Livre. Dossier Kastor, éditions Au diable Vauvert 2017
Un thriller captivant et instructif qui rejoint la sombre actualité historique mais surtout contemporaine. A l’heure où nous commémorerons demain, l’explosion de la seconde bombe atomique tombée sur Nagasaki, Catherine Fradier nous rappelle avec Dossier Kastor que nous sommes loin d’en avoir fini avec la menace nucléaire.
En matière d’exploitation nucléaire, civile ou militaire, nous sommes tous plus ou moins conscients que les informations qui nous sont communiquées ont pour objet de nous rassurer. Ce que confirme Catherine Fradier avec Dossier Kastor, (Ed Au Diable Vauvert 2017) en plaçant au coeur de son intrigue la politique de l’Union Européenne face au terrorisme nucléaire. La romancière, scénariste lauréate du Grand prix de littérature policière pour La colère des enfants déchus, nous ouvre l’esprit sur des réalités totalement occultées par l’industrie du nucléaire.
Une fiction, certes mais provenant d’une auteure engagée qui s’est documentée plusieurs années avant d’écrire ce polar dont l’intrigue traverse le milieu ultra fermé du petit monde nucléaire. Invitée cette année au Festival international du roman noir de Frontignan (FIRN) elle y a évoqué sont long travail d’enquête.
« Je me suis intéressée de près au monde du nucléaire et j’en suis ressortie terrifiée, j’ai donc décidé d’écrire ce thriller pour expliquer aussi le péril que nous fait courir le nucléaire. La France est ultra nucléarisée, les citoyens ne l’ont pas décidé, c’est une volonté politique décidée par quelques X-mens, et nous, nous la subissons aujourd’hui. Les anti-nucléaires le sont justement parce qu’ils sont bien informés… Je me documente depuis huit ans et je peux dire que le nucléaire est une énergie extrêmement dangereuse. De l’avis quasi unanime des professionnels que j’ai rencontré, la question n’est pas de savoir s’il y aura un accident grave en Europe, mais quand celui-ci se produira. »
L’auteur casse l’image traditionnel dans laquelle se complet souvent le genre, en faisant évoluer l’enquête à travers les aptitudes de ses personnages, troquant au passage les flingues contre des doctorats d’économie ou d’énergie. On pénètre dans les arcanes bruxelloises de la Commission européenne sur les pas de Lauren la nouvelle commissaire à l’énergie et au climat qui a fort à faire pour se faire respecter face à l’état de guerre permanent qui règne entre les services, l’omniprésence des lobbyistes et le travail des taupes qui peuplent les étages. Au delà des sentences pertinentes dont elle fait preuve à bon escient, elle sera amenée à révéler sa vraie nature face à l’activisme écologiste et au terrorisme d’État de la mouvances radicales.
Une certitude nous vient à la lecture de ce très radioactif Dossier Kastor dont l’intrigue est conduite d’une main de maître. Nous commettons pour le moins une erreur d’appréciation en reléguant seulement les horreurs des bombes H dans les musées. Mais dans nos démocraties, qui seraient inévitablement remises en cause en cas d’accident nucléaire, on aime tant danser sur le feu bercé par la propagande officielle. D’ailleurs, Catherine Fradier aime à se définir comme « une raconteuse d’histoire. »
Pas de panique tout baigne, c’est juste les 20 ans du FIRN. dr
A vingt ans, le Festival International du Roman noir de Frontignan enclenche une petite fiesta du polar sans plisser les paupières.
Organisé conjointement par la ville de Frontignan et l’association Soleil Noir, le FIRN fête cette année ses vingt ans. Créé en 1997 par Michel Gueorguieff qui a su convaincre le maire de Frontignan, Pierre Bouldoire, sur la base de quelques fondamentaux comme l’idée que le livre est avant tout populaire, que le roman noir est utile pour comprendre les sociétés parce qu’il parle de leurs sous sol et qu’on y découvre les règles du jeux, qu’écrire du noir peut être un acte de lutte, que lire du noir est un acte de culture, qu’on doit parfois, comme tous bons inspecteurs de la crim’, laisser tomber les évidences pour suivre son intuition. Les fidèles vous le diront ; ce n’est pas un hasard si Cesare Battisti a été fait citoyen d’honneur de Frontignan et que la marraine du festival, qui y a fait ses premières armes, se dénomme Fred Vargas.
