Ce sont des travailleurs «invisibles», disponibles à tout moment. Jour et nuit. 7 jours sur 7. Ils sont pourtant les moins bien payés. Parfois privés de salaire. Dans la plupart des pays africains, aucune loi ne les protège contre les abus. Il s’agit pourtant d’un secteur pourvoyeur d’emplois, à condition qu’il soit reconnu et organisé. Elles seraient plus de 60.000 fillettes âgées de 8 à 15 ans à travailler comme domestiques au Maroc, selon Human Rights Watch qui dénonce régulièrement le sort réservé à ces mineures forcées de travailler 12h par jour pour un salaire de misère.
Certains y laissent leur vie
La pauvreté pousse les parents à confier leurs enfants à des familles plus aisées moyennant des salaires de misère, explique le journal en ligne Contretemps qui a constaté que l’absence de contrat entre les parents et la famille d’accueil ouvre la voie à tous les abus. Cela devrait toutefois changer après le vote, le 26 juillet 2016, par le parlement marocain d’une nouvelle loi régulant les conditions du travail domestique. Le nouveau texte qui doit entrer en vigueur avant fin 2017 exige des contrats de travail et limite les heures de travail, prévoit des congés payés et fixe un salaire minimum. Les employeurs qui enfreignent ces dispositions s’exposent à des sanctions financières et à des peines de prison en cas de récidive.
Le sort de ces «petites bonnes à tout faire» avait ému le Maroc après le décès, en mars 2013, d’une adolescente qui a succombé aux sévices infligées par son employeuse. Un calvaire pour la jeune Fatym, âgée de 14 ans, brûlée au 3e degré sur le thorax, aux mains et au visage. L’employeuse a été condamnée à 20 ans de prison.
Des services non rémunérés
Qu’elles soient nounous, bonnes ou femmes de ménage, leur travail n’est pas considéré comme «un vrai travail», explique la Secrétaire générale du syndicat des domestiques sud-africains à Jacqueline Derens qui anime un blog sur le site de Médiapart. «Les patrons ne voient pas pourquoi une personne qui fait le ménage, la cuisine, le repassage et s’occupe des enfants quand eux partent pour un vrai travail pourraient revendiquer quoi que ce soit.»
Et si la domestique vit chez son patron, ajoute-t-elle, «elle doit toujours être disponible. La vieille ficelle de la domestique qui fait partie de la famille est toujours utilisée pour obtenir des services non rémunérés.»
«Une traite qui ne dit pas son nom»
C’est ce que l’Ivoirienne Chantal Ayemou qualifie de «traite qui ne dit pas son nom».
La présidente du Réseau ivoirien pour la défense des droits de l’enfant et de la femme se bat pour obtenir un cadre légal et une reconnaissance du travail domestique en Côte d’Ivoire. «Souvent on fait venir la petite-nièce du village»,explique-t-elle à RFI. «Souvent elle vient en bas âge et reste là pendant des années. C’est elle qui fait tout dans la maison. Pendant que les autres enfants de son âge sont en train de jouer, elle est affairée aux tâches ménagères. Ce sont des mentalités qu’il faut abandonner.»
La Côte d’Ivoire élabore difficilement un statut pour les travailleurs domestiques, «ces bonnes, servantes et boys» comme on les appelle à Abidjan, qui souffrent en silence. Pas un jour de congé, ni repos hebdomadaire. Selon Chantal Ayemou, 26% d’entre eux travaillent sans percevoir de salaire. «Des agences placent ces filles dans des ménages. Pendant que ces filles se tuent à la tâche, ces agences perçoivent le salaire mensuel.»
Un secteur pourvoyeur d’emplois
Tout le monde en convient, le travail domestique est un secteur pourvoyeur d’emplois à condition qu’il s’exerce dans un cadre légal. Certains pays africains ont décidé d’y mettre de l’ordre.
C’est le cas de la Namibie qui a instauré en avril 2015, un salaire minimum pour les 46.000 employés de maison enregistrés dans le pays. Ils bénéficieront désormais des heures supplémentaires, des congés payés et des frais de transport. Leur salaire minimum mensuel, estimé à 50 dollars, devrait désormais doubler.
La Namibie rejoint ainsi ses voisins, l’Afrique du Sud, le Zimbabwé et le Botswana qui ont déjà mis en place la même mesure. D’autres pays du continent pourraient leur emboîter le pas. D’autant que la plupart d’entre eux ont ratifié la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les travailleurs domestiques. Elle est entrée en vigueur le 5 septembre 2013.
