Une nouvelle déclaration d’indépendance du cyberespace

En hommage à John Perry Barlow, décédé, Olivier Ertzscheid a écrit une nouvelle version du texte de 1996, devenu emblématique des cyberutopies libertaires.

John Perry Barlow était parolier des Grateful Dead, membre fondateur de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), militant infatigable des libertés numériques, et l’auteur de l’une des pièces majeures du puzzle de la culture web et de l’Internet des pionniers : la déclaration d’indépendance du cyberespace.

«Nous sommes en train de créer un monde où tous peuvent entrer sans privilège et sans être victimes de préjugés découlant de la race, du pouvoir économique, de la force militaire ou de la naissance. Nous sommes en train de créer un monde où n’importe qui, n’importe où, peut exprimer ses croyances, aussi singulières qu’elles soient, sans peur d’être réduit au silence ou à la conformité. Vos concepts légaux de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement, de contexte, ne s’appliquent pas à nous. Ils sont basés sur la matière, et il n’y a pas ici de matière.»

Plus rien dans cet extrait n’est vrai. Et c’est tout le contraire qui s’est mis en place. Mais cela reste comme une petite lumière qui continue de dire où tout cela a commencé, quels rêves étaient alors permis et vers où, peut-être dès demain, recommencer à rêver.

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Le texte de la déclaration d’indépendance du cyberespace est bien sûr un texte très fort, mais le passage qui m’importe le plus, hormis celui cité plus haut, est un passage qui ne figure pas dans le texte lui-même mais dans son prologue, très peu connu. Quelques lignes dans lesquelles John Perry Barlow explique pourquoi il a eu envie de rédiger cette déclaration. La raison c’est le vote du Telecommunications Act de 1996, signé par «l’autre grand invertébré» (aka Bill Clinton) et qui a poussé John Perry Barlow à faire «acte de résistance». Voilà ensuite ce qu’il écrit dans ce prologue :

«Après tout, le Telecom « Reform » Act, qui est passé au Sénat avec seulement 4 votes contre, rend illégal, et punissable d’une amende de 250 000 dollars, de dire « shit » en ligne. Comme de dire l’un des sept mots interdits dans les médias de diffusion grand public. Ou de discuter d’avortement d’une façon ouverte. […] Cette loi a été mise en œuvre contre nous par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes, ni où notre conversation est conduite. C’est, comme l’a dit mon ami et rédacteur en chef de Wired Louis Rosseto, comme si « les analphabètes pouvaient vous dire quoi lire ». Eh bien, qu’ils aillent se faire foutre.»

Aujourd’hui, c’est une autre forme d’analphabétisme algorithmique qui nous dit quoi lire. Eh bien, qu’ils aillent également se faire foutre.

John Perry Barlow est décédé le mercredi 7 février 2018. Il avait 70 ans.

J’ai pris la liberté de tenter de réécrire sa déclaration d’indépendance du cyberespace, dans un cyberespace qui n’est plus que la colonie numérique des grandes plateformes. Un hommage imparfait et maladroit, mais surtout un remerciement pour sa déclaration et son travail.


Déclaration d’indépendance du cyberespace

 

«Seule l’erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule» Thomas Jefferson, Notes on Virginia

Plateformes aux tons pastel et aux logos colorés, vous géants fatigués aux CGU d’airain et aux algorithmes d’acier, je viens du temps des internets d’avant, où nous n’avions pas de «comptes» mais des pages, où chacun pouvait disposer d’une adresse et n’était pas contraint d’habiter par habitude et par lassitude sous le même grand F bleu qui orne votre jardin fermé, et de vivre dans cette fausse proximité que vous nous avez tant vanté et qui est d’abord une toxique promiscuité.

Au nom du présent que vous avez institué, je vous demande, à vous qui êtes désormais le passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes plus les bienvenus parmi nous. Vous avez trop de souveraineté pour que celle-ci ne soit pas enfin questionnée et abolie.

Comme gouvernance, vous n’avez que des actionnaires que nous n’avons pas élus mais dont les décisions ont aujourd’hui plus de poids que celles des gouvernements élus. Je déclare l’espace social global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez aucun droit moral de dicter chez nous votre loi et vous possédez hélas désormais trop de moyens de nous contraindre que vous n’hésitez plus à utiliser.

