’a reconnu et a versé en 2010 une amende de 110 millions à l’Etat fédéral, une somme ridicule comparée à ses gains de l’année précédente de plus de 12 milliards de dollars.

D’après le FBI, la Bank of America aurait permis aux Zetas de recycler leurs narcodollars. HSBC et sa filiale américaine, HBUS, a payé un milliard de dollars d’amende au gouvernement américain pour avoir blanchi de l’argent du narcotrafic. Aux Etats-Unis, à cause du Patriot Act, les autorités se sont intéressées aux liens entre le financement du terrorisme et l’argent de la drogue. Le Sénat a créé une commission d’enquête sur ce sujet et le sénateur Carl Levin travaille sur le blanchiment du Crédit suisse.

Si les banques qui ont leur siège à Wall Street et dans la City ne sont pas les seules à entretenir des liens privilégiés avec les barons de la drogue et si elles sont installées un peu partout dans le monde comme la Lebanese Canadian Bank de Beyrouth, il y a un manque criant d’investigation en Europe. L’ONU, à partir de 2006, a dénoncé le fait qu’il y ait de l’argent provenant du narcotrafic dans les banques européennes.

Lichtenstein, Luxembourg, Andorre, la République de Saint-Marin, Monaco, personne ne sait vraiment ce qui se passe en termes de flux d’argent. Dans quelles banques françaises se trouve l’argent du narcotrafic? Mystère. Les banques françaises n’ont rien à dire à ce propos, pas plus que les italiennes ou les allemandes. Il n’y a eu aucune prise de position réelle à ce sujet. Or on blanchit beaucoup plus d’argent aujourd’hui à Londres qu’à La Barbade.

A Londres et à New York ?

New York et Londres sont aujourd’hui les deux plus grandes blanchisseries d’argent sale au monde. Londres est complètement opaque en ce qui concerne le narcotrafic. Paradoxalement, à Wall Street, l’argent a déjà été transformé. A Londres, on va le transformer.

Pour vous, aucun investissement ne rapporte autant que la coke, une valeur refuge. Votre enquête est-elle aussi une critique du capitalisme?

Le capitalisme criminel, c’est le capitalisme qui est géré par des organisations criminelles sur la base de leurs propres règles. J’ai voulu commencer mon livre avec l’histoire d’un boss qui raconte comment il voit la vie.

Il dit que les lois de l’Etat sont les règles d’un camp qui veut baiser l’autre. Et que lui, que nous, les «hommes d’honneur», personne ne nous baise. Que les lois sont pour les lâches et les règles d’honneur sont pour les hommes. On pourrait dire que ses règles sont celles de n’importe quel PDG : l’absence de sentiments pour les concurrents, l’hypocrisie, l’idée de la compagnie comme une famille à laquelle on doit tout.

Pour comprendre les stratégies mafieuses, il y a trois textes de références: Sun Tzu, Machiavel et Von Clausewitz. Une organisation criminelle, sans règles, ce n’est pas une mafia. Aujourd’hui, en Italie, il n’y a pas une classe dirigeante qui puisse être comparée, en matière de faculté à tout supporter, aux organisations mafieuses.

Je cite un exemple. Est-ce que vous réussiriez à vivre dans une pièce de 10 ou 15 mètres carrés pendant dix ans, sans jamais téléphoner à personne, sans que personne ne vous téléphone, en ne parlant qu’à deux personnes seulement parce que vous n’avez confiance qu’en deux personnes, sans jamais voir vos enfants, et en sachant que votre propre destin est soit de mourir, soit d’être emprisonné?

J’ai très bien vu la façon dont on vit quand on est en prison avec un régime d’incarcération dur. Je vis sous protection depuis dix ans environ. Disons que je suis un peu préparé. Mais jamais je n’arriverais à vivre comme ça. Je serais complètement déprimé, je ne ferais que pleurer tout le temps.

Eux, quand ils sont emprisonnés avec un régime d’incarcération dur, ils pensent en termes d’ère historique. Seuls mon silence, la prison ou ma mort permettra à mon neveu de garder le pouvoir, d’être un parrain et de commander les hommes fidèles de ma famille. En politique ou dans la finance, il n’y a rien de pareil, il n’y a aucun raisonnement aussi radical.

Pensez-vous qu’il faille légaliser la drogue ?

Ce que la crise ne détruit pas, ce qu’elle renforce au contraire, ce sont les économies criminelles. Depuis que la crise a éclaté, la consommation de coke s’est envolée. Pour les mafias, la drogue, c’est toujours comme un distributeur automatique d’argent. Malgré la police et les saisies, la demande de coke sera toujours plus énorme.