Une étudiante dans son logement Crédit : AFP / Pascal Pavani
Le député (PS) du Val-d’Oise François Pupponi estime que si le système d’aides est très coûteux, celles-ci s’avèrent nécessaires pour les ménages les plus modestes.
Le gouvernement a annoncé, samedi 22 juillet, une baisse de 5 euros par mois des aides au logement, à partir du 1er octobre, pour les 6,5 millions de bénéficiaires. Durant tout le week-end, cette mesure, qui devrait permettre d’économiser 100 millions d’euros en 2017, a été fustigée, et mise en rapport avec la baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui coûtera à l’Etat entre 3 milliards et 4 milliards d’euros, sans que le gouvernement réagisse.
Le député (PS) du Val-d’Oise et maire de Sarcelles François Pupponi avait piloté, en 2015, un groupe de travail à l’Assemblée nationale sur les aides au logement, qui avait rendu ses conclusions en mai de la même année.
Que pensez-vous de la mesure envisagée par le gouvernement ?
C’est absurde ! Notre groupe de députés, qui a planché sur le sujet en mai 2015, avait précisément écarté toute mesure de réduction généralisée. Car ce système est, certes, très coûteux : 18 milliards en 2016, probablement 18,5 milliards en 2017, mais il est d’une nécessaire efficacité sociale : 60 % des allocataires vivent sous le seuil de pauvreté, 80 % gagnent moins que le smic, les aides représentent 21 % des revenus des 10 % des ménages les plus modestes.
Grâce à ces aides, les Français sont ceux qui ont les taux d’effort logement les moins élevés d’Europe. Pour moi, cette réduction générale est juste une bourde de Bercy, qui cherche à tout prix des économies. Il est certain que le budget est colossal et dérive chaque année de plusieurs centaines de millions. Il faut le contenir et le rendre plus efficace.
Quelles pistes d’économie proposez-vous ?
Tout d’abord, les frais de gestion des caisses d’allocations familiales sont énormes : 800 millions à 900 millions d’euros. Le calcul des aides est trop complexe et trop fréquent. Au lieu de réactualiser tous les trois mois, on pourrait le faire tous les six mois.
Ce qui est difficile à gérer, ce sont les ruptures de situation des allocataires, comme les pertes ou les reprises d’emploi qui peuvent se succéder à un rythme rapide. Ces calculs incessants n’offrent aucune visibilité aux familles sur leur budget, il faut donc simplifier pour tout le monde.
Dans mon rapport, je signale que 30 % des allocataires ne paient aucun loyer, car les aides, avec le forfait charges, couvrent la totalité de la quittance. C’est particulièrement vrai dans les zones détendues [secteurs sans tension en matière de demandes de logement] où les loyers privés sont bas. C’est un chiffre qui circule sous le manteau, que j’ai donné dans mon rapport et que personne n’a contredit. Il faudrait l’expertiser.
Ce serait une mesure de justice sociale de laisser un reste à charge à tous : pourquoi le smicard de Reims n’a aucun loyer alors que celui de Sarcelles doit consentir de gros efforts pour se loger ? Ce serait juste que tout le monde paie un peu et cela permettrait des économies.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les aides ont un effet inflationniste ?
C’est certain pour les petites surfaces et les logements des étudiants, qui doivent se loger dans le privé. La Cour des comptes l’a encore affirmé, l’aide d’un montant moyen de 225 euros distribuée à 800 000 étudiants coûte plus de 2 milliards d’euros.
On pourrait plafonner les loyers étudiants et cesser d’engraisser les bailleurs privés sans pénaliser les locataires. Ce n’est pas plus difficile que cela.
Le texte renforce le contrôle politique sur l’institution judiciaire. L’opposition crie au coup d’Etat.
Le Sénat du Parlement polonais, dominé par les conservateurs, a approuvé dans la nuit de vendredi 21 à samedi 22 juillet une réforme controversée de la Cour suprême, en dépit des mises en garde de l’Union européenne (UE), des appels de Washington et d’importantes manifestations.
Le texte, adopté mercredi par la chambre basse, a été soutenu par 55 sénateurs, contre 23 voix d’opposition. Deux sénateurs se sont abstenus.
Tout au long des débats qui ont duré quinze heures, des milliers de manifestants ont protesté dans toute la Pologne contre cette loi qui renforce le contrôle politique sur la Cour suprême. Après le vote, les manifestants rassemblés devant le Parlement, ont scandé « Honte ! », « Traîtres ! », « Démocratie ! ».
