Un manifestant, le 1er mai, à Paris (illustration). Photo Alain Jocard. AFP
A l’initiative de la Fondation Copernic, cercle de réflexion critique du libéralisme, des opposants à la loi travail étaient réunis ce dimanche au théâtre Déjazet à Paris. Le plus applaudi : le chercheur Frédéric Lordon.
Un contre-meeting. Quatre jours après celui organisé par le Parti socialiste en défense du projet de loi travail, les opposants les plus à gauche au texte porté par Myriam El Khomri se sont donné rendez-vous ce dimanche après-midi au théâtre Déjazet dans le IIIe arrondissement de Paris, à l’appel de la Fondation Copernic, cercle de réflexion critique du libéralisme. Mot d’ordre : «retrait» du projet de loi passé en force à l’Assemblée et qui arrive lundi en séance au Sénat.
Un meeting sans tête d’affiche médiatique de la gauche du PS : pas de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), ni d’Olivier Besancenot (Nouveau parti anticapitaliste) ou de Pierre Laurent (le patron du PCF, annoncé, mais finalement retenu à Rome «car il n’a pas trouvé d’avion», a précisé sa remplaçante Marie-Pierre Vieu, présidente du groupe Front de gauche en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénée, sous les rires de la salle). Les seules figures du jour sont Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !, membre du Front de gauche, le plus à gauche des socialistes Gérard Filoche, et le chercheur Frédéric Lordon, qui, après des interventions à Nuit Debout, sur la place de la République voisine, fait tribune commune avec des politiques.
«52 articles scélérats»
«C’est la panique là-haut, ils ont peur, attaque Filoche, débit de mitraillette, sans notes. Ce n’est pas un article […] Les 52 articles sont scélérats». L’ancien inspecteur du travail, membre du PS, insiste sur le «dumping social» que créerait selon lui la loi travail si elle était mise en œuvre : «Tout va être revu, entreprise par entreprise, à la baisse, souligne-t-il. L’ordre public social […], c’est ça qu’ils sont en train de mettre à bas.» Les politiques alternent au micro avec des syndicalistes de différents secteurs (énergie, ferroviaire, chômeurs, la Poste…) qui en appellent à la mobilisation mardi à Paris. Le responsable de Sud Rail regrette les dates de mobilisation trop espacées pour réussir à «paralyser ce pays par la grève reconductible».
La communiste Marie-Pierre Vieu fait siffler le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Elle se moque ensuite des «violences» des hooligans à Marseille plus importantes que celles des manifestants contre la loi El Khomri. «La loi, jusqu’à présent, protégeait le salarié, lance l’élue PCF du Sud-Ouest. Aujourd’hui, la loi telle qu’elle est prévue ouvre aux pires régressions.» Elle en appelle à «faire tomber le gouvernement» lors du retour de la loi à l’Assemblée début juillet et à construire – vieux refrain de ce côté-ci de la gauche – une «unité politique».
«Si les parlementaires PS étaient encore de gauche…»
Porte-parole de la Fondation Copernic, Willy Pelletier n’hésite pas, lui, à qualifier de «gouvernement de droite» celui de François Hollande, avec un «ADN, celui de la trahison, la trahison de tous ceux qui l’ont élu». Le plus inquiétant, selon lui, serait «cette docilité des parlementaires PS, poursuit-il. Ce sont eux qui offensent l’histoire du mouvement ouvrier […]. S’ils étaient encore de gauche, ils devraient tous se révolter. Se mettre en grève avec nous». La salle s’en mêle : «Valls dégage !» envoient quelques personnes parmi la centaine qui s’est déplacée dans le théâtre. «On organise ton pot de départ dans la rue !» conclut Pelletier.
«J’ai le sentiment qu’on n’a pas encore gagné la guerre, mais on a gagné une première bataille, se félicite Clémentine Autain, ravie que des thèmes de gauche se soient invités dans le débat politique français depuis six mois. Ils ont les nerfs, poursuit-elle, même le Premier ministre a le temps de s’occuper de moi en disant que je suis une islamo-gauchiste.» Autain place cette «bataille politique» à «l’échelle européenne» et demande elle aussi à ce que ces forces de gauche anti-gouvernement, «sociales et politiques», se «fédèrent». «Ils n’ont pas de majorité sociale, ils n’ont pas de majorité politique et ils utilisent des méthodes de violence politique pour tuer ce mouvement», accuse Autain. «Il s’agit d’un non pour toute l’œuvre du gouvernement depuis qu’il est au pouvoir», enchaîne Aurélie Trouvé, d’Attac, avant que Danielle Simonnet, du Parti de gauche, reprenne la plaisanterie du jour : «Ça va mieux quand même», dit-elle en référence au gimmick de François Hollande et de ses proches.
Loi Hollande-Medef-Bruxelles
Quand elle prononce le nom de Jean-Luc Mélenchon, quelques personnes au fond de la salle grognent. Elle se fait en revanche applaudir quand elle décline les raisons de «se battre […] contre l’inversion de la hiérarchie des normes». Ce projet de loi, «c’est une exigence de Bruxelles», continue Simonnet, un «deal» avec les institutions européennes, selon elle. «Contre la loi Hollande-Medef-Bruxelles, il faut une insoumission générale […] Il faut fédérer un peuple d’insoumis». Au milieu de la salle, une femme lâche un «Oh…» de dépit devant cet appel à soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Un autre s’amuse : «Insoumis à Jean-Luc oui !»
