Le document est explicite. Le site d’informations Euractiv a publié, mercredi, un mémo interne du groupe de lobbying Business Europe visant à fournir des éléments de langage à ses membres pour contrer les arguments favorables à un plus grand effort en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Présidé par Pierre Gattaz (ancien patron du Medef), Business Europe, qui représente le patronat, est le lobby le plus influent au niveau européen.
Le texte d’une page détaille les pistes de stratégie de communication que Business Europe propose aux patrons de mettre en œuvre dans les discussions, menées dans les prochaines semaines à Bruxelles.
Voici les «bases de discussion» exposées dans le mémo :
«Etre plutôt positif tant qu’il s’agit d’une déclaration politique qui n’a pas d’implications pour la législation européenne en vue de 2030», «s’opposer à l’augmentation des ambitions, en utilisant les arguments habituels que nous ne pouvons agir seuls dans un marché mondialisé et qu’on ne peut pas compenser pour les autres, etc.»,
«remettre en question le processus de décision en demandant plus de transparence dans les calculs, la réalisation d’une étude d’impact, le risque de créer de l’instabilité».
Enfin, le groupe recommande de «minimiser le sujet en argumentant que la formalisation d’une ambition supplémentaire […] n’est pas ce qui compte le plus».
«La note de Business Europe est l’expression du plus grand conservatisme alors même que les investissements dans la transition écologique sont de véritables opportunités économiques», regrette Neil Makaroff, du Réseau action climat Europe.
De leur côté, la Commission européenne et une partie des Etats membres semblent prêts à se montrer plus ambitieux pour lutter contre le dérèglement du climat. En juin, les différentes instances de l’UE se sont accordées pour rehausser leurs objectifs d’énergies renouvelables à 32 % du mix énergétique pour 2030. Cela permettrait à l’UE de dépasser ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre de 40 % pour 2030.
En dépit de l’appel des scientifiques, l’UE a adopté mardi 4 juillet une définition laxiste de ces substances chimiques dangereuses.
Paris s’est finalement incliné devant Berlin. La Commission européenne a fini par obtenir, mardi 4 juillet en comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, un vote favorable des Etats membres à son projet controversé de définition réglementaire des perturbateurs endocriniens (PE), ces substances chimiques, omniprésentes dans l’environnement et les objets de consommation courante.
La majorité qualifiée requise a été obtenue grâce au revirement de la France. Celle-ci s’opposait pourtant depuis plus d’un an, aux côtés du Danemark et de la Suède, à un texte jugé trop peu protecteur de la santé publique et de l’environnement par les sociétés savantes et les organisations non gouvernementales. Berlin, favorable à une réglementation moins contraignante pour l’industrie, a eu gain de cause.
Dans un communiqué de presse conjoint, les ministres français de l’environnement, de la santé et de l’agriculture, se félicitent d’avoir obtenu des « garanties supplémentaires » de la Commission européenne. L’une d’elles : le « lancement d’une stratégie européenne », un texte officiel qui énonce une politique générale sur un thème donné. Or, une stratégie communautaire sur les perturbateurs endocriniens, développée par le précédent commissaire à l’environnement, Janez Potocnik, existe bel et bien, mais elle a été enterrée en 2014 par la Commission Juncker.
Niveau de preuves « jamais exigé »
Les critères adoptés mardi permettront d’appliquer le règlement européen de 2009 sur les pesticides, mais devraient à l’avenir servir de base à la régulation d’autres secteurs industriels (cosmétiques, agroalimentaire, jouets…). Fait notable : en dépit de l’extrême attention politique et médiatique, la Commission a mis en ligne la mauvaise version du texte pendant près de deux heures.
« Après des mois de discussion, nous avançons vers le premier système réglementaire au monde pourvu de critères légalement contraignant, définissant ce qu’est un perturbateur endocrinien, s’est félicité Vytenis Andriukaitis, le commissaire européen à la santé. C’est un grand succès. Une fois mis en œuvre, ce texte assurera que toute substance utilisée dans les pesticides et identifiée comme perturbateur endocrinien pour les humains ou les animaux pourra être évaluée et retirée du marché. »
Ce n’est pas l’avis du Danemark, qui a voté contre la proposition. « Le niveau de preuves requis pour identifier les substances chimiques comme perturbateurs endocriniens est bien trop élevé », a déclaré le ministère danois de l’environnement au Monde.
