L’un, Google, prétend « organiser l’information du monde et la rendre universellement accessible et utile ». L’autre, Facebook, veut « rapprocher le monde » en connectant les gens. Chaque jour, plus d’un milliard de personnes utilisent ces services comme s’ils échappaient aux pesanteurs politiques avec autant d’agilité que leurs maisons mères esquivent leurs obligations fiscales. Générés par de froids algorithmes, les résultats d’une requête ou la sélection du fil d’actualité nous paraissent aller de soi : déformés par la publicité, certes, mais imperméables à l’idéologie. On n’accuserait pas un tuyau de gauchisme ou d’atlantisme. On devrait.
Le 18 novembre dernier, lors d’un forum international sur la sécurité, M. Eric Schmidt, alors président exécutif d’Alphabet, la société qui contrôle Google, répond à un utilisateur allemand indigné de recevoir sur son smartphone trop d’alertes Google en provenance de l’agence publique russe Sputnik : « Nous travaillons sur la détection et le déréférencement de ce genre de sites, je pense à RT et à Sputnik. Nous sommes bien conscients de ce qu’ils font — on en a beaucoup parlé — et nous essayons d’élaborer un système pour empêcher cela . » Avec sa cravate fuchsia et ses chaussettes assorties, M. Schmidt vient tranquillement d’annoncer que le moteur de recherche le plus utilisé dans le monde truquerait désormais ses résultats au détriment de certains médias suspects de véhiculer des fake news (« fausses nouvelles »). Pas n’importe lesquels : les seuls ouvertement visés figurent dans le collimateur du ministère de la défense américain, dont M. Schmidt est par ailleurs conseiller. Sous pression depuis l’élection présidentielle de 2016, Facebook et Twitter pourchassent les publicités achetées par des comptes associés au Kremlin, tandis que Google s’emploie à renvoyer dans les profondeurs du classement les résultats trop proches des vues de Moscou.
Mais comment séparer automatiquement le bon grain de l’ivraie ? « Dans un communiqué publié le 25 avril, M. Ben Gomes, vice-président de l’ingénierie de Google, a déclaré que la nouvelle version du moteur de recherche rétrograderait les sites “offensants”, et ferait remonter plus de “contenus faisant autorité” », écrivent Andre Damon et David North, du World Socialist Web Site (wsws.org, 2 août 2017). Aidé d’une société d’analyse de référencement, ce site trotskiste a mesuré les effets du nouvel algorithme qui, par défaut, présuppose les médias dominants fiables et la presse alternative louche. « On observe une perte importante de lectorat des sites socialistes, antiguerre et progressistes au cours des trois derniers mois, avec une diminution cumulée de 45 % du trafic en provenance de Google. » Entre mai et juillet 2017, les visites de wsws.org issues de Google ont chuté de 67 %, celles du réseau Alternet.org de 63 %. La plate-forme audiovisuelle Democracynow.org enregistre un plongeon de 36 % ; Counterpunch.org, de 21 % ; et Theintercept.com, de 19 %. « Dans la bataille contre les “fake news”, alerte l’association américaine Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) (1), une grande partie des reportages les plus indépendants et les plus précis sont en train de disparaître des résultats des recherches effectuées dans Google . » Tuer le pluralisme au nom de l’information ?
Les règles encadrant la neutralité du net ont été abrogées aux États-Unis, à la suite d’un vote du régulateur des télécoms. Cependant, si ce vote est une très mauvaise nouvelle pour les partisans de ce principe, tout n’est pas (encore) perdu.
C’est une nouvelle ère qui s’ouvre désormais aux États-Unis, maintenant que la fin de la neutralité du net a été votée par la Commission fédérale des communications. Mais cette période pourrait en définitive ne pas durer très longtemps. En effet, si le projet de réforme anti-neutralité du net du régulateur des télécoms américain est passé jeudi 14 décembre, des recours existent.
C’est ce qu’a rappelé sur Twitter Bernie Sanders, sénateur des États-Unis pour le Vermont et candidat malheureux lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Très remonté contre la politique de Donald Trump et le vote de la FCC, le parlementaire américain a appelé les défenseurs de la neutralité du net à riposter, en dénonçant « une attaque flagrante contre notre démocratie ».
« La fin de la protection de la neutralité du Net signifie qu’Internet sera à vendre au plus offrant. Lorsque nos institutions démocratiques sont déjà en péril, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cette décision de prendre effet », a complété l’élu. Mais surtout, l’intéressé a évoqué deux plans de bataille, l’un destiné à être appliqué au niveau du Congrès, l’autre devant les tribunaux.
Au Congrès
La première tactique consiste à mobiliser la Congressional Review Act, ou loi de révision du Congrès. Au Sénat comme à la Chambre des représentants, les élus ont la possibilité de proposer une « résolution conjointe de désapprobation », explique Libération, au lieu de passer par une proposition de loi classique, afin de renverser une mesure critique, ici le vote de la FCC.
