Les autorités allemandes affirment ne plus avoir de doutes quant à la participation des services secrets vietnamiens au rapt de Trinh Xuan Thanh, ancien cadre du Parti communiste vietnamien tombé récemment en disgrâce dans son pays.
Berlin, un matin d’été. Un homme se promène dans le parc de Tiergarten, non loin de la chancellerie, quand, soudain, des individus armés font irruption, lui administrent quelques coups et l’engouffrent dans une voiture immatriculée en République tchèque, avant de prendre la fuite à toute allure… Une scène d’un roman de Philip Kerr ? Non, l’histoire bien réelle de Trinh Xuan Thanh, naguère député vietnamien, et kidnappé dimanche 23 juillet au cœur de la capitale allemande. Une histoire qui provoque aujourd’hui une grave crise diplomatique entre Berlin et Hanoï.
Car le gouvernement allemand en est désormais convaincu : « Il n’y a plus le moindre doute sur le fait que les services secrets vietnamiens et l’ambassade du Vietnam à Berlin ont participé à [cet] enlèvement », a affirmé, mercredi 2 août, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, qualifiant ce geste d’« atteinte flagrante et sans précédent aux lois allemandes et au droit international ». Les autorités vietnamiennes ont réagi jeudi, rejetant ces accusations.
Agé de 51 ans, Trinh Xuan Thanh s’était installé à Berlin il y a quelques mois. Ancien cadre du Parti communiste au pouvoir au Vietnam, ancien membre du Parlement, il était récemment tombé en disgrâce, accusé notamment d’avoir fait perdre 125 millions d’euros à la société publique d’hydrocarbures, dont il était le président.
Poursuivi par la justice de son pays, il avait pensé refaire sa vie en Allemagne, où il avait déjà vécu dans les années 1990. Lundi 24 juillet, il avait d’ailleurs rendez-vous dans les bureaux berlinois de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, où sa demande d’asile devait être étudiée. Ce jour-là, l’un de ses avocats s’était étonné de son absence. Il n’imaginait pas ce qui lui était arrivé, la veille, au parc de Tiergarten…
« Procédure inacceptable »
Ce n’est qu’une semaine après sa disparition que Trinh Xuan Thanh est réapparu. Lundi 31 juillet, un journal vietnamien annonçait qu’il était de retour dans son pays, affirmant qu’il s’était livré de lui-même aux autorités. Une version contestée par ses avocats allemands. « Jamais il ne se serait rendu librement aux autorités vietnamiennes. Il savait que, pour des raisons politiques, il ne serait pas traité selon les règles du droit », ont-ils déclaré à plusieurs médias.
Depuis déjà plusieurs semaines, le cas de Trinh Xuan Thanh faisait l’objet de pourparlers entre Berlin et Hanoï. Mercredi, le porte-parole du ministère des affaires étrangères allemand a ainsi déclaré que « de hauts responsables vietnamiens avaient demandé son extradition en marge du sommet du G20 » organisé à Hambourg, les 7 et 8 juillet.
Le gouvernement allemand a fait savoir à l’ambassadeur du Vietnam à Berlin, qui a été convoqué mardi au ministère des affaires étrangères, qu’il « exigeait que Trinh Xuan Thanh puisse revenir sans délai » outre-Rhin. Assurant être prêt à « tirer toutes les conséquences politiques et économiques » de cette « procédure inacceptable », Berlin a par ailleurs fait savoir, mercredi, qu’il considérait désormais le responsable des services secrets de l’ambassade comme « persona non grata » et qu’il lui donnait quarante-huit heures pour quitter l’Allemagne.
Animée par trois amies, une page Facebook recueille les témoignages de femmes dénonçant des violences obstétricales et gynécologiques dont elles ont été victimes.
« J’ai dû crier ‘maintenant vous arrêtez !’ pour qu’elle [l’enlève]. »
De plus en plus de femmes prennent la parole pour dénoncer des violences obstétricales et gynécologiques qu’elles ont subies. Lancé fin janvier 2017, « Paye ton gynéco », constitué d’une page Facebook et d’un Tumblr, est l’un des endroits dédiés à la collecte et à la diffusion de ces mots.
300 témoignages ont déjà été recueillis par la créatrice de la page, Sarah Lahouari, 31 ans, féministe et militante dans le milieu associatif.