Les gouvernements tiennent leur juste pouvoir du consentement de ceux qu’ils gouvernent. Vous n’avez ni sollicité ni reçu le nôtre. Nous ne vous avons pas invités. Nous avons eu le tort de croire vos promesses. Mais vous nous connaissez bien trop, vous nous calculez bien trop, et vous voulez bien trop prédire le moindre de nos actes, de nos affects, de nos comportements. Cela ne peut suffire à nous connaître vraiment. L’espace de libre circulation des idées ne se situe pas dans les frontières que vos plateformes ont reconstruites dans le cyberespace. Cet espace est un produit naturel, un commun, et il croît par notre action collective.

Vous épiez désormais l’ensemble de notre grande conversation, et la richesse que vous créez, et le modèle de régie publicitaire sur lequel vous prospérez, sont définitivement et totalement incompatibles avec l’éthique nécessaire à l’échelle des populations que vous touchez et prétendez servir et accompagner. Votre culture n’est pas la nôtre, vos règles tacites suscitent autant d’incompréhension et de désordre que chacune de vos innombrables ingérences.

Vous prétendez qu’il y a chez nous des problèmes que vous devez résoudre. Et qu’il n’existe pas de problème qu’un algorithme ou une application ne soit capable de résoudre. Vous utilisez ce prétexte pour envahir nos vies, nos smartphones, nos foyers, nos amitiés. Beaucoup de ces problèmes n’existent pas. Où il y a des conflits réels, où des dommages sont injustement causés, nous les identifierons et les traiterons avec nos propres moyens. Nous sommes en train de former notre propre contrat social. Cette manière de gouverner émergera selon les conditions de notre monde, pas du vôtre. Notre monde est différent.

Les internets sont faits de transactions, de relations, et de la pensée elle-même, formant comme une onde stationnaire dans la toile de nos communications, dont la neutralité doit être garantie, et ne peut plus l’être par vous. Notre monde est à la fois partout et nulle part, et il est aujourd’hui aussi là où vivent les corps.

Vos plateformes et vos déterminismes calculatoires recréent un monde où sont reconduits tous les privilèges et tous les préjugés découlant de la race, du pouvoir économique, de la force militaire ou de la naissance.

Vos plateformes et vos déterminismes calculatoires recréent un monde où plus personne ne peut exprimer ses croyances, aussi singulières qu’elles soient, sans peur d’être réduit au silence ou à la conformité.

Vos plateformes et vos déterminismes calculatoires redéfinissent à leur seul bénéfice et à ceux de leurs actionnaires les concepts légaux de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement, de contexte, et les appliquent à chacun, en font la norme pour tous.

Nos identités sur les internets ont fini par retrouver la pesanteur des corps, mais vous les avez lestés de tant de kilos inutiles de recommandations, de tant de kilos superflus de suggestions, de tant et tant de tonnes de prescriptions, que tout cela finit par former une contrainte physique et limiter la part de notre libre arbitre. Nous croyons que c’est de l’éthique, de la défense éclairée de l’intérêt propre et de l’intérêt commun, que notre ordre émergera. Que cet ordre ne peut être garanti que par une négociation collective. La seule loi que toutes nos cultures constituantes pourraient reconnaître généralement est la règle d’or [«Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent», NdT]. Nous espérons pouvoir bâtir nos solutions particulières sur cette base. Mais nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez de nous imposer par le code. Car si le code est la loi, nous n’entendons pas qu’il soit élaboré et appliqué en dehors de tout espace de délibération réellement public et sincèrement commun.

Aux Etats-Unis, vous avez récemment remis en cause le principe de neutralité du Net qui répudie votre propre Constitution et insulte les rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et Brandeis. Ces rêves doivent maintenant renaître en nous.