C’est Lordon qui termine ce meeting sur le thème de «l’oligarchie». «Hollande, Valls et Macron sont les esclaves qui s’ignorent d’une pensée morte», le «stalinisme-libéral», dit-il. Le chercheur, nouvelle coqueluche des militants de la gauche radicale, dénonce la «clique éditorialiste», un «capital» qui «prend en otage» l’Europe et «ces sociaux-démocrates qui n’ont plus rien ni de sociaux, ni de démocrates». «La violence, c’est la leur», poursuit Lordon dont le discours du jour est celui qui l’emporte ce dimanche à l’applaudimètre. «Ce pouvoir à peur, affirme-t-il. A force de serrer des écrous, il va finir par les fissurer et les casser pour de bon.»«Ils ne s’arrêteront nulle part, sauf si nous les arrêtons», termine-t-il avant que la salle ne se lève sur un «tous ensemble ! Tous ensemble ! Grève générale !»
IDOMENI (Grèce), 18 avril 2016 – Une des choses qui me frappe le plus chez tous ces réfugiés bloqués depuis des mois à la frontière gréco-macédonienne c’est de les voir, lentement, perdre la raison.
Voilà des années que je couvre cette crise de réfugiés. Je suis allé dans un grand nombre d’endroits et à chaque fois la situation est différente. J’ai vu des Syriens franchir en masse la clôture barbelée à la frontière turque pour échapper aux combats qui faisaient rage chez eux, à quelques centaines de mètres. J’en ai vu d’autres débarquer sur les côtes de Lesbos après une dangereuse traversée depuis la Turquie. Et maintenant me voici un peu plus loin sur la route des Balkans, à Idomeni. Ce village grec à la frontière macédonienne est devenu un cul-de-sac depuis que plusieurs pays européens ont fermé leurs frontières, en espérant mettre un terme à l’afflux de migrants. Environ onze mille personnes s’entassent ici.
Le camp d’Idomeni, le 1er avril 2016 (AFP / Bulent Kilic)
Ce qu’il y a de particulier ici, c’est le désespoir extrême, absolu. Ces gens ont quitté des pays dévastés par la guerre. Ils ont accompli un dangereux voyage, souvent avec leurs enfants sur les épaules. Et les voici maintenant bloqués dans une mare de boue face aux portes fermées de l’Europe, obligés de vivre dans des conditions aussi déplorables que chez eux, sans avoir la moindre idée de ce qui va leur arriver ensuite. Certains végètent ici depuis deux ou trois mois. Ils n’ont rien d’autre à faire qu’attendre, dans l’incertitude totale. Pourront-ils rejoindre l’Europe de l’Ouest comme l’ont fait des centaines de milliers de réfugiés avant eux ? Seront-ils reconduits de force en Turquie ? Devront-ils, au final, rentrer chez eux ?
Alors ils perdent la raison. Ce n’est pas étonnant. Vous aussi vous deviendriez fou à leur place. Jour après jour, leur comportement change. Et même moi qui ai couvert d’innombrables situations de ce genre, qui suis ici pour faire mon travail, qui sais qu’au bout de deux semaines je retrouverai ma maison et ma famille, je me sens de plus en plus déprimé, de plus en plus agressif au fur et à mesure que le temps passe. Je ne fais pas que sentir l’ambiance. Je la sens qui pèse sur moi, de tout son poids.
Et il y a les conditions matérielles dans lesquelles tous ces gens vivent. Une horreur. Je n’ai pas de mots pour les décrire. A Idomeni, on trouve exactement la même chose que dans les camps de personnes déplacées en Syrie, un pays en guerre depuis cinq ans…
La première chose qui vous frappe ici, c’est l’odeur. Des effluves de toilettes mêlées à de puissantes odeurs corporelles. Les gens vivent, dorment et mangent près des toilettes, au milieu de leurs excréments. Que pourrais-je dire de plus ? Il n’y a pas assez de douches, pas assez d’endroits pour se laver les mains, pas assez d’eau. Les conditions d’hygiène sont tout simplement effroyables. La pestilence est omniprésente. Des enfants tombent malades. J’ai déjà vu des choses pareilles dans des zones de guerre. Mais ici nous sommes en Grèce, un pays en paix dans l’Union européenne, et des gens y vivent exactement comme s’ils étaient restés au cœur de la Syrie ! Cet endroit, c’est vraiment la honte de l’Europe.
Un jour de pluie dans le camp de fortune (AFP / Bulent Kilic)
Et puis que dire de la vie quotidienne ? Peut-on vraiment appeler ça une vie quotidienne ? Les habitants du camp passent leur temps à faire la queue pour recevoir de quoi manger auprès des organisations non gouvernementales. Il n’y a rien à faire ici, à part satisfaire ses besoins primaires et attendre. Pouvez-vous imaginer ça ? Passer ses journées à voir vos rêves et vos espoirs mourir à petit feu, le tout sans savoir de quoi votre avenir sera fait ?
Les réfugiés ne vont pas rentrer pas chez eux. Premièrement parce chez eux, il n’y a plus rien. Et deuxièmement, parce qu’ils n’ont pas dépensé toutes leurs économies et pris des risques insensés pour se laisser bloquer aux portes de la Macédoine par quelques rangées de barbelés. Cette idée leur est insupportable.
