La France encore condamnée sur l’eau, un secteur sous la coupe d’un lobby

Dessin "Réveil citoyen" Titom

La France a été de nouveau condamnée par la justice européenne à cause de son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux. C’est la cinquième condamnation ! Une situation dont est responsable le “lobby de l’eau” que dénonce dans son nouveau livre le spécialiste Marc Laimé.


La France a de nouveau été condamnée ce jeudi 4 septembre par la justice européenne pour manquement à ses obligations de lutte contre la pollution aux nitrates. « Cette décision est regrettable mais justifiée. C’est la cinquième fois que la France est condamnée par l’Europe pour non respect de réglementation, après des condamnations en 2001, 2004, 2008 et 2013. Elle a également été condamnée par les juridictions administratives françaises comme en 2009 par la Cour administrative d’appel de Nantes », rappelle Marc Laimé, spécialiste de l’eau. Il vient de publier Le lobby de l’eau.

Cette condamnation est d’autant plus consternante que Paris risque de surcroit une amende forfaitaire d’une trentaine de millions d’euros plus des astreintes journalières jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. La justice européenne menace en effet de prononcer un deuxième arrêt dans les prochains mois si la France ne redresse pas la situation. “Et ce seront au final les usagers de l’eau qui régleront l’addition”, déplore Marc Laimé.

Cette fois-ci, la Cour a retenu six motifs de condamnation, concernant les effluents d’élevages mais aussi les épandages d’engrais minéraux. Un motif concerne les notions fondamentales de respect de l’équilibre de la fertilisation, et de calcul des quantités réellement apportées aux parcelles.

En effet, explique M. Laimé, la réglementation française mise en cause aujourd’hui ne veille pas à ce que les agriculteurs et les autorités de contrôle soient en mesure de calculer correctement la quantité d’azote pouvant être épandue afin de garantir l’équilibre de la fertilisation.

« Il n’y aura pas de réponse réglementaire solide sans une réponse agronomique et politique forte pour faire émerger un nouveau modèle agricole durable et non polluant. Or le résultat de l’action du lobby de l’eau est que la politique de l’eau se décide en France au ministère de l’Agriculture et non pas à celui de l’Ecologie », se désole-t-il.

Un marché de vingt-trois milliards d’euros annuels

Le dernier livre de Marc Laimé s’attaque au lobby qui a fait main basse sur la gestion de l’eau en France, un marché qui génère vingt-trois milliards d’euros chaque année. « On peut mettre un nom et une photo sur chacun des membres de ce lobby. Ce ne sont pas des individus en costard-cravate qui passent leur temps dans les grands restaurants avec des députés ou des sénateurs mais des professionnels qui siègent dans toutes les instances officielles de la gestion de l’eau », explique à Reporterre l’ancien journaliste (Marc Laimé. Il a travaillé pour Le Canard Enchaîné ou L’Usine nouvelle), et est désormais consultant en eau et assainissement pour les collectivités locales. A ce titre, il est en prise quotidiennement avec le lobby de l’eau français dont il est devenu l’une des bêtes noires.

Un lobby omniprésent

arton14-d6872-7ea13Qui sont les membres de ce lobby ? Une petite centaine de personnes, hommes politiques, hauts-fonctionnaires, associatifs, représentants de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie et des grands organismes de recherche spécialisés, installés à l’intérieur du système et omniprésents.

D’abord les élus, car il en faut pour prendre la direction des Comités de bassins et de diverses commissions. Marc Laimé les appelle dans son livre des « demi-solde » de la politique car ce sont quasiment tous des inconnus au niveau national (le seul d’entre eux à avoir une certaine notoriété est André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux).

« Le lobby compte une vingtaine d’élus de tous bords qui ont été co-optés à un moment de leur carrière et ont érigé le conflit d’intérêt en mode de gouvernance », dénonce-t-il. Ces « barons » de l’eau multiplient les casquettes. C’est ainsi qu’ils peuvent faire voter des budgets d’institutions publiques qu’ils dirigent en faveur d’entités privées dans lesquelles ils siègent.