« Nous regrettons que la Commission n’ait pas écouté la grande inquiétude du Danemark, de la Suède et d’autres, soulignant que les critères proposés exigent, pour pouvoir identifier un perturbateur endocrinien, un niveau de preuve jamais exigé jusqu’à présent pour d’autres substances problématiques comme les cancérogènes, les mutagènes et les reprotoxiques, précise au Monde Karolina Skog, la ministre suédoise de l’environnement. Cela ne reflète pas l’état actuel du savoir scientifique. Au total, ces critères ne remplissent pas le niveau de protection attendu par les co-législateurs. »
Le trio d’Etats membres qui tenait tête à la Commission vient ainsi d’exploser. La Suède avait en effet porté plainte contre l’exécutif européen avec le soutien du Danemark et de la France : la Commission devait proposer les critères avant fin 2013. En décembre 2015, son retard lui avait valu – fait rarissime – une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne pour carence.
Les scientifiques demandaient une échelle graduée
La Commission n’a rendu publique sa première version qu’en juin 2016. Le texte a, depuis, évolué. Les critères adoptés mardi sont cependant identiques à ceux présentés le 30 mai – mais non mis au vote en raison de la vacance du pouvoir en France. Or, cette version avait suscité une mise en garde de trois importantes sociétés savantes.
Le 15 juin, l’Endocrine Society, la Société européenne d’endocrinologie et la Société européenne d’endocrinologie pédiatrique avaient adressé une lettre aux vingt-huit ministres de l’Union, leur enjoignant de rejeter la proposition de Bruxelles, au motif qu’elle ne permettait pas d’assurer « le haut niveau de protection de la santé et de l’environnement requis » par les traités européens et qu’elle « échouerait probablement à identifier les PE qui causent des dommages chez l’homme aujourd’hui ».
Les scientifiques demandaient qu’une échelle graduée soit mise en place, distinguant les perturbateurs endocriniens « suspectés », « présumés » et « avérés » – à la manière de la classification des substances cancérogènes. Cette gradation aurait permis une réponse réglementaire adaptée au niveau de preuve disponible pour chaque produit, mais elle n’a pas été incluse dans les critères adoptés.
Dans leur communiqué commun, les trois ministères français chargés du dossier se félicitent que les critères soient étendus aux perturbateurs endocriniens « présumés ». Dans plusieurs déclarations publiques, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a affirmé qu’il avait obtenu l’ajout de cette disposition, mais celle-ci est pourtant présente dans le texte depuis la mi-mai…
De même qu’une clause controversée, ajoutée voilà plusieurs mois à la demande expresse de Berlin. En contradiction avec les objectifs du texte, elle permet d’empêcher un retrait des pesticides « conçus spécifiquement pour perturber les systèmes endocriniens des insectes ciblés ». Et ce, alors qu’ils sont aussi susceptibles d’atteindre ceux d’autres espèces animales. Cette exemption avait été développée par les fabricants de pesticides les plus menacés par les conséquences d’une réglementation drastique, en particulier les géants allemands BASF et Bayer.
« Définition au goût amer »
Nicolas Hulot, a déclaré sur France Info que l’Allemagne avait « obtenu cette exemption sur ce que l’on appelle des perturbateurs endocriniens qui ont été conçus pour l’être, parce que [son] industrie tient évidemment à les conserver le plus longtemps possible ». Le nouveau ministre a assuré que les experts français plancheraient sur ces pesticides et « si leur dangerosité est avérée, nous les sortirons unilatéralement du marché ». Théoriquement possibles, de telles mesures sont en pratique très difficiles à mettre en œuvre : elles créent des distorsions de concurrence et entravent la libre circulation des marchandises.
Au total, M. Hulot a néanmoins salué l’adoption de ces critères comme « une avancée considérable », ouvrant « une brèche qui ne va pas se refermer ». Cruelle ironie, la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, elle, évoque « une définition au goût amer », à l’unisson de plus de 70 ONG européennes, qui « regrettent le caractère insuffisant des critères » et appellent le Parlement européen à les rejeter.
Car le vote en comité n’est pas le dernier épisode de la saga. Le texte doit désormais être examiné par les députés européens. Ils ont quatre mois pour, éventuellement, adopter une résolution qui s’y opposerait – avec une majorité absolue du Parlement comme condition, a expliqué au Monde Axel Singhofen, conseiller santé et environnement pour le Groupe des Verts/Alliance libre au Parlement. Le compte à rebours commencera au moment où la Commission aura adressé sa notification officielle. Si elle le faisait avant le début des vacances parlementaires, à la mi-juillet, le temps de mobilisation des élus serait ainsi amputé de plus d’un mois.