C’est parfois difficile d’être un journaliste ici, parce que les gens ont tendance à vous prendre pour une sorte de sauveur. Tous les jours, des gens me posent des questions du genre : « quand est-ce qu’ils vont ouvrir la barrière ? » ou encore : « que va-t-il nous arriver ? » Et moi je n’en ai pas la moindre idée.
A Idomeni, je suis devenu ami avec une Kurde de Syrie, dont le mari est parti le premier pour l’Allemagne il y a six mois. Elle essaye de le rejoindre avec leurs deux enfants. Et cela fait deux mois qu’elle est bloquée à la frontière. Tous les jours elle fait la queue pour recevoir de la nourriture. Les gens deviennent fous. Ils se bousculent, se battent pour être servis les premiers. « De ma vie je n’ai jamais frappé personne », me dit-elle. « Comment pourrais-je le faire maintenant, pour de la nourriture ? Même ici, je ne peux pas, c’est impossible ». Alors il y a des jours où elle et ses enfants ne mangent rien.
Les enfants, c’est le pire, dans cette histoire. Ce sont les images d’enfants qui vous restent à jamais gravés dans la tête une fois que vous êtes rentré chez vous, surtout si vous avez des enfants vous-même. Leurs visages reviennent vous hanter, encore et encore. Bien sûr ils ne vont pas à l’école. Et vous savez ce qui se passe quand un enfant ne va pas à l’école ? Son comportement change. Son cerveau change.
Autour d’un feu dans le camp de réfugiés d’Idomeni (AFP / Bulent Kilic)
Les enfants, ici, passent leurs journées à jouer dans la boue, ou sur la voie ferrée. Ils viennent vers vous, vous poussent, vous crient dessus. Eux aussi deviennent fous. Mon amie kurde de Syrie a un garçon de huit ans et une fille de quatorze ans. Cela fait trois ans qu’ils n’ont pas mis les pieds à l’école, à cause de la guerre. Elle est vraiment inquiète pour eux. Ils n’apprennent rien. Que vont-ils devenir ?
Et pour couronner le tout il y a eu ces incidents il y a quelques jours. Un groupe d’individus a essayé d’entrer en Macédoine par la force, et les soldats les ont repoussés avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Plusieurs dizaines de personnes ont été blessées, elles ont été soignées par les ONG.
Pouvez-vous imaginer ? Vous avez vécu l’enfer de la guerre, vous avez fui pour vous retrouver dans un autre enfer, vous n’avez aucune idée de ce qui va vous arriver et des soldats vous aspergent de gaz lacrymogènes. C’est juste complètement fou. Dans ces circonstances, qui ne perdrait pas la raison ?
(Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson)
Jacques-Nikonoff, professeur associé à l’Institut d’études européennes, Université Paris 8
Le projet de loi El Khomri correspond à la mise en œuvre d’une partie du projet du grand patronat français (le Medef). C’est à l’occasion de son Assemblée générale du 18 janvier 2000 que le Medef a décidé de lancer l’idée de la « refondation sociale ». Il ne veut plus de lois constitutives de droits pour les salariés, il veut généraliser la notion de « contrat » entre l’employeur et le salarié.
Par ailleurs, dans le cadre du « Semestre européen », la Commission européenne publie des rapports par pays. Rappelons que le Semestre européen est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’Union européenne (UE), à l’occasion desquels les États membres alignent leurs politiques économiques et budgétaires sur les règles et les objectifs arrêtés au niveau de l’UE. Il s’inscrit dans le cadre de la « gouvernance » économique de l’Union européenne. Ce cycle se concentre sur les six premiers mois de chaque année, d’où son nom. La Commission européenne a fait cette proposition en mai 2010, les ministres de l’Économie et des Finances l’ont adopté et introduit en septembre 2011. Le processus consiste à coordonner les politiques économiques et budgétaires de la zone euro, en lien avec le Pacte de stabilité et de croissance et la stratégie Europe 2020. Dans ce but, un calendrier d’intégration des budgets des États membres de l’UE au niveau européen a été mis en place en 2011 (le semestre européen). Concrètement, il s’agit de faire « dialoguer » la Commission, chargée du respect du pacte de stabilité et de croissance, et les États membres tout au long de leur processus d’élaboration budgétaire. Des prévisions économiques sont produites trois fois par an par la Commission qui, en janvier, présente un « Examen annuel de croissance » (EAC) pour chaque État membre. Cet EAC met au jour les « réformes » et les « efforts » à effectuer par ces pays. Il débouche sur l’établissement de priorités par le Conseil européen, transmises ensuite, en mars, aux États. En avril, ces derniers doivent élaborer à partir de ces priorités, un « programme de stabilité » qui est ensuite transmis à la Commission (comprendre un programme d’austérité. Celle-ci transmet alors en juin des recommandations pour chaque pays au Conseil européen qui les adopte en juillet. Dès lors, les États doivent intégrer ces recommandations dans leurs projets budgétaires pour l’année suivante. Le semestre européen correspond à une nouvelle étape dans le démantèlement de la souveraineté des États membres.
La Commission européenne a publié le 26 février 2016 son analyse annuelle « des défis économiques et sociaux, auxquels font face les États membres de l’UE », à savoir les « rapports par pays ». Ces rapports sont un instrument destiné à suivre les « réformes » engagées (comprendre la mise en œuvre de politiques néolibérales). Ils servent de base au « dialogue » avec les États membres concernant leurs choix nationaux en vue de l’adoption de leurs programmes nationaux en avril et conduiront à la formulation, à la fin du printemps, des recommandations de la Commission par pays.