Ces élus ont fait alliance avec les représentants de deux grands corps de l’Etat issus de l’ENGREF (Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts) et des Ponts-et-Chaussées. Ces hauts-fonctionnaires « trustent » tous les postes de décision dans les six ou sept ministères concernés (à commencer par celui de l’Agriculture où se décide la politique de l’eau en France) puis dans les services concernés de l’Etat (les DREAL, DRIRE et autres DDTM ou MISEN).

On retrouve ensuite ce que Marc Laimé appelle les « porteurs d’intérêt » des secteurs de l’agriculture, de l’industrie et leurs fédérations professionnelles, dont évidemment la FNSEA et Veolia, Suez et Saur. Puis viennent les représentants des grands organismes de recherche comme l’OIE (Office international de l’eau) ou le BRGM (Bureau de recherche géologiques et minières) qui prennent de plus en plus d’importance car, selon le livre, on assiste à un détournement progressif de la recherche publique pour des intérêts privés.

Marc Laimé explique au fil des quatre-cents pages l’alliance qui s’est nouée et renforcée entre tous les acteurs du lobby depuis que la France, au début des années soixante, a organisé la gestion de ses eaux par bassins versants, via six Agences de l’eau. « Ce modèle de gestion a fait école dans le monde entier, mais ses dérives constituent aujourd’hui le frein majeur aux réformes indispensables à ce système à bout de souffle », constate-t-il.

L’absence de tout contrôle démocratique

Son ouvrage n’est pas un livre de plus sur les ententes sur le marché de la distribution et la position dominante de Veolia ou de Suez. Il analyse les causes structurelles qui ont conduit à l’impasse qu’il décrit. « L’action de ce lobby a fait que la gestion de l’eau a graduellement échappé à tout contrôle démocratique. C’est d’ailleurs la seule politique publique financée par l’impôt qui ne fasse l’objet d’aucun contrôle ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Le résultat est sidérant : on ne connaît ce que coûte la gestion de l’eau dans notre pays qu’à deux milliards d’euros près ! »

Pour appuyer sa démonstration et achever de convaincre de l’impuissance des politiques face à la machine bureaucratique contrôlé par le lobby, Marc Laimé relate en détail comment la ministre de l’Ecologie Delphine Batho (vite limogée et remplacé par Philippe Martin qui a abandonné toute velléité de réforme) s’est vu empêchée d’engager tout changement.

« Le lobby a fait systématiquement obstacle à toute mesure pouvant s’apparenter à une remise en cause non seulement de la politique de l’eau mais surtout des politiques agricoles qui sont un désastre pour la qualité de l’eau ».

Son récit est d’autant plus passionnant et bien étayé qu’il a participé avant et pendant la campagne électorale de François Hollande à un « think tank » interne au PS sur les problèmes que connaît la gestion de l’eau en France et les réformes à conduire.

En fait l’histoire ne fait que bégayer. Le lobby de l’eau avait agi de la même façon pour procéder à l’enterrement de la loi Voynet en 2002. Le retour de la gauche au pouvoir en 2012 aurait pu laisser croire à des réformes, aussi urgentes qu’indispensables. « Il n’en a rien été, et c’est même pire », se désole Marc Laimé.

Philippe Desfilhes

 Le lobby de l’eau, Marc Laimé, François Bourin Editions, 408 pages, 26 €.


Source : Reporterre 05/09/14

Voir aussi : Rubrique Ecologie, Face au lobby nucléaire Ségolène capitule en rase campagne, rubrique Livre, essais,

La Syrie est bel et bien notre guerre d’Espagne : relire Orwell

cata2-1938

filiu_400Les analyses sans concession que j’ai publiées au fil des mois sur la révolution syrienne m’ont amené des réactions contrastées en termes positifs ou négatifs. Mais aucun de ces textes n’a suscité autant d’hostilité que ma mise en perspective du conflit syrien à la lumière de la guerre d’Espagne.

En avril 2013, j’ai tenté, dans les colonnes du Monde, de dresser un parallèle entre, d’une part, l’Espagne de Franco soutenue par l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini et, d’autre part, la Syrie d’Assad appuyée par la Russie de Poutine et l’Iran de Khamenei. Quant je parle d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie en 1936-39, de Syrie, de Russie et d’Iran en 2011-2014, je ne parle pas des peuples de ces extraordinaires pays, mais des régimes despotiques qui en ont accaparé le devenir et les ressources.