Pour exploiter cette disposition, les parlementaires ont une fenêtre d’action de 60 jours. Le sénateur démocrate Edward J. Markey a annoncé le jour même du vote, avec le soutien de 15 collègues, la mise en route de la résolution. « Le Congrès peut corriger la décision mal avisée et partisane de la FCC et laisser Internet entre les mains des gens, pas des grandes sociétés », a-t-il dit. Depuis, ils sont 26 à soutenir sa démarche.
Pour qu’une loi de révision du Congrès passe, il faut la faire voter. Or, il y a un souci : l’équilibre des forces politiques est en défaveur des démocrates. Toutefois, les Républicains, qui sont plutôt contre la neutralité du net, n’ont qu’une voix d’avance au Sénat. Reste qu’il y a encore un obstacle : le président des États-Unis. Celui-ci a le droit de mettre son veto pour empêcher une résolution.
Les chances d’obtenir gain de cause par ce canal-là paraissent minces.
Devant les tribunaux
La seconde solution est de passer par l’ordre judiciaire. « Nous déposerons une plainte pour préserver la protection des New-yorkais et de tous les Américains. Et nous travaillerons d’arrache-pied pour empêcher les dirigeants de la FCC de nuire davantage à Internet et à notre économie », a déclaré Eric Schneiderman, le procureur général de l’État de New York, cité par Techcrunch.
Des actions du même type pourraient venir d’au moins dix-huit autres procureurs, vu la teneur d’un courrier adressé le 12 décembre à la FCC dans lequel ils ont demandé un report du vote en raison de révélations sur des faux commentaires lors du processus de consultation publique. Selon Quartz, plusieurs d’entre eux ont annoncé qu’ils agiront en justice pour renverser la situation ou au moins entraver le processus.
Multiples recours judiciaires sur la rampe de lancement
Des organisations issues de la société civile sont aussi sur la brèche. Reuters indique qu’au moins trois groupes d’intérêt public — Public Knowledge, Common Cause et Free Press — se préparent à aller devant les tribunaux. L’Electronic Frontier Foundation est aussi sur le coup. Par ailleurs, le lobby des géants du net, Internet Association, a fait savoir qu’il examinait le vote et évaluait ses options légales.
Ici, les chances de succès semblent plus importantes. « Je pense que cette affaire est condamnée au tribunal », a estimé Tim Wu, un professeur en droit à l’université Columbia à New York. « Ils sont allés trop loin », a ajouté celui qui est considéré comme l’inventeur de l’expression « neutralité du réseau » en 2002.
Même ses détracteurs les plus virulents le reconnaissent : il est ardu de définir le néolibéralisme. De façon générale, ce terme suggère une préférence pour les marchés plutôt que pour l’Etat, pour les incitations économiques plutôt que les normes culturelles et pour l’entreprise privée plutôt que pour l’action collective. D’Augusto Pinochet à Margaret Thatcher ou Ronald Reagan, des démocrates américains au nouveau parti travailliste britannique, de l’ouverture économique chinoise à la réforme de l’Etat-providence en Suède ; il a été utilisé pour décrire un éventail très large de situations.
Au bout du compte, le mot « néolibéralisme » est utilisé comme un fourre-tout qualifiant tout ce qui touche à la dérégulation, la libéralisation, la privatisation, ou encore l’austérité fiscale. Aujourd’hui, il est couramment conspué. Il est assimilé à toutes les idées et pratiques qui ont contribué à l’augmentation de la précarité économique et des inégalités, qui nous ont conduits à la perte de nos valeurs et de nos idéaux politiques et, enfin, qui ont accéléré l’émergence de mouvements populistes.
Où sont les néolibéraux ?
Il semble donc que nous vivions dans l’ère du néolibéralisme. Mais qui sont, finalement, les adeptes et les diffuseurs de ce courant de pensée – les néolibéraux eux-mêmes ? Etrangement, il faut remonter assez loin dans le temps pour trouver quelqu’un qui a explicitement prôné le néolibéralisme. En 1982, Charles Peters – qui a dirigé pendant de nombreuses années la revue politique Washington Monthly – publiait un « Manifeste néolibéral », qui constitue encore 35 ans plus tard une lecture riche d’enseignements, tant le néolibéralisme qu’il décrit diffère de celui qu’on tourne aujourd’hui en ridicule. A en croire Peters, les dirigeants politiques qui incarnent le mouvement néolibéral ne seraient pas les semblables de Thatcher ou de Reagan, mais davantage des libéraux – au sens américain du terme – qui, après avoir été déçus par les syndicats et l’omniprésence des gouvernements centraux, ont abandonné leurs préjugés contre les marchés.
Le fait que le néolibéralisme soit un concept insaisissable qui ne dispose pas d’un lobby explicite de défenseurs ne signifie pas qu’il soit insignifiant ou irréel
L’utilisation du terme « néolibéral » a explosé dans les années 1990, lorsqu’il a été associé à deux phénomènes dont aucun d’ailleurs n’avait été mentionné dans l’article de Peters. Le premier d’entre eux est la dérégulation financière, qui allait atteindre son apogée lors de la crise financière de 2008 et dans la débâcle qui, à ce jour, tourmente encore la zone euro. Le second de ces phénomènes est la mondialisation économique, qui s’est accélérée grâce à la libre circulation des capitaux et à un nouveau type, plus ambitieux, d’accords commerciaux. Depuis, la financiarisation et la mondialisation sont devenues les manifestations les plus visibles du néolibéralisme.