Étrangement, le rapport sur la France n’est disponible qu’en anglais. La charge symbolique est très forte, comment inciter au « dialogue » si une partie de la population, du fait de la barrière de la langue, ne peut accéder à des données, analyses ou recommandations concernant son propre pays ?
La Commission européenne constate avec gourmandise qu’un « glissement » s’est produit vers la décentralisation de la négociation collective. Le cadre introduit en 2004 par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (dite loi Fillon) a étendu la portée de la négociation collective aux entreprises moyennes. Les accords d’entreprise ou de branche ont été autorisés à déroger aux accords de branches ou interprofessionnels, même si les conditions sont moins favorables aux travailleurs. Néanmoins, regrette la Commission européenne, le principe de faveur, qui établit qu’une révision à la baisse des conditions d’emploi ne peut pas se produire, reste valable « pour le salaire minimum, les classifications, les mesures supplémentaires de protection sociale, les fonds interprofessionnels de la formation professionnelle ». On comprend que la Commission européenne va agir pour continuer la délocalisation vers l’entreprise de la négociation collective sur ces sujets.
Depuis que les dérogations aux accords de branche ou interprofessionnels ont été autorisées, la Commission européenne constate avec regret que les résultats ont été particulièrement faibles. Depuis 2013, seulement 10 accords d’entreprise ont été conclus (accords de maintien de l’emploi), couvrant moins de 2 000 travailleurs. Pour tenter de redresser la situation, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron) a étendu la durée de ces accords à 5 ans et a introduit la notion de cause « réelle et sérieuse » pour licencier les salariés refusant les termes de l’accord, réduisant de ce fait l’incertitude pour les entreprises dans les litiges avec leurs salariés.
À la suite du rapport Combrexelles de septembre 2015, la Commission européenne donne un coup de chapeau au gouvernement qui aurait ainsi manifesté « son intention de réformer progressivement le code du travail pour renforcer l’autonomie de négociation au niveau de l’entreprise » et annoncé qu’une loi serait présentée (le projet de loi El Khomri).
Le projet de loi El Khomri correspond à la mise en œuvre d’une partie du projet du grand patronat (le Medef)
La Commission européenne ne s’arrête pas aux encouragements à détruire le Code du travail, elle insiste également sur la nécessité de poursuivre la destruction du modèle social européen issu de l’après-guerre, reprenant ainsi toutes les exigences du grand patronat.
L’organisation sociale idéale, pour le Medef, est celle dans laquelle les entreprises pourraient définir les contenus des contrats de travail sans aucune contrainte, comme au XIXe siècle avec le contrat de louage où les ouvriers se présentaient en place de Grève… Démunis de tous droits individuels et collectifs, les salariés n’auraient plus aucun recours légal. Car placer le contrat au-dessus de la loi revient à remettre en cause le principe de la hiérarchie des normes juridiques. Selon ce principe la Constitution se place au sommet de notre architecture juridique. Tous les autres textes en découlent en formant une hiérarchie : les traités internationaux, les lois, les règlements… Un arrêté municipal, par exemple, reste subordonné aux principes généraux du droit et ne peut contrevenir aux stipulations d’un texte d’un niveau supérieur. Si la loi fixe le SMIC à 1 500 euros mensuels, aucun accord de branche ou d’entreprise ne peut aujourd’hui fixer un seuil inférieur. Le Medef veut pourtant obtenir la possibilité, avec l’appui de la Commission européenne, de signer des accords de branche ou d’entreprise qui fixeraient le SMIC à 1 000 euros par exemple pour les salariés de cette branche ou de cette entreprise… C’est ce qu’il exprime clairement quand il critique le système actuel qui « hiérarchise les règles sociales suivant le principe de la clause dite la plus favorable » (le principe de faveur). Le Medef a trouvé dans le Parti socialiste et le gouvernement Hollande-Valls un agent beaucoup plus efficace que le dernier gouvernement Sarkozy-Fillon qui n’avait pas osé aller si loin.
La « refondation sociale » engagée par le MEDEF est une tentative de coup d’État
En République, la souveraineté appartient au peuple, directement et par l’intermédiaire de ses représentants, les députés. Il leur revient de décider des conditions du travail, de sa protection et de sa promotion par le vote de la loi. Selon l’Article 34 de la Constitution, « La loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. » Ces questions relèvent donc d’abord de la représentation nationale (le Parlement) – c’est-à-dire du champ politique – et ensuite des partenaires sociaux. La raison est simple. La représentation nationale, qui vote la loi, est l’émanation du peuple alors que les partenaires sociaux n’en représentent qu’une fraction. C’est ce que souhaite changer le Medef. C’est pourtant devant la loi, et uniquement devant la loi, que « tous les citoyens sans distinction » se trouvent égaux. Si la loi devenait seconde au regard du contrat, devant qui ou quoi seraient égaux les citoyens ? Par nature le contrat ne peut satisfaire au principe d’égalité, a fortiori lorsqu’il se contracte individuellement entre un salarié et un employeur.