Des Tumblr contre le sexisme
Pour « objectifier le phénomène, le quantifier et identifier les problématiques », Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, a demandé le 24 juillet dernier au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) de produire un rapport sur ces violences :
« Il n’appartient pas au gouvernement de dire quelle est la réalité des chiffres, mais d’apporter une réponse aux femmes qui font part de leurs souffrance.
La considération qui est évidemment due aux professionnels de santé, en première ligne, ne doit pas entraver la nécessité de lever des sujets tabous comme les violences obstétricales. »
Pour Sarah, animatrice socio-culturelle dans un centre social et membre de l’IRASF (Institut de recherche et d’action pour la santé des femmes), une association créée en mars dernier, la commande de ce rapport est une « excellente nouvelle ».
La jeune femme a lancé « Paye ton gynéco » il y a six mois, inspirée par les différents Tumblr créés dans la mouvance de « Paye ta shnek », un site qui dénonce depuis 2012 le harcèlement de rue.
Les plateformes de témoignages libèrent la parole tout en rendant visible ces questions. Des objectifs qu’avait en tête Sarah en créant la page Facebook, sensibilisée au sujet des violences obstétricales de part ses trois accouchements et de nombreuses lectures. « Evidemment, tous les soignants ne sont pas maltraitants », relativise-t-elle.
« Maman de trois filles, j’ai l’espoir que les choses changent et les pratiques évoluent. »
Tabou
Dès les premières semaines, de nombreux messages sont arrivés jusqu’à elle. Deux amies l’épaulent désormais pour administrer la page Facebook et modérer les commentaires : Aurélie, qui travaille dans le transport touristique, et Alexandra, une sage-femme libérale, toutes les deux trentenaires. Une jeune femme s’est aussi proposée pour lancer et animer le Tumblr.
Beaucoup de celles qui contactent Sarah pour témoigner disent n’avoir jamais parlé à leur entourage de ces violences. La compilation de témoignages permettent à certaines de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu. « En voyant la page, je me dis que finalement il m’est peut être arrivé àmoi aussi quelque chose qui n’était pas ‘normal' », écrit ainsi l’une d’entre elles.
Sarah parle d’un « tabou » qui entoure ces violences :
« On leur dit qu’une consultation gynéco n’est pas une partie de plaisir, que l’accouchement fait mal et que si l’enfant et la mère vont bien, c’est le principal, tout en mettant le reste de côté… »
Les témoignages reçus sont anonymisés. « On soutient, on accueille cette parole et on ne la remet jamais en question », précise-t-elle.
Pour que témoigner ne fasse pas plus de mal que de bien, Sarah recommande aux commentateurs d’éviter les injonctions, du type « Pourquoi tu n’as rien dit ? » ou « Tu dois porter plainte ! ». Même si elles ne sont bien intentionnées, ces remarques peuvent contribuer à ce que la victime se sente coupable ou renforce un sentiment de honte, explique-t-elle.
« Arrêter l’omerta »
Chose nouvelle depuis l’annonce fin juillet de la secrétaire d’Etat : des soignant(e)s commencent à prendre la parole sur « Paye ton gynéco ». Certains de leurs commentaires ont été effacés à la modération. « Vous êtes des ignares », cite Sarah. « Vous crachez sur la profession », a-t-elle aussi lu sur la page.
Après l’audition au Sénat de Marlène Schiappa, le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) a vigoureusement critiqué la ministre, accusée de « salir une profession entière en l’accusant ouvertement de maltraitance envers les femmes ». Même réaction de la part du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), Israël Nisand :
« Non Madame la secrétaire d’Etat, les obstétriciens ne maltraitent pas leurs patientes. »
A l’inverse, l’ordre des sage-femmes a jugé nécessaire la commande d’un rapport sur les « violences obstétricales » :
« Le ressenti des femmes ne doit en aucun cas être nié ou minimisé. »
Pour Sarah, les réactions des syndicats de gynécologues illustrent un certain « déni de ressenti » des patients. « L’espoir réside dans le fait que certains se désolidarisent complètement des positions du CNGOF et du Syngof et osent parler des violences gynécologiques obstétricales et même témoignent des violences auxquelles elles assistent ou subissent », poursuit-elle.