Un second front s’ouvre aussi : c’est celui des directives d’applications de ces critères d’identification des PE. Plus techniques encore que les critères, déjà abscons pour le commun des mortels, ces documents-guides sont développées sous les auspices des agences européennes chargées de la sécurité alimentaire (EFSA) et des produits chimiques (ECHA). Sans même attendre le vote du comité, les deux agences ont commencé ce travail de traduction des critères en termes techniques et scientifiques et les consultations ont déjà commencé avec les agences réglementaires nationales. Et là encore, c’est le niveau de preuves scientifiques nécessaire qui se retrouve au cœur de ces discussions.
Un tout petit 2,7 sur 10. C’est la note que vient d’obtenir la France dans son premier contrôle en lobbying mené par Transparency international. L’association, qui milite pour plus de transparence et d’intégrité dans la vie publique présente, mardi 21 octobre, un rapport inédit dressant un état des lieux complet sur le lobbying dans le pays, et le résultat n’est pas glorieux. Les « représentants d’intérêts » – terme préféré à « lobbies » – ceux qui, au nom d’entreprises ou d’associations tentent d’influencer en leur faveur les décideurs publics dans le processus législatif, continuent en France d’agir dans l’ombre.
« Il reste beaucoup de chemin à faire », introduit Anne-Marie Ducroux, administratrice en charge des questions de lobbying chez Transparency. Selon l’association, « La France n’est pas à la hauteur de l’enjeu démocratique » et doit « clarifier les relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts » pour « créer les conditions de la confiance des citoyens dans la décision publique ». Et améliorer cette « note médiocre » de 2,7, obtenue à partir d’une grille de notation de 65 indicateurs portant sur les conditions d’élaboration des lois et des décrets en France, au Parlement et dans toutes les autres instances de prises de décisions (cabinets ministériels, collectivités locales, autorités administratives…). Un examen mené en parallèle et avec la même méthodologie dans 19 pays européens dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne, et dont la synthèse sera rendue publique début 2015.
L’évaluation se fait autour de trois principes, qui restent encore des objectifs à atteindre : l’intégrité des échanges, la traçabilité de la décision publique et l’équité d’accès aux décideurs publics.
INTÉGRITÉ : « PAS DE CONTRÔLE INDÉPENDANT »
Sur les questions d’intégrité (conflits d’intérêts, restrictions d’emploi, codes de bonne conduite…) la France s’en sort à peu près grâce à l’adoption des lois sur la transparence en 2013 mais peut encore progresser, avec seulement 30 % des critères remplis. « Ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat n’ont instauré d’organe de contrôle indépendant », écrit l’association qui rappelle que les parlementaires peuvent continuer à exercer des activités de conseil pendant leur mandat s’ils les exerçaient avant, ou devenir avocat d’affaires. Sur ce point, le cadre est plus contraignant pour les autres responsables publics, qui doivent dans certains cas observer des délais avant de passer du public au privé. Les codes de bonne conduite, s’ils existent, ne sont pas forcément respectés et, à titre d’exemple, Transparency rappelle la liste des prestations qui sont offertes par les industries du tabac aux responsables publics (les « programmes d’hospitalité »). Cela va de la soirée cinéma avec avant première d’un coût de 150 euros par personne à une loge à Rolland-Garos, d’un coût moyen de 1 200 euros ou au Stade de France (environ 650 euros par personne).
The Lobby of the House of Commons, 1886 by Liborio Prosperi
TRAÇABILITÉ DE LA LOI : INSUFFISANTE ET DÉSÉQUILIBRÉE
La traçabilité des décisions publiques et l’accès à l’« empreinte législative » d’un texte, malgré des efforts notamment de l’Assemblée nationale (mieux notée que les autres instances publiques) reste elle difficile, voire impossible. La circulation physique des lobbyistes dans les locaux est certes désormais encadrée au Palais-Bourbon, avec la tenue d’un registre, mais ce n’est pas le cas dans les autres instances où les contrôles sont pratiquement inexistants. Surtout, c’est une réponse jugée insuffisante par les associations, comme par les représentants d’intérêts eux-mêmes qui joueraient pourtant parfois davantage le jeu que les instances publiques.
En dehors des instances parlementaires, la plupart des autres lieux de prises de décisions publiques restent oubliés et hors de tout cadre. Sans parler du « pantouflage », qui consiste à passer du privé au public et réciproquement et conduit à un lobbying « déséquilibré », comme l’a montré le débat sur la loi bancaire en 2013. « La stratégie d’influence des banques a été en partie favorisée par leurs liens étroits avec la haute fonction publique, notamment l’administration du trésor », assure l’association qui rappelle, entre autres, que Xavier Musca, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, a été recruté à l’été 2013 par le Crédit agricole en tant que directeur général délégué ou que l’ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault pour le financement de l’économie, Nicolas Namias, a été nommé en juillet 2014 à la tête de la stratégie de Natixis.
