Privacy de Warme Winkel & Wunderbaum « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.» crédit photo dr
Chronique Doit-on assimiler la censure du plus grand des réseaux sociaux, sans distinction du message et du contenu, à une atteinte à la liberté d’expression ?
Interdit d’expression durant trois jours sur le réseau privé Facebook pour avoir publier la semaine dernière une image de comédiens où apparaît une paire de seins. Le fait est presque devenu banal ce qui paraît d’autant plus inquiétant. L’accumulation des données accessibles gratuitement – si on ne tient pas compte des données privées revendues à notre insu – confère aux plates-formes numériques un rôle incontournable en matière d’information.
La Revue Réseaux* publie dans son dernier opus un état des lieux édifiant consacré à cette question. Les analyses croisées de différents chercheurs permettent de comprendre comment l’offre de ces plates-formes remet en question la grille éditoriale des journaux et le pluralisme de l’information, garant d’un fonctionnement de la démocratie.
A dire vrai, en publiant cette image je me doutais que FB allait amputer ma liberté, d’autant que dans la pièce Privacy des néerlandais De Warme Winkel & Wunderbaum donnée au Théâtre Garonne à Toulouse il est justement question de l’exposition de notre vie intime sur les réseaux sociaux. « La vie privée n’est plus la norme sociale », déclarait en 2011 Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook.
La sanction est arrivée sur le champ, moins d’une minute après la publication. La conception de cette censure est plus que discutable. En vertu de la morale puritaine américaine, les images de nu heurtent les modérateurs de fb, alors que des vidéos de viol ou de décapitation peuvent se retrouver en ligne pendant plusieurs jours. Mais comme le démontre une enquête menée au cœur de la machine à modérer fb par le quotidien britannique The Guardian, « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.»
Problème de qualité de l’information
Ce n’est pas la première fois que je suis sanctionné (puni ?), la dernière fois, cela concernait une photo des femen. Libre à chacun d’avoir un regard critique sur ce mouvement féministe radical internationalement reconnu qui s’implique pour la démocratie, contre la corruption, la prostitution et l’influence des religions dans la société, mais comment ignorer l’impact de la censure du plus grand réseau social mondial, qui compte deux milliards d’utilisateurs actifs par mois, à l’encontre des femen ? Facebook aime le féministe tant que cela contribue à faire tourner la boutique mais il ne faut pas qu’elles soient provocatrices. Rien à voir avec ces jeunes filles qui vous invitent sur le même réseau à passer du bon temps avec elles sans montrer leur seins…
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mettent en œuvre des modes de contrôles de l’information, de conditionnement des opinions, et introduisent un problème de qualité de l’information à l’échelle mondiale qui posent bien des questions. Comme les autres géants, Facebook impose son offre aux internautes qui veulent accéder aux services et biens informationnels en les verrouillant sur son application, et impose ensuite ses conditions aux fournisseurs de contenus.
Pour éviter cette atteinte à la liberté d’expression dans la sphère domestique et contribuer à une action plus vaste, le pire est sans doute d’avoir recours à l’autocensure. Résister individuellement et massivement peut infléchir la loi d’airain de cette nouvelle oligarchie, on l’a vu, quitte à se faire bannir et à consacrer le temps gagné à inventer de nouveaux outils collaboratifs.
JMDH
Revue Réseau sep/oct 2017 Modèles économiques, usages et pluralisme de l’information en ligne, éditions La Découverte, 25 euros.
Décrypter Emmanuel Macron à travers Tocqueville est un exercice édifiant. On découvre ainsi un authentique idéologue, bien loin du pragmatisme simpliste dans lequel on l’enferme.
Emmanuel Macron est tout sauf un aventurier de la politique. C’est un penseur qui agit avec méthode et semble s’inspirer en toutes choses de Tocqueville. Pour le meilleur et au risque du pire.