Entre science et idéologie
Le fait que le néolibéralisme soit un concept insaisissable, changeant, et qu’il ne dispose pas d’un lobby explicite de défenseurs, ne signifie pas pour autant qu’il soit insignifiant ou irréel. Qui peut, en effet, contester que le monde ait effectué un mouvement décisif vers les marchés depuis les années 1980 ? Ou le fait que les hommes et femmes politiques de centre gauche – les démocrates aux Etats-Unis, les socialistes et les sociaux-démocrates en Europe – ont adopté avec enthousiasme plusieurs croyances centrales du Thatchérisme ou du Reaganisme ; à savoir la dérégulation, la privatisation, la libéralisation financière ou encore l’entreprise privée ? Une part importante des discussions politiques contemporaines sont imprégnées des principes basés sur le concept d’homo œconomicus, cet être humain parfaitement rationnel qui cherche à maximiser son intérêt personnel et qui constitue un élément central de nombreuses théories économiques.
La souplesse du terme « néolibéralisme » signifie aussi que les critiques qui lui sont adressées ratent souvent leur cible
Mais la souplesse du terme « néolibéralisme » signifie également que les critiques qui sont adressées à ce courant économique ratent souvent leur cible. Il n’y a en effet rien de foncièrement nocif dans les marchés, ni dans l’initiative ou l’entreprise privée lorsque ces principes sont appliqués de façon appropriée. Les plus importantes réalisations économiques de notre temps ont d’ailleurs découlé d’usages judicieux de ces derniers. Et en snobant le néolibéralisme, nous risquons de nous priver de quelques-unes de ses composantes utiles.
Le vrai problème, c’est que l’économie mainstream tombe trop facilement dans l’idéologie, contraignant les choix qui semblent s’offrir à nous et fournissant des solutions « clé en main ». La juste compréhension des phénomènes économiques qui sous-tendent le néolibéralisme nous permettrait d’y identifier l’idéologie, et de la rejeter lorsqu’elle se fait passer pour une science économique. Enfin – et c’est sûrement le plus important – cet effort d’analyse enrichirait l’imagination institutionnelle dont nous avons désespérément besoin pour refonder le capitalisme du XXIe siècle.
Expérience de pensée
Nous pensons généralement le néolibéralisme comme la somme de principes clés de la science économique dominante. Pour être capables d’étudier ces derniers sans idéologie, nous devons nous soumettre à une expérience de pensée : un économiste célèbre et très respecté atterrit pour la première fois dans un pays, dont il ne connaît rien. Il assiste alors à une réunion avec les dirigeants politiques du pays en question. «Notre nation connaît de sérieux problèmes» lui dit-on alors ; « l’économie stagne, l’investissement est bas et il n’y a aucune perspective de croissance en vue». Les dirigeants se tournent alors vers lui, plein d’espoir : «Indiquez-nous quelle est la marche à suivre pour faire prospérer notre économie ».
L’économiste reconnaît alors son ignorance et explique que sa méconnaissance de l’économie du pays l’empêche de formuler une quelconque recommandation. Avant de se prononcer, il aurait besoin, dit-il, d’étudier l’histoire de l’économie, d’analyser des données statistiques et de voyager dans le pays.
Mais ses hôtes insistent : « Nous comprenons votre réticence, et nous aurions aimé que vous eussiez le temps de faire tout cela» se voit-il répondre, «mais l’économie n’est-elle pas une science, et n’êtes-vous pas l’un de ses plus éminents praticiens ? Bien que vous ne connaissiez que très peu de chose sur notre économie, vous pourriez probablement partager avec nous des théories économiques générales et des directives qui nous aideraient à guider nos politiques économiques et les réformes que nous souhaitons appliquer ».
L’économiste se trouve alors dans une impasse. D’un côté, il ne veut pas imiter ces gourous économiques qu’il critique depuis longtemps pour colporter leurs conseils politiques favoris. Mais il se sent pris au dépourvu par cette question. Existe-t-il des vérités universelles en économie ? Peut-il, lui-même, apporter ici quoi que ce soit de valide ou d’utile ?
Quels principes ?
Il commence alors son exposé : l’efficience avec laquelle les ressources d’une économie sont allouées est un déterminant crucial de la performance de cette économie, explique-t-il. Une telle efficacité nécessite, à son tour, de mettre en cohérence les incitations des ménages et des entreprises avec les coûts et les bénéfices sociaux. Les incitations auxquelles sont confrontés les entrepreneurs, les investisseurs et les producteurs sont particulièrement importantes pour la croissance économique. La croissance a besoin d’un système abouti de droits de propriété et d’application des contrats, afin de permettre aux investisseurs de s’approprier les rendements de leurs investissements. Enfin, l’économie doit être ouverte aux idées et aux innovations issues du reste du monde.
