Amnesty International fustige la prolifération des discours haineux

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Dans son rapport annuel, l’ONG dénonce une rhétorique « toxique » « diabolisant » certains groupes et en premier lieu les réfugiés.

Des dirigeants du monde entier, comme Donald Trump aux Etats-Unis ou Rodrigo Duterte aux Philippines, propagent des discours de haine « diabolisant » certains groupes, une rhétorique « toxique » qui rend le monde plus dangereux, s’alarme Amnesty international dans son rapport annuel présenté mercredi 22 février.

« Les discours clivants de Donald Trump, Viktor Orban [Hongrie], Recep Tayyip Erdogan [Turquie], Rodrigo Duterte [Philippines] (…) s’acharnent sur des groupes entiers de population, les désignent comme boucs émissaires et propagent l’idée selon laquelle certaines personnes sont moins “humaines” que d’autres », les premiers visés étant les réfugiés, dénonce Amnesty international.

Et de citer le décret anti-immigration fermant temporairement les frontières des Etats-Unis aux réfugiés et aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane, suspendu depuis, ou encore l’accord « illégal et irresponsable » conclu entre l’Union européenne et la Turquie, permettant de renvoyer des demandeurs d’asile dans ce pays.

Au total, l’organisation non gouvernementale (ONG) a dénombré 36 pays ayant « violé le droit international en renvoyant illégalement des réfugiés dans des pays où leurs droits étaient menacés ».

L’ONG fustige les discours « déshumanisants »

Ces discours de rejet et de haine ont des effets directs sur les droits et les libertés, dénonce Amnesty : « Des gouvernements ont fait voter des lois qui restreignent le droit d’asile, la liberté d’expression, qui légitiment la surveillance de masse ou donnent aux forces de l’ordre des pouvoirs illimités. »

Loin d’être l’apanage de leaders extrémistes, ces paroles stigmatisantes ont été adoptées « parfois de façon voilée, parfois de façon plus ouverte » par « des partis dits centristes », souligne John Dalhuisen, directeur d’Amnesty International pour l’Europe.

« Les discours déshumanisants, c’est quand le premier ministre hongrois qualifie les migrants de “poison, c’est quand Geert Wilders [député néerlandais d’extrême droite] parle de la racaille marocaine, c’est aussi quand le premier ministre néerlandais écrit une lettre ouverte invitant les migrants à se comporter de façon normale ou de rentrer chez eux. »

Les étrangers et les musulmans, « cibles principales de la démagogie européenne » sont « présentés comme une menace à la sécurité, à l’identité nationale, des voleurs d’emplois et des abuseurs du système de sécurité sociale », insiste-t-il.

Les effets pervers de l’état d’urgence en France

En France, où l’ONG sise à Londres a exceptionnellement présenté son rapport annuel, Amnesty dénonce la restriction des droits fondamentaux dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le terrorisme, en particulier l’état d’urgence, prolongé depuis les attentats du 13 novembre 2015.

Selon son recensement, de la fin de 2015 à la fin de 2016, « seuls 0,3 % des mesures liées à l’état d’urgence ont débouché sur une enquête judiciaire pour faits de terrorisme ». En revanche, « les assignations à résidence ont entraîné des pertes d’emploi ou la marginalisation des personnes [concernées] », déplore Camille Blanc, présidente d’Amnesty International France.

L’ONG considère par ailleurs qu’en matière d’accueil des réfugiés, « la France n’a pas pris ses responsabilités au niveau international » et ne protège pas suffisamment les réfugiés et les migrants présents sur son sol.

« Dans le cadre des élections présidentielle et législatives qui vont avoir lieu en 2017, la France est à la croisée des chemins concernant les droits humains, qui font écho à une tendance mondiale, et les citoyens ne doivent pas tomber dans le piège de ces discours qui entraînent la haine, la peur ou le repli de soi. »

Face aux renoncements des grandes puissances à se battre pour le respect des droits et des libertés, et la passivité des Etats face aux atrocités et crises vécues en Syrie, au Yémen, ou encore au Soudan du Sud, Amnesty International appelle chacun à se mobiliser et agir. « 2017 sera une année de résistance, a dit à l’Agence France-Presse le président d’Amnesty, Salil Shetty. Nos espoirs reposent sur le peuple. »

Source : Le Monde.fr avec AFP 22/02/2017

Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique Politique, Politique de l’immigration, L’Unicef dénonce l’exploitation des migrants mineurs dans les « jungles » françaises, rubrique Société, Justice,

Transition à haut risque en RDC. Omniprésence des intérêts étrangers

anvil-mining1Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo. » Un demi-siècle après l’indépendance de l’ancien Congo belge, en 1960, le mot de Frantz Fanon sonne toujours aussi juste. Géant économique de l’Afrique centrale, la République démocratique du Congo (RDC) détient les premières réserves mondiales de coltan et les quatrièmes de cuivre. Cela fait d’elle une zone stratégique pour les industries du monde entier. Australiennes, canadiennes, chinoises, sud-africaines ou américaines, les sociétés minières se sont vu qualifier par l’écrivain In Koli Jean Bofane de « touristes à but lucratif (1)  ». Depuis 2003, plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur les causes économiques du conflit dans l’est de la RDC (2) ont mis en lumière le lien entre les milices armées et l’exploitation, pour le compte de sociétés étrangères, de minerais stratégiques indispensables à la fabrication de certains appareils électroniques comme les téléphones portables.