Avec l’inversion de la hiérarchie des normes, le pouvoir d’édicter les règles sociales passerait au patronat, principalement le grand patronat, et plus précisément dans les bureaux du Medef. Seul à décider, il pourrait ainsi accroître l’insécurité, la flexibilité et la précarité. Les temporalités sociales seraient alignées sur les temporalités du marché.
Dans ses « recommandations spécifiques » (Specific recommendations – CSRs), la Commission européenne demande à la France de :
identifier les « sources d’économies sur la Sécurité sociale, les collectivités locales, les retraites complémentaires, les retraites de base grâce aux encouragements pour travailler plus longtemps »,
poursuivre les « progrès substantiels » obtenus dans la baisse du coût du travail,
lutter contre les « rigidités » du marché du travail,
« modifier les modalités de fixation du salaire minimum » (le SMIC) car en 2015 il a augmenté de 0,6% de plus que l’inflation à cause de l’indexation automatique sur les salaires réels alors que le chômage continuait d’augmenter,
réformer le code du travail pour encourager les entreprises à embaucher des CDI,
faciliter les dérogations accordées aux entreprises notamment pour l’aménagement du temps de travail,
réformer le système d’assurance chômage pour qu’il revienne à l’équilibre financier et qu’il encourage mieux les chômeurs à retourner au travail.
La Commission regrette que la France ait fait « des progrès limités pour faciliter les dérogations à la loi au niveau de l’entreprise. La réforme du code du travail devrait permettre une meilleure prise en compte du niveau de l’entreprise et de la branche pour les dérogations à la loi. »
La Commission européenne veut accélérer la baisse des salaires réels en France
Le salaire réel correspond au pouvoir d’achat du salaire nominal, c’est-à-dire la quantité de biens et de services qu’un agent économique peut acheter avec son salaire nominal (celui que son employeur lui verse sur son compte en banque).
Motif : la récente décélération des salaires réels en France resterait « insuffisante pour rattraper le retard entre le coût du travail et le ralentissement de la croissance de la productivité ».
La Commission européenne donne les chiffres suivants : entre 2008 et 2012, le revenu par salarié a augmenté de 2,5% en moyenne par an, alors que la croissance du PIB moins l’inflation était autour de 1%. Le gain de 1,5% pour les salariés serait donc extravagant. D’où le principe suivant que l’on peut déduire de cette déclaration de la Commission européenne : les salaires ne doivent pas permettre une amélioration du pouvoir d’achat.
La Commission européenne ne veut pas entendre parler d’augmentation du SMIC
Pour elle, « l’augmentation du SMIC induit une augmentation des salaires pour toutes les catégories de travailleurs, particulièrement pour les ouvriers et employés. » La Commission européenne ajoute « en période de faible inflation, les règles d’ajustement du salaire minimum (le SMIC) peuvent être une source de rigidité des salaires depuis qu’elles sont partiellement indexées sur l’évolution des salaires réels. Le processus de fixation des salaires contribue ainsi aux pressions salariales. » On peut ainsi déduire un autre principe imaginé par la Commission européenne : non seulement les salariés ne doivent pas connaître d’augmentation de leur pouvoir d’achat (progression du salaire supérieure à l’inflation), mais le salaire minimum (le SMIC en France) ne doit jamais augmenter.
La Commission européenne veut diminuer les prestations de Sécurité sociale
Pour elle, « Le coût du travail en France reste parmi les plus élevés de l’UE, essentiellement du fait des cotisations sociales élevées payées par les employeurs, la France se place juste après la Belgique, le Danemark, la Suède, le Luxembourg. Ce rang n’a pas évolué depuis 10 ans, malgré la décélération du coût du travail observée depuis 2012 ». Ce coût du travail serait « élevé principalement à cause de la fiscalité comptant pour plus de 30% de l’heure travaillée, comparé à une moyenne de 24% dans l’UE. »
La Commission se réjouit néanmoins que des « mesures ont été récemment introduites pour réduire le fardeau fiscal sur le travail » : réduction fiscale dans le cadre du CICE de décembre 2012 ; diminution des cotisations sociales des employeurs pour la Sécurité sociale dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité de janvier 2014. « Au total ces mesures vont baisser la fiscalité patronale de 1,5% du PIB (30 milliards d’euros) entre 2013 et 2017 ». On doit contester la notion de « fardeau fiscal » pour les entreprises, elles devraient au contraire être fière de contribuer ainsi aux biens communs. Le gouvernement devrait même publier la liste des meilleurs contributeurs ayant payé le plus d’impôts.
La Commission européenne veut réduire les indemnités des chômeurs
Elle constate la détérioration de l’équilibre financier du système d’assurance chômage qui, malgré la Convention d’assurance chômage entrée en vigueur le 1er juillet 2014, reste insuffisante pour réduire son déficit. En octobre 2015 les projections de déficit étaient estimées passer de 21,3 milliards d’euros en 2014 à 25,8 milliards d’euros en 2015 et 29,4 milliards en 2016. Pour l’UE, « La conception du système d’allocations chômage réduit les incitations à retourner au travail ». Hélas, la Commission européenne est restée muette sur les conséquences du déficit financier des familles de chômeurs.
On peut déduire un troisième principe de ces déclarations et de ces silences : il faut baisser les indemnités des chômeurs, autrement dit les affamer, pour les obliger à chercher du travail.
