Nicolas Fenouillat au CRAC. Accroche musicale en trois temps

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Nicolas Fenouillat ou le retour des héros contemporains. photo dr

Exposition
L’artiste Nicolas Fenouillat investit le CRAC avec trois propositions où l’art contemporain agrège l’univers musical. Loin très loin de nous laisser dans l’indifférence.

« J’ai fait le conservatoire où je me suis formé à la percussion contemporaine puis les Beaux-arts. Au sortir  de ma formation, on m’a demandé de me situer. Je suis resté entre les deux », résume  Nicolas Fenouillat à Sète où il présente deux oeuvres vidéo et une installation. Trois tentatives qui transportent le questionnement artistique et son vocabulaire dans l’univers immensément sensible de la musique.

Retour aux sources avec Silence inspiré par 4’33’’ un morceau composé par John Cage pour décrire le silence. Nicolas Fenouillat fait appel à un dialogue tourné à l’Ircam entre deux sourds-muets qui interrogent non sans humour les résonances et significations du vide auditif.

Métronome

Totem, est un long travelling à travers des rangées de pierres tombales sans inscription au pied desquels 100 métronomes marquent la mesure dans une temporalité différente. L’artiste semble vouloir donner la mesure du monde sans ego ou signe religieux. Une forme d’hommage à la paix et au temps débarrassé du superflu.

Avec Iron man lives again ! l’artiste réussit l’exploit de déplacer les traces de sa performance donnée au Louvre sans performer. Conçu comme une partition, le dispositif retrace son interprétation à la batterie du morceau culte de Black Sabbath dans une amure du  XVe siècle. Une réflexion sur l’utilité des héros en temps de crise.

« Marvel n’a jamais autant marché qu’en ce moment », commente l’artiste qui prépare une performance au Musée Picasso.

JMDH

Jusqu’au 26 février. L’expo La traversée de Johan Creten est prolongée jusqu’au 17 avril, au CRAC à Sète, 26 quai Aspirant Herber. 04 67 74 94 37.

Source : La Marseillaise 11/02/2017

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Cy Twombly tire un trait

Le rejet de la maîtrise comme une constance

Le peintre américain, figure de la New York School, est mort hier à 83 ans.

Sans trop y croire, on avait caressé l’espoir de le rencontrer à Avignon cet été. On attendait la réponse à notre demande d’un très improbable entretien. On est désormais fixés : Cy Twombly est mort hier dans un hôpital romain, des suites d’un cancer. Il avait 83 ans. C’est Eric Mézil, le directeur de la collection Lambert qui l’a annoncé, deux semaines après l’ouverture de l’exposition singulière qu’ils ont conçue ensemble et qui, pour la première fois, dévoile les photos prises depuis plus de cinquante ans par cet immense artiste américain.

Né Edwin Parker Twombly en 1928 à Lexington (Virginie) et vite appelé Cy, comme son père (un ancien champion de base-ball), Twombly a traversé dans ses grandes largeurs la deuxième moitié de l’art du XXe siècle. C’est à Rome que tout ou presque a également commencé pour lui. Mais Rome en Géorgie où il a fréquenté la Darlington School après s’être initié, enfant, au dessin. C’est surtout au tout début des années 50, au mythique Black Mountain College, près d’Asheville (Caroline du Nord) que tout s’est précipité avec la rencontre d’autres artistes majeurs de sa génération, devenus ses amis : Robert Rauschenberg, Franz Kline, Robert Motherwell mais aussi le musicien John Cage ou le chorégraphe Merce Cunningham.

Après un service militaire passé à découvrir et exercer la cryptologie, ce qui marquera à jamais son rapport à la graphie, dans une quête incessante à mixer dessin et peinture, Twombly s’installe à New York où, en compagnie de son coloc d’atelier Rauschenberg, mais aussi de Jasper Johns, il participe à l’inflexion d’un mouvement artistique déjà bien amorcé et connu sous le nom de New York School, en y introduisant notamment avec ses sculptures faites d’objets de récupération une attention marquée pour le primitivisme. Habité tout autant par la culture classique, il choisit, alors qu’il n’a pas encore 30 ans, de quitter cette scène new-yorkaise pour s’installer entre Rome et Naples, à Gaeta où il aura vécu jusqu’à la fin, construisant une œuvre monumentale au fil de grands cycles et consacrée par tous les grands musées du monde. Depuis qu’il avait exposé ses gigantesques pivoines en 2007 à la collection Lambert d’Avignon, il rêvait d’y revenir. Comme artiste, explique Eric Mézil, mais aussi comme commissaire mixant, tel un DJ, les œuvres d’autres – Sol LeWitt, Diane Arbus, Cindy Sherman, Ed Ruscha en l’espèce pour cette exposition «le Temps retrouvé» qui durera jusqu’au 30 octobre.

Au même moment, au Sud de Londres, à la Dulwich Gallery, Twombly livre son dernier combat. Ses œuvres monumentales, par exemple Hero and Leandro, de 1985, inspirée d’un poème de Marlowe, se confrontent à celles d’un héros de jeunesse de l’artiste, Nicolas Poussin. La preuve que l’art abstrait sait aussi raconter des histoires. Celle de Twombly s’est achevée d’un simple point noir, hier à Rome.

Sylvain Bourmeau (Libération)

 

Voir aussi : Rubrique Art, Artistes méconnus de RDA, rubrique Etats-Unis, rubrique Danse, De Joyce à Cunningham, rubrique Expositions, Les chambres noires du Sud, Les sujets de l’abstraction, rubrique Livre Ray Carver tragédie de la banalité, On line Les belles saisons de Cy Twombly,

Bonnes gorgées d’Irlande pour rincer le monde

cunningham

Montpellier Danse 2010 Roaratorio. A partir d’un texte de Joyce, Cunningham crée une pièce dont la modernité éclatante résonne encore.