Cet événement littéraire bénéficie d’un pouvoir d’attraction hors du commun. Il rassemble tous les éditeurs qui comptent sur la planète noire. Des écoles aux maisons de retraite, le polar a bousculé cette ville de 20 000 âmes. Cela se vérifie aussi auprès des meilleurs écrivains français. Il se dit que l’association du roman noir à Frontignan rend le Muscat fou de jalousie. Elle s’est même propagée aux quatre coins du monde en séduisant les plus grands auteurs de polar de la planète. James Crumley, Georges V Higgins, Gregory Mcdonald, Elmore Leonard… pour ne citer qu’eux, sont venus à Frontignan. On peut affirmer que le FIRN a fait école si on se réfère à la profusion de festival de roman noir ayant vu le jour au cours des deux dernières décennie, mais le FIRN reste un cas d’espèce qu’il doit à son exigence et à son humanité.
Tous les ans, le festival choisit sa thématique. Cette année, c’est autour du nombre 20, que l’équipe a inventé de nouvelles mises en scène. 20 ans, 20 événements parmi lesquels l’expo Yes Willem à découvrir à la Médiathèque Mitterrand à Sète, 20 jours de festival, et 20 auteurs de nationalités différentes de l’argentine (Carlos Salem) au Nigéria (Leye Adenie) en passant par la Moldavie (Vladimir Lortchenkov) ou le Soudan (Parker Bilal) qui se retrouvent dans la place à partir d’aujourd’hui jusqu’à dimanche.
En numérologie, le nombre 20 est considéré comme le symbole d’une transformation et amène une évolution heureuse. On vous attend donc pour le meilleur à Frontignan, toujours loin des sentiers battus…
2016 fut une année de rebondissements dans le domaine des politiques culturelles impactées par la réforme territoriale.Cette rétrospective se concentre sur l’énergie artistique qui demeure et doit plus que jamais être défendue.
La boite à joujoux. Photo Marc Ginot
Janvier. Fondé sur les écritures contemporaines le festival Marseillais Actoral fait escale à Montpellier à l’invitation de Rodrigo García. Dirigé par Hubert Colas, le festival propose des rencontres inédites et surprenantes entre des auteurs, on retient notamment la performance du jeune chorégraphe croate, Matija Ferlin, celle de Anne-James Chaton à la Panacée et la rayonnante présence de Lydie Salvayre. A l’Opéra Comédie, l’ONM et Montpellier Danse s’associent autour de l’univers onirique de Debussy. Le chorégraphe Hamid El Kalmouse livre une version inédite de La boite à Joujoux. Invité par la librairie Sauramps, l’auteur américain des Appalaches Ron Rash évoque son oeuvre de roc à Montpellier.
Février. Le Sonambule innove à Gignac avec un BD concert initié par le groupe rock Skeleton Band. Au théâtre La Vignette à Montpellier la compagnie Moébus, s’attaque à la figure du bouc émissaire avecPharmakos. Dans La brebis galeusede Celestini donnée à Béziers et mis en scène par Dag Jeanneret à sortieOuest, Nicola superbement interprété par Christian Mazzuchini rêve de supermarchés merveilleux, de films intergalactiques, de chansons à la guimauve et de femmes dociles. La réalisatrice actrice et chanteuse, Agnès Jaoui interprète son dernier album Nostalgias au Théâtre de Sète.
3e volet de La France vue d’ici pour la 8e édition du festival sétois . Photo Patrice Terraz
Mars. La documentaliste néerlandaise Heddy Honigmann, le polonais Jerzy Skolimowski, l’algérien Farid Bentoumi, l’écrivain et réalisateur français Pascal Bonitzer, comptent parmi les invités du Festival de cinéma Itinérances d’Alès qui place le cirque et la musique au coeur de sa 34e édition. Quatre photographes chiliens tirent le portrait de Sète dans le cadre de la 8e édition du festival ImageSingulières. L’équipe célèbre les 30 ans de l’Agence VU à travers un coup de projecteurs sur sept grands photographes espagnols. L’Espagnol Alberto Garcia-Alix et le Suédois Anders Petersen confrontent leur regard. Au Corum, la mise en scène de l’Opéra Bouffe Geneviève de Brabant par Carlos Wagner reconduit sans mignardise l’immédiateté sensible d’Offenbach vers de nouvelles potentialités.
Marlène Monteiros Freitas « Jaguar »
Avril. Invité par Montpellier Danse, la chorégraphe Marlène Monteiros Freitas pose ses valises pour une semaine à Montpellier. Ses figures du grotesque et son esprit subversif et sensible transpercent les murs. Elle présente Jaguar, à La Vignette et Paradis au CDN hTh. Le plasticien brésilien Mauricio Oliveira fait étape à l’hôpital de Lodève où ses travaux sont exposés. Invitée par la librairie L’Échappée belle, Patti Smith débarque à Sète pour une lecture de son dernier opus M Train qui dessine la carte de son existence. A Pézenas, la 17e édition du festival de chanson le Printival met à l’honneur la chanson francophone dans toute sa diversité.