Beaucoup voudraient réduire la victoire d’Emmanuel Macron à une simple aventure personnelle et ramener son succès à un étonnant concours de circonstances. Même si la chance, le caractère, l’ambition sont toujours des éléments déterminants dans la réussite, ils ne font en vérité pas tout. Bref, le macronisme n’est pas un simple opportunisme. Inutile également de s’ébahir, comme beaucoup, sur les vertus intellectuelles de cet homme et l’ampleur de sa culture. Elles sont indéniables mais, pour ceux qui ont la mémoire courte, la France a connu dans le passé des présidents, à l’exception sans doute de ses deux prédécesseurs, tout aussi voire plus brillants. Il est donc vain de comparer ses qualités et ses défauts avec celles des hommes qui ont occupé l’Elysée avant lui. Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron a fréquenté tout au long de sa formation, notamment auprès du philosophe Paul Ricoeur, de grands auteurs, en particulier Alexis de Tocqueville, à la fois comme penseur du libéralisme et surtout de la démocratie.
Décrypter Emmanuel Macron à travers Tocqueville est un exercice édifiant. On découvre ainsi un authentique idéologue, bien loin du pragmatisme simpliste dans lequel on l’enferme. Macron a une stratégie fondée sur une analyse politique profonde inspirée de la quatrième partie de l’œuvre phare de Tocqueville » De la démocratie en Amérique » intitulée » Regard sur le destin politique des sociétés démocratiques. «
Les risques du corps social en poussière
Ce texte consacré aux » effets politiques que produit l’égalité des conditions voulue par la démocratie » éclaire la lecture politique que le nouveau chef de l’Etat fait du pays et les conséquences qu’il en a tirées pour conquérir le pouvoir et, désormais, pour l’exercer. Emmanuel Macron a deviné avec brio que notre démocratie entrait dans une phase nouvelle née de l’échec des idéologies de droite et de gauche dans le redressement économique et social du pays. Il a réalisé que la France était proche de ce désordre qui, écrit Tocqueville, » réduit tout à coup le corps social en poussière « . Cette analyse s’est vérifiée dans les résultats du premier tour avec la forte poussée des extrêmes, de l’abstention et du vote blanc ou nul.
Cette situation est l’expression claire que les citoyens ont perdu confiance dans les forces politiques traditionnelles. Leur faillite aurait pu, au demeurant, précipiter le pays dans l’anarchie. Imaginons un seul instant une victoire de Marine Le Pen ! La France serait, aujourd’hui, plongée dans un effroyable climat de tensions. Emmanuel Macron a préempté ce danger et compris, comme l’explique Tocqueville, que le peuple est lucide et sait résister à cette pente dangereuse dans les sociétés démocratiques. En général, il choisit donc l’autre voie ainsi décrite il y a bientôt deux siècles mais d’une actualité étonnante : » Les hommes de nos jours sont moins divisés qu’on ne l’imagine ; ils se disputent sans cesse pour savoir dans quelles mains la souveraineté sera remise ; mais ils s’entendent aisément sur les droits et les devoirs de la souveraineté. Tous conçoivent le gouvernement sous l’image d’un pouvoir unique, simple, providentiel et créateur. «
Une centralisation du pouvoir qui coupe les ponts entre la base et le sommet
On ne peut mieux décrire le projet qui se développe sous nos yeux. Emmanuel Macron a compris que les échecs répétés des partis dits de gouvernement étaient le terreau d’un désordre qui provoquerait une réaction positive, notamment l’espoir de voir surgir un homme nouveau, imaginatif, inspiré, autoritaire et tenant d’un rapport direct avec le peuple. Bref tout ce qu’il a mis en œuvre tout au long de sa campagne et qu’il installe à présent au sommet de l’Etat.
C’est, en effet, un pouvoir fort que nous découvrons au fil des jours. On réduit trop la méthode Macron à l’art du marketing ou de la communication. Une philosophie du pouvoir l’anime que Tocqueville a parfaitement décrite : » La vie privée est si active dans les temps démocratiques, si agitée, si remplie de désirs, de travaux, qu’il ne reste plus d’énergie ni de loisirs à chacun pour la vie politique[…] L’amour de la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent ces peuples, et elle devient chez eux plus active et plus puissante, à mesure que toutes les autres s’affaissent et meurent ; cela dispose naturellement les citoyens à donner sans cesse ou à laisser prendre de nouveaux droits au pouvoir central, qui seul leur semble avoir l’intérêt et les moyens de les défendre de l’anarchie en se défendant lui-même… «
C’est bien ce que nous vivons depuis qu’Emmanuel Macron a déposé ses valises à l’Elysée. Soulagé d’avoir évité le pire, le peuple s’en remet à son nouveau Prince trop heureux de pouvoir développer sa toute puissance. Toutes ses décisions, ses faits, ses gestes témoignent de sa volonté de centralisation du pouvoir. Il se dresse en chef militaire et même en guerrier lorsqu’il transforme le ministère de la Défense en ministère des Armées. Plus qu’un symbole, un acte d’autorité. Il balaie également l’idée de pouvoirs secondaires entre lui et les citoyens. L’ordre donné à ses ministres de renoncer à leurs mandats locaux en est la traduction. Cette idée simple, voire simpliste, naturellement plaît. Elle est conforme à l’esprit de la loi sur le non cumul des mandats. Bref, elle est dans l’air du temps. Pourtant elle consiste à couper les ponts entre la base et le sommet en charge de tout, notamment de l’égalité et d’une législation uniforme pour en respecter le principe.