Pour entrer en vigueur, le texte doit être promulgué par le président Andrzej Duda, lui-même issu du parti conservateur Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski au pouvoir. Le chef d’Etat dispose de vingt et un jours pour signer le texte, y mettre son veto ou, en cas de doute, le soumettre au tribunal constitutionnel.
« Coup d’Etat », d’après l’opposition
L’opposition, des organisations de magistrats, le médiateur public et les manifestants ont appelé le président Duda à user de son veto à propos de cette réforme, ainsi qu’à deux autres réformes adoptées récemment qui, selon eux, accroissent le contrôle du pouvoir exécutif sur le système judiciaire.
L’opposition dénonce un « coup d’Etat », alors que le PiS présente les réformes comme indispensables pour rationaliser le système judiciaire et combattre la corruption. Il considère la résistance à ces initiatives comme la défense des privilèges et de l’impunité d’une « caste » des juges.
Mercredi, la Commission européenne avait sommé Varsovie de « mettre en suspens » ses réformes, agitant la menace de possibles sanctions comme la suspension des droits de vote de la Pologne au sein de l’UE.
Séparation des pouvoirs
Tout en soulignant que la Pologne est « un proche allié » de Washington, le département d’Etat américain a déclaré que les Etats-Unis étaient « préoccupés » par une législation « qui semble limiter le pouvoir judiciaire et potentiellement affaiblir l’Etat de droit en Pologne ».
« Nous exhortons toutes les parties à assurer qu’aucune réforme judiciaire ne viole la Constitution polonaise ou les obligations juridiques internationales et respecte les principes de l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs », selon un communiqué.
De son côté, le premier ministre hongrois Viktor Orban a, au contraire, promis de défendre la Pologne contre ce qu’il estime être une « inquisition » de Bruxelles. « Dans l’intérêt de l’Europe et dans l’esprit de l’ancienne amitié hongro-polonaise, la campagne d’inquisition contre la Pologne ne peut jamais mener au succès », a lancé le leader populiste, lors d’une visite en Roumanie.
« La Hongrie utilisera tous les moyens légaux possibles au sein de l’Union européenne afin de montrer la solidarité avec les Polonais », a-t-il insisté.
La loi sur la Cour suprême arrive juste après deux autres textes votés le 12 juillet. Le premier porte sur le Conseil national de la magistrature et mentionne que ses membres seront désormais choisis par le Parlement. Le deuxième modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la justice.
Arrivés au pouvoir en octobre 2015, les conservateurs ont entrepris plusieurs réformes radicales. Certaines – telles celles du Tribunal constitutionnel et des médias publics – avaient déjà suscité des critiques de la Commission européenne.
Source ; Le Monde.fr avec AFP 22/07/2017
REvue de presse
La révolution culturelle de Kaczynski
Le Monde tente d’expliquer les motivations profondes du PiS :
«Sous la houlette du président du parti, le très secret Jaroslaw Kaczynski, le PiS s’est donné une mission : sortir la Pologne de l’occidentalisme décadent que lui imposerait l’UE, ramener le pays à son identité catholique la plus fondamentale. M. Kaczynski ne cache pas qu’il mène une bataille culturelle et idéologique. … Au service de sa révolution, cet homme veut un Etat fort, délesté de la machinerie des contre-pouvoirs qui caractérisent les démocraties ‘occidentales’. Il se dirait volontiers inspiré par Dieu. La question est de savoir si un tel Etat a sa place dans une Europe qui puise, elle, son inspiration chez Montesquieu.»
Fini les jours heureux en Pologne
Pour Gazeta Wyborcza, l’action du Parlement signe la mort de l’Etat de droit :
«Mercredi, les députés du parti PiS ont mis un terme à l’indépendance de la justice et confié les tribunaux au [ministre de la justice] Zbigniew Ziobro, qui dispose d’un pouvoir illimité et souhaite en découdre avec les juges. C’est la fin de l’Etat de droit. … A partir d’aujourd’hui, toute personne nommée un matin par Jaroslaw Kaczynski peut se faire lyncher le soir à la télévision [publique] nationale, mais également être mise sur écoute, traînée devant la justice, arrêtée, condamnée et déclarée coupable par toutes les instances. … Nous sommes au mois de juillet, tout le monde est à la plage, à boire de la bière en mangeant des saucisses. Malheureusement, le soleil ne sera que de courte durée. Les 27 plus belles années de l’ère démocratique polonaise s’achèvent, pour laisser place à un régime autoritaire.»