Vous terrifiez désormais vos propres enfants, parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans les frontières que vous placez dans le cyberespace, et parce que chacune de ces frontières arbitraires et soumises aux lois du marché nous contraint à devenir des étrangers pour ceux qui se trouvent de l’autre côté de vos murs de données, là où nos rêves étaient simplement ceux d’une plus grande fraternité. Parce que vous continuez de nous craindre et que nous continuons de tenter de vous échapper, vous confiez à vos algocraties les responsabilités de parents auxquelles vous êtes trop lâches pour faire face. Dans notre monde, tous les sentiments et expressions d’humanité, dégradants ou angéliques, font partie d’un monde unique, sans discontinuité, d’une conversation globale de bits. Nous ne pouvons pas séparer l’air qui étouffe de l’air où battent les ailes.

En Chine, en Allemagne, en France, à Singapour, en Italie et aux Etats-Unis, vous essayez de confiner le virus de la liberté en érigeant des postes de garde aux frontières de vos plateformes et de fait vous vous placez vous-même en dehors du cyberespace, même si vous êtes parvenus, par l’entremise d’un capitalisme aussi linguistique que cognitif à aliéner l’essentiel de la liberté et de l’espace dont on imaginait qu’il pourrait un jour être couvert de médias numériques libres et indépendants.

Vos industries de données, de plus en plus totalitaires, se perpétuent en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent décider de la parole elle-même dans le monde entier… Ces lois déclareraient que les idées sont un produit industriel comme un autre, pas plus noble que de la fonte brute… L’art, l’histoire, la vérité des peuples et celle des révolutions, rien n’échappe à l’arbitraire de vos décisions, de vos goûts, de vos propres pudeurs, et par-dessus tout de vos propres intérêts commerciaux et financiers. Dans notre monde, quoi que l’esprit humain crée peut être reproduit et distribué à l’infini pour un coût nul. L’acheminement global de la pensée doit désormais trouver d’autres chemins que celui de vos usines, d’autres ambitions que celles de vos carcans, d’autres légitimités que celles des rentiers et des banquiers de la culture qui sont vos porte-voix autant que vos portefaix.

Ces mesures de plus en plus hostiles et votre colonialité nous placent dans la même situation que ces amoureux de la liberté et de l’autodétermination qui durent rejeter les autorités de pouvoirs éloignés et mal informés. Nous devons déclarer nos personnalités réelles comme virtuelles exemptes de votre souveraineté, même lorsque nous continuons à accepter votre loi pour ce qui est de l’organisation de nos échanges pour préparer votre déchéance. Nous nous répandrons de nouveau à travers la planète, en dehors de vos murs, de façon à ce qu’aucune plateforme ni aucun algorithme ne puissent stopper nos pensées.

Nous recréerons une civilisation de l’esprit dans le cyberespace redevenu ouvert et décentralisé. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos ambitions et de vos conditions générales d’utilisation. Nous étions des citoyens endormis, vous avez fait de nous des utilisateurs passifs, nous sommes en train de nous réveiller et nous préparons notre exil.

La Roche-sur-Yon, France, le 7 février 2018.

Olivier Ertszcheid est l’auteur de l’appétit des géants (2017, C&F éditions)

Olivier Ertzscheid Enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nantes

Texte publié dans Libération en février 2018

De l’art ou de l’amour ? fb censure sans chercher

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Privacy de Warme Winkel & Wunderbaum « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.» crédit photo dr

Chronique
Doit-on assimiler la censure du plus grand des réseaux sociaux, sans distinction du message et du contenu, à une atteinte à la liberté d’expression ?

Interdit d’expression durant trois jours sur le réseau privé Facebook pour avoir publier la semaine dernière une image de comédiens où apparaît une paire de seins. Le fait est presque devenu banal ce qui paraît d’autant plus inquiétant. L’accumulation des données accessibles gratuitement – si on ne tient pas compte des données privées revendues à notre insu – confère aux plates-formes numériques un rôle incontournable en matière d’information.

La Revue Réseaux* publie dans son dernier opus un état des lieux édifiant consacré à cette question. Les analyses croisées de différents chercheurs permettent de comprendre comment l’offre de ces plates-formes remet en question la grille éditoriale des journaux et le pluralisme de l’information,  garant d’un fonctionnement de la démocratie.