Fin juillet, une anonyme se présentant comme interne en gynécologie a partagé un long texte nuancé sur « Paye ton gynéco » pour raconter « l’autre côté, le côté médical ». Son message commence ainsi :
« Je suis interne en gynécologie obstétrique et je suis parfois horrifiée de ce que je lis sur votre page. Je lis chaque témoignage pour me rappeler le médecin que je ne veux pas devenir. »
« Il faut arrêter l’omerta », écrit plus récemment une internaute qui se présente comme médecin gynécologue obstétricien.
« Je préférais que le Pr Nisand s’exprime en son nom propre mais pas au nom de tous les gynécologues obstétriciens, car personnellement je ne me reconnais pas dans ses propos. »
Remise en question
Pour Alexandra, sage-femme depuis 2009 et modératrice de « Paye ton gynéco », les plaintes pour violences obstétricales « sont là pour dire stop, nous ne voulons plus accepter ce genre de traitement ».
« Ceux qui ont l’impression qu’elles veulent démonter leur profession n’ont, à mon sens, rien compris et rien entendu. […] Nier le vécu des femmes est un moyen de se défendre sans se remettre en question. »
En tant que soignante, la jeune femme a d’abord hésité à prendre position, par peur d’être jugée négativement par ses confrères et consœurs. Pour elle, les soignants maltraitants ne le sont jamais volontairement, « à part peut-être quelques sadiques ».
« On leur parle de violence alors qu’ils pensent faire ce qui est bon pour leur patiente, ils ne comprennent absolument pas et se sentent agressés dans leur professionnalisme, et dans les principes de soins qu’ils défendent depuis des années. »
Alexandra relie ces violences à un déficit dans la formation des soignants, basée essentiellement sur l’apprentissage des actes et pas assez sur le bien-être des patients. Elle raconte :
« En tant que sage-femme, j’ai travaillé en salle de naissance, par exemple. J’ai fait des épisiotomies sans consentement, sans me demander comment la patiente pourrait le vire.
J’ai appris à suturer parfaitement bien pour qu’au moins elles n’aient pas de douleurs par la suite, mais je ne me suis jamais posée la question de ‘je lui coupe le périnée, comment est-ce qu’elle va le percevoir ?’
Je l’ai fait parce que j’ai appris que c’était comme ça qu’on travaillait et pas autrement. Et j’ai appris que si on leur explique ce qu’on va faire, elles ne seront pas d’accord et vont se contracter au lieu de relâcher ce qui coincera encore plus. J’ai mis du temps à me défaire de cela. »
Dans son communiqué, l’Ordre des sages-femmes soulevait aussi la question de « la place accordée aux patientes, au temps qui leur est prodigué et à la qualité du dialogue entre celles-ci et les soignants ». Ainsi que les conditions de travail et l’organisation des maternités (« sous-effectif, surcharge dans les salles de travail… »).
Relation patient-soignant
« On veut permettre aux principales concernées de reprendre leur santé et leur corps en main », affirme Sarah, qui veut aussi faire de « Paye ton gynéco » un lieu d’information des patient(e)s.
Entre deux témoignages, elle publie des articles et des liens, sur les effets secondaires du stérilet Minerva, l’existence d’une base de données de sages-femmes et de gynécos « féministes », ou elle rappelle les droits des patient(e)s. Elle cite par exemple le passage sur le consentement, « pas toujours appliqué », de la loi de mars 2002 dit « loi Kouchner » :
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
Dans ce que dit Sarah, il est aussi question de rééquilibrer la relation patient-soignant. De permettre au soigné d’être suffisamment bien informé pour donner ce consentement libre et éclairé, de pouvoir poser des questions sur sa prise en charge, d’être en mesure de dire « non », que le soignant ait les moyens d’être plus à l’écoute.
« Les protocoles de soins devrait être adapter au cas par cas par les soignants et non un protocole appliqué systématiquement à tout le monde sans prendre en considération les spécificités de chaque femme. De plus j’espère vraiment qu’on évolue vers une confiance réciproque.
Je souhaiterais que les soignants prennent en considération les connaissances qu’ont les femmes sur leur propre corps pour qu’ensemble on collabore à une meilleure prise en charge de notre santé. »
Festival Sète Si vous êtes passés à côté des grands festivals du début de l’été, calez vous sur le Théâtre de la Mer et Fiest’A Sète pour une traversée de la dernière chance. Du 2 au 7 août la musique vivante vient à vous.