Dormez braves gens…
Etrange utopie qui réduit la diversité des points de vue pour les placer sous la seule tutelle présidentielle. Le recours aux ordonnances, notamment pour la réforme du droit du travail, traduit également la volonté de court-circuiter les pouvoirs intermédiaires disqualifiés au nom d’un principe d’efficacité séduisant pour le peuple au regard des trente dernières années. Autre symptôme de cette centralisation du pouvoir autour du seul président : le choix par l’Elysée des directeurs de cabinets des ministres sommés en outre de ne jamais sortir du rang. Dernière exemple, cette volonté sans précédent du chef de l’Etat de désigner soi-même ses interlocuteurs dans les médias et les journalistes autorisés à le suivre. L’objectif est évident, si bien décrit par Tocqueville : faire en sorte que les citoyens s’inclinent devant un Etat seul en charge de tous les détails du gouvernement.
La vision qu’a Emmanuel Macron du paysage politique futur est à l’unisson. Il l’a décrite sans détour sur RTL avant le second tour : d’un côté, ce qui est on ne peut plus légitime, une majorité présidentielle soudée, pour éviter les couacs désastreux de la période Hollande ; de l’autre, le Front national. De Gaulle disait en 1965 » Moi ou le chaos « , Macron a été élu sur le slogan » Moi ou l’extrême droite » et entend l’utiliser à présent pour régner et mettre de fait le principe démocratique de l’alternance en pointillés. La tactique » macronienne » rejoint ici l’analyse de Tocqueville : » Lorsque je songe aux petites passions des hommes de nos jours, à la mollesse de leurs mœurs, à l’étendue de leurs lumières, à la pureté de leur religion, à la douceur de leur morale, à leurs habitudes laborieuses et rangées, à la retenue qu’ils conservent presque tous dans le vice comme dans la vertu, je ne crains pas qu’ils rencontrent dans leurs chefs des tyrans, mais plutôt des tuteurs. «
Ce tutorat n’a rien de despotique. Nos contemporains ne sauraient, cependant, en trouver l’image dans leurs souvenirs. L’expérience est inédite et chacun a envie de croire à sa réussite. Elle ressemble certes à la cohabitation que les Français ont toujours apprécié mais sans la tension partisane au sein même du pouvoir exécutif. Après avoir été secoués de droite et de gauche, les électeurs ont envie de calme, certes toujours libres mais appréciant d’être conduits par un pouvoir national rassembleur, tempéré et tutélaire. Dormez braves gens… Exactement ce que leur propose Emmanuel Macron. Ce qui devrait, en bonne logique, les conduire à lui donner les moyens d’exercer pleinement son tutorat à l’issue des élections législatives.
Le programme d’intelligence artificielle développé par Google DeepMind a écrasé le Chinois Ke Jie 3-0. Après cet ultime exploit, l’entreprise a annoncé qu’AlphaGo ne jouerait plus en compétition.
C’est une victoire écrasante. Un peu plus d’un an après avoir battu au jeu de go, un jeu de stratégie asiatique, le Sud-Coréen Lee Sedol, un joueur légendaire, le programme d’intelligence artificielle AlphaGo a définitivement vaincu le numéro 1 mondial, le Chinois de 19 ans Ke Jie, samedi 27 mai à l’issu d’une rencontre en trois parties.
Le programme, développé par DeepMind, une entreprise britannique appartenant à Google, a battu le jeune prodige 3-0, contre 4-1 face à Lee Sedol. Cette fois, plus de doute : aucun humain ne peut aujourd’hui rivaliser face à AlphaGo. Une performance informatique que les experts en intelligence artificielle (IA) n’attendaient pas avant dix ou vingt ans.