A dire vrai, en publiant cette image je me doutais que FB allait amputer ma liberté, d’autant que dans la pièce Privacy des néerlandais De Warme Winkel & Wunderbaum donnée au Théâtre Garonne à Toulouse il est justement question de l’exposition de notre vie intime sur les réseaux sociaux. « La vie privée n’est plus la norme sociale », déclarait en 2011 Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook.

La sanction est arrivée sur le champ, moins d’une minute après la publication. La conception de cette censure est plus que discutable. En vertu de la morale puritaine américaine, les images de nu heurtent les modérateurs de fb, alors que des vidéos de viol ou de décapitation peuvent se retrouver en ligne pendant plusieurs jours. Mais comme le démontre une enquête menée  au cœur de la machine à modérer fb par le quotidien britannique The Guardian, « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.»

Problème de qualité de l’information
Ce n’est pas la première fois que je suis sanctionné (puni ?), la dernière fois, cela concernait une photo des femen. Libre à chacun d’avoir un regard critique sur ce mouvement féministe radical internationalement reconnu qui s’implique pour la démocratie, contre la corruption, la prostitution et l’influence des religions dans la société, mais comment ignorer l’impact de la censure du plus grand réseau social mondial, qui compte deux milliards d’utilisateurs actifs par mois, à l’encontre des femen ? Facebook aime le féministe tant que cela contribue à faire tourner la boutique mais il ne faut pas qu’elles soient provocatrices. Rien à voir avec ces jeunes filles qui vous invitent sur le même réseau à passer du bon temps avec elles sans montrer leur seins…

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mettent en œuvre des modes de contrôles de l’information, de conditionnement des opinions, et introduisent un problème de qualité de l’information à l’échelle mondiale qui posent bien des questions. Comme les autres géants, Facebook  impose son offre aux internautes qui veulent accéder aux services et biens informationnels en les verrouillant sur son application, et impose ensuite ses conditions aux fournisseurs de contenus.

Pour éviter cette atteinte à la liberté d’expression dans la sphère domestique et contribuer à une action plus vaste, le pire est sans doute d’avoir recours à l’autocensure. Résister individuellement et massivement peut infléchir la loi d’airain de cette nouvelle oligarchie, on l’a vu, quitte à se faire bannir et à consacrer le temps gagné à inventer de nouveaux outils collaboratifs.

JMDH

Revue Réseau sep/oct 2017 Modèles économiques, usages et pluralisme de l’information en ligne, éditions La Découverte, 25 euros.

Source : La Marseillaise 30/12/2017

Voir aussi :  Rubrique Internet, rubrique Médias,, rubrique Education, rubrique Politique, Société civile, rubrique Société, Citoyenneté,

La Techno, un fait social musical né à Détroit

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Détroit dans le Michigan berceau de la Techno mondiale. Photo dr

Novembre 2017. A Montpellier, le festival techno Dernier Cri propose des concerts mais il permet surtout d’échanger et d’enrichir nos connaissances sur ce mouvement culturel. Retour aux sources à Détroit avec la réalisatrice et productrice indépendante Jacqueline Caux autour de son dernier film Never stop une musique qui résiste.

Invitée de l’édition 2017 du festival dernier Cri, la réalisatrice Jacqueline Caux a donné une conférence sur les labels indépendants de Détroit à La Panacée. Son dernier film -?le troisième réalisé à Détroit?- Never Stop une musique qui résiste a été projeté au cinéma Diagonal. Dans ce documentaire Juan Atkins, Derrick May, Carl Crail, Jeff Mills, qui ont fondé la Techno, avant d’en devenir les ambassadeurs mondiaux, témoignent des premiers souffles du mouvement.

Née à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Jacqueline Caux développe une passion pour le free jazz, puis pour la musique répétitive, Steve Reich, Philip Glass… «? La transe que je retrouve aussi dans la musique arabe me parle beaucoup cela comble l’intellect et satisfait le corps. Lorsque la techno est arrivée, au début des années 80, beaucoup disaient?: ce n’est pas de la musique, c’est n’importe quoi. Ce n’était pas ma génération mais pour moi c’était limpide.?»

Du blues de Bobo Jenkins au célèbre label Motown (Diana Ross, Marving Gaye, The Tentation…) qui épousait les volontés d’émancipation de l’époque, Détroit a toujours été un berceau pour la black music.