Mais une période d’instabilité macroéconomique peut faire dérailler l’économie, poursuit-il. Les gouvernements doivent, par conséquent, conduire une politique monétaire rigoureuse, consistant à restreindre la croissance de la masse monétaire à celle de la demande de monnaie nominale pour atteindre un niveau d’inflation raisonnable. Ils doivent assurer la soutenabilité des finances publiques – de sorte que la dette publique ne dépasse pas le revenu national – et mettre en œuvre une réglementation prudentielle des banques et des autres institutions financières pour éviter que le système financier, dans son ensemble, ne prenne des risques excessifs.
Les principes économiques englobent aussi des questions de politique sociale et d’équité
L’économiste aborde ensuite un thème qui lui tient à cœur : « L’économie n’est pas qu’une affaire d’efficacité et de croissance », explique-t-il. Les principes économiques englobent aussi les questions de politique sociale et d’équité. L’économie a, certes, peu de choses à dire sur le niveau de redistribution qu’une société devrait viser, mais elle préconise toutefois que la base fiscale soit la plus large possible, et que les programmes sociaux soient pensés en prenant soin de ne pas inciter les travailleurs à se détourner du marché du travail.
Au moment où l’économiste termine sa présentation, il semble évident qu’il a mené un véritable plaidoyer néolibéral. Un auditeur critique, dans l’assemblée, y aura reconnu un certain nombre de « mots-clés » : efficacité, incitations, droits de propriété, politique monétaire saine, prudence budgétaire et financière. Et pourtant, les principes universels que l’économiste vient de décrire sont définis très vaguement : ils présument une économie capitaliste – dans laquelle les décisions d’investissement sont le fait des agents privés et des entreprises – mais ils ne vont pas beaucoup plus loin. En réalité, ils permettent – et même, nécessitent – une incroyable variété d’arrangements institutionnels.
Nous nous tromperions associant à chaque terme abstrait (incitations, droits de propriété…) une contrepartie institutionnelle prédéterminée
L’économiste vient-il donc de délivrer une analyse néolibérale ? Nous nous tromperions en le croyant ; notre erreur consistant à associer à chaque terme abstrait – incitations, droits de propriété, politique monétaire saine – une contrepartie institutionnelle prédéterminée. Ici résident la prétention centrale et le défaut majeur du néolibéralisme : la croyance que les principes économiques de premier ordre correspondent à un ensemble unique de politiques, proche d’un agenda à la Thatcher ou à la Reagan.
Prenons les droits de propriété. Ils sont importants, en ce qu’ils permettent de distribuer les retours sur investissements. Un système optimal confierait donc les droits de propriété aux individus qui feraient le meilleur usage possible de leur actif, et offrirait au contraire une protection contre ceux qui risquent de s’approprier tous les bénéfices. Ainsi, les droits de propriété sont bénéfiques lorsqu’ils protègent les innovateurs des comportements de passagers clandestins, mais néfastes lorsqu’ils les préservent de la concurrence. En fonction du contexte, un régime légal qui fournit les incitations adéquates peut donc être tout à fait différent du régime standard de droits de propriété privée à l’américaine.
« Néolibéralisme » à la chinoise ?
Cette idée peut sembler une parenthèse sémantique sans aucun intérêt pratique, pourtant le succès économique spectaculaire de la Chine est largement lié à un bricolage institutionnel défiant toute orthodoxie. La Chine s’est tournée vers les marchés, mais elle n’a pas copié les pratiques occidentales en matière de droits de propriété. Les réformes menées dans le pays ont produit des mesures d’incitation basées sur les marchés, à travers une série d’arrangements institutionnels inédits, mieux adaptés au contexte local.
Plutôt que de passer directement, par exemple, de la propriété étatique à la propriété privée – ce qui aurait été dans tous les cas limité par la faiblesse des institutions en place – le pays s’est appuyé sur des formes mixtes de propriété. Ces dernières se sont avérées fournir aux entrepreneurs des droits de propriété plus efficaces. Les Entreprises de Bourg et de Village (EBV), qui ont constitué le fer de lance de la croissance chinoise dans les années 1980, étaient ainsi détenues collectivement et contrôlées par les gouvernements locaux. Même si ces sociétés appartenaient à l’Etat, les entrepreneurs recevaient la protection dont ils avaient besoin pour faire face au risque d’expropriation. Les gouvernements locaux étaient en effet directement intéressés aux profits des firmes et n’avaient donc aucune raison de tuer ces poules aux œufs d’or.
Qualifier les réformes chinoises de néolibérales déforme la réalité au lieu de l’éclairer
La Chine a recouru à toute une série d’innovations de ce type ; chacune traduisant des principes économiques de premier ordre en des arrangements institutionnels inhabituels. Les réformes chinoises ont notamment permis de protéger le secteur public chinois de la compétition mondiale, en établissant des zones où les entreprises étrangères pouvaient suivre des règles différentes de celles en vigueur dans le reste de l’économie. Au vu de ces écarts par rapport aux standards orthodoxes, qualifier les réformes chinoises de néolibérales – comme ont tendance à le faire certains observateurs – déforme la réalité au lieu de l’éclairer. Si nous voulions appeler cela du néolibéralisme, nous devrions certainement être plus cléments avec les idées qui sous-tendent la plus spectaculaire réduction de la pauvreté dans l’histoire.