EQUITÉ D’ACCÈS : AUCUNE GARANTIE
Enfin, rien de tout cela ne permet de garantir le troisième principe : l’équité d’accès au processus de décision. Dans de nombreux cas, les décideurs publics décident de mettre en place des commissions consultatives ou des consultations publiques pour préparer un texte. Mais elles restent facultatives et sans garantie de transparence ou d’équilibre dans leur composition. Quant au conseil économique, social et environnemental, censé représenter les différentes catégories socioprofessionnelles et conseiller le gouvernement et le parlement sur ces sujets, « ses rapports et avis [ne sont pas] toujours pris en compte. Et quand ils le sont, la manière dont les destinataires les utilisent n’est pas toujours rendue explicite ».
Pour Anne-Marie Ducroux, il reste un important travail de pédagogie à faire. « C’est encore une forme d’impensé du fonctionnement démocratique. En France, nous n’avons pas la culture de rendre compte, il n’y a pas de volonté spontanée de transparence, tout ce qui a été fait l’a été fait après une crise majeure. Or, nous avons changé de civilisation, l’autorité ne s’exerce plus de la même manière, les gens sont plus formés, ont des moyens d’information ».
Enfin, sans encore avoir les résultats des autres antennes européennes de Transparency, Myriam Savy, responsable de l’association, sait déjà que « tous les pays sont en retard et n’ont pas pris la mesure du problème ». Au niveau européen, le Parlement est souvent désigné, à raison, comme le bon élève en matière de transparence mais il reste des coins sombres dans les institutions, notamment dans les « trilogues », ces négociations à huis clos entre représentants de la commission, du conseil et du parlement européen censées aboutir à des textes de compromis. « Ce processus est complètement opaque, aucune information ne sort sur les arbitrages effectués. Le texte final peut être différent du texte voté par le Parlement, sans que l’on puisse connaître le rapport de force qui a conduit à l’arbitrage final », déplore Myriam Savy. Il n’y a pas qu’en France que la marge de progression est importante.
La France a été de nouveau condamnée par la justice européenne à cause de son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux. C’est la cinquième condamnation ! Une situation dont est responsable le “lobby de l’eau” que dénonce dans son nouveau livre le spécialiste Marc Laimé.
La France a de nouveau été condamnée ce jeudi 4 septembre par la justice européenne pour manquement à ses obligations de lutte contre la pollution aux nitrates. « Cette décision est regrettable mais justifiée. C’est la cinquième fois que la France est condamnée par l’Europe pour non respect de réglementation, après des condamnations en 2001, 2004, 2008 et 2013. Elle a également été condamnée par les juridictions administratives françaises comme en 2009 par la Cour administrative d’appel de Nantes », rappelle Marc Laimé, spécialiste de l’eau. Il vient de publier Le lobby de l’eau.
Cette condamnation est d’autant plus consternante que Paris risque de surcroit une amende forfaitaire d’une trentaine de millions d’euros plus des astreintes journalières jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. La justice européenne menace en effet de prononcer un deuxième arrêt dans les prochains mois si la France ne redresse pas la situation. “Et ce seront au final les usagers de l’eau qui régleront l’addition”, déplore Marc Laimé.
Cette fois-ci, la Cour a retenu six motifs de condamnation, concernant les effluents d’élevages mais aussi les épandages d’engrais minéraux. Un motif concerne les notions fondamentales de respect de l’équilibre de la fertilisation, et de calcul des quantités réellement apportées aux parcelles.
En effet, explique M. Laimé, la réglementation française mise en cause aujourd’hui ne veille pas à ce que les agriculteurs et les autorités de contrôle soient en mesure de calculer correctement la quantité d’azote pouvant être épandue afin de garantir l’équilibre de la fertilisation.
« Il n’y aura pas de réponse réglementaire solide sans une réponse agronomique et politique forte pour faire émerger un nouveau modèle agricole durable et non polluant. Or le résultat de l’action du lobby de l’eau est que la politique de l’eau se décide en France au ministère de l’Agriculture et non pas à celui de l’Ecologie », se désole-t-il.