«? La techno, c’était la première génération de noirs qui faisait de la musique avec des machines. Je me demandais s’il y avait des liens inconscients machiniques avec les usines de voiture, commente Jacqueline Caux. Après les émeutes sanglantes de Détroit en 1967, les libéraux ont délocalisé les usines créant un chômage massif et une crise sans précédent. Les gens qui ne pouvaient plus vendre leur maison les brûlaient pour toucher l’assurance. Née dans ce contexte, la techno, comme le free jazz, revendique une volonté de dignité.

Jacqueline Caux se rend sur place pour mesurer la force d’exorcisme de ce mouvement créatif. «?Fallait qu’on trouve quelque chose pour ne pas mourir psychiquement?» lui confie Juan Atkins, artiste fondateur de Métroplex, le premier label techno indépendant.

La réalisatrice retrouve Electrifying Mojo le DJ secret et mythique qui joua un rôle essentiel de passeur en diffusant tous les soirs la musique des artistes de la ville dont personne ne voulait. Il aura permis à une contre-culture de trouver un écho dans le monde entier.

 

Jacqueline Caux

Jacqueline Caux

 

Solidaire attitude

Peu à peu la force créatrice de cette minorité s’organise. Chaque artiste fonde son propre label mais tous adoptent une attitude solidaire, qui va de la fabrication à la distribution et permet de contourner le barrage des majors.

Issue d’une énergie émancipatrice, la techno s’impose comme un art, qui rompt avec l’égo omniprésent dans le Rock’nRoll. Pour les adeptes de la techno, c’est la musique qui compte avant tout. Face à un quotidien et à un environnement insupportables, la seule issue de ces musiciens aura été de se doter des moyens leur permettant de développer une créativité et une liberté effervescentes .

Malgré la baisse des ventes de disques liée au nouveau mode de diffusion, ces labels indépendants existent maintenant depuis trente ans. Les artistes se sont adaptés ils écument les scènes d’Europe et du Japon en vendant leurs disques dans les concerts. Ils sont toujours victimes de ségrégation dans leur ville et plus largement aux Etat-Unis qui préfère la flexibilité du rap et du Hip hop.

Le film de Jacqueline Caux Never Stop rappelle la force de l’histoire sociale et culturelle de la techno et son lien intime avec Détroit. Ville laboratoire du monde contemporain hier à travers le modèle de réussite de l’industrie automobile, elle est devenue aujourd’hui le symbole de l’échec du modèle capitaliste.

La ville tente de renaître de ses cendres en réduisant sa dette faramineuse de 20 milliards de dollars. Sécrétée par la culture noire tout droit sortie des marges où le système ségrégationniste l’a cantonné, la musique techno née au coeur de ce chaos, ne se laisse pas apprivoiser. Elle demeure un authentique reflet de notre société mondiale.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 14 /11/2017

Voir aussi : Rubrique Musique,  rubrique Festival,  Dernier cri, le festival qui laisse sans voixDernier cri. État de la culture techno,

Pour les mots qui nous font grandir

La Baignoire, un espace vert qui fait respirer la création. Photo dr

La Baignoire, un espace vert qui fait respirer la création. Photo dr

Theâtre, auteurs, lectures
La Baignoire, le  laboratoire  des écritures contemporaines, livre ses bourgeons aux trois saisons.

Le projet est vaste et chaque année reconduit. Béla Czuppon et la petite équipe de la Baignoire jardinent avec passion et humanité pour le fleurissement des écritures dramatiques. Au 7 rue Brueys à Montpellier, beaucoup passent leur chemin les yeux sur le bitume. C’est à peine si l’on tourne la tête dans cette rue sans commerce. La Baignoire y brasse pourtant un lot d’auteurs, de comédiens, de programmateurs, d’artistes et de publics dans un petit espace, une cinquantaine de places, parfaitement atypique.

Quel serait la place de la recherche,  de la foi dans la création, du goût pour l’essai, si la vertu des textes contemporains était juste de transformer le réel brut ? A peu près celle d’une Baignoire élément essentiel d’un écosystème pour la rareté de son planton dont tout le monde s’empare sans se soucier de préserver la source.