Le document concerné s’intitule « Recommandations du Conseil COM(2015) 260 final », daté du 13 mai 2015. Il concerne le programme national de réforme de la France pour 2015 et porte avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2015. Ce texte a été soumis par le gouvernement français, en application de l’article 88-4 de la Constitution, à l’Assemblée nationale et au Sénat le 21 mai 2015.
Les « recommandations » du Conseil sont ainsi devenues le programme du gouvernement français : « À la lumière des résultats du bilan approfondi de la Commission et de cette évaluation, le Conseil a examiné le programme national de réforme de la France et son programme de stabilité. Ses recommandations formulées en vertu de l’article 6 du règlement (UE) nº1176/2011 se reflètent dans les recommandations figurant aux points (1) à (6) ci-dessous. RECOMMANDE que la France s’attache, au cours de la période 2015-2016 : » On trouve alors deux catégories de recommandations : celles qui portent sur la destruction du Code du travail, celles qui portent sur la destruction d’autres éléments de la protection sociale.
La Commission européenne regrette que « les réformes menées récemment n’ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins. Il conviendrait d’accorder aux branches et aux entreprises la possibilité de déterminer de façon flexible, au cas par cas et après négociations avec les partenaires sociaux, s’il y a lieu de déroger à la durée légale du travail de 35 heures par semaine. La loi portant création des accords de maintien de l’emploi n’a pas produit les résultats escomptés. Très peu d’entreprises ont fait usage des nouveaux dispositifs permettant un assouplissement des conditions de travail dans le cadre d’accords d’entreprise. Ce dispositif devrait être revu afin de donner plus de latitude aux entreprises pour adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique.
On retrouve cette analyse dans sa recommandation n° 6 : « réformer le droit du travail afin d’inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; à faciliter, aux niveaux des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ; à réformer la loi portant création des accords de maintien de l’emploi d’ici à la fin de 2015 en vue d’accroître leur utilisation par les entreprises ; à entreprendre une réforme du système d’assurance chômage afin d’en rétablir la viabilité budgétaire et d’encourager davantage le retour au travail. »
On comprend donc que c’est la fin programmée des 35h et l’accentuation de la flexibilité des salaires et des horaires, autrement dit travailler plus pour gagner moins. L’incitation à embaucher davantage en contrats à durée indéterminée ne doit pas faire illusion. Comme la flexibilité des horaires et des salaires va croître, le CDI formel deviendra un CDD réel. Tel est l’objet du projet de loi de Madame El Khomri.
Ralentir « considérablement » la croissance des dépenses de Sécurité sociale
Pour la Commission européenne « Il est impossible de dégager à court terme d’importantes économies sans ralentir considérablement la croissance des dépenses de sécurité sociale, qui ont représenté 26% du PIB en 2014, soit près de la moitié des dépenses totales du secteur public. Des économies de 11 milliards d’EUR sur les dépenses de santé sont prévues pour 2015-2017, mais des efforts supplémentaires seront nécessaires pour limiter les hausses de dépenses dans ce domaine. Il est notamment possible de renforcer encore la mise en œuvre des politiques de maîtrise des coûts dans le domaine des prix des médicaments et des dépenses hospitalières. »
Résultat prévisible : diminution des remboursements des médicaments, des consultations et des hospitalisations qui frapperont plus particulièrement les ménages les plus en difficulté, diminution des embauches dans la fonction publique hospitalière.
Baisser les retraites
Pour la Commission, « Le déficit du système de retraite pourrait continuer à se creuser dans les années à venir et les réformes des retraites menées précédemment ne suffiront pas à le combler. En particulier, le déficit imputable aux régimes des agents de l’État et des salariés des entreprises publiques continue de peser sur le déficit global du système de retraite. »
Conclusion : des mesures de diminution du montant des retraites devront encore être prises.
Étrangler les collectivités locales
Pour la Commission « La France a entrepris de réformer ses collectivités locales en vue d’améliorer l’efficacité du système. Elle devrait continuer à mettre en œuvre la réduction prévue des dotations de l’État et renforcer le contrôle des dépenses des collectivités locales moyennant un plafonnement de l’augmentation annuelle des recettes fiscales de celles-ci, en tenant compte des plafonds qui s’appliquent déjà à un certain nombre d’impôts locaux. Des mesures sont également nécessaires pour maîtriser la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. »
Résultat prévisible : diminution des embauches dans la fonction publique territoriale, diminution des subventions aux associations, coupes dans les dépenses sociales.
Baisser le coût du travail
Pour la Commission « Des mesures ont été prises pour réduire le coût du travail et améliorer les marges bénéficiaires des entreprises, notamment le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi de 20 milliards d’EUR et l’allègement des cotisations patronales de 10 milliards d’EUR supplémentaires prévu dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Ces deux mesures, qui représentent 1,5% du PIB, devraient contribuer à combler l’écart entre la France et la moyenne de la zone euro concernant le coin fiscal sur le travail. Leur mise en œuvre devrait se poursuivre en 2016 mais, compte tenu de leur coût élevé pour les finances publiques, il est important d’évaluer leur efficacité au niveau des entreprises. »
Résultat prévisible : de nouvelles subventions publiques aux entreprises privées.
