Le nouveau président de la République d’Indonésie, Joko Widodo, a été investi ce lundi, trois mois après les élections. Il prend la tête de ce pays de 240 millions d’habitants, répartis sur pas moins de 13 466 îles. La population y est à 90% musulmane, ce qui en fait la plus grande terre d’islam du monde, parsemée de minorités, chrétiennes, bouddhistes ou confucéennes… Les Indonésiens s’étaient déplacés en masse en juillet dernier pour placer à leur tête Joko Widodo, un homme du peuple qui va tenter de réformer la première économie d’Asie du Sud.
L’arrivée de Joko Widodo représente un grand changement pour l’Indonésie. Depuis 1998 et le départ du dictateur Suharto après 32 ans de pouvoir, les présidents qui ont suivi ont toujours appartenu à cette élite qui dirigeait déjà le pays du temps des militaires. Joko Widodo, lui, a été élevé dans une cabane en bambous sur l’île de Java, c’est un ancien marchand de meubles. Depuis il est devenu le gouverneur de la capitale Jakarta. Mais il n’a pas oublié d’où il vient.
Un homme qui tient ses promesses
« C’est un garçon qui a un style de vie assez simple, il est très populaire parmi les classes défavorisées », explique David Camroux, chercheur au CERI / Sciences Po, qui pointe « une certaine crédibilité dans ses promesses » envers les plus pauvres (le pays a beau bénéficier depuis dix ans d’une croissance qui oscille entre 5 et 6%, plus de 100 millions de personnes vivent avec moins de deux dollars par jour).
En 2012, une fois élu gouverneur de la capitale Jakarta, il a ainsi lancé les travaux pour le métro de la capitale que la population n’attendait plus – la première étude de faisabilité remonte aux années 80. Il a aussi déplacé les marchés sauvages situés près des rivières et régulièrement victimes de terribles inondations, et construit des maisons pour les plus pauvres. Il s’est aussi attaqué à « des choses très symboliques, détaille David Camroux, il a fait en sorte que les fonctionnaires de Jakarta arrivent à leur travail à l’heure ! »
Un pays à réformer
Pour autant, diriger une ville, aussi grande soit-elle, n’est pas diriger un pays. Et Joko Widodo va devoir traiter des dossiers d’ampleur laissés en friche par ses prédécesseurs.
D’abord, le problème des infrastructures, et particulièrement les transports : les routes sont mauvaises, le pays manque d’autoroutes, et les chemins de fer datent de l’époque coloniale. Pire, dans ce pays aux 13 466 îles, le système portuaire est « dramatique » souligne Jean-Raphael Chaponnière, chercheur à Asie 21, alors que l’Indonésie souhaite être un grand pays exportateur.
Mais l’état de ses infrastructures le place à la traîne de ses concurrents – le Vietnam, l’Indonésie, la Thaïlande. Et l’Indonésie a perdu des parts de marché à l’international sur le manufacturier à cause de la concurrence chinoise. Or le pays a besoin de créer des emplois : « sa population continue d’augmenter très rapidement, alors que 80% des emplois qui sont créés relèvent du secteur informel, comme en Inde, explique Jean-Raphael Chaponnière. Mais là, c’est faute d’infrastructures et faute d’industrialisation, qui a pris du retard à partir de 1998 ». D’autant que, ajoute David Camroux, le système éducatif indonésien « ne produit pas de main d’œuvre qualifiée, ou un peu qualifiée pour une économie moderne ». Autant de défis à moyen et long terme pour le nouveau président.
L’essence subventionnée : un gouffre financier
Pour financer ces nouvelles infrastructures et l’aide aux plus pauvres, Joko Widodo a prévu de réduire les subventions qui maintiennent le prix de l’essence au plus bas, mais qui mangent près de 9% du budget de l’Etat, et coûte au pays 3 points de PIB.
Problème : si c’est la classe moyenne et la classe aisée qui en bénéficient le plus avec leurs 4×4, les ménages les plus pauvres seraient aussi touchés par une augmentation des prix – et ce sont eux les plus prompts à manifester. Résultat, les efforts déployés ces dernières années par les présidents successifs pour réduire ces aides ont échoué.
Négocier avec l’opposition
Autre problème : Joko Widodo ne dispose pas de la majorité à l’Assemblée nationale mais de 39% des voix, ce qui va le forcer à faire des compromis. Ce n’est pas nouveau : ses prédécesseurs ont dû eux aussi négocier avec les autres partis politiques. D’autant que la coalition qui détient le reste des sièges à l’Assemblée et qui s’était présentée contre lui est fragile : ainsi le parti Golkar, de l’ancien dictateur Suharto, qui « n’imagine pas ne pas être au pouvoir »…
Le nouveau président va donc devoir former des coalitions de circonstances, et son choix de vice-président est à ce titre révélateur : Jusuf Kalla, qui fut le premier vice-président de l’ancien président Yudhoyono. « Jusuf Kalla a la réputation d’être celui qui, au Parlement, est capable, par un système de carotte et de bâton, de créer des coalitions pour soutenir l’action d’un président », analyse David Camroux. Joko Widodo peut aussi compter sur un soutien populaire assez grand et sur une partie des médias, qui ont fait campagne pour lui.
Mais en attendant, fin septembre, le Parlement indonésien a supprimé la loi qui, depuis 2005, autorisait l’élection au suffrage direct des élus locaux. C’est précisément cette loi qui avait permis à une nouvelle génération de dirigeants issus du peuple d’émerger. Parmi eux, un certain Joko Widodo, qui était devenu la même année maire de sa ville de Solo, entamant le chemin qui allait le mener à la présidence.
Source : RFI 20/10/2014
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