La coke est un carburant. Une énergie dévastatrice, terrible, mortelle. Mais aussi terrible que cela puisse paraître, la légalisation des drogues pourrait être la seule solution. Car elle frappe là où la cocaïne trouve un terreau fertile, dans la loi de l’offre et de la demande.

Propos recueillis par François Armanet

Source :  Le Nouvel Obs 18/10/2014

Livre Extra pure édition Gallimard

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Finance, rubrique Société, Consommation, rubrique Politique, Affaires,

Géopolitique des frontières, la privatisation

frontiereMexique

Par Fanny MIALLET, Léo PHILIPPE,

L’opération russe en Crimée aux dépens de l’Ukraine ramène sur le devant de l’actualité la question des frontières. Si nous élargissons la réflexion à l’échelle de la planète, nous observons un processus de privatisation des frontières. Quels en sont les signes et les effets géopolitiques ?

Cette question sera traitée en deux temps : il faudra voir comment le discours officiel qui met en avant l’atout économique de cette privatisation peut être nuancé et quels autres intérêts se cachent derrière ce processus ; avant d’expliquer comment la collaboration public-privé concernant le contrôle des frontières conduit à un transfert de compétences problématique et à une dilution des responsabilités qui participe d’un brouillage du contrôle des frontières.

Ce texte est né d’un exposé réalisé dans le cours de géographie politique de Pierre Verluise dans le cadre du MRIAE de l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris-I). Un sujet qui témoigne d’un certain flair puisque le 7e Festival de géopolitique – en mars 2015 – aura pour thème « Les frontières ». Les appels à contribution seront lancés en mai 2014.

FACE à la détérioration de la situation sécuritaire au Mali en avril 2012, l’Algérie décide de faire appel à une société spécialisée dans les prestations de sécurité aéroportuaire appelée Sécuricom. Celle-ci est chargée, entre autres, du contrôle des documents des voyageurs, de la surveillance de la zone d’entrée et de sortie des passagers et de la fouille du personnel intervenant dans la préparation de l’avion. Elle se voit donc investie d’une responsabilité concernant le contrôle des frontières algériennes (ici, une frontière réticulaire).

Cet exemple n’est pas un cas isolé : en effet, surtout depuis la fin de la Guerre froide et la baisse consécutive du budget consacré à la Défense dans beaucoup d’États, s’est mis en place un processus de privatisation, c’est-à-dire de transfert des compétences du public au privé concernant des tâches pour lesquelles l’État semblait pourtant avoir intérêt à garder un contrôle fort, comme par exemple la gestion de ses frontières. Ainsi, de grandes entreprises comme Boeing, G4S, EADS ou même Siemens sont en charge d’imaginer des systèmes de sécurité pour les frontières, de les construire, voire d’en assurer le contrôle.

Ce partenariat a pour but premier d’effectuer des économies dans le domaine sécuritaire, mais nous pouvons nous questionner sur l’existence d’autres motivations. Nous pouvons donc nous demander quels sont les enjeux qui sous-tendent ce processus de privatisation des frontières et quels en sont les effets géopolitiques ?

Cette question sera traitée en deux temps : il faudra voir comment le discours officiel qui met en avant l’atout économique de cette privatisation peut être nuancé et quels autres intérêts se cachent derrière ce processus ; avant d’expliquer comment la collaboration public-privé concernant le contrôle des frontières conduit à un transfert de compétences problématique et à une dilution des responsabilités qui participe d’un brouillage du contrôle des frontières.

Concernant la notion de privatisation, il pourra nous être objecté que la construction de murs et l’équipement des frontières en matériel de surveillance, sécurité et défense a presque toujours été concédée aux entreprises du secteur privé et qu’à ce titre il n’y a pas de privatisation au sens strict de passage du public au privé. Cependant, ces tâches sont bien confiées au secteur privé par l’État et bien que le transfert de compétences dans ce domaine ne soit pas nouveau, il est partie prenante d’un processus de privatisation plus large qui englobe de plus en plus la gestion des frontières et des flux migratoires et c’est à ce titre que nous parlons de privatisation privatisation (pour une histoire politique de la privatisation voir Havkin, 2011 [1]).

