Le Brésil, septième économie mondiale, est entré en récession

Un bureau de changes, le 24 août 2015 à Rio de Janeiro ( AFP / VANDERLEI ALMEIDA )

Un bureau de changes, le 24 août 2015 à Rio de Janeiro ( AFP / VANDERLEI ALMEIDA )

Le Brésil, septième puissance économique mondiale, est entré en récession au deuxième trimestre, à un moment où d’autres grands pays émergents comme la Russie et la Chine connaissent un ralentissement de leur croissance, voire une contraction de leur PIB.

C’est la première fois en six ans, depuis le premier trimestre 2009, que le Brésil se retrouve en « récession technique », qui se caractérise par deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut (PIB), a annoncé vendredi l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE, public).

Selon les prédictions des analystes, cette période de reflux devrait durer au moins deux ans.

Le PIB du Brésil, première économie d’Amérique latine, a baissé de 1,9% au deuxième trimestre, une chute supérieure à celle prévue par les analystes des banques étrangères et brésiliennes. Au premier trimestre, le produit intérieur brut avait reculé de 0,7%, a rappelé l’IBGE.

Une « forte récession » marquée par « une inflation et des taux d’intérêt en hausse » sur fond de « nécessité d’un ajustement budgétaire qui n’arrive pas. Cela affecte la confiance des investisseurs, des entrepreneurs et des consommateurs », a déclaré à l’AFP Alex Agostini, économiste chef de l’agence de notation brésilienne Austin Rating.

Le tout, a-t-il souligné, « dans une conjoncture politique assez trouble ».

Conjoncture difficile 

La présidente de gauche Dilma Rousseff, 67 ans, pâtit en effet des retombées du scandale de corruption au sein de la compagnie pétrolière publique Petrobras qui éclabousse la coalition de centre gauche au pouvoir.

Elle lutte aussi pour faire passer au Parlement un dur ajustement budgétaire qui lui coûte cher du point de vue politique, même auprès de ses partisans.

Le Brésil a enregistré en juillet un déficit budgétaire primaire de 10 milliards de réais (2,78 milliards de dollars), le plus important depuis qu’il a commencé à être calculé en 2001, a annoncé vendredi la banque centrale. Sur un an, ce déficit (calculé hors service de la dette) représente 0,89% du PIB du pays.

La popularité de Mme Rousseff a dégringolé à 8%, faisant d’elle la dirigeante du Brésil la plus impopulaire en 30 ans, moins de huit mois après sa réélection pour un second mandat de quatre ans. Certains secteurs réclament sa destitution, d’autres, très minoritaires, le retour à la dictature.

Et ce tandis que la conjoncture économique s’annonce de plus en plus difficile, l’inflation frôlant déjà les deux chiffres à 9,56% et le taux directeur de la banque centrale étant à 14,25%, son plus haut niveau en neuf ans.

Le chômage grimpe également et le réal, la monnaie nationale, s’est déprécié de 25% depuis le début de l’année.

« Au moins, nous allons mal pour une bonne cause », se console André Perfeito, du consultant Gradual Investimentos à Sao Paulo, avant d’expliquer : « Le Brésil fait un ajustement très fort pour freiner l’inflation, un ajustement à caractère récessif, qui freine la demande ».

Le Brésil n’est pas le seul 

Après une hausse spectaculaire de 7,5% du PIB en 2010 qui avait fait du Brésil un des chouchous des investisseurs au sein des pays émergents, son économie a rapidement commencé à ralentir, enregistrant une croissance de 2,7% en 2011, 1% en 2012, 2,5% en 2013 et de 0,1% seulement en 2014.

Mais le Brésil n’est pas le seul Etat membre du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) à être en difficulté.

La Russie traverse ainsi une profonde récession en raison des sanctions liées à la crise ukrainienne et de la chute des cours du pétrole, qui ont provoqué un effondrement du rouble fin 2014, pénalisant pouvoir d’achat et consommation. La chute du PIB pourrait atteindre 4% cette année, a récemment déclaré le conseiller économique du Kremlin, Andreï Belooussov.

Le ralentissement en Chine pèse par ailleurs particulièrement sur le Brésil. Ce géant asiatique est en effet son premier partenaire commercial dont il importe surtout des matières premières, comme le minerai de fer.