Capture d’écran du film « About a boy » inspiré du livre de Nick Hornby (DR)
C’est au moment de l’entrée à l’école que ça a lieu. Ce petit garçon dont la première grande amie fut une fille et qui jouait indifféremment avec ses figurines « Reine des neiges » et « Livre de la jungle » se transforme en chantre de la masculinité.
Son petit frère, encore à la crèche, une douceur toute ronde surnommée « pomme poussin », se met par mimétisme à crier « à l’attaque » et « à l’abordage » en dévalant les rues pavées et ne porte plus qu’un T-shirt Spider-Man heurtant. Ou l’autre, avec « un dragon feu ».
Le soir, l’aîné, en moyenne section de maternelle, vous raconte que lui et ses potes sont poursuivis dans la cour par une petite fille qui veut leur faire des bisous et qui chante du Balavoine, « Qu’est ce qui pourrait sauver l’amour » ? pour déconcentrer leurs jeux de bagarre.
Quand on lui répond que cette petite fille a l’air d’être un génie, qu’elle mériterait un portrait en der de Libé, il entre dans une colère noire et lance des coups de pied en l’air (c’était pas la bonne réponse). Plus tard, les deux garçons dessinent. L’aîné commente. « Maman, là, il y a un gentil qui a un sabre laser. Et un pistolet qui lance des lasers. Des rayons laser. C’est la guerre. » OK, cool. Je me tourne vers le petit. Et toi, c’est quoi ces traits rouges alors ? « Un gros soldat de Napoléon. » Silence. Bon. C’est l’horreur et c’est tout à fait normal.
Recyclage
Sachez-le, cette genrification soudaine et radicale de vos enfants est banale. L’une des explications : l’entrée à l’école.
Julie Pagis, chercheuse en sociologie politique au CNRS, qui a écrit « l’Enfance de l’ordre » (Seuil), s’exclame :
« Quand ses enfants se transforment comme ça, on se dit ‘mais c’est une catastrophe, c’est dans les gènes !’ Mais non, c’est l’école. »
La chercheuse explique dans son livre que les enfants recyclent les injonctions domestiques (sois propre, tiens-toi bien) pour construire leur modèle social. C’est la raison pour laquelle ils vantent les mérites d’une société hygiéniste et sécuritaire. Mais ce n’est pas tout.
« Les enfants recyclent aussi les injonctions quotidiennes de leur groupe de pairs, dont la principale est de ne pas déroger aux normes de sa classe de sexe. Il y a sanction dès qu’il y a déviance de genre. C’est raconté dans le livre : j’ai vu un petit garçon devoir se justifier parce que son slip était violet… Trop proche du rose. »
Alors que doit-on/peut-on faire, en tant que parent, pour contrebalancer ce modelage spectaculaire (sachant qu’il ne s’agit pas de dire ici que seule une réponse individuelle est souhaitable) ?
« Laissez-les pleurer »
Acheter une poupée au plus petit, faire de « Ce rêve bleu » d’Aladin l’hymne du bain (toi aussi, jeune mâle, apprends l’amour dégoulinant), arrêter d’acheter des T-shirts super-héros, inviter la petite fille qui chante du Balavoine à la maison (il a l’air de bien l’aimer, en fait), expliquer aux garçons que notre corps de mère n’est pas à leur disposition pour s’y lover ou y grimper (« là je fais autre chose, t’as vu ? »).
Pourquoi pas. L’article du « New York Times » « How to raise a feminist son », « Comment faire pour que son garçon soit féministe », fait ses propres préconisations. Onze conseils et parmi eux :
laissez pleurer vos petits garçons,
apprenez-lui à s’occuper de lui,
aidez les amitiés féminines,
apprenez-lui que non veut dire non,
et que « fille » n’est pas une insulte,
indignez-vous contre l’intolérance et le sexisme devant lui,
lisez-lui des livres sur des héroïnes.
Décence ou féminisme ?
Publié début juin, l’article a divisé le monde en deux.
Une partie des lecteurs a dénoncé la furie féministe qui veut désormais troubler la construction identitaire des jeunes garçons. Nouveau projet mondial. Les autres, qui se posent ces questions tous les jours, étaient reconnaissants (l’article a été partagé 360.000 fois).
A noter, Melinda Gates, la femme de Bill, fait partie du deuxième groupe. Sur Facebook, elle écrit :
« En élevant mon garçon, Rory, j’ai compris qu’on ne peut pas enseigner le genre en une seule conversation. C’est quelque chose qui s’inscrit doucement et silencieusement à l’intérieur de petits moments. »
Sur les réseaux, le titre de l’article a aussi été indéfiniment discuté. Parle-t-on ici d’une éducation féministe ou simplement décente ? A notre avis, ce dont il s’agit se situe entre les deux. C’est plus que de la décence et c’est peut-être moins que du féminisme. Disons que c’est une éducation résistante aux stéréotypes.