Après une première semaine de concerts réjouissants et gratuits dans le Bassin de Thau, Fiest’A Sète pénètre dans les murs exceptionnels du Théâtre de la mer pour une série de cinq concerts excellents pour la circulation sanguine. Un tourbillon qui nous entraînera aux quatre coins de la planète.
Demain ambiance Cubassimo assurée par Eliades Ochoa comparse du célèbre Buena Vista Social Club et le talentueux pianiste Roberto Fonseca. Jeudi la soirée African Divas avec Fatoumata Diawara, Hindi Zahra et Oumou Sangare est sold out. Vendredi 4 août cap sur les Balkans avec le groupe stanbouliote à découvrir Baba Zula et la fanfare roumaine Ciocarlia. Le 5 août, on file vers l’Orient avec le chanteur et joueur de Oud inspiré du jazz Dahfer Youssef (Tunisie), et le retour de la grande interprète égyptienne Natacha Atlas. Prodigieuse conclusion aux sources du blues rural américain dimanche, accompagnée par la violoncelliste new-yorkaise Leyla McCalla et Eric Bibb, héritier du folk rural du sud américain qui rendra hommage à Lead Belly avec l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau.
Ce soir Tribute to Fela
On peut voir dans cette célébration des 20 ans de la mort de Fela une des lignes de force de Fiest’A Sète pas toujours très apparente pour le grand public fréquentant le festival. La force et l’émotion de la plus part des artistes invités, notamment africains, se puise dans un vécu social ou politique. Ce qui est manifeste dans le cas de Fela Kuti (1938-1997), musicien et homme politique engagé à travers sa musique et sa vie.
L’artiste nigérian, qui compte parmi les pionniers de l’afrobeat, fut aussi un symbole de la rébellion. Il a dénoncé avec acharnement la trahison des idéaux indépendantistes, les systèmes politiques néo-patrimoniaux et l’autoritarisme des régimes africains. Se présentant comme Africain avant de se dire Nigérian, Fela Kuti rejette les influences culturelles chrétiennes et musulmanes puis la colonisation qu’il perçoit comme des instruments de domination.
Fela s’inscrit dans un courant radical du pan-africanisme. Il adopte un langage révolutionnaire inspiré des idéaux de Kwame Nkrumah, homme politique ghanéen qui contribua à l’obtention de l’indépendance du pays en 1957, une des premières en Afrique. Fela a incarné la contestation en dénonçant haut et fort toutes les failles du système politique nigèrian où les gouvernements successifs ont perpétué le système colonial d’appropriation des richesses par une élite.
Fela pense l’afrobeat comme une façon d’engager sa pratique artistique dans un courant émancipateur vis-à-vis de la domination occidentales. Lors d’un séjour aux Etats-Unis en 1969, le jeune musicien est confronté aux humiliations raciales que subit la populations noires. Il rencontre Sandra Smith, une membre des Black Panthers qui lui fait découvrir les écrits du militantisme noir radical dont ceux de Malcolm X.
Lors de cette soirée Tribute to Fela kuti sont invités l’afro américain Roy Ayers grand monsieur du jazz funky qui a gravé avec Fela Music of Many Colors et le fils de Fela, Seun Kuti qui jouait tout jeune au sein de l’orchestre paternel. Ce qui augure d’une conjonction singulière qui synthétise éléments musicaux et revendications.
Fiest’A Sète demeure un festival à prescrire pour le retour aux sens des choses et le bien être moral dont tout le monde à grand besoin par les temps qui courent !
Libérées dans l’indifférence générale de l’esclavage sexuel, les Yézidies rêvent de partir loin du Moyen-Orient, dans un monde moins cruel à l’égard des femmes et des minorités, souligne Al-Hayat.
Au mont Sinjar [chaîne de montagnes au nord de l’Irak peuplée de Yézidis, on sent que l’irréparable a été commis quand on croise les femmes yézidies qui ont survécu, et surtout le visage de celles qui ont été libérées de la captivité à laquelle elles avaient été réduites.< La plupart d’entre elles avaient vu leurs époux assassinés par Daech lors de l’invasion de cette contrée martyrisée [août 2014]. “Ils se sont mis à tuer nos hommes et à nous faire prisonnières”, résume une des Yézidies libérées.