Affichant une volonté de changer les pratiques, Washington veille désormais à effectuer avec diligence toutes les vérifications concernant l’origine de ses approvisionnements en minerais. Les États-Unis ont même abandonné le Nord-Kivu après l’adoption en 2010 de la loi Dodd-Frank. Celle-ci exige que les sociétés cotées en Bourse outre-Atlantique rendent publique l’origine de certaines matières premières — étain, tantale, tungstène, or — contenues dans leurs produits, afin de prouver qu’elles ne proviennent pas de la RDC ou de l’un de ses neuf pays limitrophes. N’étant pas liés par cette mesure de lutte contre les « minerais de conflit », des comptoirs chinois ont pris le relais des sociétés américaines dans les régions concernées. En mai, un groupe américain, Freeport-McMoRan, a par ailleurs cédé à China Molybdenum, pour 2,6 milliards de dollars, la plus grande mine de cuivre et de cobalt de RDC, Tenke Fungurume, située dans le Katanga.

Une partie du jeu se déroule loin du territoire national, notamment en Belgique, pour des raisons qu’un diplomate européen estime relever de la « géopolitique pure ». L’ancienne métropole coloniale accueille volontiers les opposants en exil. Cinquante-cinq ans après l’assassinat par des policiers belges du héros de l’indépendance Patrice Lumumba, son vice-premier ministre Didier Reynders, chargé des affaires étrangères, a appelé le président Joseph Kabila à assurer pour la première fois dans l’histoire de son pays une « transition démocratique et pacifique ». L’avenir de la RDC se joue également à Washington, New York, Londres et Paris — qui surveille cet espace géostratégique et francophone —, mais aussi au Rwanda et en Ouganda et, dans une moindre mesure, en Zambie, en Angola et en Afrique du Sud, pour des raisons de stabilité politique et parce que l’on craint un afflux de réfugiés congolais.

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Aucun des voisins africains ne peut être décrit comme un allié sûr de M. Kabila. Au milieu des années 1990, les présidents ougandais Yoweri Museveni et rwandais Paul Kagamé avaient soutenu Laurent-Désiré Kabila dans sa rébellion contre Joseph Mobutu. Ces aînés régionaux ont ensuite été accusés d’entretenir des rébellions dans le Nord-Kivu, une province frontalière de leurs pays, pour mieux en exploiter les minerais. Ils ont essuyé en octobre 2013 la défaite de leur allié, le Mouvement du 23 mars (M23). Ce groupe rebelle a été écrasé par l’armée congolaise avec l’appui de la brigade d’intervention africaine de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) et, de manière non officielle, d’un escadron d’hélicoptères sud-africains (3).

Il n’empêche. L’Ouganda et le Rwanda ont intérêt à conserver une RDC faible sur leurs flancs, et restent craints pour leur capacité militaire. En 2015, après des années de froid, M. Kabila a habilement repris langue avec M. Kagamé, lui-même en délicatesse avec la « communauté internationale » en raison de son exercice autoritaire du pouvoir. Certains redoutent un nouvel embrasement dans le Nord-Kivu, qui pourrait servir de prétexte au report de l’élection présidentielle (lire « Transition à haut risque en République démocratique du Congo »).

La présence de la Monusco, la plus importante force des Nations unies jamais déployée dans le monde (22 400 personnes, dont 19 400 en uniforme), est un garde-fou bien peu efficace face aux dérives répressives. Malgré les demandes de retrait répétées formulées par M. Kabila, le Conseil de sécurité reconduit chaque année cette mission créée en novembre 1999. Les troupes internationales sont pour l’essentiel déployées dans l’est du pays, où elles ne parviennent pas à empêcher les massacres ni à endiguer la prolifération des groupes armés. Sur le qui-vive, elles peuvent cependant réagir dans la capitale, comme elles l’ont montré un soir d’affrontement entre la police et des civils, début août 2016, aux portes du domicile de l’opposant Étienne Tshisekedi. Mais la Monusco laisse également le souvenir d’une force prompte à s’évaporer en cas de troubles graves, comme en 2007 à Kinshasa, lors de l’assaut lancé par l’armée régulière contre la résidence de l’ancien vice-président de la République et opposant Jean-Pierre Bemba.

Les pressions internationales seront-elles déterminantes ? « Ici, nous ne pouvons pas échouer », affirme l’Espagnol José Maria Aranaz, directeur du bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme en RDC. Il n’en redoute pas moins le basculement vers un régime « prêt à manipuler les institutions et à réprimer, comme au Burundi, où la “communauté internationale” n’a pas réussi à résoudre le conflit électoral ». Les Nations unies avaient « certifié » la présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire, organisée avec cinq ans de retard, sans pour autant empêcher la grave crise qui a suivi (4). Elles ne prendront pas cette responsabilité en RDC, malgré l’argent dépensé depuis 1999 pour le maintien de la paix : 1,3 milliard de dollars par an, l’équivalent de 2 % du produit intérieur brut (PIB) de ce pays.

