La France encore condamnée sur l’eau, un secteur sous la coupe d’un lobby

Dessin "Réveil citoyen" Titom

La France a été de nouveau condamnée par la justice européenne à cause de son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux. C’est la cinquième condamnation ! Une situation dont est responsable le “lobby de l’eau” que dénonce dans son nouveau livre le spécialiste Marc Laimé.


La France a de nouveau été condamnée ce jeudi 4 septembre par la justice européenne pour manquement à ses obligations de lutte contre la pollution aux nitrates. « Cette décision est regrettable mais justifiée. C’est la cinquième fois que la France est condamnée par l’Europe pour non respect de réglementation, après des condamnations en 2001, 2004, 2008 et 2013. Elle a également été condamnée par les juridictions administratives françaises comme en 2009 par la Cour administrative d’appel de Nantes », rappelle Marc Laimé, spécialiste de l’eau. Il vient de publier Le lobby de l’eau.

Cette condamnation est d’autant plus consternante que Paris risque de surcroit une amende forfaitaire d’une trentaine de millions d’euros plus des astreintes journalières jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. La justice européenne menace en effet de prononcer un deuxième arrêt dans les prochains mois si la France ne redresse pas la situation. “Et ce seront au final les usagers de l’eau qui régleront l’addition”, déplore Marc Laimé.

Cette fois-ci, la Cour a retenu six motifs de condamnation, concernant les effluents d’élevages mais aussi les épandages d’engrais minéraux. Un motif concerne les notions fondamentales de respect de l’équilibre de la fertilisation, et de calcul des quantités réellement apportées aux parcelles.

En effet, explique M. Laimé, la réglementation française mise en cause aujourd’hui ne veille pas à ce que les agriculteurs et les autorités de contrôle soient en mesure de calculer correctement la quantité d’azote pouvant être épandue afin de garantir l’équilibre de la fertilisation.

« Il n’y aura pas de réponse réglementaire solide sans une réponse agronomique et politique forte pour faire émerger un nouveau modèle agricole durable et non polluant. Or le résultat de l’action du lobby de l’eau est que la politique de l’eau se décide en France au ministère de l’Agriculture et non pas à celui de l’Ecologie », se désole-t-il.

Un marché de vingt-trois milliards d’euros annuels

Le dernier livre de Marc Laimé s’attaque au lobby qui a fait main basse sur la gestion de l’eau en France, un marché qui génère vingt-trois milliards d’euros chaque année. « On peut mettre un nom et une photo sur chacun des membres de ce lobby. Ce ne sont pas des individus en costard-cravate qui passent leur temps dans les grands restaurants avec des députés ou des sénateurs mais des professionnels qui siègent dans toutes les instances officielles de la gestion de l’eau », explique à Reporterre l’ancien journaliste (Marc Laimé. Il a travaillé pour Le Canard Enchaîné ou L’Usine nouvelle), et est désormais consultant en eau et assainissement pour les collectivités locales. A ce titre, il est en prise quotidiennement avec le lobby de l’eau français dont il est devenu l’une des bêtes noires.

Un lobby omniprésent

arton14-d6872-7ea13Qui sont les membres de ce lobby ? Une petite centaine de personnes, hommes politiques, hauts-fonctionnaires, associatifs, représentants de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie et des grands organismes de recherche spécialisés, installés à l’intérieur du système et omniprésents.

D’abord les élus, car il en faut pour prendre la direction des Comités de bassins et de diverses commissions. Marc Laimé les appelle dans son livre des « demi-solde » de la politique car ce sont quasiment tous des inconnus au niveau national (le seul d’entre eux à avoir une certaine notoriété est André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux).

« Le lobby compte une vingtaine d’élus de tous bords qui ont été co-optés à un moment de leur carrière et ont érigé le conflit d’intérêt en mode de gouvernance », dénonce-t-il. Ces « barons » de l’eau multiplient les casquettes. C’est ainsi qu’ils peuvent faire voter des budgets d’institutions publiques qu’ils dirigent en faveur d’entités privées dans lesquelles ils siègent.

Ces élus ont fait alliance avec les représentants de deux grands corps de l’Etat issus de l’ENGREF (Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts) et des Ponts-et-Chaussées. Ces hauts-fonctionnaires « trustent » tous les postes de décision dans les six ou sept ministères concernés (à commencer par celui de l’Agriculture où se décide la politique de l’eau en France) puis dans les services concernés de l’Etat (les DREAL, DRIRE et autres DDTM ou MISEN).

On retrouve ensuite ce que Marc Laimé appelle les « porteurs d’intérêt » des secteurs de l’agriculture, de l’industrie et leurs fédérations professionnelles, dont évidemment la FNSEA et Veolia, Suez et Saur. Puis viennent les représentants des grands organismes de recherche comme l’OIE (Office international de l’eau) ou le BRGM (Bureau de recherche géologiques et minières) qui prennent de plus en plus d’importance car, selon le livre, on assiste à un détournement progressif de la recherche publique pour des intérêts privés.