C’étaient des hommes appartenant à des tribus arabes qui vivaient pourtant dans les alentours. Par ailleurs, lors de cette invasion, les peshmergas [kurdes] se sont retirés et nous ont abandonnés, donnant la priorité à la protection de leurs propres villages. Quant au gouvernement irakien, qui est dominé par les chiites, lui non plus n’a pas senti le besoin d’envoyer des troupes pour nous aider
Ces propos résument bien l’état d’esprit en Irak : la minorité est abandonnée par tous, aussi bien par les communautés majoritaires que par les minorités principales. Beaucoup d’autres groupes humains qui sont considérés comme faibles ont subi le même destin. Les Yézidis ont été abandonnés à leur sort par les tribus arabes sunnites, dont ils sont géographiquement proches, mais aussi par les Kurdes, dont ils sont culturellement proches.
Sous les latitudes du Moyen-Orient, personne ne veut plus protéger les sans-défense. Pas d’autres cultures à l’horizon que celle des razzias, pas d’autres traditions que celle de la capture. Au fond, c’est un peu la même chose qui s’est produite dans le cas des Syriens réfugiés au Liban et morts sous la torture entre les mains de l’armée libanaise. Les Libanais se sont solidarisés avec l’armée plutôt qu’avec les victimes.
Mais la destruction du pays yézidi dépasse tout. Les hommes ont été assassinés devant leurs enfants ; les femmes faites prisonnières avec leurs filles, dans un but bien précis [celui de les réduire au statut d’esclaves sexuelles].
Sept mille femmes yézidies réduites à l’esclavage, des milliers d’hommes yézidis tués. Alors que Daech a été défait au mont Sinjar et est aujourd’hui repoussé à des centaines de kilo mètres de là, les survivantes ne peuvent toujours pas rentrer chez elles.
En Irak, les gens ont en général perdu confiance dans leur avenir. Ils n’ont plus l’impression d’être en sécurité dans leur propre maison, dans leur village, entourés par leurs compatriotes.
Pour les enfants, le pays a désormais le visage de la potence où l’on a pendu leurs pères. Et les femmes ne se sentent plus à l’abri des seigneurs du rapt et du viol.
Un pays lointain
Environ 3 000 prisonnières ont été libérées. Elles reviennent de captivité chargées de récits trop lourds pour que l’Irak puisse en supporter l’écoute. Leurs traditions ne permettent pas que les drames obscurs soient sortis au grand jour.
Ces femmes vont enfouir leurs histoires dans leurs cœurs en attendant le jour où elles pourront partir pour un pays lointain, selon la promesse d’exil faite par les “grandes puissances”.
Ainsi, quoi qu’il en soit de la défaite de Daech, les Yézidis vont tous quitter le mont Sinjar. Tout comme les chrétiens vont tous partir de la plaine de Ninive.
Désormais, on n’aura plus à s’occuper des minorités ; les prochaines guerres opposeront des groupes majoritaires. Sauf que ceux-ci trouveront d’autres minoritaires pour leur tomber dessus. À la place des Yézidis et des chrétiens, on s’en prendra aux minorités à l’intérieur de chaque majorité : les faibles, ceux qui sont de trop, à qui on peut s’attaquer sans risque. Tous ceux-là seront à leur tour victimes de nouveaux Daech qui viendront.
L’histoire des Yézidis éclaire le rapport du Moyen-Orient actuel à ses minorités et à ses communautés sans défense. Cette relation se résume à l’insensibilité à la situation de l’autre nourrie d’un égocentrisme sans nuances.
Ce quant-à-soi, cette focalisation sur ses propres souffrances, cette hypertrophie du moi, tout cela est bien la marque d’une énorme régression sociale et culturelle.
Comme les Yézidis, les chrétiens vont tous partir de la plaine de Ninive. Les femmes Yézidies reviennent de captivité chargées de récits trop lourds. Les 500 000 Yézidis ont été le bouc émissaire de nos guerres civiles. Peu importe le nombre de leurs victimes, tant que leur mort n’est pas un obstacle à nos obsessions communautaristes.
Que les Yézidies se fassent violer, peu importe, tant que cela ne concerne pas nos femmes. Les Yézidis du Sinjar nous disent beaucoup d’autres choses encore sur nous-mêmes. Mais, à la fin, le plus grave est qu’ils ne retourneront plus dans leurs villages.