C’est là-dessus que nous avons interrogé plusieurs parents, intéressés par ces questions, et voici comment ça se passe chez eux.
1 La tranche « speed »
Montrer à ses enfants une répartition des tâches égalitaire, c’est évidemment par là qu’il faut commencer. Dans l’article du « New York Times », l’une des sociologues interrogées :
« Les garçons qui ont été élevés par des mères qui travaillent sont significativement plus égalitaires dans leurs comportements. »
Un autre précise :
« Quand c’est possible, il vaut mieux ne pas tomber dans une répartition des tâches genrée. »
Problème : même dans les couples où il y a une bonne répartition des tâches, cette dernière reste souvent genrée.
Xavier, journaliste de 40 ans, nous explique qu’il en fait à peu près autant que sa femme. Mais que lui se consacre plutôt aux tâches extérieures (courses) et elle intérieures (ménage).
La grande réussite de ce couple, quand même, c’est que la « tranche speed » des enfants (18/20 heures) est quasiment toujours réalisée à deux.
« Je n’ai jamais fait d’horaires à rallonge. »
Avant de raccrocher, la sociologue Christine Mennesson me lance :
« L’important, c’est quand même ce qu’on donne à voir en termes d’organisation de la vie familiale. Il n’y a pas que la répartition des tâches, il y aussi la question de savoir qui dépense l’argent et qui prend les décisions. »
Ou qui sauve les situations. Anne*, maman d’un petit garçon de 2 ans et demi, très au fait des questions de genre, se marre :
« Si à chaque fois que j’ai un problème avec l’évier, je vais voir le papa de mon fils… C’est un problème. »
2 La mère n’est pas un terrain vague
Xavier, père de deux jeunes garçons, raconte :
« Il y a autre chose qu’on a vraiment fait, c’est mettre des barrières. On a des moments et des espaces à nous. Le lit parental, par exemple. Je trouve que c’est une bonne manière de leur faire prendre conscience que nous ne sommes pas à disposition, surtout leur mère…
Qu’elle n’est pas là pour éponger tous leurs désirs et leurs caprices à n’importe quel moment. »
Xavier dit que les femmes sont souvent « plus en prises » avec les caprices. Quand un enfant ne veut pas dormir, ce sont elles qui vont dans la chambre une fois, deux fois… Et le père intervient la cinquième fois.
« Quand ils sont durs avec leur mère et ils le sont souvent plus avec elle, je ne réagis jamais en me disant ‘c’est leur histoire à eux’, je me range de son côté tout de suite. On ne peut pas la pousser plus que moi. »
3 Se déconditionner
Le matin, quand j’habille mon fils de 4 ans et demi, je soulève une jambe inerte, puis l’autre. Je tire sur son pantalon comme si son corps était un tuyau de chair. A ce moment-là, en général, je me plains. Je dis un truc du genre, « ça va durer combien de temps ce problème de motricité fine ». Et il rigole :
« Oui je sais maman, je serais une fille, je m’habillerais tout seul depuis au moins un an et demi. »
Rires complices. Problème : je continue de l’habiller.
Je me dis qu’il va mal faire, ou faire trop lentement ou alors j’aime ça plus que je ne le prétends. Mais il faut que je me surveille.
Gaëlle-Marie, mère féministe de grands enfants, trouve que c’est déjà « vraiment cool » que j’en aie conscience.
« Un garçon, on va avoir tendance à considérer qu’il n’est pas capable de ramasser une chaussette avant ses 18 ans. Tandis qu’avec une fille, on va tisser une complicité de maîtresse de l’espace domestique. »
Mais en tant que parent, à force de ne pas agir de la même façon pour les filles et les garçons, on crée des problèmes. Dans son livre « le Meilleur pour mon enfant » (éd. Les Arènes, 2015), Guillemette Faure cite la neurologue Lise Eliot :
« On observe bien quelques différences entre les cerveaux masculin et féminin à la naissance, mais ces différences sont minimes. »
Comme le note le « New York Times », il est important d’apprendre aux garçons à s’occuper d’eux. Pour que ça rentre. Gaëlle-Marie :
« Avec moi, c’est simple, ils ont tous allés se faire foutre. Il n’était pas question que je fasse la boniche à la maison. Je n’ai pas plié un tee-shirt de mon gamin depuis dix ans. Au moment de son bac, j’ai proposé de l’aider avec sa chambre : il m’a dit que c’était sympa mais que je n’étais pas obligée. Le message était passé. »
4 Doucement sur le « t’es fort »
L’enfant fait une petite acrobatie, un tour sur lui-même, en criant « t’as vu maman ? » Que répondre à part un truc genre « wow, bravo, trop fort » ? (J’ai essayé le « ouais bof » mais c’est vraiment pas sympa.)