Un marché de vingt-trois milliards d’euros annuels
Le dernier livre de Marc Laimé s’attaque au lobby qui a fait main basse sur la gestion de l’eau en France, un marché qui génère vingt-trois milliards d’euros chaque année. « On peut mettre un nom et une photo sur chacun des membres de ce lobby. Ce ne sont pas des individus en costard-cravate qui passent leur temps dans les grands restaurants avec des députés ou des sénateurs mais des professionnels qui siègent dans toutes les instances officielles de la gestion de l’eau », explique à Reporterre l’ancien journaliste (Marc Laimé. Il a travaillé pour Le Canard Enchaîné ou L’Usine nouvelle), et est désormais consultant en eau et assainissement pour les collectivités locales. A ce titre, il est en prise quotidiennement avec le lobby de l’eau français dont il est devenu l’une des bêtes noires.
Un lobby omniprésent
Qui sont les membres de ce lobby ? Une petite centaine de personnes, hommes politiques, hauts-fonctionnaires, associatifs, représentants de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie et des grands organismes de recherche spécialisés, installés à l’intérieur du système et omniprésents.
D’abord les élus, car il en faut pour prendre la direction des Comités de bassins et de diverses commissions. Marc Laimé les appelle dans son livre des « demi-solde » de la politique car ce sont quasiment tous des inconnus au niveau national (le seul d’entre eux à avoir une certaine notoriété est André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux).
« Le lobby compte une vingtaine d’élus de tous bords qui ont été co-optés à un moment de leur carrière et ont érigé le conflit d’intérêt en mode de gouvernance », dénonce-t-il. Ces « barons » de l’eau multiplient les casquettes. C’est ainsi qu’ils peuvent faire voter des budgets d’institutions publiques qu’ils dirigent en faveur d’entités privées dans lesquelles ils siègent.
Ces élus ont fait alliance avec les représentants de deux grands corps de l’Etat issus de l’ENGREF (Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts) et des Ponts-et-Chaussées. Ces hauts-fonctionnaires « trustent » tous les postes de décision dans les six ou sept ministères concernés (à commencer par celui de l’Agriculture où se décide la politique de l’eau en France) puis dans les services concernés de l’Etat (les DREAL, DRIRE et autres DDTM ou MISEN).
On retrouve ensuite ce que Marc Laimé appelle les « porteurs d’intérêt » des secteurs de l’agriculture, de l’industrie et leurs fédérations professionnelles, dont évidemment la FNSEA et Veolia, Suez et Saur. Puis viennent les représentants des grands organismes de recherche comme l’OIE (Office international de l’eau) ou le BRGM (Bureau de recherche géologiques et minières) qui prennent de plus en plus d’importance car, selon le livre, on assiste à un détournement progressif de la recherche publique pour des intérêts privés.
Marc Laimé explique au fil des quatre-cents pages l’alliance qui s’est nouée et renforcée entre tous les acteurs du lobby depuis que la France, au début des années soixante, a organisé la gestion de ses eaux par bassins versants, via six Agences de l’eau. « Ce modèle de gestion a fait école dans le monde entier, mais ses dérives constituent aujourd’hui le frein majeur aux réformes indispensables à ce système à bout de souffle », constate-t-il.
L’absence de tout contrôle démocratique
Son ouvrage n’est pas un livre de plus sur les ententes sur le marché de la distribution et la position dominante de Veolia ou de Suez. Il analyse les causes structurelles qui ont conduit à l’impasse qu’il décrit. « L’action de ce lobby a fait que la gestion de l’eau a graduellement échappé à tout contrôle démocratique. C’est d’ailleurs la seule politique publique financée par l’impôt qui ne fasse l’objet d’aucun contrôle ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Le résultat est sidérant : on ne connaît ce que coûte la gestion de l’eau dans notre pays qu’à deux milliards d’euros près ! »
Pour appuyer sa démonstration et achever de convaincre de l’impuissance des politiques face à la machine bureaucratique contrôlé par le lobby, Marc Laimé relate en détail comment la ministre de l’Ecologie Delphine Batho (vite limogée et remplacé par Philippe Martin qui a abandonné toute velléité de réforme) s’est vu empêchée d’engager tout changement.
« Le lobby a fait systématiquement obstacle à toute mesure pouvant s’apparenter à une remise en cause non seulement de la politique de l’eau mais surtout des politiques agricoles qui sont un désastre pour la qualité de l’eau ».
Son récit est d’autant plus passionnant et bien étayé qu’il a participé avant et pendant la campagne électorale de François Hollande à un « think tank » interne au PS sur les problèmes que connaît la gestion de l’eau en France et les réformes à conduire.
En fait l’histoire ne fait que bégayer. Le lobby de l’eau avait agi de la même façon pour procéder à l’enterrement de la loi Voynet en 2002. Le retour de la gauche au pouvoir en 2012 aurait pu laisser croire à des réformes, aussi urgentes qu’indispensables. « Il n’en a rien été, et c’est même pire », se désole Marc Laimé.