Une relance à court terme de l’économie brésilienne est d’ores et déjà écartée. Le marché prévoit une récession tout le long de cette année, avec une chute du PIB de 2,06%, et celle-ci se prolongerait en 2016, avec une baisse de 0,26%.

« Si cela se confirmait, ce serait le pire résultat de l’économie brésilienne au cours des 85 dernières années puisque la dernière fois que cela est arrivé, c’était en 1930-31 », note l’expert Alex Agostini.

Source : AFP 28/08/2015

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Fusion festive des univers

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Ghost Dog samedi 29 août pour la Nuit des Gangsters. Photo D.R.

Domaine d’O. Seconde semaine des Nuits d’O qui se poursuivent ce soir avec la nuit Sénégal et African jazz roots.

Après une première semaine très suivie, la deuxième vague des Nuits d’O, rencontres thématiques de la musique et du cinéma, se poursuivent au Domaine d’O à Montpellier avec trois rendez-vous de choix. Dans le cadre de la soirée Sénégal France : dès 20h on retrouve ce soir le groupe African Jazz roots, un quartet associant le jazz et la musique traditionnelle sénégalaise.

Malgré d’évidents liens historiques entre le jazz et la musique traditionnelle africaine peu de projets réunissant des musiciens occidentaux de jazz et des musiciens traditionnels africains réussissent la fusion de ces musiques… A 21h30 ce sera l’heure de  Afrik’aïoli, un long-métrage de Christian Philibert présentée en 2013 au Cinemed et sorti en salles en France l’année suivante. Jean-Marc est un « jeune retraité » : il vient tout juste de vendre son bar. Son ami Momo le convainc de partir avec lui en vacances au Sénégal. Un séjour « haut en couleur » avec partie de pêche, marabout et belles « gazelles ».

Demain même endroit même heure pour la nuit Harmonica avec Jean-Jacques Milteau’Bluezz gang’ quintet. L’harmoniciste virtuose invite quelques honorables confrères à célébrer le blues et le jazz. Sans le blues, le jazz aurait raté son entrée et sans le jazz, le blues serait resté ignoré. Le film de la soirée Le Petit Fugitif réalisé par Ray Ashley et Morris Engel, est sorti en 1953. Il raconte l’errance d’un enfant seul au milieu de la foule. Le groupe Sväng qui clôture s’approprie le répertoire finlandais qui donne un souffle nouveau à l’harmonica.

Conclusion samedi avec la Nuit des gangsters et les 17 musiciens de Amazing Keystone big band, bouillonnants spécialistes de la musique de film, l’incontournable Ghost Dog de Jarmusch et les Lyre. Un temps qui mêle swing, jazz, hip hop et electro. Le rattrapage de sommeil peu attendre un peu, non ?

JMDH

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Franck Tenaille. « On est l’écosystème des musiques du monde »

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest'A Sète

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète

Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.

Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.

Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?

Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.

La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…

Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.

En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.

Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?

Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…

Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?

Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde.  Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.

N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?

On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.

Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?

A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.

Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?

Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.

Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?

Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le  plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…

Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.

On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud

Source : La Marseillaise 10/08/2015

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« 8O% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques
du monde » photo DR

Les politiques de domination à l’origine des migrations

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En déstabilisant des régions entières par des interventions militaires, un soutien à des despotes locaux, ou tout simplement en coupant dans les subsides au développement, les dirigeants européens contribuent à nourrir les flux de migrants.

 

Ils étaient 700, mercredi, amassés sur un bateau de pêche en quête d’un refuge sur le continent européen. Seuls 367 d’entre eux ont finalement réchappé du naufrage. Les autres ont rejoint les 25?000 chercheurs d’asile morts en Méditerranée depuis vingt ans. Les survivants iront dans un des centres italiens d’accueil ou d’identification, à moins que ce soit un récif mentonnais ou un bidonville rebaptisé «jungle» du côté de Calais.