Deux triades des dictatures

Face à cette triade des dictatures, active alors comme aujourd’hui, je mettais et je mets en exergue la résistance, alors du peuple espagnol, aujourd’hui du peuple syrien, déterminé une fois pour toutes à reprendre son destin en mains. Mais je soulignais et je souligne que cette révolution avait et a pour ennemi mortel les visées totalitaires des forces arrivées soi-disant pour la secourir, les staliniens dans l’Espagne républicaine, les jihadistes dans la Syrie soulevée contre Assad.

Que n’ai-je pas entendu pour avoir osé associer une partie de la geste « progressiste » européenne à ceux que de distingués intellectuels considèrent toujours comme des Arabes englués dans leurs querelles d’Arabes ! J’avais en effet brisé un tabou, celui du caractère exemplaire, et par définition exclusif, de notre « progrès » lorsque est en jeu la libération de peuples qui ne sont pas censés partager nos « valeurs ». Bel aveu de refus d’universalité des dites « valeurs », mais passons…

Les liens intimes de ma famille avec l’Espagne et ma haine aussi profonde du fascisme que du stalinisme m’ont préservé de la vision « sulpicienne » de la guerre d’Espagne. Ce conflit fut un épouvantable carnage, mais c’est du côté de la République qu’il fallait se tenir, quelles que soient les horreurs, et elle furent nombreuses, perpétrées en son nom. Et les franquistes avaient une indéniable base sociale, même si c’est au nom du peuple, et du peuple seul, qu’ont combattu et qu’ont été vaincus les Républicains.

Si j’invoquais au printemps 2013 les références de la guerre d’Espagne, c’est parce que la non-intervention prônée par le Front populaire en 1936 n’avait sauvé ni la République en Espagne, ni la paix en Europe. Après trois années à prôner l’abandon du peuple syrien, de crainte que les djihadistes n’en tirent profit, nous avons aujourd’hui contribué à nourrir le monstre djihadiste à l’ombre du monstre de la dictature d’Assad. Et ce monstre ne va pas éternellement rester contenu au Moyen-Orient.

« Hommage à la Catalogne »

Plutôt que les fresques héroïsantes de Malraux et d’Hemingway, toutes deux grands succès de librairie à leur sortie (« L’Espoir » en 1937, « Pour qui sonne le glas » en 1940), je préfère me replonger dans la guerre d’Espagne en compagnie d’Orwell.

Son « Hommage à la Catalogne » ne fut édité qu’à titre confidentiel en 1938 (dix-sept ans plus tard pour la version française), mais il reste pourtant inégalé dans sa description de l’exaltation populaire, du désordre milicien et de la volonté farouche qui firent de Barcelone en 1936-37 le bastion de la résistance au fascisme et au stalinisme.

Orwell, se confiant à Koestler, méditait sur le tournant essentiel de la guerre d’Espagne :

« En Espagne pour la première fois, je vis des articles de journaux qui n’avaient absolument aucun rapport avec la réalité des faits, pas même ce type de relation que conserve encore un mensonge ordinaire. Et je vis des journaux de Londres colporter ces mensonges, et des intellectuels zélés édifier toute une superstructure d’émotions sur des événements qui ne s’étaient jamais produits. Je vis en fait l’Histoire qui s’écrivait non pas suivant ce qui s’était passé, mais suivant ce qui aurait dû se passer, selon les diverses lignes officielles ».

Depuis 2011, on ne compte plus les journalistes assassinés, enlevés et blessés en Syrie. Pourtant, combien d’articles n’ont-ils pas été écrits sur la base de contre-vérités manifestes, de négation des massacres perpétrés à l’encontre du peuple syrien, de divagations dérivées de tel ou tel service de « renseignement ». Quant aux « intellectuels zélés » qui ont glosé sur la base de ces infamies, je les laisse à leur enfer personnel.