L’ Orchestre arabo-andalou de Fès
Mai. Le 11e festival Arabesques met en lumière la richesse des cultures arabes. Il débute avec la présence exceptionnelle de l’Orchestre arabo-andalou de Fès à l’Opéra Comédie. L’hypnotisante outiste syrienne Waed Bouhassoun, offre un superbe récital. Au Théâtre Jean-Claude-Carrière, elle chante des poèmes d’Adonis, Mansur al-Hajjal, d’al-Mulawwah, et d’Ibn Arabi sur ses propres compositions. Le thème des Vanités revu et corrigé par huit artistes contemporains donne lieu à une expo au musée d’Arts et d’archéologie aux Matelles. La Comédie du Livre de Montpellier convoque les meilleures plumes de l’Italie pour une édition ardente. A Sérignan, le Mrac pousse les murs avec la complicité de l’artiste contemporain, Bruno Peinado.
Juin. Le Musée Fabre de Montpellier est à l’initiative d’une rétrospective internationale consacrée à l’une des figures majeures du pré-impressionnisme. L’exposition Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme, est organisée avec le musée d’Orsay à Paris et la National Gallery of Art de Washington. Elle présente les travaux de ses contemporains (Delacroix, Courbet, Corot, Manet, Monet, Renoir, Sisley…). François Guérif est l’invité d’honneur du Firn à Frontignan à l’occasion des 30 ans de la collection Rivages/Noir. Autour du thème Mort de rire, cette 19e édition reçoit la participation exceptionnelle de quatre auteurs américains venant pour la première fois en France : Christa Faust, Daniel Friedman J. David Osborne et P.G. Sturges.
« Le Sacre du Printemps », une chorégraphie de Pina Bausch, interprétée par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch dans les Arènes de Nîmes.
Aux Arènes de Nîmes, la chorégraphe Pina Bausch s’offre un triomphe posthume avec la reprise de Café Müller et du Sacre du printemps accompagnés par un orchestre de 100 musiciens. The Encounter, première française de l’auteur britannique Simon Mc Burney embarque le public du Printemps des Comédiens au fin fond de la forêt amazonienne pour y vivre une expérience onirique qui frappe à la porte du réel. Proposé par hTh, Nowhere, la performance en solo du chef Marino Formenti, ouvre un espace musical urbain de sept jours où le temps s’abolit.
Albert Ibokwe Khoza dans une chorégraphe performance de Robyn Orlin
Juillet. Avec Du désir d’horizons présentée au Festival Montpellier Danse, Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés. La rencontre inévitable entre le performer Albert Ibokwe Khoza et la chorégraphe sud africaine Robyn Orlin nous transporte dans la radicalité de l’histoire. La 26e édition du Festival de Thau qui mixe cultures musicales de la planète et conscience écologique affirme sa singularité. La programmation s’affiche avec une forte présence africaine doublée d’une thématique sur les femmes engagées à l’image des Amazones d’Afrique. Cent poètes traversent les rives tels des prophètes de la paix, pour investir la ville de Sète à l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée. Le Festival de Radio France défie la peur sur le thème Voyage en Orient, à l’instar de la soirée d’ouverture Mille et quelques nuits réunissant Lambert Wilson, Karine Deshayes, Michael Schønwandt et l’Orchestre national de Montpellier autour des secrets de Shéhérazade.
Ballake Sissoko & Vincent Ségal
Août. Fiest’A Sète poursuit le défrichage des musiques du monde associant fraîcheur et pertinence musicale inédites comme la rencontre entre le Libanais Bachar Mar-Khalife et la sublime Natacha Atlas où celle entre Ballake Sissoko & Vincent Ségal.
Patrick Boucheron aux Chapiteaux du livre
Septembre. A sortieOuest, la rentrée culturelle se fête en lecture avec Les Chapiteaux du Livre. Les auteurs invités à Béziers s’emparent de l’histoire contemporaine pour la mettre en débat, s’y retrouvent notamment Patrick Boucheron, Chloé Delaume, Jean-Hugues Oppel.
Au Cinemed Jo sol Antigone D’or 2016
Octobre. Avec une vingtaine de films projetés, le Cinemed consacre cette année une large place à l’émergence cinématographique tunisienne. Présidé par Laetitia Casta, le jury de la 38ème édition du Cinemed attribue le prix de l’Antigone d’or à Vivre et autres fictions de Jo Sol.