I. Le marché des frontières

A. Objectif affiché : diminuer le coût du contrôle des frontières pour l’État

Le contrôle des frontières occupe une place majeure dans le budget de l’État et, globalement, ce coût a tendance à augmenter. Par exemple, la frontière entre les États-Unis et le Mexique coûtait aux États-Unis 326,2 millions de dollars en 1992 contre 2,7 milliards de dollars en 2009 [2]. Un enjeu pour l’État est donc de diminuer ce coût tout en continuant d’améliorer le contrôle à ses frontières. Une des solutions proposées est la privatisation de ce contrôle, qui entre dans un processus global de privatisation du domaine de la sécurité. En ce sens, la Grande Bretagne est un exemple type. Elle est même la tête de file de ce mouvement global de privatisation : dès 1992, John Major met en place un Private-Public Partnership (PPP) dans presque tous les secteurs jusque-là gérés uniquement dans le domaine public. Le PPP est également adopté par la UK Border Agency, notamment concernant la gestion des frontières britanniques.

Ainsi, sur son site internet, la firme G4S expose les modalités de ce partenariat : « G4S est le principal fournisseur d’escortes sur le territoire national, des services de rapatriement à l’étranger et l’opérateur de quatre des huit centres privés de l’immigration au Royaume-Uni. Chaque mois G4S gère plus de 6.000 mouvements de et vers les onze centres de rétention de l’immigration au Royaume-Uni et d’autres établissements tels que des centres de détention à court terme. L’année dernière G4S a renvoyé plus de 4.000 détenus sur les vols à travers le monde […] Grâce à son expertise généralisée dans le système de justice depuis 20 ans, G4S aide la prestation de la UK Border Agency, qui est l’une des meilleures dans le monde » [3]. Officiellement, la privatisation a pour but la réduction des coûts, le transfert des risques de ces projets au secteur privé ainsi que l’encouragement des sociétés privées à innover. [4] Aux États-Unis, un Public-Private Partnership (PPP) est aussi prévu pour la frontière nord. L’organisation de la collaboration a été confiée par le Department of Homeland Security à la Border Infrastructure Task Force (BITF). Dans un rapport publié en 2012 par ce département, les objectifs économiques du PPP sont clairement indiqués : il a pour but « la création soutenue d’emplois et l’amélioration de la compétitivité économique globale aux États-Unis. L’amélioration de la capacité, de l’efficacité et de l’efficience des installations et des opérations de passage des frontières permettra d’améliorer le traitement des échanges commerciaux et des voyages légitimes, réduisant à la fois le coût pour les gouvernements et le coût du passage de la frontière pris en charge par l’usager » [5].

Il est vrai que grâce à la Correction Corporation of America (CCA) qui gère le centre d’accueil d’immigrés clandestins Eloy Detention Center en Arizona et qui embauche pour cela plus de 95% de la population de la petit ville d’Eloy, la région était classée en 2009 parmi les 25 qui enregistraient la plus haute croissance de l’emploi aux États-Unis [6].

Les économies faites par l’État seraient dues au fait qu’à long terme, les entreprises, profitant des gestions de stocks différentes, des recours aux aides informatiques, des flux tendus, etc., pourraient baisser leur coût de production ; mais force est de constater l’absence de résultats clairs et convaincants. Parfois, le coût estimé d’une opération est bien en deçà de son coût réel : par exemple le projet « Virtual Fence » prévoyant la mise en place de caméras et de radars le long de la frontière sud des États-Unis, estimé à 7 millions de dollars en 2005 pour les 2.000 miles concernés, s’élève en réalité à 1 milliard pour 43 miles (soit 2% de la longueur totale de la frontière) [7]. A ces coûts initiaux, il faut par ailleurs ajouter les coûts d’entretien. Ainsi, le Customs and Border Protection aux États-Unis estime qu’il lui faut 6,5 milliards de dollars pour s’assurer du fonctionnement de la barrière existante avec le Mexique pour les vingt prochaines années [8]. L’objectif affiché par l’État (faire des économies) n’est donc pas toujours voire rarement atteint et il existe en réalité bien d’autres motivations qui le poussent à engager une collaboration avec le secteur privé concernant le contrôle des frontières.

B. Le rôle du lobbying dans la sécurisation des frontières

Ainsi, la privatisation des frontières représente un marché profitable et en pleine croissance. Elle ne peut se développer que dans le contexte de ce que Michel Foucher appelle « l’obsession des frontières » [9], c’est-à-dire une sécurisation croissante des frontières liée à différentes craintes, dont deux prédominent : une « invasion » de migrants venus des pays du « Sud » et l’arrivée de terroristes sur le territoire national. Ces craintes sous-tendent ce que Florine Ballif et Stéphane Rosière appellent les « teichopolitiques », entendues comme les politiques « de cloisonnement de l’espace, en général liée[s] à un souci plus ou moins fondé de protection d’un territoire » et englobant « l’ensemble les systèmes visant à contrôler les mouvements » [10].