Ce qu’ils peuvent espérer de mieux est que se réalisent les promesses d’organisations et d’associations internationales de les transférer dans des pays d’immigration. Ceux qui ont une mère ou une sœur à Raqqa [encore capitale de Daech] attendent encore de les prendre avec eux pour partir, emportant au loin ces histoires que notre culture et nos traditions sont incapables d’entendre.
Les Yézidies libérées partiront vers des pays qui supporteront l’écoute de leurs récits. Elles y trouveront des personnes qui sécheront leurs larmes et écriront leurs histoires.
Quant à nous, nous resterons ici, privés de leur présence. Entre nous, encore et toujours plus semblables les uns aux autres. Viendra le temps où nous n’aurons d’autre altérité que nous-mêmes.
Source : Al-Hayat (extraits) Londres,—Hazem Al-Amin 10 juillet 2017
Les œuvres néo-psychédéliques de Neal Fox assument gaiement l’imaginaire des drogues, comme expression d’une vie intense et artiste. Sous l’apparente naïveté de la fresque, dans laquelle se croisent Gainsbourg et Kerouac, s’élève un chant contre la paranoïa ambiante !
Face aux terroristes et aux bourreaux, à tous ceux qui ne rient pas, y compris les acharnés du pouvoir, l’exposition de Neal Fox est une bénédiction en faveur d’un art dionysiaque ! Une œuvre qui rend un hommage graphique aux troubadours de la beat generation, et à des personnages qui semblent sortir d’un film de Jarmusch.
La Galerie Suzanne Tarasiève propose jusqu’au 28 juillet la troisième exposition personnelle de Neal Fox. Empruntant son titre à un film policier américain de 1938 (réalisé par Michael Curtiz), Angels with Dirty Faces exploite la force de l’encre de Chine et du papier pour ressusciter les figures anthologiques de la contre-culture (musicale, artistique et littéraire).
Au milieu de ces figures iconiques et modernes résonne la voix de son grand-père, pilote britannique pendant la Seconde Guerre Mondiale qui en vint par la suite à écrire des romans de gare, à présenter des talk-shows et à fréquenter les bars de Soho, avec des artistes comme Francis Bacon. Bien que Neal Fox n’ait que très peu connu son grand-père, il semble avoir infuser tout l’héritage de sa créativité? et de sa gaité, qui se retrouvent dans ses narrations réalisées au pinceau.
Le travail de Neal Fox se distingue des formes d’art conceptuelles. Il est tout entier consacré au dessin à l’encre et à la culture contemporaine.
Avec cette nouvelle exposition, l’artiste fait appel à des figures d’icônes, d’Arthur Rimbaud à David Bowie, qui, à la manière d’anges ou d’archanges, prennent le rôle de gardiens spirituels ou de messagers.
En incorporant des forces poétiques puissantes et reconnaissables dans ses dessins, appartenant à des périodes différentes, l’intention de Neal Fox est de les inclure dans des conversations existentielles et de tracer des parallèles entre des mouvements artistiques et des auteurs.
L’art on the beat
Par exemple, La Décadanse (2017) figure Rimbaud en archange regardant par-dessus l’épaule de Jane Birkin et de Serge Gainsbourg (ce dernier faisait souvent référence au jeune poète dans l’écriture de ses chansons). Dans The Siesta (2017), le même poète se laisse aller à une sieste à demi-consciente avec Vincent van Gogh. Ils contemplent ensemble la nature, allongés sur le dos, recomposant ainsi Des glaneuses (1857) de Jean-François Millet, avec des yeux solitaires et hallucinés.
De tous les ingrédients jetés dans le mixeur culturel de Neal Fox, les poètes modernes et leur caractère visionnaire restent les plus importants. Dans l’ordre chronologique l’on trouve Rimbaud et Baudelaire, pionniers de l’utilisation de narcotiques et de l’alcool dans leur quête d’inspiration. Ils sont suivis par les poètes de la Beat Generation (Allen Ginsberg et Jack Kerouac entre autres), qui poursuivirent cette quête avec la forme en vers libre, un vocabulaire plus familier et des images empruntées à la culture contemporaine.