Rien ne dit non plus que l’« extrême vigilance » de la Cour pénale internationale (CPI) porte ses fruits à Kinshasa. En juin dernier, la Cour, qui a ouvert en 2004 une enquête sur les violations des droits humains commises en RDC, a condamné M. Bemba à dix-huit ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais pour ses agissements en Centrafrique et non en RDC. Touchant un opposant déclaré à M. Kabila, ce verdict a cependant été perçu comme favorable au pouvoir.

Les violences perpétrées contre les manifestants pourraient conduire à son tour le président congolais devant la justice internationale. Mais l’autorité de la CPI s’effrite en Afrique : le Burundi a décidé le 16 octobre de la quitter, suivi de peu par l’Afrique du Sud, la Gambie et la Namibie.

Sabine Cessou

(1) In Koli Jean Bofane, Congo Inc. Le testament de Bismarck, Actes Sud, Arles, 2014.

(2) Cf. « Rapport final du groupe d’experts sur la RDC », New York, 12 janvier 2015.

(3) Lire « Jours d’après-guerre au Congo », Le Monde diplomatique, janvier 2014.

(4) Lire Vladimir Cagnolari, « Croissance sans réconciliation en Côte d’Ivoire », Le Monde diplomatique, octobre 2015.

Source : Le Monde Diplomatique Décembre,

 

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Essai nucléaire à Reggane : 150 prisonniers algériens utilisés comme cobayes humains

Des Algériens ont été utilisés comme cobayes pendant l'essai nucléaire français en Algérie.

Des Algériens ont été utilisés comme cobayes pendant l’essai nucléaire français en Algérie.

René Vautier est mort le 4 janvier 2015. ?Résistant à 15 ans, il fut, avec pour seule arme sa caméra, engagé sa vie durant contre le colonialisme et les injustices ; emprisonné dès son premier film à 21 ans ; censuré comme nul autre réalisateur français ne le fut. Lui qui avait des liens si forts avec l’Algérie s’était fait l’écho d’un témoignage terrible. Il était surtout intervenu auprès d’amis algériens

Cela se passe au Centre saharien d’expérimentation militaire situé à Reggane, à 700 km au sud de Colomb Bechar. Les tirs sont effectués à Hamoudia, à une cinquantaine de km au sud-ouest de Reggane. Le 1er avril 1960 a lieu le second essai nucléaire français, sous le nom de code “Gerboise blanche”. La bombe dégagea environ 4 kilotonnes.

Le tir a été l’occasion d’étudier la résistance des matériels militaires (avions, véhicules, parties de navires…) à une explosion nucléaire. L’armée française a mené des essais sur des rats, des lapins et des chèvres. Des exercices militaires en ambiance «post-explosion» ont été réalisés. Ils commencèrent vingt minutes après les tirs. Mais, environ 150 hommes vivants furent aussi exposés aux effets de la bombe, ligotés à des poteaux, à environ 1 km de l’épicentre.

Nous sommes en pleine guerre d’Algérie, cette guerre qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes algériennes, militaires et surtout civiles. Beaucoup de victimes meurent torturées. Pour le colonialisme français et son armée, la vie des algériens ne vaut pas cher à l’époque…

René Vautier, avait monté son film “Algérie en flammes”, tourné aux côtés des combattants algériens dans les studios de la DEFA (Deutsche Film-Aktiengesellschaft) en RDA. ?C’est là qu’il a appris que Karl Gass, réalisateur documentariste à la D.E.FA. avait recueilli le témoignage d’un légionnaire français d’origine allemande affecté à la base de Reggane. Le témoin affirmait avoir reçu, juste avant l’explosion, l’ordre de récupérer dans des prisons et des camps de concentration, 150 Algériens qui devaient être utilisés comme cobayes à proximité du point zéro . Il déclarait les avoir fait venir, les avoir remis à ses supérieurs hiérarchiques et ne les avoir jamais revus. Ce légionnaire a été affecté ailleurs en 1961.

M. Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach et M. Chennafi, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler, confirment ce témoignage (voir encadré “Ce que disent les Algériens”). En Algérie, la presse et les médias algériens, la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, des juristes, des médecins évoquent ces questions.

Le 14 février 2007, le quotidien Le Figaro cite une réponse à l’interpellation des Algériens. Elle est faite par le responsable de la communication du ministère de la Défense, Jean-François Bureau : « Il n’y a jamais eu d’exposition délibérée des populations locales ». Il s’agit, selon lui, d’une légende entretenue par la photo d’une dépouille irradiée exposée dans un musée d’Alger. « Seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe », ajoute-t-il.

Mais alors, quels sont ces cadavres ? D’où venaient-ils ? Quelles étaient les causes des décès ? Où sont les documents tirant les enseignements de leur exposition à la bombe ? Et surtout, peut-on sérieusement croire qu’en pleine guerre d’Algérie, l’armée française pouvait transporter des cadavres sur des centaines de km pour des essais “éthiques” alors qu’elle torturait et tuait quotidiennement civils et combattants algériens ? Qui peut croire aussi, qu’un pouvoir qui se dote à grands frais d’une arme nouvelle, qui fera l’essentiel de ses forces, va s’abstenir d’en faire l’essai jusqu’au bout ? La logique “technique” à défaut d’être humaine, c’est de la tester “en vraie grandeur” c’est à dire sur des êtres humains vivants … Tous l’ont fait : lisez, pays par pays, l’ encadré à ce sujet.