« Ke Jie essayait de le battre à son propre jeu », a commenté Demis Hassabis, le fondateur de DeepMind, à l’issue de la troisième partie. Ke Jie a en effet repris à son compte certains coups signés AlphaGo – des séquences inconoclastes, qui n’étaient auparavant pas jouées dans les compétitions de haut niveau. Les trois parties ont été jouées ces deniers jours lors du Future of Go Summit qui se tenait cette semaine en Chine.
« Merci Ke Jie pour cette rencontre incroyable et enthousiasmante, c’est un grand honneur de jouer avec un véritable génie », a salué Demis Hassabis sur Twitter.
Après le go, d’autres ambitions
Après cet ultime exploit, DeepMind a annoncé qu’AlphaGo allait désormais prendre sa retraite. « Les parties palpitantes de cette semaine face aux meilleurs joueurs du monde, dans le pays où le go est né, ont marqué l’apogée d’AlphaGo comme compétiteur. C’est pourquoi le Future of Go Summit est la dernière compétition d’AlphaGo », écrit DeepMind sur son site.
L’équipe de chercheurs ayant développé cette technologie va désormais se consacrer à de nouveaux programmes d’IA « qui pourraient un jour aider les scientifiques à avancer sur les problèmes les plus complexes, comme trouver de nouveaux remèdes aux maladies, réduire de façon drastique la consommation énergétique ou inventer des matériaux révolutionnaires ». DeepMind s’implique déjà dans le domaine de la santé, notamment dans le cadre d’un partenariat controversé avec le système de santé britannique (NHS).
Mais DeepMind ne rompt pas pour autant ses liens avec le monde du go. L’entreprise compte notamment développer un outil d’apprentissage, dans lequel AlphaGo analysera des positions – un outil qui sera développé en collaboration avec Ke Jie et qui « donnera à tous les joueurs et les fans l’opportunité de voir le jeu du point de vue d’AlphaGo », explique DeepMind.
L’entreprise a aussi commencé à publier les données de 50 parties jouées par AlphaGo contre lui-même. Des informations précieuses pour les joueurs, qui espèrent pouvoir comprendre sa stratégie et s’en servir pour améliorer leurs propres performances. Depuis sa première partie publique contre Lee Sedol, AlphaGo effectue des coups qui surprennent la communauté des joueurs de go. Certains de ses choix ont même été considérés comme très mauvais… Mais l’ont quand même mené à la victoire, sans que l’on sache expliquer pourquoi. Depuis, des joueurs de haut niveau s’essayent régulièrement à certains coups inspirés d’AlphaGo.
La fin d’un épisode historique de l’IA
DeepMind compte aussi publier dans l’année un nouvel article de recherche, après celui qu’il avait publié dans la prestigieuse revue Nature en janvier 2016 annonçant l’existence de ce programme très performant. Ce nouvel article détaillera les améliorations apportées depuis à AlphaGo. « Comme avec notre premier article sur AlphaGo, nous espérons que d’autres développeurs vont s’en servir (…) pour bâtir leurs propres programmes de go ».
La plupart des chercheurs en intelligence artificielle spécialisés dans le go ont regardé ce premier article de très près, et l’ont décortiqué pour s’inspirer des technologies utilisées par AlphaGo, notamment le « deep learning », une méthode d’apprentissage automatique. Fine Arts, développé en Chine, et Deep Zen Go, développé au Japon, ont ainsi considérablement progressé ces derniers mois, au point de talonner AlphaGo pour le premier.
Toutefois, DeepMind n’a pas annoncé qu’il allait rendre AlphaGo « open source », c’est-à-dire rendre son code source accessible à tous – ce qu’annonce parfois faire Google dans le champ de l’IA. Ce qui aurait grandement facilité la tâche aux autres chercheurs travaillant sur le go, et les jeux en général.
En mettant AlphaGo à la retraite, DeepMind clôt une fois pour toutes cet épisode historique de l’intelligence artificielle, à la hauteur de celui ayant vu le programme Deep Blue d’IBM l’emporter contre le champion Garry Kasparov aux échecs en 1997. Malgré les efforts des concepteurs de Deep Zen Go et Fine Arts, ceux-ci ne devraient donc jamais avoir l’occasion d’affronter AlphaGo. Ni de ternir son éclatant succès.
