Transition à haut risque en RDC. Omniprésence des intérêts étrangers

anvil-mining1Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo. » Un demi-siècle après l’indépendance de l’ancien Congo belge, en 1960, le mot de Frantz Fanon sonne toujours aussi juste. Géant économique de l’Afrique centrale, la République démocratique du Congo (RDC) détient les premières réserves mondiales de coltan et les quatrièmes de cuivre. Cela fait d’elle une zone stratégique pour les industries du monde entier. Australiennes, canadiennes, chinoises, sud-africaines ou américaines, les sociétés minières se sont vu qualifier par l’écrivain In Koli Jean Bofane de « touristes à but lucratif (1)  ». Depuis 2003, plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur les causes économiques du conflit dans l’est de la RDC (2) ont mis en lumière le lien entre les milices armées et l’exploitation, pour le compte de sociétés étrangères, de minerais stratégiques indispensables à la fabrication de certains appareils électroniques comme les téléphones portables.

Affichant une volonté de changer les pratiques, Washington veille désormais à effectuer avec diligence toutes les vérifications concernant l’origine de ses approvisionnements en minerais. Les États-Unis ont même abandonné le Nord-Kivu après l’adoption en 2010 de la loi Dodd-Frank. Celle-ci exige que les sociétés cotées en Bourse outre-Atlantique rendent publique l’origine de certaines matières premières — étain, tantale, tungstène, or — contenues dans leurs produits, afin de prouver qu’elles ne proviennent pas de la RDC ou de l’un de ses neuf pays limitrophes. N’étant pas liés par cette mesure de lutte contre les « minerais de conflit », des comptoirs chinois ont pris le relais des sociétés américaines dans les régions concernées. En mai, un groupe américain, Freeport-McMoRan, a par ailleurs cédé à China Molybdenum, pour 2,6 milliards de dollars, la plus grande mine de cuivre et de cobalt de RDC, Tenke Fungurume, située dans le Katanga.

Une partie du jeu se déroule loin du territoire national, notamment en Belgique, pour des raisons qu’un diplomate européen estime relever de la « géopolitique pure ». L’ancienne métropole coloniale accueille volontiers les opposants en exil. Cinquante-cinq ans après l’assassinat par des policiers belges du héros de l’indépendance Patrice Lumumba, son vice-premier ministre Didier Reynders, chargé des affaires étrangères, a appelé le président Joseph Kabila à assurer pour la première fois dans l’histoire de son pays une « transition démocratique et pacifique ». L’avenir de la RDC se joue également à Washington, New York, Londres et Paris — qui surveille cet espace géostratégique et francophone —, mais aussi au Rwanda et en Ouganda et, dans une moindre mesure, en Zambie, en Angola et en Afrique du Sud, pour des raisons de stabilité politique et parce que l’on craint un afflux de réfugiés congolais.

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Aucun des voisins africains ne peut être décrit comme un allié sûr de M. Kabila. Au milieu des années 1990, les présidents ougandais Yoweri Museveni et rwandais Paul Kagamé avaient soutenu Laurent-Désiré Kabila dans sa rébellion contre Joseph Mobutu. Ces aînés régionaux ont ensuite été accusés d’entretenir des rébellions dans le Nord-Kivu, une province frontalière de leurs pays, pour mieux en exploiter les minerais. Ils ont essuyé en octobre 2013 la défaite de leur allié, le Mouvement du 23 mars (M23). Ce groupe rebelle a été écrasé par l’armée congolaise avec l’appui de la brigade d’intervention africaine de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) et, de manière non officielle, d’un escadron d’hélicoptères sud-africains (3).

Il n’empêche. L’Ouganda et le Rwanda ont intérêt à conserver une RDC faible sur leurs flancs, et restent craints pour leur capacité militaire. En 2015, après des années de froid, M. Kabila a habilement repris langue avec M. Kagamé, lui-même en délicatesse avec la « communauté internationale » en raison de son exercice autoritaire du pouvoir. Certains redoutent un nouvel embrasement dans le Nord-Kivu, qui pourrait servir de prétexte au report de l’élection présidentielle (lire « Transition à haut risque en République démocratique du Congo »).

La présence de la Monusco, la plus importante force des Nations unies jamais déployée dans le monde (22 400 personnes, dont 19 400 en uniforme), est un garde-fou bien peu efficace face aux dérives répressives. Malgré les demandes de retrait répétées formulées par M. Kabila, le Conseil de sécurité reconduit chaque année cette mission créée en novembre 1999. Les troupes internationales sont pour l’essentiel déployées dans l’est du pays, où elles ne parviennent pas à empêcher les massacres ni à endiguer la prolifération des groupes armés. Sur le qui-vive, elles peuvent cependant réagir dans la capitale, comme elles l’ont montré un soir d’affrontement entre la police et des civils, début août 2016, aux portes du domicile de l’opposant Étienne Tshisekedi. Mais la Monusco laisse également le souvenir d’une force prompte à s’évaporer en cas de troubles graves, comme en 2007 à Kinshasa, lors de l’assaut lancé par l’armée régulière contre la résidence de l’ancien vice-président de la République et opposant Jean-Pierre Bemba.

Les pressions internationales seront-elles déterminantes ? « Ici, nous ne pouvons pas échouer », affirme l’Espagnol José Maria Aranaz, directeur du bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme en RDC. Il n’en redoute pas moins le basculement vers un régime « prêt à manipuler les institutions et à réprimer, comme au Burundi, où la “communauté internationale” n’a pas réussi à résoudre le conflit électoral ». Les Nations unies avaient « certifié » la présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire, organisée avec cinq ans de retard, sans pour autant empêcher la grave crise qui a suivi (4). Elles ne prendront pas cette responsabilité en RDC, malgré l’argent dépensé depuis 1999 pour le maintien de la paix : 1,3 milliard de dollars par an, l’équivalent de 2 % du produit intérieur brut (PIB) de ce pays.

Rien ne dit non plus que l’« extrême vigilance » de la Cour pénale internationale (CPI) porte ses fruits à Kinshasa. En juin dernier, la Cour, qui a ouvert en 2004 une enquête sur les violations des droits humains commises en RDC, a condamné M. Bemba à dix-huit ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais pour ses agissements en Centrafrique et non en RDC. Touchant un opposant déclaré à M. Kabila, ce verdict a cependant été perçu comme favorable au pouvoir.

Les violences perpétrées contre les manifestants pourraient conduire à son tour le président congolais devant la justice internationale. Mais l’autorité de la CPI s’effrite en Afrique : le Burundi a décidé le 16 octobre de la quitter, suivi de peu par l’Afrique du Sud, la Gambie et la Namibie.

Sabine Cessou

(1) In Koli Jean Bofane, Congo Inc. Le testament de Bismarck, Actes Sud, Arles, 2014.

(2) Cf. « Rapport final du groupe d’experts sur la RDC », New York, 12 janvier 2015.

(3) Lire « Jours d’après-guerre au Congo », Le Monde diplomatique, janvier 2014.

(4) Lire Vladimir Cagnolari, « Croissance sans réconciliation en Côte d’Ivoire », Le Monde diplomatique, octobre 2015.

Source : Le Monde Diplomatique Décembre,

 

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