Pourtant, il n’y a pas eu de scandale d’Etat à la hauteur de ce fait qui relève du crime contre l’humanité. Le fait que le FLN avait accepté, dans le cadre d’ »annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant quatre années supplémentaires a sans doute créé des conditions propices à ce silence officiel… En effet, ces essais se sont poursuivis dans les conditions de mise en danger des populations locales et des travailleurs algériens sur les sites contaminés, le pouvoir algérien ne souhaitait sans doute pas voir ce dossier sensible resurgir.

Derrière elle, l’armée française a laissé des poubelles nucléaires à peine ensablées, des populations victimes de multiples cancers, des nappes phréatiques radioactives. Mais elle laisse aussi le souvenir, mieux caché pour l’instant, d’une épouvantable expérimentation effectuée sur des êtres humains vivants. Merci à René Vautier pour avoir tenté, durant des années, de lever la chape de plomb sur ce crime. A présent les bouches et les archives doivent s’ouvrir.

Comme la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, exigeons l’ouverture compète des archives militaires sur les essais nucléaires dans le sud du Sahara (algérien) dans les années 1960 à 1966. Demandons aux nombreux militaires et civils français et algériens qui ont servi sur la base de Reggane et ont pu être témoins direct ou recueillir des témoignages de dire ce qu’ils savent. Que la France officielle reconnaisse aujourd’hui le crime. A défaut de pouvoir le réparer, qu’elle prenne ses responsabilités pour atténuer les conséquences de ses essais nucléaires sur les population algériennes :

La réhabilitation des sites d’essais nucléaires, conformément à la législation internationale.

La création d’une structure de santé spécialisée dans le traitement des maladies cancéreuses causées par la radioactivité. La mise en place d’un registre du cancer dans les régions d’Adrar, Tamanrasset et Béchar. La prise en charge totale des malades.

La création d’un pôle d’observation des différents sites ayant servi aux essais nucléaires comme ce fut le cas pour l’Angleterre et ses sites en Australie.Et enfin, que la mise au jour de ce crime soit une occasion de plus d’exiger de supprimer PARTOUT ces armes, qui avant même leur emploi dans un conflit, ont de pareilles conséquences.

Ce que disent les Algériens

Du côté algérien, des recherches ont été faites dans les années 2000 et résumées ainsi par l’avocate Me Fatima Ben Braham : «L’étude iconographique, de certaines de ces photos, nous a permis de constater que la position des soi-disant mannequins ressemblait étrangement à des corps humains enveloppés de vêtements. A côté de cela, nombre d’Algériens détenus dans l’ouest du pays et condamnés à mort par les tribunaux spéciaux des forces armées [français] nous ont apporté des témoignages édifiants. Certains condamnés à mort n’ont pas été exécutés dans les prisons, mais ils avaient été transférés pour ne plus réapparaître. Ils avaient, selon eux, été livrés à l’armée. Après consultation des registres des exécutions judiciaires, il n’apparaît aucune trace de leur exécution et encore moins de leur libération. Le même sort a été réservé à d’autres personnes ayant été internées dans des camps de concentration.»

Après des recherches, l’avocate a retrouvé une séquence des informations télévisées montrant un combattant mort sur une civière entièrement brûlé, ainsi commentée : «Et voilà le résultat de la bombe atomique sur un rebelle.» ?De plus, une étude minutieuse des photos de mannequins, et particulièrement une, où plusieurs corps (5 environ) étaient exposés, indique que les mannequins auraient une forte ressemblance à des corps humains.

Elle a alors réuni un groupe de médecins et de médecins légistes à l’effet de faire le rapprochement des corps exposés avec de véritables corps humains dans la même position (tête, bras, jambes, bassin, buste, etc.)?Les résultats ont été concluants : il s’agit bien de corps humains (même le poids a été déterminé) et leur mort était certaine.?En 2005, la question a été posée aux autorités françaises qui ont d’abord répondu qu’il s’agissait uniquement de mannequins et de rien d’autre, pour tester les habillements face aux essais.

Après insistance des Algériens, les autorités françaises ont rétorqué que «s’il y avait des corps à la place des mannequins, il faut se rassurer que les corps étaient sans vie».

Source : Des cobayes humains ?

Lors d’un documentaire, réalisé par Saïd Eulmi et diffusé à l’ouverture du colloque, il a été rapporté que des prisonniers de guerre avaient été utilisés comme cobayes lors des essais. Des images de corps humains calcinés accrochés à des poteaux ont été montrées. « Les corps de ces martyrs (…) ont été retrouvés durcis comme du plastique», a souligné Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach. «Les conventions de Genève ont été violées. Il s’agit de crimes de guerre », a estimé Abdelmadjid Chikhi, directeur des archives nationales

Source : Metaoui Fayçal, El Watan

 

Le témoignage de M. Chennafi, « un sexagénaire, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler jour et nuit et préparer l’installation de la bombe nucléaire : « Après l’explosion de cette bombe, les victimes étaient parties en fumée. Même les ossements ont disparu». Plusieurs militaires et médecins Français ont confirmé l’utilisation par l’armée française d’habitants de la région ou de Ghardaia afin de « tester l’effet des radiations » sur eux. Ces derniers ont été placés dans les lieux servant de théâtre des opérations sans protection aucune. Les survivants n’ont bénéficié d’aucun traitement contre les radiations nucléaires par la suite.