Vingt auteurs programmés

« Bonne nouvelle ! La Baignoire continue contre vent et marées, toujours avec des moyens dérisoires à promouvoir les écritures contemporaines !, écrit le capitaine du lieu sans déconcerter grand monde.

Cette année plus de vingt auteurs feront entendre leur voix portées par des équipes artistiques d’ici. La saison s’ouvre les 7 et 8 octobre avec Sweetie de l’écrivain photographe Philippe Malone qui aborde la question de la fermeture aux mutations du monde et à l’autre, le jeune ou l’étranger pour préserver des certitudes en péril. Lecture du comédien  Alex Selmane sous le regard de Stéphanie Marc.

Les 24 et 25 novembre les spectateurs pourront suivre le dyptique Mémoire et Résistance proposé par la compagnie montpelliéraine Le cri Dévot qui mène une recherche  théâtrale autour de textes documentaires, de témoignages et de récits. 146 298 et En ce temps-là, l’amour… sont des récits introspectifs où s’entremêlent les notions de devoir de mémoire et de transmission. Un jeune ados recompose le passé de sa grand-mère à travers les chiffres de son tatouage. Un père enseigne les valeurs humaines à son fils dans le wagon qui le mène à Auschwitz. Mise en scène Camille Daloz, avec les comédiens Emmanuelle Bertrand et Alexandre Carafelli.

Les 8 et 9 décembre, on pourra retrouver L’Origine du Monde version Nicolas Heredia avec la complicité de Marion Coutarel. Une réflexion sur la valeur des choses, de l’argent, de l’aventure, à partir d’une copie d’assez mauvaise facture du tableau de Courbet.

« Mon grand-père amenait ses maîtresses chez lui et faisait l’amour avec elles en couchant ma mère dans le même lit. Ma grand-mère, dont c’était le deuxième mari, demanda le divorce. Après avoir fait mine de vouloir se tuer avec un couteau de cuisine, il accepta gentiment. Ma grand-mère se remaria avec un gigolo, et mon grand-père épousa sa secrétaire qui avait trente ans de moins que lui.» On touchera aux conditions du vrai témoignage avec Mon Grand Père de Valérie Mréjen mis en scène par Dag Jeanneret du 14 au 16 décembre.

La saison se poursuit jusqu’en  mai, avec notamment les intégrales de la Baignoire, des déjeuners lecture entre midi et 13h, proposés par Hélène de Bissy, où l’on découvre des nouvelles d’auteurs féminins. A souligner également, le travail croisé entre l’Université Montpellier 3 et l’ENSAD autour de la traduction et la découverte d’auteur avec la Maison Antoine Vitez, sous la direction de Béla Czuppon.

Bref, en suivant de prêt la programmation de la Baignoire, on réalise que les écritures contemporaines, ne supposent pas une concentration de connaissances de l’auditeur. Elles ne font pas d’ellipses trop raides, d’associations d’idées trop rapides, et relèvent davantage de l’ouverture curieuse que  d’une culture spécialisée.

L’entreprise Baignoire est un prétexte pour s’interroger sur la littérature contemporaine, son statut, sa place, son influence dans notre vie. Vaste projet aujourd’hui un peu trop à l’étroit !

JMDH


Programme complet : www.labaignoire.fr

Source La Marseillaise 28/09/2017

Voir aussi Actualité locale: Rubrique  Théâtre, rubrique, rubrique Montpellier, rubrique Littérature, Lecture,

Comédie du Livre. Pratique égalitaire de la distribution du pouvoir

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La démocratie directe exigeait que le pouvoir politique soit citoyen. Photo dr

Paulin Ismard, Maître de conférence en histoire grecque à la Sorbonne évoque son essai  La Démocratie contre les experts. Présentation  Bernard Travier  aujourd’hui à 17h Auditorium du Musée Fabre.

Supposons un instant que le dirigeant de la Banque de France, le directeur de la police et celui des Archives nationales soient des esclaves, propriétés à titre collectif du peuple français. Imaginons, en somme, une République dans laquelle certains des plus grands serviteurs de l’État seraient des esclaves. Le Maître de conférence en histoire grecque à la Sorbonne Paulin Ismard questionne l’expérience de la lointaine Athènes avec l’idée  qu’elle pourrait nous aider à affronter, ici et maintenant, notre malheur politique.