Avec cette pièce jouée pour la première fois en 1983, le géant de la danse contemporaine américaine, disparu l’année dernière, pénètre l’univers littéraire du roman Finnegan Wake de Joyce, pour en donner à entendre le paysage mental.

A propos de conscience, il s’avère peut-être utile de réaffirmer que la danse est un art où l’émotion prime sur la compréhension. Ce qui ne veut pas dire que la naissance du mouvement, condamné à une disparition immédiate, pourrait se passer pour autant, d’une conséquente période de gestation. « ?En posant ce signe d’égalité entre la pensée et la danse, Merce Cunningham m’a en quelque sorte, autorisé à faire le pont entre l’intellect et la danse?« , confie Jean-Paul Montanari dans le livre édité (Actes-Sud) à l’occasion de se trentième anniversaire.

L’esprit d’invention est au cœur de Roaratorio qui dépasse la simple transposition de l’œuvre littéraire pour incarner la langue au-delà du langage en usant du vecteur musical. La composition tient lieu de décor et, au-delà, matérialise proprement le rapport de la culture irlandaise au monde. Elle s’appuie sur une création de John Cage. Un magnifique festin de bruits recueillis en Irlande, de sons envoyés par toutes les radios du monde et d’éclats de mots.

Le réalisme et la qualité du mixage s’emparent de l’espace pour en bouleverser les normes. Dans un contexte nouveau, se déploie l’énergie transcendée des corps qui peuplent l’espace de leur humanité. C’est toute la vie quotidienne, sociale et populaire qui défile en accéléré et passe devant les yeux par vagues régulières. On est saisi par la vivacité constante des gestes, la magie animale, les mouvements d’ensemble dans les changements de direction. Comme si les regroupements et les séparations obéissaient à une présence invisible. L’impression aérienne d’une grande légèreté nous emporte. On a le sentiment que les pieds ne touchent plus le sol. La liberté apparente masque la rigueur technique et la maîtrise spatiale.

Avec Roaratorio, Cunningham pénètre une œuvre majeure de Joyce publiée quarante ans plus tôt. Cette exploration en profondeur en fait à plusieurs égards une référence du processus de création. Entre poésie et chaos cette pièce invente un monde nouveau. Elle a permis à l’artiste le redéploiement de l’invention chorégraphique, sa présentation près de trente ans plus tard en ouverture de Montpellier Danse paraît symbolique. Elle peut aussi faire écho aux ressources créatives inépuisables de la danse contemporaine à l’heure où d’aucun serait enclin à baisser les bras.

Jean-Marie Dinh

Lorsque plus rien ne sort de l’intuition, la proposition Cunningham ne manque ni d’habileté ni de mérite. N’est-ce point puiser dans le renouvellement de l’inconscient que d’ouvrir sur l’invisibilité d’un tout?? La pièce Roaratorio, présentée aux Ursulines par la Merce Cunningham compagny, c’est à peu près ça. Un tout danse qui rejoint le tout d’un festival célébré non sans ambages mais avec un certain désabusement pour son trentième printemps. De nature complexe, le spectacle d’ouverture s’avère régénérant et le pari du choix artistique apparaît une fois de plus réussi.

Voir aussi : Rubrique Danse festival 2010 Jiri Kylian, Akram Khan,

Blanche neige pas casse noisette

Preljocaj débouche sa Il n'a rien à prouver

Bien entendu, on peut contester le choix et s’abstenir. On peut aussi dénigrer le facile, honnir les couleurs et les paillettes de fin d’année et s’y rendre… On peut se réjouir en peaufinant sa tenue de soirée face au miroir du vestibule ou y aller par curiosité. Mais pourquoi enfermer un des fleurons de la création chorégraphique entre la musique de Stockhausen et les poèmes de John Cage ? Libre à lui de choisir Blanche neige.

Quand Preljocaj débouche sa « parenthèse féerique et enchantée, » il n’a rien à prouver. Et contrairement aux apparences, il ne manque pas de courage. La difficulté se présente toujours comme quelque chose à conquérir. C’est ce qui s’ouvre sur l’inconnu qui offre le plus de risques…

Angelin Preljocaj met scrupuleusement ses pas dans les traces de Grimm. Le conte s’ouvre sur la mort de la mère qui donne la vie en installant la nuit. La danse frénétique de la marâtre conclut le récit sans vraiment éclaircir l’inquiétude. Aucun segment de l’histoire n’a disparu. Ce qui produit quelques longueurs. A croire que les corps devenus objets de narration dépassent la vitesse des mots. Le chorégraphe offre sa lecture, accentue le pouvoir prédateur de la belle-mère, remplace ici ou là le chasseur par un groupe de paras, mais conserve le sens quasi sacré de l’histoire. Féminité, sexualité, obsession et rêverie fondent l’univers intemporel devenu corporel de Blanche neige.

L’association avec le romantisme de Mahler est heureuse. Quand le plateau est plein (26 danseurs), le ballet mouline un peu mais livre quelques moments d’exception. Le chorégraphe a toujours su tirer le meilleur de l’innocence. La nature angélique de Blanche neige est vibrante d’âme. Vivant ou endormi son corps parle de l’intérieur. Preljocaj n’est pas un poisson carnivore, il appartient à l’espèce des vrais créateurs.

Jean-Marie Dinh

Spectacle de la saison Montpellier Danse

Photo : JC Carbonne