Un livre, nourri de centaines d’études scientifiques, décrit l’impact de la télé sur la société et sur les capacités intellectuelles. Affligeant. La télévision est un fléau, c’est scientifique ! Un chercheur en neurosciences a eu la bonne idée de compiler dans un livre les centaines d’études prouvant les effets toxiques du petit écran, mettant fin au mythe de « la télé, bouc émissaire ».
A la lecture du livre de Michel Desmurget, « TV lobotomie », on se demande comment on peut laisser faire ça. Le constat est tellement accablant que l’on se demande un moment si l’auteur n’est pas de mauvaise foi. Mais au fil des pages, il faut se rendre à l’évidence : l’impact de la télévision est tellement nocif pour la société qu’on se demande pourquoi il n’existe pas un bandeau quand on appuie sur le bouton, du type « la télévision que vous venez d’allumer est dangereuse pour votre santé ».
Des preuves à l’appui du discours, il y en a des centaines dans « TV lobotomie ». C’est justement l’idée de l’auteur, docteur en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : faire la synthèse des différentes études portant sur la toxicité de la télévision. « Depuis 15 ans, il ne s’est pas passé une semaine sans que j’extraie au moins un ou deux papiers relatifs aux effets délétères de la télévision sur la santé », explique-t-il. Avant d’exposer ces effets, l’auteur veut battre en brèche le mythe de la télévision supplantée par Internet : l’usage des nouvelles technologies ne remplace pas la télé, il s’y additionne. « Un spectateur « typique » de plus de 15 ans passe chaque jour 3h 40 devant son poste de télévision », soit 75 % de son temps libre ! Quant aux enfants, « un écolier du primaire passe, tous les ans, plus de temps devant le tube cathodique que face à son instituteur », soit plus de 2 heures par jour. Pour quelles conséquences ?
Troubles de l’attention
D’abord, l’impact de la petite lucarne sur le développement des enfants et des adolescents. Une « marque » indélébile : « Tous les champs sont touchés, de l’intelligence à l’imagination, en passant par le langage, la lecture, l’attention et la motricité », résume l’auteur (lire ci-dessous). Ces effets s’expliquent notamment par ce que les chercheurs appellent « le déficit vidéo » : passif devant un écran, un enfant pourra apprendre quelque chose, « mais ce quelque chose sera toujours notablement inférieur à ce qu’il aurait appris d’une interaction effective avec son environnement ». Pourquoi ? Parce que l’on ne se construit pas en restant spectateur. « Le cerveau ne s’organise pas en observant le réel, mais en agissant sur lui », rappelle le neurologue. Ainsi, regarder la télévision apparaît comme un moment dépourvu de toute interactivité concrète.
Les effets dévastateurs de la télé se prolongent une fois qu’elle est éteinte. L’enfant prend en effet l’habitude de maintenir son attention par des sollicitations extérieures. Son cerveau, exposé à des séquences courtes, s’habitue à passer du coq à l’âne. Résultat ? Les chercheurs expliquent que le système attentionnel « automatique exogène » (suscité par l’extérieur) s’hypertrophie, au détriment du système « volontaire endogène ». Or, c’est l’attention « volontaire endogène » qui est nécessaire au processus d’apprentissage et de mémorisation.
Sentiment d’insécurité
La télé prescrit aussi, à notre insu, une certaine forme de pensée et d’agir via la publicité, qui est au fondement de son système économique. Et alors ? Elle a des impacts scientifiquement avérés sur les problèmes d’obésité, d’alcoolisme, de dépendance au tabac… Mais pas seulement : l’auteur rappelle qu’elle acculture aussi par les programmes entre les pubs, destinés à retenir l’attention des téléspectateurs coûte que coûte, à « le détendre pour le préparer entre deux messages » publicitaires, selon la célèbre expression de Patrick Le Lay, l’ancien PDG de TF1.
En particulier, Michel Desmurget rappelle que « l’on sait aujourd’hui qu’un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et s’avère plus aisément conditionnable. S’il s’avère nécessaire, pour favoriser ce dessein, de farcir l’antenne d’un monceau de violence, alors peu importe », écrit-il. Sexe, violence, société de consommation… la télévision ne serait-elle que le reflet de la société ?