De janvier à juin, 2 865 de nos semblables, fuyant les guerres et la pauvreté, sont morts sur le chemin de leur exil. D’autres peuplent par millions d’autres bidonvilles et camps de réfugiés sur toute la planète. À une implacable majorité, c’est essentiellement dans les pays du Sud qu’ils trouvent asile. On voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène inexorable, presque naturel, dont les pays occidentaux ont à se protéger. C’est une manipulation guidée par la peur et une supposée prédominance des idées d’extrême droite dans les opinions publiques. Une manipulation qui veut surtout cacher les responsabilités. Les migrants fuient la pauvreté en Afrique, les bombardements en Afghanistan, la guerre civile en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée… Autant de guerres directement ou indirectement déclenchées, au nom de la lutte contre le terrorisme, par les pays membres de l’Union européenne et leurs alliés atlantistes. Autant de situations politiques, économiques et sociales désastreuses entretenues par une dette immonde et la réduction des efforts d’aide au développement auxquels ces mêmes pays s’étaient engagés.

Les gouvernants de l’Europe se sont révélés d’autant plus incapables, en juin, de se mettre d’accord sur l’ouverture de voies légales pour l’accueil des réfugiés ou encore sur une répartition de ces derniers entre pays membres. Chacun campe sur un égoïsme teinté de xénophobie. Les pays dits de première ligne, ceux qui ont des frontières extérieures à l’UE, ne cessent de demander la fin de la réglementation de Dublin qui contraint les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Les autres s’y refusent, France et Angleterre en tête. Au lieu de cela, l’Europe externalise sa gestion de l’asile, se barricade et militarise ses frontières, dans un criminel et vain déni de responsabilité.

1 Les guerres impérialistes déstabilisent des pays entiers

Octobre 2014, Lampedusa. L’ancienne porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini, tient l’un des propos les plus consternants sur les drames de l’immigration aux portes de l’Europe, en déclarant qu’il s’agit là d’« une guerre entre les personnes et la mer ». Poséidon plus coupable que les interventions militaires, en somme. Les Vingt-Huit portent pourtant une lourde responsabilité directe dans les flux migratoires. S’il n’existe pas de diplomatie européenne en tant que telle, l’engagement des États membres dans des conflits meurtriers au Moyen-Orient ou encore en Afghanistan depuis 2001 a ébranlé des régions entières. L’existence de régimes dictatoriaux épouvantables a servi de prétexte plus que d’argument, comme en témoigne la montée en puissance de l’« État islamique » en Syrie, ou encore en Libye où un chaos sans nom s’est substitué au despotisme de Kadhafi. Les Irakiens ne sont pas non plus épargnés.

Septembre?2001, Afghanistan. Au lendemain des attaques contre le World Trade Center, les États-Unis partent en guerre contre les talibans. Flanqués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, ils claironnent qu’ils en finiront avec ces « fous de Dieu » qui sévissent dans cette région déjà tendue de l’Asie centrale. Après quatorze ans d’occupation militaire, c’est l’impasse. Al-Qaida souffre certes de dissensions internes, mais les fondamentalistes tirent toujours les ficelles. En revanche, entre 4 et 5 millions d’Afghans ont quitté leur pays sous la menace des armes : 2,7 millions se trouvent en situation régulière au Pakistan et en Iran. Loin des 41?000 demandes à l’UE en 2014… La coalition belliciste qui s’est mise en marche, sans mandat onusien, contre Saddam Hussein en 2003, au nom d’objectifs géostratégiques et économiques autrement moins altruistes que le combat contre le despote de Bagdad, ne peut elle non plus se laver les mains. La guerre a fait près d’un demi-million de morts et les fondamentalistes sont désormais aux portes du pouvoir.

Autre exemple : la Libye. Le colonel Kadhafi, à qui l’UE avait confié l’externalisation de ses centres de rétention, est devenu l’homme à abattre. En 2011, la France s’engage aux côtés de l’Otan dans un conflit sans fond. Quatre ans plus tard, de l’avis même de Laurent Fabius, le pays est « une poudrière terroriste » qui menace toute la bande sahélo-saharienne. Deux gouvernements se déchirent le contrôle du pétrole. Impensable, mais cette zone de non-droit est l’une des principales routes de l’immigration en direction de l’Europe. Enfin, l’illustration la plus pathétique est la Syrie. Non seulement Bachar Al Assad est toujours au pouvoir, mais la coopération des démocraties européennes, à commencer par Paris, avec l’opposition syrienne, a servi les desseins des djihadistes de l’« État islamique ». Sur le plan humanitaire, c’est un désastre. Quatre ans plus tard, 4 millions de Syriens ont fui leur pays. La Jordanie en accueille un demi-million, faisant de cette présence une pression sur les ressources naturelles et énergétiques. Au Liban, le nombre d’exilés syriens représente désormais 25?% de la population.