Marc Laimé explique au fil des quatre-cents pages l’alliance qui s’est nouée et renforcée entre tous les acteurs du lobby depuis que la France, au début des années soixante, a organisé la gestion de ses eaux par bassins versants, via six Agences de l’eau. « Ce modèle de gestion a fait école dans le monde entier, mais ses dérives constituent aujourd’hui le frein majeur aux réformes indispensables à ce système à bout de souffle », constate-t-il.

L’absence de tout contrôle démocratique

Son ouvrage n’est pas un livre de plus sur les ententes sur le marché de la distribution et la position dominante de Veolia ou de Suez. Il analyse les causes structurelles qui ont conduit à l’impasse qu’il décrit. « L’action de ce lobby a fait que la gestion de l’eau a graduellement échappé à tout contrôle démocratique. C’est d’ailleurs la seule politique publique financée par l’impôt qui ne fasse l’objet d’aucun contrôle ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Le résultat est sidérant : on ne connaît ce que coûte la gestion de l’eau dans notre pays qu’à deux milliards d’euros près ! »

Pour appuyer sa démonstration et achever de convaincre de l’impuissance des politiques face à la machine bureaucratique contrôlé par le lobby, Marc Laimé relate en détail comment la ministre de l’Ecologie Delphine Batho (vite limogée et remplacé par Philippe Martin qui a abandonné toute velléité de réforme) s’est vu empêchée d’engager tout changement.

« Le lobby a fait systématiquement obstacle à toute mesure pouvant s’apparenter à une remise en cause non seulement de la politique de l’eau mais surtout des politiques agricoles qui sont un désastre pour la qualité de l’eau ».

Son récit est d’autant plus passionnant et bien étayé qu’il a participé avant et pendant la campagne électorale de François Hollande à un « think tank » interne au PS sur les problèmes que connaît la gestion de l’eau en France et les réformes à conduire.

En fait l’histoire ne fait que bégayer. Le lobby de l’eau avait agi de la même façon pour procéder à l’enterrement de la loi Voynet en 2002. Le retour de la gauche au pouvoir en 2012 aurait pu laisser croire à des réformes, aussi urgentes qu’indispensables. « Il n’en a rien été, et c’est même pire », se désole Marc Laimé.

Philippe Desfilhes

 Le lobby de l’eau, Marc Laimé, François Bourin Editions, 408 pages, 26 €.


Source : Reporterre 05/09/14

Voir aussi : Rubrique Ecologie, Face au lobby nucléaire Ségolène capitule en rase campagne, rubrique Livre, essais,

La Françafrique se porte bien avec Sarkozy

Edition Tribord, 4,5 €

Pendant la campagne des élections présidentielles en 2007, le candidat Nicolas Sarkozy a multiplié les annonces de rupture avec la politique africaine de ses prédécesseurs, dénonçant le soutien aux dictatures, la diplomatie secrète, le clientélisme, ou encore les détournements de l’aide au développement, bref la « Françafrique ».

Pourtant, au regard des actes posés depuis sa prise de fonction à l’Elysée, le président français n’a pas tenu ses promesses : perpétuation de relations clientélistes, discours essentialiste de Dakar sur l’« homme africain », soutien à des dictateurs (Bongo, Khadafi…), défense de l’affairisme français (Bolloré, Bouygues…), intervention militaire au Tchad, rôle joué par certains émissaires officieux (Bourgi, Balkany…), la politique africaine de Nicolas Sarkozy s’inscrit plus dans une continuité que dans une rupture. Elle est une perpétuation de la politique néocoloniale que chaque président français a poursuivit depuis les « indépendances » africaines.

Entretien avec Samuel Foutoyet auteur de « Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée »

sarkobongo

« L’objectif principal se sont les matières premières »

Nicolas Sarkozy prône un nouveau modèle de relation franco-africaine quand est-il ?

Lors de sa campagne, le vainqueur des présidentielles a fait des déclarations importantes. Il a promis beaucoup de choses comme la fin du soutien aux dictatures, le remodelage de l’aide au développement, l’arrêt de la diplomatie secrète. Mon livre met en regard les discours et les réalités. Je me suis aussi penché sur le passé africain du Président Sarkozy et notamment sur ses liens avec Charles Pasqua qui sont l’une des clés de lecture pour saisir le rapport en Afrique de N. Sarkozy.

Vous évoquez notamment sa relation avec Omar Bongo ?