Hearing de Koohestani au Théâtre La Vignette
Novembre. Le pôle culturel de l’université Paul-Valéry et le Théâtre La Vignette reçoivent le dramaturge iranien Amir Reza Koohestani pour deux jours. Le Rockstore fête ses 30 ans. A cette occasion la salle de concert mythique de Montpellier concocte une programmation béton et éclectique sur un mois complet.
Dave Clarke I love Techno
Décembre. Laurent Garnier, Dave Clarke, Ben Klock, Marcel Dettman… Les plus grands noms de la techno se retrouvent au Parc Expo de Montpellier pour I Love Techno Europe. Le cinéaste Costa-Gavras évoque la première partie de sa carrière à Montpellier à la Médiathèque Fellini.
Roman noir Mark Haskell Smith Ceci n’est pas une histoire d’Amour
Mark Haskell Smith nous embarque dans une forme de road movie hilarant à travers les Etat-Unis en compagnie de Sepp Gregory star de téléralité. L’homme élu « le plus sexy de l’année » parcourt les librairies du pays où des foules de lectrices l’ovationnent, surtout lorsqu’il soulève son tee-shirt pour exhiber ses tablettes de chocolats.
Sepp connaît la musique et se prête à une discipline de fer pour assurer. Le livre qu’il dédicace est une idée de son agent. Il a été écrit par Curtis, un écrivain talentueux pas reconnu, qui accepte le rôle de nègre pour faire un max de blé. Mais le succès par procuration que rencontre son bouquin le plonge grave dans le calcaire.
Dans ce terrible jeu de dupe, se glisse la perfide blogueuse littéraire, Harriet Post, qui se pique de révéler la vérité psychologique en mettant fin à l’escroquerie, mais sa quête pour révéler le nom du véritable auteur du livre ne va pas la mener où elle pensait…
A partir de ce casting de base, Mark Haskell Smith, déroule une intrigue parfaitement ficelée et complètement secouée qui fourmille d’idées brillantes. Les routes du récit sont aussi hasardeuses, que la réaction intime des personnages.
L’écrivain a le goût de la satire sociale féroce. Il entremêle habilement la psychologie fragile de ses personnages en les plongeant – en guise de thérapie ?- dans le grand bain des addictions contemporaines. Les situations loufoques et onctueuses s’enchaînent dans un captivant rapport au temps.
Mark Haskell Smith signe une grande cavale des temps modernes pleine de provocations où l’on réalise que la téléréalité peut côtoyer la plus grande exigence littéraire et que tout le monde peut être prisonnier de son histoire dans un monde « dirigé par les crétins, les demeurés, les nichons, et l’argent. »
Mark Haskell Smith était l’un des invités d’honneur du FIRN de Frontignan, cet été, dont la thématique était « Mort de rire ». Il y avait, sans l’ombre d’un doute, toute sa place.
« Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. Vous êtes la fenêtre dans l’inconnu. L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. » (Victor Hugo)
« C’est un monde qui ne sent pas très bon, mais c’est le monde dans lequel nous vivons. » (Raymond Chandler)
Lorsqu’elle voit le jour en 1986, la collection Rivages/Noir a pour objectif essentiel de publier les inédits des grands auteurs du roman noir (Jim Thompson, David Goodis, Jonathan Latimer, Charles Williams, William Irish, W. R. Burnett, Donald Westlake) et de faire découvrir des voix, nouvelles pour le lecteur français, mais déjà bien connues aux États-Unis (Tony Hillerman, James Ellroy).
Très vite, en 1988, grâce au succès de la « trilogie Lloyd Hopkins » de James Ellroy, la collection va pouvoir accélérer son rythme de production et s’ouvrir au noir mondial, en développant la politique de départ :
Toujours les inédits des grands du genre, mais aussi l’exhumation d’écrivains qui, étrangement, étaient restés inconnus du public français (Charles Willeford, Ted Lewis, Ronald-Hughes Morrieson), accompagnée de la réédition de quelques classiques un peu oubliés (Geoffrey Holmes, Dorothy B. Hugues, James Cain, Elliot Chaze, Eric Ambler, Giorgio Scerbanenco).