2 Une politique de coopération en berne

Alors que les conflits, les pouvoirs autoritaires, les épidémies… contraignent les peuples de nombreux pays du continent africain et du Moyen-Orient à des conditions de vie à la limite du supportable et à l’exil, le niveau des aides financières internationales pouvant aider notamment à des redynamisations économiques est souvent en déclin. La France, en dépit du vote par le Parlement le 24 juin 2014 d’une première loi dite « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », est loin de ses engagements. Loin du rôle qu’elle pourrait jouer alors que d’autres nations européennes comme le Luxembourg, la Norvège, la Suède ou le Royaume-Uni se conforment aux préconisations de l’ONU pour verser l’équivalent de 0,7 % de leur revenu brut national.

La France, pointe l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui compte 34 pays membres et que l’on ne peut guère suspecter de s’opposer au libéralisme économique ambiant, note que le pays des droits de l’homme atteint à peine 0,36 %, en recul de 9?% d’une année sur l’autre. Ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’État en charge du développement, Annick Girardin, d’affirmer qu’avec ce nouvel arsenal législatif « la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIe siècle et promouvoir un développement durable et solidaire… ».

Ce qui pour le moins n’a pas convaincu Christian Reboul, de l’ONG Oxfam, pour qui « depuis quelques années, le gouvernement et le président de la République ont une fâcheuse tendance à annoncer des contributions importantes pour répondre aux crises, comme par exemple la crise syrienne, sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits, dont on pourrait voir la trace dans les lois de finances : les chiffres de l’aide française deviennent ainsi virtuels et incantatoires ». Oxfam s’est indignée publiquement à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, estimant que « le gouvernement trace une trajectoire déclinante de l’APD (aide publique au développement) jusqu’à la fin du mandat présidentiel en 2017 ».

Friederike Röder, directrice pour la France de l’ONG One, évoque pour sa part « une aide en baisse pour la cinquième année consécutive », et note que « l’aide aux pays les plus pauvres représente à peine un quart de l’aide totale ». Et One de pointer que dans le budget 2015 l’APD ne représente, « en dons d’argent pur et simple », que 533 millions d’euros, « un chiffre en baisse de 9 % par rapport à l’année dernière ». Le constat est hélas unanime. La France est loin d’être à la hauteur des enjeux financiers et humains…

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3 L’externalisation de l’asile légitime les dictatures

Sur les 16,7 millions de réfugiés dans le monde, seulement 15 % sont accueillis dans les pays riches, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Les autres sont abrités dans les pays du Sud. Pour les 28 pays membres de l’UE, ce déséquilibre ne doit pas être remis en cause, mais ils sont tous signataires de la convention de Genève, qui impose le principe de non-refoulement. Pour y pallier, ils ont opté, depuis les années 2000, pour « une approche internationale » du traitement des flux migratoires, introduisant le principe « d’externalisation des demandes d’asile » quitte, parfois, à collaborer avec des pays pour le moins douteux du point de vue du respect des droits de l’homme. Dès 2004, l’agence Frontex a commencé à collaborer tous azimuts pour l’identification et le contrôle des migrants. En septembre 2005, l’idée est officiellement avancée par la Commission européenne de créer des « zones régionales de protection » à proximité des lieux de départ des exilés, prétextant que cela « semble moins coûteux que l’accueil dans des centres de réfugiés installés dans des pays membres de l’UE ». Puis, en 2006, s’enclenche le « processus de Rabat », qui impose aux pays nord-africains, notamment le Maroc, de faire la police aux frontières de l’UE en empêchant les migrants de quitter leur territoire.