Certains pourraient rétorquer que les innovations institutionnelles chinoises sont purement transitoires : le pays finira peut-être par converger vers un modèle d’institutions occidentales, pour soutenir sa croissance économique. Mais une telle façon de penser néglige la diversité des arrangements capitalistes qui prévalent encore dans les économies avancées, et ce malgré une relative homogénéisation de nos discours politiques.
Une feuille de route vide
Comment définir, après tout, les institutions occidentales ? Le poids du secteur public varie beaucoup selon les pays de l’OCDE, d’un tiers du PIB en Corée du Sud à près de 60 % en Finlande. En Islande, 86 % des travailleurs sont membres d’une organisation syndicale, quand ce pourcentage n’atteint que 16 % en Suisse. Aux Etats-Unis, les entreprises peuvent licencier quand bon leur semble, tandis que le droit du travail français a depuis toujours imposé aux employeurs un certain nombre d’étapes préalables. Les marchés financiers représentent aujourd’hui presque une fois et demie le PIB des Etats-Unis, tandis qu’en Allemagne, leur importance est trois fois moindre, à environ 50 % du PIB.
L’économie ne peut être réduite à une liste de principes abstraits relevant du sens commun
L’idée que l’un de ces modèles de taxation, de droit du travail, ou d’organisation financière puisse être intrinsèquement supérieur aux autres est démentie par l’alternance de périodes de prospérité et de récession qu’ont connue ces économies développées dans les récentes décennies. Les Etats-Unis ont traversé plusieurs périodes de troubles au cours desquelles ses institutions économiques ont été jugées inférieures à celles de l’Allemagne, du Japon, de la Chine et aujourd’hui probablement de l’Allemagne à nouveau. Indéniablement, des niveaux comparables de richesse et de productivité peuvent être atteints via différents modèles capitalistiques. Nous pourrions même nous avancer un peu : tous ces modèles sont encore loin d’épuiser le champ de ce qui pourrait être possible et désirable dans le futur.
L’économiste en visite de notre expérience de pensée connaît tous ces exemples, il sait que les principes qu’il a énoncés ont besoin d’être alimentés par des solutions institutionnelles avant de devenir opérationnels. Droits de propriété, d’accord, mais de quel type ? Politique monétaire saine, très bien, mais de quelle façon ? Il semble plus facile de critiquer cette liste de principes pour sa vacuité, que de la dénoncer comme un programme néolibéral.
Les bons économistes savent que la bonne réponse à n’importe quelle question économique est : « ça dépend »
Pour autant, ces principes ne sont pas complètement dépourvus de fond. La Chine et, plus généralement, tous les pays qui ont réussi à se développer rapidement ont démontré l’utilité de ces principes une fois adaptés au contexte local. Réciproquement, trop d’économies se sont retournées contre des dirigeants politiques qui avaient bafoué ces principes. Pas besoin de regarder plus loin que dans les régimes populistes d’Amérique latine ou communistes d’Europe de l’Est pour apprécier la pertinence d’une politique monétaire saine, d’une soutenabilité fiscale et d’incitations privées.
Bien sûr, l’économie ne peut être réduite à une liste de principes abstraits relevant du sens commun. Une large part du travail des économistes consiste à développer des modèles stylisés permettant d’expliquer comment les économies fonctionnent ; pour ensuite confronter ces modèles avec la réalité. Les économistes tendent ainsi à décrire leur travail comme un affinage progressif de leur compréhension du monde : leurs modèles sont supposés devenir de plus en plus performants à force d’être testés et révisés. En réalité, les progrès en économie se produisent différemment.
Un modèle, mais quel modèle ?
Les économistes analysent une réalité sociale qui diffère totalement du monde physique. Elle est entièrement créée par l’homme, malléable et régie par des règles qui varient dans le temps et dans l’espace. Les progrès en économie ne consistent donc pas à choisir le bon modèle ou la bonne théorie pour répondre aux questions que l’on peut se poser, mais à améliorer notre compréhension de la diversité des relations causales. Le néolibéralisme et ses remèdes habituels – toujours plus de marchés, toujours moins d’Etat – sont en fait une perversion de l’économie mainstream. Les bons économistes savent que la bonne réponse à n’importe quelle question économique est : « ça dépend ».
En économie, les nouveaux modèles supplantent rarement les anciens
Est-ce qu’une hausse du revenu minimum est néfaste à l’emploi ? Oui, si le marché du travail est concurrentiel et si les employeurs n’ont aucun contrôle sur le salaire auxquels ils doivent rémunérer les travailleurs pour les attirer ; mais pas dans le cas contraire. Est-ce que la libéralisation du commerce encourage la croissance économique ? Oui, si cela permet d’améliorer la rentabilité des industries où ont lieu l’essentiel de l’innovation et de l’investissement ; mais pas dans le cas contraire. Est-ce qu’une hausse de la dépense publique améliore l’emploi ? Oui, s’il n’y a pas de tensions dans l’économie et si les salaires n’augmentent pas ; mais pas dans le cas contraire. Est-ce qu’une situation de monopole nuit à l’innovation ? Oui et non : cela dépend d’une multitude de conditions propres au marché.