Cette sécurisation croissante des frontières prend essentiellement trois formes. La forme la plus visible est le renforcement physique de la frontière, construction de murs, prolongement de ces murs, barbelés, tours de surveillance, etc. Ensuite, cela peut se manifester par la multiplication du personnel chargé du contrôle de ces frontières, ce qui va souvent de pair avec leur renforcement physique (prolongement des murs par exemple). Enfin, et c’est certainement la manifestation la plus répandue de cette sécurisation des frontières, les investissements dans de nouvelles technologies de contrôle des frontières, investissements qui trouvent un paroxysme dans les dispositifs de « smart borders » (mise en place de circulations sécuritaires basées sur la traçabilité des flux) notamment sur la frontière États-Unis-Canada.

Derrière cette sécurisation se trouvent d’importants intérêts économiques, car les États font appel au secteur privé pour la mettre en œuvre. Comme le remarque Michel Foucher, outre l’argument économique que nous avons présenté, un des arguments avancés est que « le secteur privé, bien informé des défaillances des gardes-frontières et des douaniers, est à même, par sa capacité d’ensemblier, de combiner technologie, infrastructures et ressources humaines pour obtenir immédiatement les résultats recherchés par les autorités politiques » [11]. Les entreprises privées de secteurs divers mais ayant tous trait à la sécurité ont donc tout intérêt à ce que se mette en place un climat sécuritaire de fermeture des frontières et à pousser les politiciens, principalement par le lobbying, à amener ce thème au centre de leur campagne. Comme le soulignent Florine Ballif et Stéphane Rosière, « le sentiment d’insécurité paraît instrumentalisé et des processus plus larges que la sécurité au sens strict sont à examiner pour comprendre la nouvelle prégnance des barrières dans le paysage politique contemporain » [12]. Ainsi, par exemple, en 2006 la firme Boeing a remporté (à la tête d’un consortium d’entreprises) un appel d’offre d’environ 2,5 milliards de dollars pour équiper en quatre ans les deux frontières terrestres des États-Unis avec un réseau de 1.800 tours de surveillance dotées de capteurs et de caméras [13]. De nombreuses industries de défense ont trouvé dans le processus de sécurisation et de fortification des frontières un marché lucratif, autour duquel elles se sont réorganisées, « en recyclant, comme le remarque Elisabeth Vallet, l’expertise acquise au cours de la Guerre Froide et bénéficiant de la privatisation du marché de la frontière et de la sécurité » [14]. De même, la mise en place des « smart borders » par les États-Unis avec le Canada représente un marché important pour les entreprises qui ont eu à équiper les zones frontalières en nouvelles technologies et à former des agents capables de les maîtriser. Ce phénomène de smart borders est d’autant plus important qu’il a ensuite été développé par les États-Unis sur sa frontière avec le Mexique et que la Maison Blanche impose certaines normes de contrôle inspirées de ce dispositif à d’autres pays pour le commerce ou encore le tourisme, selon un processus « d’externalisation des normes » [15]. L’Union européenne s’est d’ailleurs récemment dotée d’un mécanisme de « frontières intelligentes » [16]. Notons également que ce marché des frontières ne se développe pas uniquement les pays occidentaux.

Ainsi, par exemple, le Saudi Guard Development Program confère à EADS la mise en place d’un dispositif de « sécurisation » sur 5.000 kilomètres le long de la frontière saoudienne, dispositif comprenant entre autres des systèmes électroniques et de détection, des postes frontières et des drones. Le Homeland Security Research considère d’ailleurs que le marché saoudien représente le plus gros marché frontalier, à hauteur de 20 milliards de dollars sur les dix prochaines années, montant qui pourrait doubler suite aux « printemps arabes » qui inquiètent les dirigeants saoudiens [17].

Comme nous l’avons vu, la privatisation concerne non seulement la « construction » de nouvelles frontières ou bien l’accès aux nouvelles technologies, mais également la gestion de ces frontières. Il y a dès lors un brouillage du contrôle des frontières, qui ne sont plus sous la maîtrise pleine et entière des États.