Source : Planète non violence (webzine)

 

La LADDH pense que l’exposition directe, par la France de prisonniers dans l’expérience nucléaires constitue “une flagrante violation de la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre et à leur traitement.

Le FLN a accepté, dans le cadre d’ »annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966.

La LADDH est porteuse d’exigences vis à vis de la France (voir article principal).? Source : Les essais nuclaires français

Radiations imposées : même les militaires n’étaient pas protégés

Si l’on compare avec ce qui a été fait en Polynésie pour la protection des populations – des blockhaus pour Tureia qui se trouve à 110 km de Mururoa et des «abris de prévoyance» sommaires pour les Gambier, Reao et Pukarua, dans le Sahara algérien, les précautions prises pour la protection des personnels militaires et des habitants des palmeraies voisines ont été très sommaires, voire inexistantes. ?Quelques documents estampillés «secret» permettent d’avoir une idée du mépris des autorités militaires à l’égard de leurs hommes. on peut constater que pour les populations sahariennes de Reggane (environ 40 km d’Hammoudia) et quelques palmeraies encore plus proches des points zéro, la protection était nulle. Aucun abri ou autre bâtiment n’a été construit pour ces populations, tout aussi bien que pour les personnels militaires de la base de Reggane Plateau ou les quelques dizaines de militaires et civils qui restaient sur la base d’Hammoudia pendant les tirs.

A Reggane au Sahara, à moins de 5 km de l’explosion, on donnait des lunettes noires aux soldats pour se protéger les yeux. Mais ils étaient en short et chemisette. Des retombées à plus 3 000 km, des conséquences sanitaires terribles.?Outre dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été enregistrées jusqu’à plus de 3000 km du site (Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum, etc.). 24 000 civils et militaires ont été utilisés dans ces explosions, sans compter l’exposition aux radiations de toute la population de la région.

Le film « Vent de sable » de Larbi Benchiha montre clairement que si des dosimètres ont été remis à la population , puis des examens effectués pour mesurer les expositions aux radiations, c’était à des fins d’études et non pas de soins.

A Reggane où les essais ont été atmosphériques et ont couvert une vaste zone non protégée, selon les médecins l’exposition aux radiations ionisantes provoque plus 20 types de cancer (cancers du sein, de la tyroïde, du poumon, du foie, du côlon, des os, etc.). ?Les leucémies dépassent de manière sensible la moyenne dans la région. Des malformations touchent aussi bien les adultes que les enfants, les nouveaux nés et les les fœtus. On constate également une baisse de fertilité des adultes. Des cas de cécité sont dus à l’observation des explosions. A Reggane le nombre de malades mentaux est très important. Des familles entières sont affectées, sans parler des lésions de la peau, des stigmates physiques et des paralysies partielles, ainsi que d’autres phénomènes sur lesquels les médecins n’arrivent pas à mettre de mots.

Le bilan des décès causés par les maladies radio-induites ne cesse de s’alourdir à Tamanrasset. Au total 20 cancéreux, entre femmes, hommes et enfants, sont morts en juillet dernier, s’alarme Ibba Boubakeur en 201447, secrétaire général de l’Association des victimes des essais nucléaires à In Eker (Aven), Taourirt. « Nous avons assisté à l’enterrement d’enfants amputés de leurs membres inférieurs et de femmes à la fleur de l’âge. Le pire, c’est qu’aucune de ces victimes ne possède un dossier médical, hormis les quelques certificats délivrés par les médecins exerçant dans la région », se plaint-il. 52 ans après cette tragédie que la France ne veut toujours pas réparer.

« On ne peut pas avoir le nombre exact de victimes. En 2010, un recensement partiel faisant état d’un peu plus de 500 victimes a été réalisé dans les localités relevant uniquement de la commune de Tamanrasset, à savoir Inzaouen, Ifak, Toufdet, Tahifet, Indalak, Izarnen, Outoul et Tit. Nous y avons constaté beaucoup de maladies, des avortements, des malformations et toutes les formes de cancer ».

Selon une étude réalisée par des experts, 21,28% des femmes de cette région sont atteintes de cancer du sein et 10,13% du cancer de la thyroïde