Assurément pas, selon l’auteur, qui remarque que la violence et le sexe sont sur-représentées à la télévision par rapport à la réalité. Cela pourrait d’ailleurs expliquer le lien établi par des études entre exposition télévisuelle, et grossesse précoce non désirée par exemple. Le petit écran « travaille » aussi les représentations sur les genres sexuels, plus stéréotypés et inégalitaires à travers son prisme que dans la réalité. Quant au lien entre violence et télévision, Michel Desmurget rappelle qu’il ne fait désormais plus de doute au sein de la communauté scientifique : la télévision rend agressif, c’est presque aussi certain que le lien entre tabac et cancer du poumon.
Caricatural, Michel Desmurget ?
Aucun chercheur respectable ne suggère que la violence médiatique est « la » cause des comportements violents. La seule chose qu’osent affirmer les scientifiques, c’est que la télévision représente un facteur de violence significatif, et qu’il serait dommage de ne pas agir sur ce levier, relativement accessible en comparaison d’autres déterminants sociaux plus profonds (pauvreté, éducation, cadre de vie, etc.). Michel Desmurget
Non, la télévision n’est pas responsable de tous les maux. Non, la télévision n’est pas seule responsable de l’obésité, ou de la violence. Mais en multipliant les références violentes et anxiogènes pour favoriser l’audience, la télévision rend la société encore plus obèse, encore plus violente. Et parfois, l’influence de la fiction « dépasse la réalité » : le fameux sentiment d’insécurité, qui n’a aucun rapport avec l’évolution des agressions constatées, a par contre un lien avéré avec l’exposition télévisuelle…
Comment la télé éteint l’imaginaire des enfants
Différentes études prouvent que la télévision bride les capacités intellectuelles des enfants, en particulier leur imagination.
La télévision, un média comme un autre qui stimule l’imagination et la créativité ? Si ce discours est tenu, en particulier à la télévision, la réalité est toute autre : différentes recherches, présentées dans le livre de Michel Desmurget (ci-dessus), accréditent la thèse contraire, exprimée en termes simples : la télévision abrutit nos enfants !
Une étude retient particulièrement l’attention du lecteur. Elle a été conduite par deux médecins allemands en 2006, sur une population de près de 2 000 élèves, âgés de 5 et 6 ans. Les médecins ont demandé aux bambins de dessiner un bonhomme. Ils se sont alors aperçu que plus les enfants regardaient la télévision, plus le bonhomme qu’ils dessinaient était simpliste : pas de cheveux, pas d’oreilles, jambes représentées par un trait, etc.
Les dessins ci-contre, tirés de l’étude, illustrent la différence des représentations imaginaires entre des enfants soumis à la télévision plus de trois heures par jour, et des enfants dont l’exposition est égale ou inférieure à une heure… pas besoin de faire un dessin !
Pour cette étude, Michel Desmurget ne précise pas si les auteurs ont pris en compte d’autres variables : les enfants regardant la télévision ne seraient-il pas aussi ceux qui vivent dans un environnement socio-éducatif moins stimulant ? La différence de richesse de représentation de l’imaginaire pourrait ainsi s’expliquer principalement par des facteurs socio-éducatifs. La télévision ne serait alors qu’une « variable écran ».
1973 au Canada : avant et après l’arrivée de la télé
Mais le doute n’est pas permis pour un autre travail présenté dans « TV lobotomie », dans lequel des chercheurs, dès 1973, ont analysé l’impact de l’arrivée de la télévision (avant, après) dans une ville canadienne de taille moyenne. Ils ont complété leur étude en confrontant les résultats avec des villes comparables ayant déjà la télévision.