En économie, les nouveaux modèles supplantent rarement les anciens. Les modèles du marché concurrentiel1 datant d’Adam Smith ont ainsi été au fil du temps en intégrant – plus ou moins chronologiquement – les questions de monopole, d’externalités, d’économies d’échelle, d’incomplétude et d’asymétrie de l’information, de comportement irrationnel des agents et tout un tas d’autres aspects du monde réel. Malgré tout, l’ancien modèle est resté utile. Pour comprendre le fonctionnement des marchés, il est nécessaire de les visualiser à travers différents prismes à différents moments.
Un bon économiste est un bon cartographe
On trouvera peut-être dans les cartes l’analogie la plus adaptée à cette situation. Tout comme les modèles économiques, les cartes sont des représentations hautement stylisées de la réalité. Elles sont utiles justement parce qu’elles font abstraction de nombreux détails du monde réel qui pourraient en gêner la compréhension. Mais cette abstraction implique aussi que nous ayons besoin de plusieurs cartes différentes en fonction de nos besoins de déplacements. Si, par exemple, je me déplace en vélo, j’aurais besoin d’une carte qui répertorie les pistes cyclables. Si je décide de me promener à pied, je choisirais une carte indiquant les sentiers pédestres. Si une nouvelle ligne de métro est construite, j’aurais sûrement besoin d’une nouvelle carte du métro, sans pour autant devoir jeter toutes les anciennes que je possède.
Les économistes ont des difficultés avec la partie « artistique » de la discipline
Les économistes sont excellents pour réaliser des cartes, mais ils ne le sont pas assez pour choisir la plus adaptée à leurs travaux. Lorsqu’ils se retrouvent confrontés à des questions de politique économique telles que celles auxquelles a dû répondre l’économiste en visite dans ce pays inconnu ; nombre d’entre eux ont recours aux modèles de référence privilégiant le « laisser-faire ». Les réponses automatiques et l’arrogance remplacent ainsi la richesse des discussions qui peuvent avoir lieu dans une salle de séminaire. John Maynard Keynes a, une fois, défini l’économie comme « la science de penser à travers des modèles, combinée à l’art de choisir ceux qui sont pertinents». Les économistes ont des difficultés avec la partie « artistique » de la discipline.
Ce constat peut lui aussi être illustré par une parabole : un journaliste appelle un professeur d’économie, pour lui demander si, de son point de vue, le libre-échange est une bonne chose. Le professeur lui répond avec enthousiasme par l’affirmative. Se faisant passer pour un étudiant, le journaliste assiste ensuite au séminaire d’économie internationale dispensé par le même professeur dans une université. Il y pose la même question : « le libre-échange est-il bénéfique ?». Cette fois-ci, le professeur semble embarrassé : « Qu’entendez-vous par « bénéfique » ? Et bénéfique pour qui ? » lui demande-t-il. Il se lance alors dans une explication approfondie, pour finalement conclure sur un bilan bien plus nuancé : « si la longue liste d’hypothèses que je viens d’énumérer est satisfaite – et en supposant que nous pouvons taxer les bénéficiaires pour compenser le manque à gagner des perdants – alors le libre-échange peut potentiellement améliorer le bien-être de chacun». S’il est d’humeur bavarde, le professeur pourrait même ajouter que l’impact du libre-échange sur la croissance de long terme d’une économie n’est pas beaucoup plus simple à déterminer, et qu’il dépend, lui aussi, de toute une liste de conditions.
Les gardiens des joyaux
Le professeur que le journaliste découvre lors de ce séminaire est donc assez différent de celui avec qui il avait pu discuter par téléphone. Lors de leur premier entretien, il s’était montré très assuré et n’avait formulé aucune réserve quant à la politique à adopter. Il n’y aurait qu’un seul et unique modèle à prendre en compte, dans le cadre du débat public du moins ; une seule réponse correcte à apporter, quel que soit le contexte économique. Etonnamment, le professeur estime que les connaissances qu’il transmet à ses étudiants ne sont pas appropriées – voire dangereuses – pour le grand public. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?
Les fondements d’un tel comportement sont profondément enfouis dans la culture du métier d’économiste. Mais l’une des principales raisons réside dans l’ardeur mise par ces derniers à présenter les joyaux de la profession – l’efficacité des marchés, la main invisible, les avantages comparatifs – comme étant irréprochables, pour les protéger des attaques des barbares guidés par leur intérêt personnel, à savoir les protectionnistes. Malheureusement, ces économistes ont tendance à ignorer les barbares du camp adverse ; à savoir les financiers et les multinationales, dont les motivations ne sont pas plus louables et qui sont tout aussi prêts que les protectionnistes à détourner les idées néolibérales à leur propre avantage.