La France n’est pas la seule à utiliser des humains comme cobayes

USA?Le secrétaire d’Etat à l’Energie américain, Hazel O’Leary, a révélé que son pays a mené des expériences sur quelque 700 « cobayes humains ». C’était dans les années quarante, on administra à plus de 700 femmes enceintes, venues dans un service de soins gratuits de l’université Vanderbilt (Tennessee), des pilules radioactives exposant les foetus à des radiations trente fois supérieures à la normale. On leur faisait croire qu’il s’agissait d’un cocktail de vitamines. ..?En 1963 (là, on était pourtant édifié sur les effets de la radioactivité !), 131 détenus de prisons d’Etat de l’Oregon et de Washington se portèrent « volontaires », en échange d’un dédommagement de 200 dollars chacun, pour recevoir de fortes doses de rayons X (jusqu’à 600 röntgens) aux testicules.?Mais l’expérimentation humaine principale avait été menée lors des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 et après eux.?le Japon avait de toute façon déjà perdu la guerre et s’apprêtait à négocier, avant les bombardements nucléaires.?Les USA choisissent Hiroshima et Nagasaki pour leurs configurations différentes et y expérimentent deux bombes de types différents : plutonium pour Nagasaki ; uranium 235 pour Hiroshima . Plus de 2 00 000 victimes immédiates, sans compter celles des décennies suivantes.?Les archives américaines ont révélé que quatre des plus grandes villes japonaises avaient été retenues comme cibles potentielles et interdites de tout bombardement, afin de pouvoir attribuer à la seule bombe atomique les dégâts observables. Par ordre de « préférence», il s’agissait de Hiroshima, Niigata, Kokura et Nagasaki.?Après les bombardements les USA construisent tout un hôpital, implantent un camp de scientifiques pour examiner les survivants et mener des expériences sur eux, quelques semaines seulement après le bombardement. Mais ne soigneront personne.

URSS?En septembre 1954, l’armée soviétique exposa sciemment des civils et des militaires aux retombées d’une bombe atomique de 20 kilotonnes, explosée à 350 m au-dessus de la ville de Totskoye, dans l’Oural. outre les 45 000 soldats qui furent exposés – quand les généraux décidèrent de leur imposer des exercices militaires sur les terrains encore brûlants de radioactivité -, il y avait aussi des civils : un million de personnes environ, réparties dans un rayon de 160 km autour du site de l’expérience. En effet, Kouibichtchev (aujourd’hui Samara), alors peuplée de 800 000 habitants, se trouve à 130 km à l’ouest du site et Orenbourg, 265 000 habitants, à 160 km à l’est.?Au Kazakhstan un quart du territoire kazakh est occupé par les terrains d’essais et des usines militaires. On y a fait exploser 466 bombes atomiques : 26 au sol, 90 en altitude et 350 sous terre. Lors de l’essai, en 1953, de la première bombe à hydrogène 14 000 personnes furent exposées aux retombées. Une vaste région de ce pays est contaminée. Elle a subi une irradiation d’un niveau comparable à celui de Tchernobyl pendant quarante ans.?Source : Le scandale des cobayes humains

Chine?. Le site d’essais nucléaires chinois de Lob Nor, dans le Xinjiang, est le plus vaste du monde : 100 000 km2, dans le désert du Turkestan oriental, dont environ un cinquième a été irradié. ?Les populations locales se sont plaintes à de nombreuses reprises de maladies inhabituelles : cancers de la thyroïde ou malformations à la naissance. Les estimations du nombre de victimes vont de « quelques décès » selon les autorités, à 200 000 selon les sympathisants de la cause ouïghoure (ethnie majoritaire au Xinjiang). Des tests indépendants, conduits dans quelques villages, ont montré des taux de radioactivité très supérieurs à la limite d’alerte, et 85 000 personnes au moins vivent encore à proximité immédiate des anciennes zones d’essais. Au début des tests, ces riverains n’étaient même pas déplacés. Dans les années 70, on les faisait évacuer quelques jours avant de les faire revenir.?Source : Denis Delbecq et Abel Segretin.

Royaume Uni :?le gouvernement britannique a eu recours à des soldats australiens, anglais et néo zélandais pour les utiliser comme cobayes lors d’essais nucléaires.?Des centaines d’aborigènes ont probablement été contaminés à proximité du site d’essais de Maralinga.

Nicolas Pluet

Source : Le Matin d’Algérie 13/02/2007

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique International, rubrique Défense, rubrique Politique, Société civile, rubrique Méditerranée , Algérie,  rubrique Société, Justice,

On Line, Dossier Algérie : Les essais nucléaires français au Sahara. Annexes, Essais nucléaires en Algérie : la Laddh exige des réponses de la France, L’AVEN s’alarme des décès causés par le cancer à Tamanrasset partagé par notre ami Mèmoria, Les essais nuclaires français, Les méfaits nucléaires de la France coloniale

 

Ventes d’armes pour la Syrie et le Yémen : la filière des Balkans

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En recoupant contrats officiels, photos d’avions, de cargos ou d’hommes armés sur les front syrien ou yéménite, un collectif de journalistes met pour la première fois au jour un circuit de vente d’armes entre les pays des Balkans et du Moyen-Orient.

Très peu d’informations ont filtré jusqu’ici sur les quantités colossales d’armes qui parviennent depuis cinq ans aux différents groupes combattants en Syrie et au Yémen. L’enquête menée par un groupe de journalistes d’investigation des Balkans (1) lève une partie du voile sur la provenance et la trajectoire de ce matériel destiné aux champs de bataille du Moyen-Orient. Le marché, évalué à 1,2 milliard d’euros, implique huit pays vendeurs d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Roumanie et Slovaquie, membres de l’Union européenne, mais aussi Serbie, Bosnie et Monténégro) et quatre acheteurs l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats arabes unis et la Turquie. Des partenaires qui avaient très peu de relations commerciales avant le conflit syrien. Or, depuis 2012, des avions gros-porteurs chargés d’armes légères – fusils-mitrailleurs, lance-roquettes et munitions – décollent régulièrement des aéroports de Zagreb, Sofia ou Bratislava pour se poser à Djedda, Abou Dhabi ou Amman. Les livraisons ont considérablement augmenté en 2015 et comprennent du matériel plus lourd, y compris des chars de fabrication russe, acheminé par bateau.