L’un des travaux consistait à demander à des jeunes de 9 à 12 ans d’imaginer les différents usages possibles de 5 objets (couteau, chaussure, bouton…). Les résultats montrèrent que les enfants de la ville où la télévision était encore absente (NoTel) mentionnaient 40 % d’usages supplémentaires possibles des objets, par rapport aux jeunes de la ville où la télévision était déjà présente. « Et lorsque l’expérience fut reproduite, sur des sujets d’âge similaire, 2 ans après l’arrivée de la petite lucarne dans les foyers NoTel, plus aucune différence ne fut observée entre les différentes villes » souligne Michel Desmurget, qui conclut, un peu plus loin dans le livre :
La petite lucarne ne rend pas les enfants débiles ou visiblement crétins, mais elle empêche assurément le déploiement optimal des fonctions cérébrales. La vox populi aura évidemment beau jeu de nier l’existence du moindre détriment : voyez, nous dira-t-elle, ils ont regardé la télé et ils ne s’en sont pas mal sortis, ils ne sont pas débiles. Personne cependant ne demandera : cet écran qu’ils ont tant regardé, que leur a-t-il volé ? Michel Desmurget
SlowMov (mouvement lent) est un espace virtuel, et bientôt réel, qui regroupe un ensemble d’initiatives visant à faire du temps un élément précieux et sans rapport avec des valeurs négatives comme la paresse, l’indifférence ou la maladresse. Toute recette, toute information et tout projet invitant à adoucir le rythme frénétique de la post-modernité peut trouver sa place sur cette plateforme.
Le projet fait partie du fameux Mouvement Slow, né en 1986 en réponse à l’ouverture d’un célèbre fast-food sur la place d’Espagne à Rome.
Messages positifs
Initialement axé sur la nourriture, il s’est rapidement étendu à d’autres secteurs comme l’éducation, la santé, le travail et les loisirs. Vingt ans plus tard, cette philosophie a gagné un poids considérable en Europe et recouvre un certain nombre d’initiatives dans de nombreuses villes du vieux continent.
Lancé par trois jeunes Européennes, Astrid, Nadia et Carmen, SlowMov est d’abord né sous la forme d’un blog diffusant des messages positifs, incitant à la lenteur, puis s’est développé sur les réseaux sociaux dans de multiples langues : espagnol, catalan, anglais et français. Le mouvement tente d’offrir un modus vivendi sain et joyeux qui réconcilie les citoyens avec le bonheur.
Les bonnes idées, la créativité, les relations sociales, la contemplation se développent dans des environnements reposants tandis que la productivité exigée dans le cadre du travail, l’impatience, la course qui imprègnent de manière presque constante le quotidien des gens, créent un contexte inconfortable pour tout être humain qui perd ainsi facilement de vue la tranquillité et le bien être.
Penser « slow »
Prendre le temps de penser à ce que l’on consomme, le temps de savourer la nourriture, de voyager avec ses cinq sens éveillés, de rejeter le purement matériel et de se dégager d’une routine précipitée et stressante, constitue l’un des objectifs des mouvements slow qui voient actuellement le jour dans nombre de pays.
Le temps est-il peut-être venu d’arrêter de vouloir que la nourriture soit préparée et servie en un temps record, que les magasins soient ouverts à n’importe quelle heure de la journée ou de vouloir être le premier à prendre les transports en commun.
SlowMov invite à adhérer à des habitudes complètement différentes de ce qui vient d’être décrit. Il apportera son soutien à des projets de sécurité routière tels que Slow Ways (routes tranquilles) qui propose à la fois de limiter la vitesse sur les autoroutes, et conseille aux passagers de se détendre en admirant le paysage quand le trajet le nécessite.
La plateforme souhaite instaurer un système qui donne une notation et recommande les établissements de slow-food, ainsi que les entreprises qui se soucient plus de la qualité que de la quantité.
Après « Les Temps modernes »
Qui n’a pas vu Charlie Chaplin coincé dans l’énorme machinerie d’une usine ? Dépassé par la mécanique se déployant à toute vitesse devant ses yeux, si caractéristique du travail à la chaîne, il se moquait déjà, dans le film « Les Temps modernes », de la productivité excessive exigée des travailleurs.
Sur un concept similaire, SlowMov veillera à sensibiliser les consciences sur la nécessité d’instaurer des processus de production alternatifs au sein desquels le travail est plus humain.
En plus de la diffusion proactive de messages, les fondatrices de cette plateforme travaillent à l’ouverture, à moyen terme, d’un espace à Barcelone, dans lequel les habitants pourront assister à des évènements en lien avec la philosophie slow, participer à des cours de cuisine et de lecture ainsi qu’à des dégustations de cafés, et tout type d’activités où le partage et la revalorisation du temps donnent une approche plus éthique à la société.
Pour cela, un réseau d’échange social, un local physique, une grande variété de propositions ainsi que le temps, forment des ingrédients en pleine maturation pour donner du sens au temps.