Les économistes qui laissent libre cours à leur enthousiasme pour les marchés libéralisés ne sont pas très fidèles à leur propre discipline
Par conséquent, la contribution des économistes au débat public est souvent biaisée dans une direction : celle qui préconise toujours plus de commerce, toujours plus de finance et toujours moins de gouvernement. C’est pour cette raison que les économistes sont perçus aujourd’hui comme des défenseurs inconditionnels du néolibéralisme, et ce alors même que l’économie dominante est loin d’être un hymne à la gloire du laisser-faire. Les économistes qui laissent libre cours à leur enthousiasme pour les marchés libéralisés ne sont en fait pas très fidèles à leur propre discipline.
Repenser la mondialisation
Comment donc penser la mondialisation si nous voulons la libérer l’emprise des pratiques néolibérales ? Nous devons commencer par comprendre le potentiel positif des marchés mondialisés. L’accès aux marchés internationaux de biens, de technologies et de capitaux a joué un rôle important dans pratiquement tous les miracles économiques de notre ère. La Chine est bien sûr le rappel le plus récent et le plus puissant de cette vérité historique ; mais ce n’est pas le seul. Des miracles similaires ont eu lieu en Corée du Sud, à Taïwan, au Japon et dans un certain nombre de pays non-asiatiques comme l’Ile Maurice. Tous ces pays ont su accepter et utiliser la mondialisation des flux plutôt que de lui tourner le dos, et ils en ont bénéficié largement.
Les défenseurs de l’ordre économique existant finissent toujours par invoquer ces exemples lorsque la mondialisation est remise en cause. Ce qu’ils oublient cependant de mentionner, c’est que la plupart de ces pays ont rejoint l’économie mondiale en violant certains principes néolibéraux. La Corée du Sud et Taïwan par exemple, ont largement subventionné leurs exportateurs, respectivement à travers le système financier et en leur accordant des avantages fiscaux. Et globalement, tous ces pays ont levé la majeure partie de leurs barrières à l’importation bien après que leur croissance économique ait décollé.
Bien des réformes pourtant interdites par la feuille de route néolibérale sont devenues monnaie courante
Mais aucun d’eux – à la seule exception du Chili de Pinochet dans les années 1980 – n’a suivi la recommandation néolibérale consistant à s’ouvrir rapidement aux importations. L’expérience néolibérale du Chili a finalement produit la pire crise économique que l’Amérique latine ait connue. Si les circonstances diffèrent selon les pays, les gouvernements ont joué, dans tous les cas, un rôle actif dans la restructuration de leur économie et l’ont protégée d’un environnement extérieur très volatil. Pourtant interdites par la feuille de route néolibérale ; les politiques industrielles, les restrictions sur les flux de capitaux et le contrôle des changes sont devenus monnaie courante.
En contraste, les pays qui se sont cantonnés au modèle de mondialisation néolibéral ont été cruellement déçus ; comme en témoigne l’exemple regrettable du Mexique. Après une série de crises macroéconomiques au milieu des années 1990, le Mexique a adopté des politiques macroéconomiques orthodoxes en libéralisant abondamment son économie, en dérégulant son système financier, en abaissant drastiquement ses barrières aux importations et en signant l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Ces politiques ont de fait permis une certaine stabilité macroéconomique et une hausse significative tant du commerce extérieur que de l’investissement domestique. Mais pour ce qui compte le plus — la productivité globale et la croissance économique –– l’expérience a été un échec. Depuis que le Mexique a entrepris ces réformes, sa productivité globale stagne et son économie s’est avérée être contre-performante, même au regard des standards relativement peu exigeants, de l’Amérique Latine.
Il n’y a pas de plan unique
Ces résultats ne sont pas surprenants du point de vue d’une approche économique logique. Il y a toutefois une autre manifestation de la nécessité pour les politiques économiques d’être ajustées aux défaillances auxquelles est soumis chaque marché, et taillé en fonction des spécificités nationales de chaque pays. Aucun plan ne peut convenir partout et de façon indifférente.
Comme en témoigne le manifeste de Peters (1982), la définition du néolibéralisme a considérablement évolué au cours du temps, en même temps que la connotation du terme est devenue de plus en plus radicale dans son rapport à la dérégulation, la financiarisation ou la mondialisation. Il y a cependant un fil rouge qui relie entre elles les différentes versions du néolibéralisme : il s’agit de l’importance accordée à la croissance économique. En 1982, Peters écrivait que cette insistance était justifiée, du fait du rôle essentiel que joue la croissance dans la réalisation de tous nos objectifs sociaux et politiques — la communauté, la démocratie et la prospérité. L’entreprenariat, l’investissement privé et le retrait de tous les obstacles encombrants (comme, par exemple, une régulation excessive) étaient autant d’instruments nécessaires à la croissance économique. Si un manifeste néolibéral similaire devait être écrit aujourd’hui, il avancerait sans doute le même argument.