« Socialisme signifie justice et liberté »

Ecoutons encore une fois Orwell à l’heure où le débat fait de nouveau rage pour savoir s’il est « bien » ou « mal » d’intervenir en Syrie :

« La plupart d’entre nous persistent à croire que tous les choix, et même les choix politiques, se font entre le bien et le mal et que, du moment qu’une chose est nécessaire, elle doit aussi être bonne. Il nous faudrait, je pense, dépouiller cette croyance qui relève du jardin d’enfants. La guerre, par exemple, est parfois nécessaire, mais elle ne saurait être ni bonne, ni sensée. »

Orwell était libre, passionnément libre, et son exigence de justice et de liberté s’appelait « socialisme ». En Syrie, la même exigence de justice et de liberté, envers et contre tout, peut se parer d’autres couleurs, elle n’en demeure pas moins éminemment digne de respect et de soutien. Que chacun agisse selon sa conscience, avec le dernier mot à Orwell l’indémodable.

« Socialisme signifie précisément justice et liberté, une fois qu’on l’a débarrassé de toutes les sottises qui l’encombrent. C’est sur ces valeurs essentielles et sur elles seules que nous devons fixer notre attention. Rejeter le socialisme simplement parce que tant de socialistes, individuellement, sont des gens lamentables, serait aussi absurde que de refuser de voyager en chemin de fer parce qu’on n’aime pas la figure du contrôleur. »

Tant pis pour la tronche du contrôleur, je persiste et signe : la Syrie est notre guerre d’Espagne.

Source Blog de Rue 89 : 01/09/2014
* Professeur à Sciences-Po (Paris), après avoir enseigné dans les universités américaines de Columbia (New York) et de Georgetown (Washington).
Voir aussi : Rubrique Politique internationale, Rubrique Société, Opinion, Rubrique Livre, Orwell un cran à gauche,

La contestation de l’austérité au cœur de la crise politique

Manifestants contre le chômage et l'austérité à Marseille, le 12 avril 2014 (Photo Bertrand Langlois. AFP)

Manifestants contre le chômage et l’austérité à Marseille, le 12 avril 2014 (Photo Bertrand Langlois. AFP)

Vivant depuis plusieurs années, le débat sur un changement de politique s’étend à mesure que se confirme le marasme français et européen. Et a provoqué le remaniement.

Particulièrement vif depuis les défaites électorales de la majorité au printemps, le débat sur l’austérité vient de prendre une nouvelle ampleur en provoquant directement la démission du gouvernement. A la différence du dernier en date, le remaniement à venir vise en effet, selon les mots de l’Elysée, à mettre la nouvelle équipe «en cohérence avec les orientations» économiques de François Hollande — fortement contestée dimanche par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon.

Dès juillet 2013, cependant, la ministre de l’Environnement Delphine Batho avait été débarquée pour avoir protesté contre la baisse des crédits de son ministère. «C’est un mauvais budget», avait-elle estimé, faisant le procès de la rigueur. En mars 2014, les ministres écologistes Cécile Duflot et Pascal Canfin refusaient, pour des raisons similaires, d’intégrer le nouveau gouvernement formé par Manuel Valls. A l’Assemblée, les défaites de la majorité aux municipales, puis aux européennes, ont poussé plusieurs dizaines de députés «frondeurs» à réclamer un changement de politique économique, et à menacer le gouvernement de lui retirer leur soutien.

D’autres partis de gauche, tels que le PCF et le PG, ainsi que des syndicats de salariés contestent aussi de longue date les politiques d’austérité. Le 12 avril 2014, entre 25000 et 100 000 personnes ont défilé à Paris en ce sens.

Le débat n’est pas né d’hier non plus dans les milieux économiques : de nombreux spécialistes — par exemple le collectif des «économistes atterrés» — pointent depuis longtemps les risques de l’austérité appliquée simultanément dans les pays de la zone euro. Aux Etats-Unis, le prix Nobel d’Economie Paul Krugman fustige régulièrement cette stratégie, notamment sur son blog. Là encore, pourtant, la contestation est allée s’amplifiant, à mesure que se précisait le risque d’une déflation dévastatrice pour le Vieux continent.