Et que dire aux puéricultrices de la crèche qui font une fête quand votre petite fille arrive avec une robe ? « Mais mon Dieu, que tu es belle ! »
Voilà comment on se retrouve devant cette vidéo mentionnée par Virginie Despentes dans une récente interview qui montre des enfants des deux sexes manger des yaourts dégueulasses (trop salés). Alors que les garçons, confiants, disent « beurk », les filles se retiennent de dire ce qu’elles pensent, avalent le truc et sourient.
Dans son livre, la sociologue Julie Pagis raconte que les filles, observées dans le cadre de son étude, plaçaient le métier de fleuriste plus haut dans la liste hiérarchique des professions. « Parce que c’est joli. »
« Quand on dit tous les matins à sa fille qu’elle est belle… Ça veut dire « il faut que tu le sois », c’est une injonction implicite et ça peut avoir un vrai effet à long terme. »
Ça vaut aussi avec le « t’es fort » pour les garçons.
5 Essayer le roller
Christine Mennesson, sociologue, nous dit que les activités sportives jouent un rôle important dans la construction des normes de genre.
« Cela participe à la fabrication d’une forme de masculinité que certains qualifient d’hégémonique ou traditionnelle. »
Mais, d’un autre côté, les compétences sportives sont importantes pour l’intégration sociale avec le groupe de pairs :
« Très souvent, le garçon en périphérie dans la cour de récréation a un déficit de compétence sportive. »
On peut donc faire une balance coûts-avantages.
Christine Mennesson précise qu’il existe des contextes qui favorisent l’apprentissage d’une plus grande tolérance (comme les séances de roller mixte, par exemple).
Xavier ajoute que les activités culturelles rapprochent les sexes. Son fils, qui a lu « Harry Potter » huit fois, en parle avec les filles de sa classe.
Dans une sorte de combo gagnant, on peut aussi croiser le sport et la culture. Adeline, dont le fils est fan du PSG, nous dit :
« Je lui fais une éducation en parallèle : on regarde des vieux matchs des années 1970 et du foot féminin. »
6 Le bon commentaire
Un commentaire au moment où il se passe un truc sexiste. Gaëlle-Marie :
« Nous, pendant des années, on a désapprouvé les pubs pendant les soirées télé mais sans se tourner vers eux. »
Ou après. Dans son livre autobiographique « Saturday’s Child », la féministe américaine Robin Morgan parle de l’éducation de son petit garçon Blake ? devenu lui-même un féministe revendiqué.
« Aucun livre, aucune émission, aucun film n’est interdit, mais on en parle après autant qu’il faut. »
7 Les grandes discussions
Pour ça, Gaëlle-Marie pense qu’il y a des créneaux :
« Ce que j’ai noté, c’est qu’il y a quand même des périodes où ils sont plus réceptifs. Dans le cadre des vacances scolaires, par exemple. »
Xavier commence doucement à penser à la discussion qu’il va avoir d’ici un ou deux ans avec son aîné.
« Je veux lui parler du consentement et du désir masculin qui n’est pas forcément en adéquation avec le plaisir féminin. Lui dire qu’il n’y a pas que la pénétration vaginale, mais aussi le clitoris. Que le sexe ne se termine pas avec l’orgasme masculin. C’est important de savoir ça, et ça permet de changer plus globalement la représentation de la femme… Moi, personne ne me l’a dit. »
Il sourit :
« Mais je n’ai aucune idée de comment je vais faire ça. »
8 Mettre du féminin à la maison
Anne, qui a un petit garçon de 2 ans et demi, se sent démunie face à toutes ces questions. Elle tâtonne :
« Quand on est féministe, on croit savoir ce qu’on devrait faire avec une fille… Mais un garçon, c’est encore autre chose. »
Il y a une asymétrie des normes de genre. Si une fille doit être poussée à s’autoriser plus de choses, que faire avec un garçon ?