Toujours la découverte de nouvelles voix, que ce soit aux États-Unis (James Lee Burke, Edward Bunker, Dennis Lehane, Jim Nisbet, Barry Gifford, James Sallis) avec, en corollaire, la reprise d’auteurs un peu négligés par leurs précédents éditeurs (Donald Westlake, Elmore Leonard), en Grande-Bretagne (Robin Cook, John Harvey, Bill James, David Peace), en Italie (Gianrico Carofiglio, Davide Ferrario), au Mexique (Paco Ignacio Taibo), à Cuba (Daniel Chavarría), en Écosse (William McIlvanney), au Japon (Kyotaro Nishimura), dans les pays nordiques (Maj Sjöwall et Per Wahlöö, Leif GW Persson, Michael Larsen), en Hollande (Janwillem van de Wetering), en Australie (Peter Corris, Peter Temple), au Canada (Emily St. John Mandel) et, bien sûr, en France (Hugues Pagan, Tobie Nathan, Jean-Hugues Oppel, Marc Villard, Hervé Le Corre, Abdel Hafed Benotman).
J’arrête ici l’énumération. Contrairement aux apparences, ceci n’est pas un catalogue. Car tous les noms d’auteurs cités ci-dessus ont un rapport avec le cinéma. Leurs livres ont été adaptés à l’écran, ou sont en cours d’adaptation.
Polar-noir et cinéma
Entre le « polar-noir » (c’est ainsi que Alain Corneau identifiait le genre) et le cinéma, ce fut, dès le début, une histoire passionnelle. Des passerelles n’ont cessé d’être établies entre les romans et les films, les romanciers devenant parfois scénaristes, et vice-versa. Il n’est donc pas surprenant que, sur les mille et quelques titres de Rivages/Noir, plus d’une centaine aient été transposés en images. Avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Mais la sélection présentée par la Cinémathèque me semble représentative de l’esprit de la collection. À commencer par l’éventail des catégories : de la noirceur profonde de Jim Thompson (Les Arnaqueurs) à l’humour toujours un peu délirant de Donald Westlake (Les Quatre malfrats), du « mélodrame historique » selon les propres termes d’Ellroy (L.A. Confidential) à l’univers kafkaïen des espions de James Grady (Les Trois jours du Condor), du romantisme désespéré de David Goodis (Nightfall) au sens tragique du destin de Geoffrey Homes (Pendez-moi haut et court), de l’allégorie politique et psychanalytique de Dennis Lehane (Shutter Island) à la vision nostalgique du privé de Neville Smith (Gumshoe), de la radiographie impitoyable du Yorkshire de David Peace (1974, 1980, 1983) au soleil trompeur de Californie d’Elmore Leonard (Jackie Brown), du constat accablant des méthodes policières de Sjöwall et Wahlöö (Un flic sur le toit) à la trahison des sentiments d’Andrew Coburn (Toutes peines confondues)…
Cette variété de « tonalités » – du récit criminel au western intimiste, de l’univers le plus sombre et le plus désespéré à un monde plus proche de la comédie, du style baroque, voire sophistiqué, au style réaliste, voire minimaliste – ajoutée à la diversité des décors (des bayous de Louisiane aux déserts de l’Arizona, du soleil de Floride aux landes glaciales d’Angleterre) illustrent bien la vivacité d’un genre qui, en littérature et en cinéma, ne cesse de se renouveler. Sans doute pour la raison évoquée par Alain Corneau : « Face aux clartés, affirmations, définitions positives, happy ends et autres catégories identificatrices rassurantes, le polar est là qui veille, attaquant de plein fouet ou corrompant dans l’obscurité. Éclatement d’identités, dédoublements, pertes de soi-même, retournements brutaux, “dangerous ground” (Nicholas Ray), vertiges sournois ou violents, il y a de quoi rendre tous les autres films malades, même quand ceux-ci tentent de préserver leur belle santé par des habitudes bien “bourgeoises” bien réglées… De tous ces films, qu’est-ce qui va rester ou pas ? Je ne lis pas dans les marcs de café, moi… Je ne sais qu’une chose, c’est que le “polar-noir” est vivant, et que je le rencontre tous les jours au ciné. »
Lors de l’hommage « littéraire » aux trente ans de la collection, beaucoup de journalistes ont écrit que la liste des auteurs était prestigieuse. On peut en dire autant de la liste des réalisateurs sélectionnés pour cet hommage « cinématographique », puisqu’on y trouve les noms de Stephen Frears, Bo Widerberg, Nicolas Winding Refn, James Marsh, Mike Hodges, Steven Soderberg, Quentin Tarantino, John Frankenheimer, Delmer Daves, Martin Scorsese, Ben Affleck, Clint Eastwood, Michel Deville, Bertrand Tavernier, Jacques Tourneur, Sidney Pollack, David Lynch, Daniele Vicari, Deborah Granik, Errol Morris, Curtis Hanson, Peter Yates, James B. Harris, Burt Reynolds, Taylor Hackford…