Embargo contourné

«Ce commerce est certainement illégal, selon les experts des armements comme des droits de l’homme», souligne le rapport des journalistes produit dans le cadre d’un projet «pour une meilleure gouvernance». Ils ont traqué des documents et des photos sur les vols, les contrats, les rapports de l’ONU et de sources gouvernementales. Les licences d’exportation accordées contournent l’embargo décrété par l’UE sur les ventes d’armes aux belligérants en Syrie. Or des photos et des vidéos du terrain en Syrie, postées sur les réseaux sociaux montrent certaines de ces armes aux mains de brigades de l’Armée syrienne libre, soutenues par certains pays occidentaux et arabes, mais aussi de certains groupes salafistes.

Transactions pays par pays

 

Belgrade Airport | BIRN

Belgrade Airport | BIRN

Ces contrats ont rapporté des centaines de millions d’euros aux pays concernés et fait tourner leurs usines de production de munitions à plein régime. L’enquête publie les chiffres détaillés des transactions pays par pays. Ainsi, la Croatie et la République tchèque figurent en tête des vendeurs et 4 700 tonnes de matériel ont été livrés par la Bulgarie et la Roumanie à l’Arabie Saoudite. Le royaume sunnite, acheteur de près de 80% des armes des Balkans est aussi le principal bailleur de fonds des rebelles syriens. Il est en outre engagé dans une guerre au Yémen où des groupes de combattants sunnites porteurs d’armes d’origine balkanique ont été repérés sur des photos.

Les informations inédites de l’enquête des reporters des Balkans ont le mérite de révéler l’existence de l’une des filières d’armes vers les conflits sanglants de Syrie ou d’ailleurs dans la région. Les journalistes reconnaissent qu’il doit y en avoir bien d’autres et s’étonnent par exemple que le Qatar, connu pour être l’un des principaux fournisseurs des groupes armés syriens islamistes, n’apparaisse pas dans le commerce qu’ils ont mis au jour.

Hala Kodmani

(1) The Balkan Investigative Reporting Network (BIRN) and the Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP)

Source : Libération 28/07/2016

Voir aussi : Rubrique Politique Comment la France est devenue une cible « légitime » pour les groupes djihadistes, rubrique Affaires, La France et l’Italie, premiers fournisseurs européens d’armes à KadhafiKarachi le dossier avance, Renault et la “fabrication de chars pour la Wehrmacht, rubrique Economie, Rubrique UE, rubrique Moyen Orient, Israël, Drones : les secrets de la success-story israélienne,

Après Nice, une classe politique « nulle » face à une France immature

Gilles Kepel dénonce une classe politique "nulle", à propos des réactions sur l'attentat de Nice Joël Saget/Afp

Gilles Kepel dénonce une classe politique « nulle », à propos des réactions sur l’attentat de Nice Joël Saget/Afp

Sur France Inter, au lendemain de la tragédie de Nice, Gilles Kepel a dénoncé une « classe politicienne nulle » face aux changements du monde. Question: l’opinion publique française a-t-elle les politiques qu’elle mérite?

« Notre classe politicienne est nulle ». Le jugement est terrible. Surtout quand il est prononcé, au lendemain d’un événement aussi épouvantable que l’attentat de Nice, par une autorité reconnue comme le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel. C’était ce vendredi matin, sur France Inter, où le chercheur était appelé à donner son sentiment sur les réponses politiques apportées ou suggérées par les uns et les autres face à la tragédie terroriste: « débat minable, pas du tout à la hauteur du défi. Notre classe politicienne est nulle face à cela, elle donne le sentiment de courir derrière l’événement, d’être intéressée surtout par ses chamailleries ».

Le propos touche, qui vise l’ensemble d’un personnel politique qui donne le sentiment de se raccrocher à des réflexes de posture et de communication comme dépourvus de sens, comme s’il était dépassé par la dimension historique des événements auquel il est confronté.

La sentence sans appel de Gilles Kepel ne vise pas seulement la gauche de gouvernement, François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Il inclut également les gauches de la gauche, dont certains représentants, en dépit de tout bon sens, continuent de dénoncer l’Etat d’urgence, Les Républicains de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, qui oscillent entre obligation d’union nationale et tentation polémique, et le Front national de Marine Le Pen et Florian Philippot.

A en croire Kepel, les uns comme les autres ne comprennent pas le bouleversement de l’histoire auquel ils sont confrontés.

Un problème de logiciel

D’une part, en ce qu’ils ne comprennent pas l’ennemi et son fonctionnement, pourtant transparent: « le logiciel de ce terrorisme-là n’a toujours pas été compris par le pouvoir politique, quel qu’il soit (…) On est dans une autre dimension, il ne s’agit pas de dire qu’on va faire appel à la réserve, tout le monde sait que les forces de l’armée et de la police sont épuisées ».

D’autre part, en ce qu’ils n’en discernent l’objectif, présent en toutes lettres dans « les textes mis en ligne depuis 2005 par ce djihadisme de troisième génération: il faut épuiser les forces de l’ordre et il faut faire en sorte que la société, qui est totalement déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes ».