Casser le mécanisme de fixation du salaire minimum
Pour la Commission il faut « tenir compte des rigidités affectant le marché du travail et le marché des produits, et tout spécialement celles affectant les salaires. Le coût du salaire minimum reste élevé si on le compare à celui des autres États membres. Le salaire minimum continue d’évoluer d’une manière qui n’est pas propice à la compétitivité et à la création d’emplois. De plus, dans un contexte d’inflation faible, son indexation automatique pourrait conduire à des hausses de salaires supérieures à ce qui est nécessaire pour préserver le pouvoir d’achat. »
Pour l’instant le gouvernement n’a pas encore osé s’attaquer à ce sujet.
Affamer les privés d’emploi
Pour la Commission européenne « La dégradation persistante de la situation sur le marché du travail a affecté le système d’assurance chômage, au point de remettre en cause la viabilité du modèle. La nouvelle convention d’assurance chômage, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2014, est insuffisante pour réduire le déficit. Les différentes mesures mises en place ont permis d’économiser 0,3 milliard d’EUR en 2014. D’après les estimations, elles réduiront le déficit de 0,8 milliard d’EUR supplémentaire en 2015, le faisant passer de 5,2 milliards d’EUR à 4,4 milliards d’EUR, et la dette du système augmenterait encore pour s’élever à 25,9 milliards d’EUR. Des mesures structurelles sont nécessaires pour garantir la viabilité du système. Les conditions d’éligibilité, la dégressivité des allocations et les taux de remplacement pour les salaires les plus élevés devraient être réexaminés. »
Tout le monde aura compris que « réexaminer » la dégressivité des allocations chômage et les taux de remplacement signifie les abaisser.
Tout ceci converge dans les recommandations n°2 et n°3 :
2.- à accentuer les efforts visant à rendre efficace la revue des dépenses et à recenser les possibilités d’économies dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, et notamment aux niveaux de la sécurité sociale et des collectivités locales ; à prendre des mesures pour limiter l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités locales ; à prendre des mesures supplémentaires d’ici à mars 2016 pour ramener le système de retraite à l’équilibre, notamment en s’assurant que la situation financière des régimes de retraite complémentaire soit viable à long terme ;
3.- à maintenir les réductions du coût du travail découlant du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité, notamment en les mettant en œuvre comme prévu en 2016 ; à évaluer l’efficacité de ces dispositifs en tenant compte des rigidités du marché du travail et du marché des produits ; à réformer, en concertation avec les partenaires sociaux et conformément aux pratiques nationales, le système de formation des salaires pour que ceux-ci évoluent au même rythme que la productivité ; à veiller à ce que les évolutions du salaire minimum soient compatibles avec les objectifs de promotion de l’emploi et de la compétitivité ;
L’Union européenne impose des politiques d’austérité (notamment des « réformes structurelles du marché du travail ») qui consistent à affaiblir les droits et les protections des salariés face aux risques sociaux. L’exemple emblématique est celui de la Grèce avec un double résultat : très positif pour les créanciers qui ont recouvré leurs capitaux avec profits ; très négatif pour la population qui est frappée d’un recul social invraisemblable. Ces politiques empêchent la reprise de l’emploi et, à terme, le remboursement lui-même de la dette publique.
L’euro interdit l’ajustement des monnaies par le taux de change et impose la « compétitivité » par la baisse des salaires et la dérèglementation du travail, c’est-à-dire une concurrence acharnée entre pays, dont les salariés font les frais, alors que l’UE avait pour ambition affichée la coopération. La lutte contre la loi El Khomri, pour être victorieuse, doit intégrer la nécessité absolue de sortir de l’euro et de l’Union européenne, unilatéralement et sans préavis.
Immigration Sur 60 millions de réfugiés ou demandeurs d’asile dans le monde, l’Europe en accueille 4 millions. La majorité s’établissent au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie.
L’Europe fait face à un afflux de réfugiés sans précédent cette année. Selon FranceInter, près de 200 000 demandes d’asile ont été déposées sur le Vieux Continent depuis le début de l’année. Amnesty international juge toutefois que le mouvement migratoire actuellement en cours est le plus important depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et provoque des «situations humanitaires dramatiques» dans les centres d’accueil.
En dépit de l’inquiétude grandissante en Europe et de la récupération politique de la thématique migratoire, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelle que seule une minorité de réfugiés tentent véritablement de s’établir dans un pays européen. Selon la RTS qui relaye les chiffres du HCR, la plupart des requérants d’asile s’établissent dans un pays voisin du leur, c’est-à-dire dans la région limitrophe d’une zone de conflit.
Ainsi, le programme de l’ONU estime que, sur un total de 60 millions de réfugiés à l’échelle mondiale, 26 millions s’établissent en Asie, 18 en Afrique, 7 en Amériques et 4 en Europe. La Turquie (1,6 million), le Pakistan (1,5) et le Liban (1,2) en abriteraient le plus. Par ailleurs, aucun pays européen ne figure dans la liste des 10 premiers qui recueillent le plus de personnes en cours de procédure d’asile.
De forts contrastes
Les statistiques mettent par ailleurs le doigt sur la densité de requérants d’asile par rapport à la population résidente. Si, dans le petit Liban, un quart des habitants sont des réfugiés, les données du continent européen reflètent, pour leur part, une densité minime se rapprochant d’un pour cent. C’est notamment le cas en Suisse où, dans le détail, 48’000 personnes étaient en cours de procédure d’asile en 2014 sur un total de plus de 8 millions d’habitants.