«L’Europe risque réellement d’être confrontée au phénomène qu’a connu le Japon : une lente érosion des prix s’accompagnant d’une croissance durablement faible, a dit Christopher Sims, lui aussi Nobel d’économie, dans une interview au Monde, le 23 août. Le problème est que la Banque centrale européenne […] se dit prête à mener, si nécessaire, une politique monétariste expansionniste. Mais il y a de tels doutes sur cette politique à l’intérieur des Etats membres qu’il n’est pas sûr qu’elle puisse tenir cet engagement». Un troisième prix Nobel, Peter Diamond, a pour sa part jugé que «les historiens enduiront de goudron et de plumes les membres de la BCE».

De même, dans un féroce éditorial publié mi-août, le New York Times s’en prenait aux «politiques erronées que les dirigeants européens s’obstinent à poursuivre, en dépit de toutes les preuves qu’il s’agit de mauvais remèdes». Une critique qui s’appuie sur de dernières statistiques particulièrement inquiétantes. La croissance française promet ainsi d’être atone en 2014, sur fond de chômage en hausse. Et la comparaison des taux de croissance américain et européen depuis 2008 est cruelle :

Malgré ce contexte, François Hollande et Manuel Valls ont tranché contre un changement de politique, jugeant que les mesures adoptées depuis 2012 n’ont pas encore produit leurs effets. Et chargeant l’Europe d’adopter les nécessaires mesures de croissance. De quoi faire prospérer un débat qui menace de dégénérer en crise politique.

Dominique Albertini 

Source Libération 25/08/14

Voir aussi : Rubrique Actualité Nationale, rubrique Politique, Politique économique,

Séville la féroce sous l’oeil de ses artistes

WEB-Jabi-machado

Une Séville au-delà des stéréotypes. photo Dr

Exposition. Quarante artistes andalous dressent le portrait de leur ville en marge de « l’appareil muséal ».  Fin de fiesta à Séville  au Miam à Sète tout l’été.

Après les expositions consacrées à Manille et Mexico, le MIAM  (Musée des arts modestes) fondé par Hervé Di Rosa poursuit son exploration des grandes capitales culturelles en restant fidèle à son approche qui mêle cultures savantes, modestes et populaires pour ouvrir en grand l’accès au monde de l’art.

Cet été le MIAM redessine les contours de la capitale de la communauté autonome d’Andalousie à partir de ses créateurs contemporains. Sous le commissariat de l’artiste peintre Curro Gonzalez illustre représentant sévillan de la génération des années 80, période d’explosion du monde artistique qui accompagne la transition politique vers la démocratie.

Chimpanzé aux castagnettes

Fin de fiesta à Séville fait découvrir à un large public près d’une quarantaine d’artistes de renommée nationale et internationale. Du chimpanzé à castagnettes de Jabi Machado à la femme qui fume au lit avec un toro de Pilar Albarracin, en passant par les terres cuites à l’arsenic d’Anna Jonsson le parcours revisite la gloire et la splendeur de Séville.

On songe à la tournure spéciale qu’a pu prendre l’art contemporain en Espagne. Pays où les circonstances politiques exceptionnelles, qui maintinrent la monarchie dans une situation d’isolement prolongé, ont accentué les contrastes. Ce marquage torride s’accentue encore pour les artistes sévillans dont la ville au passé prestigieux, a légué un patrimoine artistique d’une immense richesse.

Vitalité créative

Parce qu’elle évoque la réalité, populaire et sans fard, l’expo met à mal l’auréole d’un certain prestige celui de son histoire glorieuse surexploitée par l’économie touristique, les fêtes traditionnelles et toutes ces Carmens dans leurs robes à pois mais aussi sa modernité de façade. Celle de son développement urbain sans âme pour accueillir devises et visiteurs d’Expositions universelles.

Maria Canas qui qualifie son travaille de « vidéomachie », monte un puzzle corrosif des quartiers pauvres «Le meilleur endroit du monde pour mourir» selon un de ses habitants. Joan Rodriguez filme la ferveur, le sang et les larmes de la semaine sainte. Antonio Sosa entoure ses Christs de vie quotidienne.