II. Le brouillage du contrôle des frontières

A. La perte de souveraineté de l’État

Comme le souligne à juste titre Wendy Brown [18], les murs frontaliers représentent une sorte de zone d’exception juridique. Ce raisonnement, valable notamment pour la frontière américano-mexicaine, ou encore israélo-palestinienne, peut être étendu à toutes les frontières qui se trouvent au centre d’un processus de sécurisation croissante et dont la gestion est de plus en plus privatisée. Ainsi, il est désormais de plus en plus difficile de déterminer où réside la souveraineté politique, car la privatisation des frontières relève d’une dissémination des pratiques souveraines. En exerçant le « décisionnisme » local dont elles sont désormais dotées, les entreprises contribuent en fait à affaiblir la solidité de la souveraineté étatique.

Nous avons précédemment évoqué le lobbying poussant à la sécurisation des frontières, il convient de remarquer également qu’il s’agit d’un cercle auto-entretenu. Ainsi, par exemple, en développant des partenariats avec des entreprises privées de la sécurité, Frontex (agence en charge des frontières extérieures de l’Union européenne) contribue à la sécurisation des politiques migratoires de l’Union européenne, en signalant ces technologies de sûreté et de surveillance comme adéquates pour traiter les questions migratoires [19]. Dès lors que ce ne sont plus des solutions politiques et sociales qui sont perçues comme légitimes mais bien une « course » à la sécurisation et aux nouvelles technologies, les États perdent leur souveraineté aux frontières en déléguant des compétences au secteur privé, perçu comme plus à même de « sécuriser » efficacement ces frontières.

Nous pouvons ainsi souligner l’intérêt politique que peuvent trouver les États à cette perte de souveraineté. Dès lors que ce ne sont plus des solutions politiques, économiques et sociales qui sont attendues face aux questions migratoires mais bien des solutions sécuritaires, cela permet à l’État de se désengager de cet épineux problème, tandis que dans le même temps la réponse sécuritaire satisfait certains intérêts électoralistes. Ainsi, les peurs et résistances liées au processus de mondialisation sont instrumentalisées par les acteurs politiques en synergie avec des acteurs économiques. Dès lors, comme le concluent Florine Ballif et Stéphane Rosière : « les acteurs politiques mènent des teichopolitiques qui renforcent leur légitimité politique vis-à-vis de leur électorat, et les acteurs économiques et financiers transforment ces politiques en plus-values. Ces derniers [sont] encore renforcés dans un contexte de retrait de l’État – qu’ils ont contribué à étayer » [20].

B- La dilution des responsabilités

Une autre question qui se pose lorsqu’on parle de privatisation du contrôle des frontières, et qui est liée à la perte de souveraineté des États que nous avons abordée, est celle de responsabilité face à d’éventuelles « bavures ».

En d’autres termes, il s’agit de savoir qui de l’État ou de l’entreprise privée qui contrôle la frontière est responsable légalement. En effet, les violations du droit ne sont pas rares. Par exemple, le 27 avril 2009, les agents de l’entreprise Securicom opérant dans l’aéroport de Bamako ont refusé de reconnaître la validité des visas de deux membres de l’Association Malienne des Expulsés qui devaient se rendre à Bruxelles pour le lancement de la campagne Frontexit, dont le but est justement de dénoncer les débordements et les abus de l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex. Plus grave, le 12 octobre 2010 Jimmy Mubenga, un immigré angolais, meurt par asphyxie lors de son rapatriement encadré par la compagnie G4S, elle-même sous contrat avec la UK Border Agency. Cette mort est restée « inexpliquée » et les agents responsables du rapatriement ont été libérés après un rapide interrogatoire, puisque le Crowd Prosecution Service (CPS, un organe du gouvernement anglais en charge des poursuites judiciaires) avait décidé de ne retenir aucune charge. L’affaire se serait probablement arrêtée là si le journal The Guardian ne l’avait pas largement relayée en menant sa propre enquête sur les pratiques des agents de G4S. Finalement, plus de 21 mois après les faits, le jury du coroner en charge de cette affaire a conclu que la mort de Jimmy Mubenga était due à des comportements illégaux, forçant ainsi le CPS à reconsidérer sa décision de ne pas poursuivre la G4S en justice. Contre la seule G4S, 48 plaintes ont été déposées au cours de l’année 2010, pourtant peu de poursuites sont engagées. Lorsque toutefois une condamnation est prononcée (les cas sont très rares), la justice considère la plupart du temps que l’État ne peut être tenu pour responsable. Dans son essai Xénophobie Business, Claire Rodier ajoute que « les impératifs qui guident une société commerciale – faire du profit – interfèrent forcement de façon négative avec le respect des règles déontologiques et de sécurité qui devraient s’imposer dans les missions délicates comme les expulsions » [21]. Elle note toutefois que les gouvernements et les États ne sont pas pour rien dans l’intensification du nombre de violences faites aux migrants. D’une part elle n’est pas indépendante d’une politique de quotas et de chiffres qui exige que de plus en plus d’immigrés soient reconduits à la frontière. D’autre part, les États ne sont probablement pas sans savoir que les débordements sont courants lors des détentions ou lors des rapatriements (ils ne peuvent ignorer le nombre croissant de plaintes qui ont été déposées contre les firmes qu’ils emploient). En outre, si les gouvernements ferment les yeux sur ces pratiques, c’est peut-être aussi parce qu’elles leur permettent de se dédouaner lorsque ce type d’incidents survient, et que la dilution des responsabilités permet en général aussi bien à la firme qu’à l’État concerné d’échapper à toute condamnation. D’une part la privatisation du contrôle des frontières encourage donc la violation du droit en ce qui concerne le traitement des immigrés et d’autre part elle contribue à la dilution et l’opacité concernant les responsabilités, ce qui rend difficile toute condamnation.