Anne tente de faire entrer du féminin dans l’imaginaire très développé de son petit garçon. Elle fait attention à ce qu’il y ait, dans sa bibliothèque, autant d’héroïnes que d’héros. Elle essaye de mixer les boîtes Playmobil. Et féminise les peluches de son fils. Ce n’est pas son renard, mais sa renarde.
« On s’est beaucoup moqué de moi pour ça. Mais c’est toujours le masculin qui l’emporte par défaut… Sauf quand c’est une girafe ou une tortue. »
Dans son livre, Robin Morgan raconte qu’elle imaginait pour son fils des alternatives aux « fêtes patriarcales ». « La fête des sorcières », par exemple.
9 Pas la guerre, mais…
Robin Morgan écrit aussi qu’elle a acheté des poupées et des camions à son fils. Et interdit les jouets de guerre. Mais pour donner le change au groupe de pairs de l’école, elle a imaginé des substituts.
Elle a raconté à son fils les légendes médiévales (la Table ronde).
« Au moins, les batailles peuvent être déconnectées de la réalité : les massues et les lances ne sont pas un enjeu au Vietnam. Il ne pourra pas se dire que les armes actuelles sont des jouets et vice-versa. »
10 Une femme n’est ni une mère ni une amoureuse
Voilà un réflexe à la con particulièrement répandu. Ça m’est arrivé l’autre jour au square. Mon fils de 2 ans et demi jouait avec une petite Nina. A un moment, ils se sont pris la main. Excitation générale comme s’il était un vieux célibataire dégoûtant et qu’il avait enfin une occaz.
« Vous vous faites un bisou pour vous dire au revoir ? »
Mauvais réflexe. Nina est une petite fille qui n’a pas demandé à avoir un petit peu de salive sur la joue.
Anne a un autre problème avec son fils : quand il pointe du doigt les femmes des publicités dans la rue, il les appelle « des mamans ».
« C’est très difficile de trouver dans les livres d’enfants des adultes qui ne soient que des adultes… Ce sont toujours des parents. »
Et si elle n’est pas une mère, elle n’est pas une putain. Dans son étude sur la diffusion du féminisme dans la sphère familiale, Camille Masclet, sociologue, raconte l’histoire de Jeanne « qui interdisait à son fils de dire ‘putain’ parce que c’est une injure faite aux femmes ».
11 De la délicatesse
Une fois qu’on a dit tout ça, il faut faire attention à ce qu’on fait.
Gaëlle-Marie :
« La grosse propagande est contre-productive et peut mettre les enfants dans des situations de décalage trop grandes.
A un petit garçon en maternelle, on peut tenter d’expliquer doucement qu’il n’est pas normal de fendre un groupe de filles dans la cour de récréation, mais il faut le faire avec des pincettes. »
Julie Pagis dit aussi que ce travail anti-normes peut alimenter le mépris de classe :
« Si on apprend à sa fille à ne pas aimer le rose, elle peut se mettre à dire des choses comme ‘Solène, je l’aime pas, c’est le genre de filles qui aiment le rose’. Comme il y a plus de sexualisation dans les classes populaires, cela va créer d’autres tensions. »
Robin Morgan dit que son fils a toujours été un peu à l’écart à l’école. Le petit garçon de 5 ans ultrapolitisé et connaissant Shakespeare.
« Mais il a réussi à faire face aux cruautés des autres enfants avec son sens de l’humour. »
« C’est vrai que ce qui était un peu chiant, c’était d’entendre les trucs ‘les hommes, les hommes’, alors elle généralise pas, enfin je sais qu’au fond elle généralise pas mais […] par rapport à certaines choses, on a l’impression d’être […] un con alors qu’on a pas encore été un homme. »
12 Mais des carafes
De la délicatesse, donc. Mais aussi, si l’occasion se présente, quelques coups d’éclat mémorables.
Après notre échange, Anne nous a envoyé un mail qui se terminait ainsi :
« J’ai été très émue récemment par le discours de Jean Veil sur sa mère, qui fait écho à ces préoccupations… »
Pendant l’hommage national, il s’est adressé à sa mère décédée :
« Aujourd’hui je te pardonne d’avoir renversé sur ma tête l’eau de la carafe lorsque nous étions à table, sous prétexte que j’aurais tenu des propos que tu trouvais misogynes. »
Désigner la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, c’est leur faire porter la responsabilité de la misère et du sous-développement, pour absoudre l’Occident, estime la politologue Françoise Vergès*.
Lorsqu’Emmanuel Macron désigne la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, dans quelle tradition idéologique s’inscrit-il ?