Face à ce danger, le gouvernement, chaque fois dans l’urgence, procède à des annonces qui ont pour objet de rassurer, autant que faire se peut, l’opinion. A chaque tragédie, le curseur du déploiement des forces policières et militaires monte d’un cran. Après Nice, c’est la Réserve qui est convoquée. Et l’état d’urgence maintenu pour trois mois encore. Le gouvernement pouvait-il faire autrement, dans les heures qui suivent un acte de la nature de celui commis à Nice? Non. Il fallait envoyer des signaux de rassurance l’opinion inquiète. Mais cette même opinion inquiète, en demande d’actes immédiats, sait aussi que ce qui a eu lieu à Nice relève de la menace auscultée par Gilles Kepel. Des sentinelles déployées ici et là ne suffisent pas à empêcher un individu déterminé à passer l’acte.

Partenaire du gouvernement, ses oppositions de droite, d’extrême droite et d’extrême gauche paraissent aussi éprouver de la peine à se hisser à la hauteur du rendez-vous de l’histoire. On ne sait pas encore tout du scénario de la tragédie de Nice que certains sont déjà affairés à dénoncer le pouvoir en place, à l’accuser les uns à dénoncer le manque de précautions et les failles sécuritaires, à l’image d’un sénateur LR, Philippe Dallier, qui s’est empressé de s’en prendre sur Twitter à François Hollande et Manuel Valls (avant de faire machine arrière toute), les autres à persévérer dans une dénonciation de l’état d’urgence devenue vide de sens. De ce point de vue, Kepel n’a pas tort de pointer ces « chamailleries » vaniteuses.

Gilles Kepel souligne, sans doute à juste titre, les failles des politiques. Mais il devrait aussi s’interroger sur l’état de cette même opinion, en fonction de laquelle les politiques réagissent, cette opinion qui leur demande encore et encore des mesures, des policiers, des troupes et des moyens, mais qui ne fait pas encore toujours la démonstration d’une maturité politique à la hauteur de l’enjeu.

Combien d’autruches béates?

On se souvient, par exemple, de la sortie d’un humoriste face à Manuel Valls, invité de l’émission On n’est pas couché, sur France 2, quelques semaines après les attentats du 13 novembre. Alors que le Premier ministre tentait de faire dans la pédagogie de guerre en période terroriste expliquée à un peuple qui en a perdu l’usage depuis la fin de la Guerre d’Algérie, Jérémie Ferrari s’était abandonné à l’une de ces sorties médiatiques qui caractérisent l’époque: « Vous avez dit qu’on était en guerre. Non, non, non! Vous, votre gouvernement est en guerre, nous on n’est pas en guerre. Nous, on se fait tirer dessus quand on va voir des concerts. Vous êtes en guerre, le gouvernement est en guerre, pas nous! »

On rappelle ici la saillie de l’humoriste prétendant au rôle de penseur parce qu’elle est emblématique du problème français. Déni de l’histoire. Refus de la réalité. Fuite. Dérobade. A l’époque, il s’était trouvé bien des gens pour saluer la sortie de Jérémie Ferrari, qui avait cloué le bec de Manuel Valls en se posant en pacifiste qui ne veut faire la guerre à personne. Cette anecdote disait pourtant toute la difficulté de faire de la politique, sous menace terroriste, face à une opinion qui ne veut pas comprendre que l’histoire redevient tragique. Combien de Jérémie Ferrari en France, à droite ou à gauche, à l’extrême droite et à l’extrême gauche? Combien d’autruches béates, la tête enfouie dans les caves de la Ligne Maginot des idéalités infantiles?

La classe politicienne est-elle « nulle » parce qu’elle est, aussi, confrontée à une opinion publique anesthésiée par un demi-siècle de paix, et qui serait devenue en grande partie toute aussi « nulle »? La question mérite d’être posée. Et vite.

Si, comme le dit Kepel, notre classe politique est nulle, tétanisée par une opinion fragmentée, clivée et divisée, le risque est alors grand de voir triompher la stratégie déployée par les ennemis de la France, à savoir « faire en sorte que la société, qui est totalement déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes ». Soit la possible réalisation de l’analyse développée par le directeur de la DGSI Patrick Calvar, qui, auditionné dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, a déclaré : « la confrontation entre l’ultra-droite et le monde musulman inéluctable ».

Cette perspective est-elle inéluctable? De Hollande à Sarkozy, en passant pas Juppé et Valls, les politiques vont devoir convaincre du contraire. Convaincre Jérémie Ferrari et ses semblables, voilà l’urgence. Et pour ce faire, relire Mendès France, l’apôtre du convaincre en démocratie : « Pour les dirigeants d’abord. Le premier devoir, c’est la franchise. Informer le pays, le renseigner, ne pas ruser, ne pas dissimuler ni la vérité ni les difficultés ; ne pas éluder ou ajourner les problèmes, car dans ce cas, ils s’aggravent ; les prendre de face et les exposer loyalement au pays, pour que le pays comprenne l’action du gouvernement ». Pour ne pas être « nul » aux yeux de Kepel, il faut sans doute renouer avec Mendès.

Source : Challenges 15/07/2016

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