Conclusion

Les problèmes de souveraineté étatique et de brouillage des responsabilités que nous avons pu soulever à travers cette étude risquent fort de se poser avec encore plus d’acuité au cours des décennies à venir. En effet, comme le souligne Rodrigo Nieto-Gomez : « l’infrastructure technologique frontalière se développe selon un processus qui s’est auto-alimenté : la construction d’une nouvelle partie du dispositif réoriente le flux migratoire vers une autre région qui ne connaissait pas, jusque-là, de problème d’immigration clandestine. Ceci attire l’attention vers cette région, et une nouvelle partie du dispositif y est à son tour construite, ce qui réoriente une nouvelle fois le flux vers une autre région » [22], et ainsi la sécurisation et la privatisation des frontières vont croissantes.

Source Diploweb.com le 19/03/14

Copyright  Miallet-Philippe/Diploweb.com


. Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale,  rubrique Géopolitique, On Line, La frontière Mexique USA, Géopolitique de la musique pop , Magistère de relations internationales et action à l’étranger de l’Université Paris I,

Fiest’A Sète : les notes métisses débarquent en force

e0e25c7e373bfd658e893d6d89edaf41_L

Le Festival des musiques du monde débute avec une semaine de concerts gratuits dans les communes du bassin de Thau. Il se poursuivra au théâtre de la mer du 2 au 8 août..

Dix-huit ans, voilà le festival devenu majeur. Dix-huit années qu’il propage à Sète et alentours, le meilleur des musiques du monde. Il n’est plus le seul à œuvrer dans ce secteur, ni le seul festival de la cité. Un collier de sept perles festivalières scintille autour du cou de l’île singulière. Localement, la multiplication de l’offre culturelle est une chance qui profite à tous mais complique parfois la vie des directeurs artistiques.

Pour avoir traversé modes et mandatures en tenant bien la barre, José Bel le fondateur passionné de Fiest’A Sète en sait quelque chose. Dans le monde de la navigation, on dit que les meilleures voiles du monde ne feront jamais gagner une régate à une vielle coque de noix. On peut dire que l’embarcation Fiest’A Sète est une coque pleine de trésors qui tient l’allure débridée sans prendre systématiquement le vent porteur du moment. Et le fidèle public du festival sur lequel repose la pérennité de cette ouverture au monde, fait la distinction.

Parmi les éléments identitaires du festival on retrouve : l’exigence d’une programmation de haut niveau, la chaleur de l’accueil artistique, la curiosité, le goût du risque et des rencontres alliés à un indéfectible amour de la musique. « Musique qui éclaire, rassemble, au-delà des frontières et des croyances » souligne José Bel. Les membres de l’association Métisète gardent à l’esprit l’idée que les musiques du monde sont avant tout des musiques vivantes, qui parlent au présent de notre monde d’aujourd’hui. Il suffit de se rendre à Fiest’A sète pour le mesurer ou le vivre.