En Grèce, laboratoire de la nouvelle gouvernance et d’une nouvelle « doctrine du cho c», le peuple  a de quoi réfléchir à cette absence d’alternative qui constitue désormais en Europe le mode de gouvernance néo-libéral. Il peut  dénoncer le chantage par lequel il s’exerce. Les modalités sont diverses selon les pays, les situations, les histoires, bien qu’il soit aisé de retrouver une certaine constance comme la façon par lesquelles l’extrême-droite européenne a été systématiquement promue, mise en avant, instrumentalisée, et parfois validées et reprises par les tenants de l’élite néo-libérale.

Dans la crise de la langue politique que nous traversons Paulin Ismard  s’attache au grand mot que demeure : La Démocratie, « aux contours incertains, mais qui s’offre à nos yeux à la fois comme un principe d’action et une aspiration indémodable, précise l’auteur,  qui  nous replonge dans l’Athènes de l’époque classique. « Ils étaient archivistes, policiers ou vérificateurs de la monnaie : tous esclaves, quoique jouissant d’une condition privilégiée, ils furent les premiers fonctionnaires des cités grecques. En confiant à des esclaves de telles fonctions, qui requéraient une expertise dont les citoyens étaient bien souvent dénués, il s’agissait pour la cité de placer hors du champ politique un certain nombre de savoirs spécialisés, dont la maîtrise ne devait légitimer la détention d’aucun pouvoir

La démocratie directe, telle que la concevaient les Grecs, impliquait que l’ensemble des prérogatives politiques soit entre les mains des citoyens. « Le recours aux esclaves assurait que nul appareil administratif ne pouvait faire obstacle à la volonté du peuple. En rendant invisibles ceux qui avaient la charge de son administration, la cité conjurait l’apparition d’un État qui puisse se constituer en instance autonome et, le cas échéant, se retourner contre elle

Une des manifestations du déni quotidien de l’idée démocratique ne tient-il pas dans l’exaltation du règne des experts ? Que la démocratie se soit construite en son origine contre la figure de l’expert gouvernant, mais aussi selon une conception de l’État qui nous est radicalement étrangère, voilà qui devrait nous intriguer.

JMDH

La démocratie contre les experts, Seuil (2015) 20 euros.

Rencontre avec Jean Claude Michéa.  Notre ennemi le capital

Jean-Claude Michéa Photo dr

Jean-Claude Michéa Photo dr

Dans un essai stimulant, Notre ennemi le capital, le philosophe montpelliérain prophétise la fin proche et souhaitable du libéralisme. Et établit Podemos en modèle pour la gauche européenne. « Il est aujourd’hui plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme. » Avec Notre ennemi, le capital (Climats), le philosophe Jean-Claude Michéa poursuit son travail de clarification et de démolition entrepris avec des livres aussi importants que Orwell, anarchiste Tory, L’empire du moindre mal ou La double pensée. Mais est-il encore possible de « rassembler la grande majorité des classes populaires autour d’un programme de déconstruction graduelle du système capitaliste » L’essayiste est devenu un auteur reconnu, notamment pour ses travaux sur George Orwell. Mais aussi, en raison d’une thèse qui pose le libéralisme économique comme indissociable du libéralisme politique.

Jean-Claude Michéa est l’un des invités de La Comédie du livre de Montpellier du 19 au 21 mai. Il participe à une rencontre ce soir à 19h00 au Centre Rabelais, entretien animé par Régis Penalva, directeur littéraire de la Comédie du Livre. Puis, il dédicacera ses ouvrages sur le Pôle 3 – Littérature française, librairie Sauramps, les 20 et 21 mai 2017.

Source La Marseillaise 19/05/2017

Voir aussi : Rubrique Livre, Essais, rubrique HistoirePoésie, Adonis : « Le problème, c’est la tyrannie théocratique »Hala Mohammad « la vérité et la liberté sont l’oxygène de la paix »,  rubrique Politique, rubrique International, Méditerranée, Montpellier, rubrique Société, Citoyenneté, On Line La Comédie du livre,