Concernant le conflit syrien, il est également relevé que la majorité des réfugiés s’établit en Turquie et au Liban et que seule une minorité tentent la traversée vers l’Europe (voir le graphique du HCR ci-dessous concernant la proportion de réfugiés syriens par pays).
A l’échelle mondiale, la répartition des demandeurs d’asile est donc particulièrement forte dans les pays pauvres. Si les centres d’accueil européens débordent actuellement en Italie et Grèce selon LeMonde.fr, les camps de réfugiés des pays pauvres seraient d’une toute autre échelle. La ville de Dadaab au Kenya peut, à elle-même, symboliser cette forte différence de grandeur. La ville située à quelques kilomètres de la frontière somalienne accueille près de 500’000 réfugiés. A titre de comparaison, près de 350’000 migrants ont rejoint un pays européen en traversant la mer Méditerranée depuis le début de l’année selon l’Organisation internationale pour les migrations.
Scène de rue dans le quartier d’Alfama à Lisbonne le 31 juillet 2015. | Francisco Seco / AP
Le Fonds monétaire international (FMI) a décidé de se rappeler aux bons souvenirs des Portugais à quelques mois des élections législatives qui auront lieu le 4 octobre. Dans un rapport publié le 6 août, il se félicite de l’amélioration des indicateurs économiques du pays mais émet des réserves quant au fort endettement du Portugal et appelle à de nouvelles réformes, laissant entendre que l’actuelle reprise reste fragile.
« Les efforts pour réformer le marché du travail et améliorer l’efficacité du secteur public semblent être au point mort, » regrette le FMI, qui défend « un plus ample ajustement budgétaire », en particulier dans les domaines de la santé publique et des retraites, pourtant déjà largement mises à contribution par les précédentes politiques d’austérité.
Faisant référence au prochain scrutin, le Fonds prévient qu’« il sera essentiel de redonner de l’élan aux réformes lorsqu’un gouvernement nouvellement élu sera formé. » Objectif : conserver la confiance des marchés. «Il est essentiel de maintenir la crédibilité pour assurer des conditions de financement favorables », ajoute l’ancien bailleur de fonds du Portugal.
Cela fait plus d’un an qu’a pris fin le plan de sauvetage du pays. Entre 2010 et 2014, il avait été placé sous assistance par la « troïka » – FMI, Banque centrale européenne (BCE) et Commission de Bruxelles –, qui lui avait injecté 78 milliards d’euros de fonds en échange d’un sévère plan de rigueur. Considéré depuis comme le bon élève de l’Europe, Lisbonne était posé en exemple par l’Allemagne, la Commission européenne ou le FMI face à une Grèce refusant de mettre en œuvre des mesures d’austérité.
Non seulement le Portugal a renoué avec la croissance – son produit intérieur brut (PIB) a progressé de 0,9 % en 2014 –, mais le taux de chômage s’est réduit à grande vitesse, passant de 17,5 % des actifs début 2013, à 11,9 % au deuxième trimestre 2015. Le déficit budgétaire a été diminué de plus de la moitié, chutant de 11,2 % du PIB en 2010 à 4,5 % en 2014. Les exportations ont bondi, le tourisme tire l’économie et les investissements repartent. Mais malgré ces bons résultats, le pays reste fragile, comme le laissait entendre l’ancien ministre grec de l’économie Yanis Varoufakis, lorsqu’il prédisait une contagion au Portugal en cas de sortie de la Grèce de la zone euro.
Ces dernières années, la dette publique a explosé, passant de 83,6 % du PIB en 2010 à 130,2 % en 2014. Si l’on y ajoute la dette des entreprises publiques et privées et celle des familles, le montant total de l’endettement de l’économie portugaise s’élève à 402 % du PIB. Or, avec une croissance de 1,6 % prévue en 2015 et d’à peine plus en 2016 et 2017, il sera difficile de résorber ce passif qui laisse planer une menace sur l’économie.
La chute de la Banque Espirito Santo en 2014, après des soupçons de fraude, a déjà fait craindre une rechute, Lisbonne ayant dû injecter 4,9 milliards d’euros dans cette institution qui fut la première banque du pays.
Déjà quatre ans de sacrifice
D’autre part, les mesures d’austérité du gouvernement de centre droit de Pedro Passos Coelho ont asphyxié la classe moyenne, dont le pouvoir d’achat a été réduit. La pression fiscale est passée en quatre ans de 33,4 % à 37,1 % du revenu brut, la TVA a augmenté à 23 %. Les primes ou bonus des fonctionnaires et des retraités ont été supprimés. Plus généralement, les salaires ont fortement baissé. Et l’emploi créé est souvent précaire. L’opposition socialiste a d’ailleurs accusé l’exécutif de « donner l’illusion » de créer des emplois, notamment en finançant des stages de courte durée.
Après quatre ans d’austérité et de sacrifices, le résultat peut apparaître décevant alors que derrière la vigueur de la reprise interviennent un certain nombre de facteurs conjoncturels – comme la faiblesse de l’euro ou du prix du pétrole – et extérieurs – l’intervention en 2012 de la BCE sur le marché de la dette, permettant une baisse des taux et un regain de confiance des investisseurs.
Le 4 octobre, il n’est pas dit que les Portugais plébiscitent la mise en œuvre de nouvelles réformes, comme celles préconisées par le FMI. Les sondages placent pour le moment le Parti socialiste en tête, mais sans majorité absolue.