L’imaginaire des drogues
En découvrant cette exposition, on en vient à regretter cette époque de tolérance mutuelle entre folie et société qui caractérisa si joyeusement la période des années 60. Ces années au sortir de la guerre où l’homme accepta comme rarement cette part maudite de lui-même, en reconnaissant des droits à la folie, en assumant l’imaginaire des drogues comme autant d’ingrédients nécessaires d’une vie intense et artiste.
Bref, en sachant comme le disait Deleuze : « qu’on n’a jamais pensé que par elle et sur ses bords, et que tout ce qui fut bon et grand dans l’humanité entre et sort par elle, chez des gens prompts à se détruire eux-mêmes, et que plutôt la mort que la santé qu’on nous propose. »
À la vue des dessins psychédéliques de Neal Fox, on redécouvre incrédule la complicité de la folie avec cette vision humaniste, emblématique des sixties. Certains n’y verront qu’une forme de naïveté, pour le coup « béate ». Mais cette innocence n’est-elle pas préférable à l’esprit de paranoïa qui semble avoir pris le pas sur le monde !
Et, l’ivresse dionysiaque et la Divine folie qui parcourent les œuvres de Neal Fox, sont un contrepoint délicieux à une culture dans laquelle on dresse trop souvent une image aseptisée d’un art, consensuel, rassembleur, sensé, soporifique, qui prétendrait nous anesthésier, et nous soigner des affres de la vie !
L’ange, Kerouac
En 1943, des médecins militaires aux États-Unis diagnostiquaient, à propos d’un jeune marin de 19 ans, un état de démence précoce et de tendances schizoïdes. A leurs yeux, il avait tout pour déplaire : « Il imagine des symphonies entières dans son esprit ; il peut entendre chaque note. Il voit des pages de mots imprimés. » Plus grave : il a quitté l’école soudainement, car « il pensait qu’il n’avait rien de plus à apprendre » et voulait être écrivain. Jean Louis Lebris de Kerouac serait sans doute aujourd’hui tombé sous le coup de la raison comportementaliste !
Non seulement pour des raisons « génétiques », mais aussi pour des raisons de troubles du comportement, Mozart ou Beethoven, Bowie enfants asociaux, auraient été sans doute réadaptés, à coup de psychothérapies comportementalistes ou de neuroleptiques.
Prompts à se détruire !
Dans cette galerie des prétendants au redressement universel, on aurait pu évidemment citer, Artaud,Paul Celan, internés et de plus suicidaire pour le second ! Et, enfin, pour les dépressifs notoires : l’écrivain américain F.S.Fitzgerald, et tous ces artistes américains du XX e siècle qui seront happés par le suicide, la folie, mais aussi plus spécifiquement par l’usage des drogues ou de l’alcool : Malcolm Lowry, Hemingway,Pollock, Warhol, Kerouac, les écrivains dits de la beat génération et la majorité des musiciens de jazz ou de rock.
Prétendre apporter la santé, la sécurité, par des méthodes de dressage ou d’éradication qui réduisent le sujet à ses comportements ou pire à une caractéristique génétique, est une des préfigurations de l’eugénisme qui pourrait nous attendre ! Reconnaître, qu’il y aura toujours une partie de l’humanité qui échappera à cette normalisation, que l’on n’arrivera jamais à « l’homme parfait » qui ne fumera pas, ne se droguera pas, fera l’amour suivant les normes en vigueur et se soumettra sans broncher aux règles et aux conventions sociales, serait au contraire une forme de sagesse à méditer.
Comme l’écrit la psychanalyste, Elisabeth Roudinesco : « Nous vivons dans une société troublée par la mondialisation, l’évolution des normes morales et la perte des repères religieux et identitaires, une société de plus en plus puritaine, qui veut le risque zéro, qui poursuit les pédophiles mais autorise et valorise la pornographie. Il y a un vrai combat philosophique derrière tout cela : veut-on des individus soumis aux contraintes de l’efficacité économique et de l’hédonisme réduit à la question du corps ou bien des sujets lucides et autonomes, mais peut-être moins contrôlables ? »
Bowie, Bacon, Burroughs, Kerouac ; autant d’hommes prompts à se détruire pour dépasser les identités factices dans lesquelles nous sommes englués, pour expérimenter de nouvelles formes de vie. Au lieu d’éradiquer la vie, en accomplir tous les possibles !