Les Vingt-Huit sont allés encore plus loin, en novembre 2014, en signant les accords de Khartoum, se souciant peu des dictateurs et des régimes collaborant aux trafics d’êtres humains. Il a été ratifié avec Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud Soudan et l’Érythrée et prévoit « de mettre en place une coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Peu avant, au mois d’avril, le 11e fonds européen pour le développement décidait d’accorder, pour six ans, 312 millions d’euros à l’Érythrée pour endiguer la fuite de ses habitants. « Que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons », avait alors tenté de se justifier Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de suivre le processus de Khartoum. À la suite de la disparition de 700 personnes lors du naufrage d’avril dernier, la Commission européenne a, par ailleurs, repris, le 13 mai, une idée avancée plus tôt dans le cadre des discussions sur ces mêmes accords. On ouvrira donc, avant la fin de l’année, un « centre multifonction », au Niger, pour identifier et trier les migrants. Des personnes interceptées dans les eaux libyennes pourraient directement y être conduites. De nombreuses voix ont immédiatement dénoncé la création de centres de concentration au cœur de l’Afrique, sans garantie de respect de la dignité et des droits humains.

Cathy Ceïbe, Gérald Rossi et Émilien Urbach

Source : L’Humanité 07/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Politique de l’Immigration, UE,

Les Ambassadeurs sur les rails de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest

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Festival. Salif Keita reforme le groupe mythique malien Les Ambassadeurs pour un soir de feu à Fiest’A Sète.

C’est un concert historique que nous a offert mardi le festival Fiest’A Sète avec la soirée Africa évolution ! Et pour une fois, l’adjectif historique tendant assez couramment à exprimer nos satisfactions pour un spectacle, n’est pas dévoyé.

Après la prestation de Vaudou Game portée par le talentueux togolais Peter Solo dont la formation a chauffé la scène, sans pour autant établir l’ordre hystérique que requiert la vénération des génies et esprits ancestraux, l’arrivée des Ambassadeurs a produit le choc émotionnel que le public averti et populaire de Fiest’A Sète était venu trouver.

La reformation exceptionnelle des Ambassadeurs (nés en 1970) par le chanteur et artisan de la paix Salif Keita, a produit un de ces moments qui restent le rare apanage des grandes rencontres. A ses côtés, le virtuose du clavier Cheick Tidiane Seck, complice de Charlie Parker et de John Coltrane, entre autres, éclaire la scène de son sourire généreux tandis que ses doigts volent sur le clavier.

La guitare rythmique imperturbable d’Idrisse Soumaoro, et celle du Guinéen Ousmane Kouyaté l’un des plus célèbres guitaristes (et joueur de balafon) de l’Empire Mandingue font des miracles, alliées à la technique de frappe précise et détachée du percussionniste elles puisent dans le temps pour faire ressentir la raison d’être de la musique. Avec un sourire impayable, celui-ci confie à sa sortie de scène qu’il n’avait pas joué depuis trente ans. L’ensemble accueillait pour l’occasion de plus jeunes, et grands musiciens, comme Amadou Bagayoko autres ambassadeurs (du Programme Alimentaire Mondial), avec sa compagne Mariam.

La plupart des grands messieurs de la première génération présents mardi à Sète, ont fait leurs classes musicales à l’Institut National des Arts de Bamako, avant de rejoindre au début des années 70 le mythique Super Rail Band du buffet de la gare de Bamako, haut lieu de rencontre sur l’unique voies ferrées reliant Dakar à Bamako.

Instrument de la colonisation, le train sera aussi une ligne de résistance, avait souligné, un peu plus tôt à la médiathèque de Sète, Franck Tenaille lors d’une remarquable Tchaches musicales sur les années de l’indépendance. Dans les années 60, l’Afrique musicale précède l’Afrique politique Le Super Rail Band  fera notamment connaître les chanteurs Salif Keïta et Mory Kante. Les Ambassadeurs y ont vu le jour avec la mission d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation.

Quarante cinq ans plus tard, la situation politique reste trouble au Mali et la musique demeure attachée aux valeurs de l’espoir qu’elle sait partager.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 06/08/2015

Voir aussi : rubrique Afrique, Mali, Parole et voix de l’ambassadrice Traoré, rubrique Musique, rubrique Festival,