Tous les artistes se libèrent le cœur et l’esprit sans renier leur attachement à la grande Séville.Tous assument l’héritage mais parviennent à le dépasser, dans une fougue et une vitalité créative salvatrice. Leurs oeuvres, comblées de mémoire vivante, préservent une âme espagnole magnifiée par le mouvement de ceux qui y vivent avec une sensualité certaine.

Jean-Marie Dinh

Fin de fiesta à Séville au MIAM à Sète jusqu’au 21 septembre.

Source : L’Hérault du Jour 18/08/14

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Espagne,

Politique économique : le changement c’est (vraiment) maintenant

La politique économique de la France, enjeu central de cette rentrée | Reuters / Philippe Wojazer

La politique économique de la France, enjeu central de cette rentrée | Reuters / Philippe Wojazer

Au second trimestre 2014, l’Italie est entrée de nouveau en récession et l’activité a stagné en France mais cela a aussi été le cas en Allemagne : les trois principales économies de la zone euro sont à l’arrêt. Toute la zone euro est désormais menacée par la déflation et une stagnation prolongée comme le Japon des années 1990. Six ans après la faillite de Lehman Brothers, Il est plus que temps de prendre (enfin) acte de l’échec total des politiques anticrises engagées en Europe. Depuis 2012, François Hollande a annoncé à maintes reprises sa volonté de réorienter ces politiques, sans jamais passer à l’acte pour l’instant. S’il ne se décide pas à engager enfin cette bataille, c’est la démocratie et l’intégration européenne qui risquent d’être mises à bas.

UN DÉCALAGE USA-EUROPE ABSURDE

Il faut d’abord prendre toute la mesure de l’absurdité de la situation actuelle. Cette crise a été déclenchée par une dérégulation financière particulièrement hasardeuse et les déséquilibres macroéconomiques massifs accumulés outre Atlantique. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont certes très loin d’être tirés d’affaire mais leur économie est repartie : leur PIB devrait excéder cette année de près de 10 % celui de 2008 et le nombre d’emplois proposés aux Américains s’est accru de 1,2 millions depuis lors. A contrario, le PIB de la zone euro n’a toujours pas rattrapé son niveau de 2008 et nous avons perdu 4,8 millions d’emplois en six ans. C’est bien simple : en 2008, la zone euro comptait 3,6 millions d’emplois de plus que les Etats Unis, elle en a désormais 2,4 millions de moins. Pourtant, il n’existe guère d’autre explication que l’obstination dans l’erreur des Européens pour expliquer une telle différence entre les Etats Unis et la zone euro.

Que faire face à ce constat d’échec massif que (presque) plus personne ne conteste ? François Hollande demandait, le 4 aout dernier dans le Monde, à Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), d’injecter davantage d’argent dans le circuit économique. La BCE a pourtant déjà ramené ses taux d’intérêt à 0,15% seulement. Elle a imposé également aux banques une pénalité de 0,1 % sur les dépôts qu’elles laissent chez elle, afin de les inciter à prêter davantage. Elle leur a également déjà fait crédit de mille milliards d’euros à des taux d’intérêt défiant toute concurrence. Contrairement à ce que de nombreux européens croient, elle a injecté en fait à peu près autant d’argent dans le circuit économique que la réserve fédérale américaine. Certes, elle pourrait faire davantage encore et elle devrait d’ailleurs injecter de nouveau 400 milliards d’euros dans l’économie à l’automne. Mais, dans la durée, une telle politique est difficilement défendable : elle consiste en effet à subventionner grassement sur fonds publics le secteur financier… Or cette politique n’est pas non plus très efficace ni sans risques sur le plan économique : dans la mesure où ménages et entreprises restent asphyxiés par une austérité excessive, ils ne font usage que de façon très limitée de cet argent qui coule à flot. Et cette politique monétaire laxiste a surtout pour effet de gonfler à nouveau des bulles spéculatives.