Grands horizons

Cette nouvelle édition s’ouvre avec trois séances de cinéma et une semaine de concerts gratuits. Dès ce soir en prélude à la Noche Flamenca (le 6 août au Théâtre de la Mer) on pourra voir ou revoir le film de Carlos Saura Flamenco, flamenco au Cinéma Le Comoedia, à Sète. Comme chaque année le festival débute avec une série de concerts gratuits dans les communes qui bordent l’étang de Thau. Dans l’esprit de Fiest’A Sète, la gratuité s’allie à la qualité à partager avec le plus grand nombre. Pas moins de dix concerts seront donnés dans ce cadre à commencer par ce week-end où Balaruc-les bains accueille samedi le groupe franco-irlandais Les Ballyshannons qui revisite le répertoire traditionnel irish folk et Le Malien Mamani Keita. Dimanche les Jamaîquains de The Jolly Boys chaufferont la scène de Marseillan aux rythmes traditionnels entêtants du ska et du rocksteady. Ils seront suivis de Anavantou une formation formée de musiciens belges et brésiliens.

Au Théâtre de la mer

Le Théâtre de La Mer ouvrira ses portes le 2 août pour une série de rencontres exceptionnelles. A commencer par la soirée Soul & Funk Session du samedi avec Ester Rada une diva de la soul issue de la communauté juive éthiopienne et Bootsy Collins génie excentrique du funk dont les collaboration avec James Brown, Fred Wesley, ou Macéo Parker donnent une petite idée de la pointure.

Dimanche le festival se déplacera sur la diagonale afro-cubaine avec le duo renversant Fatoumata Diawara/Roberto Fonseca, suivi de l’orchestre légendaire la « Aragon » qui célèbre cette année son 75 e anniversaire.

Goran Bregovic, Juan Carmona, Keziah Jones, Trilok Gurtu, Susheela Raman… comptent parmi la longue liste des invités attendus et que nous retrouverons dans nos pages qui suivent cette année encore l’événement de près.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise jeudi 24 juillet 2014

Voir aussi : Rubrique Actualité Locale, Rubrique Musique, rubrique Festival, Ouverture, Le Mento historique des Jolly boys, Des esthétiques et des déferlantes qui embarquent le public, Fiest’A Sète archives, On Line Site Officiel.

29e Rencontres de Pétrarque. La difficile réinvention du progrès en débat

piketty_otu_img_0

Thomas Piketty animera la séance inaugurale ce soir au rectorat. Photo DR

Festival de Radio France. L’hypothèse joyeuse combat le discours de la déploration aux 29e Rencontres de Pétrarque qui débutent ce soir au Rectorat et se poursuivront jusqu’au 18 juillet.

Dans le cadre du festival Radio France, les 29e Rencontres de Pétrarque* débutent aujourd’hui à Montpellier. Elles se tiendront jusqu’au 18 juillet sur le thème  « De beaux Lendemains ? Ensemble, repensons le progrès ».

Lundi, Thomas Piketty ouvrira le bal des neurones au rectorat avec une attendue leçon inaugurale. L’économiste est cette année le lauréat du Prix Pétrarque de l’Essai France Culture Le Monde pour son livre Le Capital au XXIème siècle paru au Seuil. Un ouvrage  qui porte sur le retour en force des inégalités dans lequel Thomas Piketty émet l’idée que supprimer la catégorie des rentiers, peu active économiquement, mais dominant pourtant la hiérarchie, permettrait de dynamiser la croissance économique.

Ces rencontres interrogeront la notion de progrès sous l’angle du politique. La soirée du mardi 15 juillet a pour thème « La politique peut-elle se passer de l’idée de progrès » ou en d’autres termes l’idée répandue d’un peuple de gauche progressiste dans l’âme et d’un peuple de droite conservateur par nature ayant vécu, comment mobiliser l’imaginaire collectif ?

Elle réunira Cécile Duflot et la philosophe Blandine Kriegel, ex députée communiste devenue conseillère de Jacques Chirac et ex membre du Comité consultatif national d’éthique. Les lumières du physicien Etienne Klein spécialiste de la physique quantique seront peut être utiles à ce débat.

Mercredi les Rencontres se proposent de répondre à la question
« La révolution technologique nous promet-elle un monde meilleur ? »

Jeudi, il s’agira du déclin de l’occident et de la ré-émergence du progrès en provenance d’autres latitudes, l’Inde, la Chine, l’Afrique. Mais il sera vraisemblablement difficile de contourner l’ethnocentrisme vu que trois des quatre invités sont des intellectuels français reconnus.