L’erreur fatale du néolibéralisme, c’est qu’il se trompe sur ce qu’est l’économie elle-même
Toutefois, les détracteurs du néolibéralisme pointent souvent que cet accent mis sur la croissance déprécie et sacrifie d’autres valeurs sociales et politiques importantes comme l’égalité, l’inclusion sociale, la délibération démocratique ou encore la justice. Des valeurs dont la réalisation est pourtant primordiale, et qui, dans certains contextes, comptent bien plus que les autres. Elles ne peuvent cependant pas toujours – voire même jamais – être réalisées par le biais de politiques économiques technocratiques ; la politique a clairement un rôle central à jouer.
Les néolibéraux n’ont certes pas tort d’affirmer que ces précieux idéaux sont plus susceptibles d’être atteints dans une économie dynamique, solide et en expansion. Ils se trompent en revanche lorsqu’ils pensent qu’il existe une recette unique et universelle pour améliorer la performance d’une économie – une recette à laquelle ils auraient accès. L’erreur fatale du néolibéralisme, c’est qu’il se trompe sur ce qu’est l’économie elle-même. Il doit être rejeté, selon sa propre logique, pour la simple et bonne raison que c’est de la mauvaise économie.
* Dani Rodrik est professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’université Harvard. Cet article publié initialement par la Boston Review a été traduit par Aude Martin
La spécificité de Jérusalem pourrait servir de modèle politique à l’avenir, fait valoir la philosophe Donatella Di Cesare dans Corriere della Sera :
«Unique, indivisible, inappropriable, irréductible : Jérusalem est la ville qui se soustrait à l’ordre des Etats-nations. Elle échappe aux répartitions – elle les transcende et les proscrit. Toutes les tentatives visant à fractionner et segmenter Jérusalem, dans une optique d’Etat-nation centralisé, ont échoué. Le naufrage de la diplomatie, et, plus encore, celui d’une politique qui procède avec mesure et calcul. Jérusalem ne divise pas, elle unit. … C’est précisément parce qu’elle constitue ce roc théologique auquel se heurte la politique que Jérusalem peut devenir un modèle supra-étatique et l’incubatrice de relations éclairées entre les peuples.»
Arts et sida A l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida du 1er décembre, Montpellier Danse libère la parole à l’occasion de deux soirées débat suivies de projections. La première qui s’est tenue mardi a évoqué l’impact de cette maladie sur le 7e art.
Montpellier Danse s’inscrit de longue date comme un vecteur de réflexion sur l’influence du sida sur la danse et plus largement sur le monde de l’art. La danse contemporaine a été très tôt sensibilisée à la problématique. « Conséquence de la libération des corps en 1968, l’explosion de la nouvelle danse, portée par la jeune génération, est court-circuitée par le VIH qui fait son apparition en 1985 », rappelle le journaliste spécialisé montpelliérain Gérard Mayen qui animait le débat. Parmi les victimes du virus le danseur, chorégraphe, Dominique Bagouet, fondateur du CCN de Montpellier et du Festival Montpellier Danse succombe à l’épidémie le 9 décembre 1992.
En raison d’un imprévu la critique d’art Elisabeth Lebovici auteure de Ce que le sida m’a fait – Art et activisme à la fin du XXe siècle, (Les presses du réel 2017) n’a pu honorer l’invitation. Dans cet ouvrage très documenté, elle revisite, avec sa mémoire de témoin, les liens entre art et activisme durant les « années sida » en France et aux États-Unis. Elisabeth Lebovici rend compte d’une créativité artistique et activiste née de l’urgence de vivre et du combat pour la reconnaissance de tous·tes avec un point de vue féministe assumée. A ses yeux, « l’homophobie est une forme déplacée de la misogynie», souligne Gérard Mayen.
Élaborer ses propres images
Dans Le sida face à la caméra, (collection Images d’ErosOnyx 2017), le journaliste critique de cinéma Didier Roth-Bettoni s’intéresse au corpus cinématographique ayant trait au sida.
Comme le mouvement gay dans les années 70, le sida génère un cinéma spécifique qui élabore ses propres images dont l’auteur scrute avec pertinence et sensibilité les enjeux. Il démontre comment ce « cinéma de l’intérieur» a participé à la construction de la communauté LGBT mais aussi à la manière dont le reste de la société l’a regardée.
Dans le large éventail des films étudiés, l’auteur distingue sans jugement les films compassionnels comme Philadelphia « qui appelle à la tolérance, avec des limites dans les représentations…» et les films plus engagés, à l’instar de Zero Patience (1993), du canadien John Greyson. Un ovni sulfureux et hilarant qui pose les vraies questions. Projeté à l’issue de la conférence à Montpellier, le film est offert avec l’achat du livre.
« L’objectif de ce courant cinématographique est double, indique Didier Roth-Bettoni : représenter d’une part, des familles alternatives, et un environnement plus chaleureux et joyeux face à une société qui est dans le déni , et évoquer, d’autre part, la représentation de corps vivants, luttant contre le virus mais aussi contre les structures sociales.» L’auteur entend ainsi faire oeuvre d’historien auprès des nouvelles générations pour que «tout ne soit pas à recommencer de zéro.»
JMDH
Prochaine soirée le 7 dec à 17h30 à l’Agora sur le thème La recherche contre le VIH et le sida : un point sur les nouvelles avancées à Montpellier.