L’EURO SURÉVALUÉ ? PAS ÉVIDENT AVEC 200 MILLIARDS D’EXCÉDENTS

François Hollande souhaitait également faire baisser le taux de change de l’euro. L’euro cher est certes un facteur majeur de déflation puisque les prix des produits importés tendent à diminuer. Mais la zone euro dégage pour l’instant plus de 200 milliards d’euros d’excédents extérieurs par an, soit 2 % de son PIB : difficile dans ces conditions de considérer que la monnaie unique serait surévaluée puisque la baisse de l’euro aurait inévitablement pour conséquence d’augmenter encore cet excédent déjà considérable. Et nos partenaires extérieurs auraient beau jeu de dénoncer, et de combattre, une politique prédatrice de la zone euro vis-à-vis du reste du monde.

Le fond de l’affaire est ailleurs et par voie de conséquences les solutions aussi. S’il y a risque de déflation en Europe c’est d’abord parce que, tous les gouvernements européens, et au premier chef désormais le gouvernement français, mènent eux-mêmes des politiques déflationnistes. Ils ont tous adoptés des politiques budgétaires très restrictives malgré la faiblesse de l’activité. Celles-ci ont non seulement pour conséquence de freiner encore cette activité mais aussi, de ce fait, d’empêcher en réalité le désendettement des Etats : au premier trimestre 2014 un nouveau record de dettes publiques a été battu dans la zone euro et cette dette devrait encore s’accroître, au bas mot, de 320 milliards d’euros cette année. Tandis qu’en France le déficit de l’Etat était, fin juin, de 59,4 milliards d’euros contre 59,3 milliards un an plutôt malgré la hausse des taux de prélèvements et une baisse sensible des dépenses. Quels résultats extraordinaires…

LE MOINS DISANT SOCIAL SOURCE DE DÉFLATION

Mais ce qui nous mène surtout à la déflation, ce sont les politiques des gouvernements européens en matière de coût du travail : ils veulent tous le faire baisser. En théorie pour améliorer la compétitivité de leur économie nationale, mais comme tous leurs voisins font de même, les bénéfices sont en réalité très limités sur ce plan. En revanche l’effet dépressif sur la demande intérieure est, lui, massif puisque le coût du travail c’est aussi le revenu des travailleurs et celui de leur famille via la protection sociale : les ménages ne consomment et n’investissent plus et en conséquence, les entreprises non plus, malgré des profits qui remontent et des taux d’intérêt très bas. Fin 2013, la demande intérieure affichait ainsi un déficit de 370 milliards dans la zone euro par rapport à 2008, une baisse de 4,5 %. Jusqu’ici, la France avait plutôt résisté à s’engager dans cette spirale du moins disant social, mais avec le pacte de responsabilité ce n’est plus le cas : celui-ci est en effet très explicitement et massivement un pacte de déflation.

Pour éviter une stagnation à la japonaise, ce sont donc avant tout ces politiques budgétaires et du coût du travail qu’il faut infléchir d’urgence. Aucune chance compte tenu de la psychorigidité de nos voisins allemands ? Pas sûr. Les Allemands eux-mêmes, dont les exportations hors zone euro sont menacées par la crise ukrainienne et le ralentissement chinois, commencent (enfin) à prendre la mesure des dégâts sur le vieux continent. Sur un plan économique mais aussi sur un plan plus politique avec notamment la montée du Front national qui les inquiète (à juste titre) beaucoup. La meilleure preuve en a été apportée le 30 Juillet dernier par Jens Weidmann, le faucon des faucons de l’austérité qui préside la Bundesbank : il a plaidé pour des hausses de salaire plus importantes en Allemagne ! De plus, en Italie, l’arrivée aux affaires de Matteo Renzi, offre une opportunité d’alliance nouvelle avec les dirigeants de la troisième économie de la zone euro pour bousculer la donne européenne. Depuis 2012, il n’a certes échappé à personne que François Hollande n’avait manifestement aucune intention de prendre des initiatives un tant soit peu ambitieuses au niveau européen. S’il ne se fait pas violence sur ce terrain, il risque fort cependant de finir dans les livres d’histoire au même rayon que Guy Mollet, son peu glorieux prédécesseur à la tête du Parti socialiste.

Guillaume Duval (Rédacteur en chef d’Alternatives économiques)

Source Le Monde.fr

Voir aussi : Rubrique Actualité internationale, rubrique Politique économique, Le monde enchanté de François Hollande, rubrique Finance, rubrique UE,