Retour à la finance vendredi 18 avec un débat sur le thème : « Peut-on remettre l’économie au service du progrès ? » où l’on guettera l’intervention de l’économiste Gérard Dumenil, auteur de La Grande bifurcation (La Découverte) dans lequel il défend l’idée d’une structure de classes tripolaire comprenant capitalistes, cadres et classes populaires, et conçoit la réouverture des voies du progrès dans de nouvelles coalitions.

Jean-Marie Dinh

* Du 14 au 18 juillet de 17h30 à 19h30 Rectorat, rue de l’université à Montpellier.

 

 

Entretien avec Sandrine Treiner, directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial.

photo1

Sandrine Treiner. Photo France Culture

« De beaux Lendemains ? » « Ensemble, repensons le progrès ». Comment décrypter cette thématique à tiroir ?

Depuis plusieurs années nous nous étions positionnés sur des thématiques un peu pessimistes comme La crise démocratique ou Guerre et Paix l’année dernière, quand nous avions été rattrapés par l’actu. En préparant cette édition, nous nous sommes dit que nous nous laissions un peu porter par l’état d’esprit de la France et qu’il serait temps de proposer à nos invités de faire l’effort d’envisager l’avenir de manière positive et dynamique.

La notion de progrès porte interrogation. Elle nous renvoie une dimension idéologique qui est aujourd’hui totalement bouleversée…

Le terme progrès est en effet porteur d’une idéologie qui semble en panne. Sur ce point la question se pose à droite comme à gauche. Nous allons tenter de travailler ce que veut dire l’idée de progrès aujourd’hui en déclinant notre sujet à partir de grands thèmes qui remettent en cause l’idée de l’avenir comme la révolution technologique, le déclin de l’occident, l’orientation des politiques économiques…

Comment se porte France Culture ?

Très bien, je pense que les gens sont de plus en plus demandeurs de sens et que nous répondons à notre mission qui est à la fois de réinventer et d’éclairer le monde sur une base d’ouverture et de connaissances. En quatre ans notre audience a évolué de 22% passant de 1,6 à 2,1%. Nous avons passé la barre d’un million d’auditeurs/jour. En conservant notre public d’aficionados et en élargissant notre audience à des personnes qui ne pensaient pas que France Culture pouvait s’adresser à elles.

Quelle seront les innovations de la grille de rentrée ?

La grille sera assez stable dans l’ensemble. Il n’y aura pas de grand changement dans les fondamentaux, parce que ça marche bien et que nous avons déjà opéré beaucoup  de modifications depuis quatre ans. Denis Podalydès, sera une nouvelle voix quotidienne pour la littérature.

Quels ont été les grands axes du changement depuis l’arrivée d’Olivier Poivre d’Arvor ?

Le changement le plus important n’est pas forcément visible. Il a consisté à rendre la grille lisible. Nous avions beaucoup d’émissions thématiques éparpillées. Nous avons reclassé un peu comme on reclasse sa bibliothèque. Nous avons aussi rajeuni et féminisé l’équipe. Enfin on a réchauffé l’actu en proposant beaucoup plus de directs.

Craignez-vous des réductions budgétaires ?

Nous en avons déjà connu l’an dernier et sommes parvenus à faire des économies en évitant d’impacter les productions. Pour cette année notre budget ne sera pas en augmentation mais rien ne dit qu’il sera une nouvelle fois revu à la baisse.

Recueilli par JMDH

 Voir aussi :  Rubrique Festival, Festival de Radio France, rubrique Médias, rubrique Politique Politique culturelle, rubrique Rencontre, Jérome Clément, rubrique Livre, Essai, Thomas Piketty : Un capital moderne,

Monde. Liste des organisations/alliances régionales

Monde Géopolitique

Liste des organisations/alliances régionales

Afrique

  • Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
  • Union africaine (anciennement OUA)
  • Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC)
  • Union économique et monétaire ouest-africaine
  • La Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD)
  • Commission économique pour l’Afrique (CEA)

Amériques

  • Association des États de la Caraïbe (AEC)
  • Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)
  • CARICOM
  • Communauté sud-américaine de nations
  • MERCOSUR
  • Organisation des États Américains
  • Organisation du traité de coopération amazonienne
  • Pacte andin

Asie

  • Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN)

Europe

  • Agence spatiale européenne (ESA)
  • Office européen des brevets (OEB)
  • Association européenne de libre-échange (AELE)
  • Banque européenne d’investissement (BEI)
  • Conseil de l’Europe
  • Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
  • Union européenne (UE)

Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Ligue arabe

Organisations à vocation militaire

  • Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)