Disons déjà que les États ont toujours voulu contrôler la fécondité des femmes. Mais la déclaration selon laquelle le développement du continent africain serait freiné parce que les femmes africaines feraient trop d’enfants est directement liée à l’idéologie occidentale d’après-guerre qui attribue aux femmes du Tiers monde la responsabilité de la misère et du sous-développement, ce qui évidemment absout l’Occident. Traite et colonialisme – travail forcé, déplacement de populations, guerres, massacres – n’auraient donc eu aucune conséquence.
Dès les années 1950, cette idéologie, dans laquelle les États Unis jouent un grand rôle, va devenir vérité et autoriser de vastes campagnes antinatalistes (stérilisation forcée, contraception sans consentement) visant minorités, peuples autochtones, peuples sous domination. Notons que des États du Tiers monde vont adopter cette idéologie. Parmi les arguments de cette idéologie, il y a aussi la menace que ferait peser cette fécondité sur la sécurité – les enfants devenus adultes seraient tentés par la migration vers les pays riches ou par la révolution. Dans les congrès sur la population mondiale, des hommes, religieux, hommes d’Etat, experts en tous genres, dissertent sur le ventre des femmes, elles-mêmes étant en général absentes des débats.
C’est une idéologie misogyne – les femmes seraient irresponsables – et paternaliste – les femmes seraient des victimes – à laquelle se mêle une idée de la supériorité de l’Occident (les femmes en Europe qui ont eu à une époque pas si lointaine beaucoup d’enfants n’auraient elles jamais entravé le développement).
Si l’Afrique connaît un taux de croissance démographique important, il faut savoir que le continent a longtemps été sous-peuplé, et que ce continent comparé à certains pays (Inde, Chine) a eu un taux de croissance démographique très bas. Il faut, aussi, reconnaitre que le taux de fécondité n’est pas le même d’un pays à l’autre, qu’il est assez faible dans certains pays, l’Afrique n’est pas « un pays ». Enfin, les femmes africaines, dès qu’elles ont le choix, font moins d’enfants. 43% des naissances ne sont pas désirées, l’accès à la contraception étant difficile.
Quelles authentiques entraves ce discours sur la fécondité des femmes africaines passe-t-il sous silence ?
L’Afrique a été pillée, elle continue à être pillée avec la complicité de gouvernements africains, on le sait. Elle n’est pas à l’abri du capitalisme mondial qui repose sur l’économie d’extraction et le productivisme. Cela fait longtemps que des Africaines et Africains ont fait la critique de l’idéologie du développement à l’occidentale, que de jeunes intellectuels, artistes, économistes, philosophes, sociologues, partant de l’analyse des contradictions locales, régionales et transnationales, font des propositions. Cela fait longtemps que tout une jeunesse ne se tourne plus vers l’Occident.
Il y a de formidables énergies sur le continent, des groupes, des associations, des entrepreneurs qui cherchent des voies de développement à partir des ressources et des savoirs du continent, dans le respect de l’environnement et de la dignité de chaque personne, loin des idéologies occidentales de développement basées sur le PIB.
L’Europe veut continuer à croire qu’elle est indispensable, mais elle est de plus en plus seule à le croire.
En soi, la croissance démographique freine-t-elle mécaniquement la possibilité d’un développement durable, respectueux des êtres humains et de l’environnement ?
Les femmes, il faut le dire et le répéter, font moins d’enfants dès qu’elles en ont le choix. C’est d’abord à elles qu’il faut penser, aucune femme n’a envie d’avoir des grossesses successives qui l’épuisent et n’assurent pas aux enfants qu’elles ont de vivre pleinement.
Quel mépris de parler des femmes de cette manière ! Le respect des êtres humains et de l’environnement n’est pas d’abord menacé par le nombre d’enfants mais par un système économique et politique qui ne cherche pas à améliorer la vie de chaque être humain mais à continuer à distinguer entre des vies qui comptent et des vies qui ne comptent pas. Quand les vies qui ne comptent pas sont si nombreuses, c’est là qu’est le danger.
Il y a péril en la demeure mais les dirigeants continuent à pérorer sur de vieilles idées, à rivaliser entre eux en adoptant des postures plus insignifiantes les unes que les autres. Que des dirigeants multiplient les obstacles au contrôle des femmes sur leur fertilité, qu’ils les encouragent à faire des enfants mais sans offrir services de santé et d’éducation, ou qu’ils les accusent de favoriser la misère, dans tous les cas, ils instrumentalisent le ventre des femmes.
Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Françoise Vergès, Albin Michel, 2017.