Juste après le discours « Nous sommes du côté des opprimés du monde », le Président reçoit la Présidente du Libéria, Mme Sirleaf, une quinzaine de minutes et réserve quelques jours plus tard un accueil fastueux au président gabonais Omar Bongo. Il faut se souvenir que cet ancien membre des services secrets français est arrivé au pouvoir en 1967 de manière très autocratique et qu’il s’y est maintenu grâce à des élections notoirement truquées. Entre 2004 et 2007, Sarkozy l’a rencontré au moins sept fois dans la résidence privée du président gabonais. Pour se dire quoi, on ne sait pas… Ce que l’on sait à travers les révélations de l’affaire Elf, c’est que Bongo a financé les partis politiques français, en particulier le RPR.

L’association Survie a intenté une action en justice à l’encontre de Bongo…

Les associations Survie, Sherpa et la fédération des Congolais de la diaspora ont mené une enquête sur le patrimoine personnel de Bongo à la suite de laquelle elles ont déposé plainte en 2007 pour des biens mal acquis. La plainte a été suivie d’une enquête par les services de la répression de la grande délinquance financière. Dans le cas de Bongo, celle-ci met à jour la bagatelle de trente-trois résidences dans le XVIe arrondissement de Paris et sur la côte d’Azur, de multiples comptes en banque, un parc de voitures de luxe impressionnant mais au mois d’octobre 2007, le couvercle se ferme. Et l’affaire est classée sans suite au motif qu’il n’y a pas assez de pièces au dossier.

Sarkozy paraît moins habile que ses prédécesseurs, comme en témoigne le discours de Dakar ou sa proposition de partage des richesses entre la RDC et le Rwanda ?

Sarkozy pratique effectivement un double discours : d’un côté les grande tirades sur la démocratie et de l’autre un discours choquant, réactionnaire et colonialiste comme celui de Dakar. Cela crée beaucoup de confusion dans l’opinion publique française. En Afrique, les populations sont très remontées par ses discours comme par ses actes. Comme lors de son dernier voyage au Congo Brazzaville où il a soutenu Sassou Nguesso pour les élections de juillet.

La pression des multinationales françaises s’intensifie-t-elle avec le culte que voue Sarkozy à l’idéologie libérale ?

Aujourd’hui, l’Afrique est un nouveau far-west pour les Boloré, Vinci, Total Fina Elf, Véolia, Aréva… Le super VRP Sarkozy est bien loin de ses promesses qui assuraient que la diplomatie française prendraient des distances avec les multinationales. Il brise des tabous on est presque dans la glorification du pillage. Dans un premier temps on a tout bonnement nié l’existence de la Francafrique, puis on a reconnu son existence en disant qu’elle n’existe plus et aujourd’hui on dit la Françafrique existe mais la Chinafrique c’est pire ! L’association Survie critique ce que la Chine fait en Afrique mais il faut aussi continuer à bien voir ce que fait la France en Afrique qui reste le numéro un.

L’émergence d’une nouvelle génération de diplomates défendant une vision multilatérale des relations se pose-t-elle en rupture avec les tenant de la Françafrique ?

On distingue en effet deux tendances au sein de la diplomatie française, celle de Robert Bougi, de Balkany qui sont des anciens du clan Foccart et des gens comme Bruno Joubert, ancien directeur de la stratégie de la DGSE ou Jean David Levitte, le responsable de la cellule diplomatique de l’Elysée, qui ont une vision plus américano-française sur l’Afrique. De là à dire que l’on assiste à un changement des pratiques… La combinaison des deux tendances se retrouve autour de l’objectif principal qui sont les matières premières. La paupérisation de l’Afrique francophone et l’espérance de vie qui décline demeurent à ce titre des indicateur éclairants.

Quel parallèle faite-vous entre se déploiement politico-économique à l’étranger et la politique intérieur de l’immigration ?

Il existe un lien très fort entre l’immigration africaine en France et la Françafrique puisque la plupart des personnes qui quittent leur pays le font pour des causes politiques et économiques dans des pays devenus invivables en partie du fait des responsabilités françaises. L’indignité que l’on constate dans la gestion des sans papier en France rejoint le mépris des populations qui s’exprime en Afrique. Pour soutenir des dictature comme le fait la France en Afrique, il faut avoir une bien piètre image des populations africaines.

recueilli par Jean-Marie Dinh

Sarkozy ou la Françafrique décomplexée, éditions Tribord, 4,5 euros

Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy la politique de la Françafrique  repose sur une défense inconditionnelle des positions économiques acquises (Gabon, Congo, Tchad …) ou à conquérir (Libye, RDCongo, Angola, Afrique du Sud …) a placé la Guinée parmi les territoires de prospection pour les entreprises françaises.


Voir aussi : rubrique Afrique , Centrafrique accord de défenseONG Survie , rubrique Médias, des ONG réclament la vérité sur la mort du  journaliste franco-congolais Bruno Ossébi , Rubrique  Côte d’Ivoire Gbagbo suspend les élections

Rubrique Musique Mory Kanté , Rubrique Afrique L’Afrique doit prospérer,